DISCOURS PRONONCÉ PAR LE PRÉSIDENT FIDEL CASTRO RUZ, PREMIER SECRÉTAIRE DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE DE CUBA ET PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ETAT ET DU CONSEIL DES MINISTRES, À LA CLÔTURE DU DOUZIÈME FORUM NATIONAL DES SCIENCES ET TECHNIQUES, EFFECTUÉE AU PALAIS DES CONGRÈS LE 21 NOVEMBRE 1998, ANNÉE DU QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE DES BATAILLES DÉCISIVES DE LA GUERRE DE LIBÉRATION

(Traduction de la version sténographique du Conseil d'Etat)

 

Compañeras et compañeros,

Je vous avais promis quelques mots, après l'intervention du compañero Miret, pour vous expliquer mon absence à ce Forum.

En fait, tout un tas d'activités se sont jointes ces jours-ci : d'abord, des visites de chefs de gouvernement qu'il fallait recevoir, avec qui il fallait discuter, mais aussi des visites d'autres personnalités très diverses. N'allez pas croire que la presse parle pas de toutes les personnes que je rencontre. Il s'agissait en tout cas d'une série de personnalités très importantes pour l'action qu'a entreprise notre pays, qu'il fallait recevoir et à qui il fallait consacrer du temps.

Bref, il y a des périodes comme ça où tout arrive ensemble, et le forum nous est tombé dessus presque sans crier gare. De plus, c'est une période de l'année où les activités sont nombreuses et ne nous laissent pas beaucoup de temps libre. Et ce n'est pas fini. Dans quelques jours, car le temps passe vite, ce sera le Congrès de la jeunesse communiste et une autre série de rencontres, de réunions, l'Assemblée nationale et des choses de ce genre.

Mais, malgré toutes mes obligations, je me serais arrangé de toute façon pour passer quelques heures avec vous, pour assister à quelques débats, à quelques séances. Car ce qui m'a toujours beaucoup intéressé dans ces forums, c'est d'écouter les opinions, les propositions, afin d'être vraiment bien informé, bien imprégné, et lorsque que je prends la parole, de le faire en sachant vraiment les caractéristiques, le contenu et l'importance des interventions et des débats.

Je n'ai pas raté un seul forum depuis 1990. Avant, ils étaient annuels. C'est quelque chose qui a débuté modestement, comme un forum de pièces de rechange, parce que c'était là la première urgence du moment, et qui a fini par devenir ce qu'il est devenu aujourd'hui : un mouvement extraordinaire de science et technique. J'aimais bien les forums annuels, d'ailleurs, mais cela avait fini par exiger de tels efforts qu'on en a conclu qu'il était plus rationnel de les organiser tous les deux ans. Ce forum-ci est donc le premier biennal, et pourtant je n'ai pas pu participer à ses débats pour les raisons que je vous ai expliquées.

Mais, en fait, ce n'est pas là la raison la plus importante pour laquelle je n'ai pu être présent, autrement dit ces obligations dont je vous parlais, celles qui sont prévues tout au long de l'année et celles qui apparaissent à l'improviste - vous pouvez en effet en planifier cinquante, ou cent, ou deux cents, et à la fin de l'année, vous vous en retrouvez avec quatre cents, et ce temps-là, il faut parfois le prendre sur le sommeil, le prendre sur le repos, le prendre sur les études, parce que moi aussi je dois étudier, tout comme vous, lire beaucoup, recueillir des informations. Autrement dit, malgré toutes ces obligations, j'aurais pu me libérer quelques heures pour participer au Forum s'il n'avait pas coïncidé avec le phénomène des ouragans qui ont eu lieu presque coup sur coup : d'abord le fameux Georges, qui a dévasté la République dominicaine et Haïti, et qui nous a causé pas mal de dommages à nous aussi, car il est arrivé après une forte sécheresse. Il fallait apporter une aide immédiate à tous les endroits touchés, comme nous sommes habitués à le faire. Nous avons même accordé la priorité à la République dominicaine et à Haïti, d'abord parce qu'ils avaient été plus durement touchés et puis parce qu'ils n'ont pas notre expérience, parce qu'ils n'ont pas atteint l'organisation que nous possédons désormais pour protéger la population et les installations.

Nous avons donc consacré une attention particulière à ces pays, en effectuant aussi un travail diplomatique pour chercher de l'aide, avec d'autant plus de force morale que nous avions dit qu'il fallait donner la priorité à la République dominicaine et à Haïti parce qu'ils avaient été plus durement frappés que nous.

En fait, nous sommes vraiment mieux préparés que jamais - et je doute qu'il existe un pays mieux préparé que le nôtre - pour faire face à des coups durs de toutes sortes, et cela nous donne du moral lorsque nous demandons en faveur d'autrui et que nous travaillons pour autrui. Mais ce que nous étions loin d'imaginer, c'est qu'un autre ouragan aux caractéristiques exceptionnelles allait faire son apparition tout juste quelques semaines après. Mitch est considéré comme l'un des quatre ouragans les plus violents de ce siècle. Et il nous a tourné autour, puisqu'il se déplaçait au sud de Cuba et que presque tous les cyclones de cette époque de l'année menacent de remonter vers le nord lorsqu'ils entrent dans cette zone et de passer sur notre pays.

Un monstre ! Avec des vents soutenus de 250 kilomètres/heure et des rafales de plus de 300. Les météorologues classent maintenant les ouragans en cinq catégories, mais c'est une classification bien trompeuse. Avec des vents de plus de 100 km/h, vous avez un ouragan de la catégorie 1, et ainsi de suite. Lorsque les vents dépassent 250 km/h, vous êtes dans la catégorie 5. Bien entendu, vous et moi, qui sommes habitués à multiplier et à diviser, nous sommes tentés de croire qu'un ouragan de catégorie 5 fait cinq fois plus de dégâts qu'un ouragan de catégorie 1. Eh bien, détrompez-vous : un ouragan de la catégorie 5 - je l'ai appris tout récemment, et je l'ai constaté aussi - est vingt-cinq fois plus destructeur qu'un ouragan de la catégorie 1. Vingt-cinq fois plus !

Celui-là venait par ici. Ou plutôt il allait passer par le centre du pays; il semblait devoir passer plus ou moins à l'ouest de la Jamaïque, par Camagüey, compte tenu de sa trajectoire. Ensuite il a viré vers l'ouest. Il avançait assez lentement, mais il avançait tout de même, et les vents prenaient toujours plus de force. Ce qui alimente les ouragans, en effet, c'est surtout la chaleur de la mer. Au-dessus de la terre, ils perdent de leur force, ils se détériorent davantage, à cause de la friction de la terre, de l'irrégularité du terrain; lorsqu'ils passent au-dessus de hautes montagnes, ils se désorganisent pas mal avant de se réorganiser à nouveau. Mais en mer, en tout cas, ils se renforcent aussitôt. Et celui-ci suivait le Gulf Stream, un courant qui porte son énergie depuis les mers équatoriales jusqu'à la Norvège. Alors, pensez un peu toute l'énergie qu'un ouragan de ce type peut accumuler dans un courant pareil pour se renforcer !

On le surveillait de près. Rubiera (le chef des prévisions météorologiques, et le M. Météo du journal télévisé) insistait, certains commençaient à se lasser parce qu'ils étaient mobilisés depuis plusieurs jours. Vous ne pouvez pas faire autrement que de prendre des mesures à temps, vous ne pouvez pas jouer à pile ou face en supposant qu'il passera au large, parce que personne ne peut l'assurer. Ceux de Pinar del Rio étaient mobilisés pour le cas où il passerait par cette province, mais il a continué vers l'ouest et a même un peu viré vers le sud-ouest à un moment donné.

Le fait est que cet ouragan invraisemblable a stationné longtemps face aux côtes du Honduras. Durant tout ce temps-là, nous courrions le risque de le voir prendre la direction nord et passer par Pinar del Rio. Je ne sais pas ce qu'il y serait resté des plantations de tabac, ou des cases à sécher les feuilles, maintenant que les cigares deviennent l'un des produits d'exportation du pays en pleine croissance.

J'ai demandé ici à l'un des meilleurs travailleurs si nous pouvions semer du tabac de bonne qualité dans toute l'île et il m'a dit que oui. Le pays travaille pour produire à l'avenir 400 millions de cigares d`exportation par an, et la demande est incroyable. Certains de nos havanes sont vendus 40 ou 50 dollars aux touristes dans certaines îles des Caraïbes, et nous, nous touchons un dollar et demi ou deux dollars sur chacun. C'est toujours de l'argent qui rentre. Ici, on ne les vend aussi cher aux touristes sur le marché interne. En tout cas, la demande de cigares est très forte et c'est un produit en pleine croissance. Mais si cet ouragan était passé par Pinar del Rio, les dégâts auraient été terribles, parce qu'il y avait encore près de 15 000 tonnes en cours de traitement, en phase de séchage; presque toute la matière première de la première partie de l'année. Les quatre premiers mois de l'année sont encore là-bas en cours de traitement.

Mais il est resté face au Honduras, un phénomène incroyable : cinquante-huit heures sans bouger ! Les petites îles proches, il les a complètement balayées. Bien sûr, il a perdu de cette énergie brutale qu'il avait, parce qu'il s'affaiblit, il s'use pour atteindre des rafales de plus de 300 km/h, - c'est un peu comme un avion qui dépense bien plus d'énergie en volant à 1 000, à 1 500 ou à 2 000 km/h qu'en volant à 500 km/h. Donc, avec des vents aussi puissants, il avait déjà perdu une certaine énergie. Mais le fait est qu'il s'est arrêté cinquante-huit heures face aux côtes honduriennes et non loin du Nicaragua. Les pluies ont été énormes. En effet, ce ne sont pas tant les vents qui ont fait des ravages - ce n'étaient plus des vents de 250 km/h, ni même de 150 km/h, ils n'atteignaient plus à un moment donné que moins de 100 km/h, même s'ils étaient encore assez forts pour déraciner des bananiers, emporter des maisons et bien d'autres choses - que les pluies. Il est tombé des trombes durant toutes ces heures-là. Après, l'ouragan a poursuivi sa route, en perdant de sa force, et il est entré au Guatemala.

Et c'est là, dans les montagnes du Guatemala, qu'il disparaît. En tout cas, c'est ce qu'on avait dit. Et voilà que, quarant-heures plus tard, Rubiera nous annonçait que le cyclone avait reparu dans le golfe de Campeche.

Oui, le fameux ouragan fait sa réapparition. Il faisait un temps superbe lorsqu'on nous annonce qu'il était en train de se réorganiser là-bas, en suivant une direction nord-est. Personne ne savait pas à quelle distance il passerait de nous, ni combien d'eau il allait tomber. Oui, de nouveau le cyclone, alors que nous pensions le danger écarté !

Il est passé à cent soixante-dix kilomètres des côtes de Pinar del Rio, les pluies n'ont pas été très fortes, il n'a pas réussi à causer des dommages importants; mais je me souviens que lorsque l'observatoire annonçait qu'il était à trois cents kilomètres, ici il y a eu des rafales de 100 km/h, et à l'observatoire de La Havane, de 105 ou 110 km/h. Lorsqu'ils se désorganisent, c'est pire. Tenez, quand Georges a abandonné Haïti, il avait trois yeux et il s'est réorganisé. En tout cas, avec Mitch, on a senti des rafales à trois cents kilomètres de distance.

Mitch a causé un vrai désastre, la pire catastrophe naturelle survenue en Amérique centrale en deux cents ans. On ne peut s'en rendre compte qu'en voyant les images de la destruction qu'il a causée dans ces pays. Des pays pauvres, en plus. Le Honduras et le Nicaragua, par exemple, les plus sinistrés, figurent parmi les pays les plus pauvres d'Amérique latine et des Caraïbes, à l'exception de Haïti, qui fait partie, lui, des plus pauvres du monde.

Les autres sont très pauvres, mais pas autant. Le Guatemala l'est, et El Salvador, aussi, qui étaient déjà menacés par un autre cyclone : l'expulsion des Etats-Unis d'un grand nombre de sans-papiers centraméricains qui envoient de l'argent à leurs familles restées dans le pays.

Les dégâts ont été terribles. Le Honduras a été complètement balayé, il ne reste plus de bananiers, plus de récolte, plus rien, rien que d'immenses étendues d'eau. La capitale, Tegucigalpa, traversée par un petit cours d'eau - comme l'Almendares, ici, qui nous causait parfois pas mal d'ennuis avant la construction du barrage de Mampostón, puisque la route de Rancho Boyeros s'inondait tous les ans - a été inondée, à cause des pluies incroyables qui sont tombées. Mais pas seulement à cause des pluies : l'Amérique centrale est victime de la déforestation, des dizaines de milliers d'hectares de forêts disparaissent chaque année. S'il n'y a plus de forêts pour retenir les eaux, celles-ci se précipitent dans le lit des fleuves, ce qui explique pourquoi l'inondation de la capitale a été inattendue et terrible.

Les crues dépendent de deux facteurs très importants : pas seulement le quantité de pluies, mais aussi la durée de ces pluies. C'est ce qui s'est passé pendant le cyclone Georges à Mayari, quand il a fallu évacuer, alors que l'ouragan était presque passé, à des endroits où l'eau n'était jamais arrivée, une population importante vivant sur la berge la plus élevée du fleuve, qui a parfois de fortes crues. Le fait qu'un barrage n'ait pas été achevé à cause des contraintes de la période spéciale - et on pense le conclure peu à peu - a peut-être joué, mais le problème, c'est qu'il est tombé trois cents millimètres de pluie en quatre heures, et trois cents millimètres en quatre heures ce n'est pas pareil que sept cents en vingt-quatre heures.

C'est aussi arrivé à San Nicolas, dans la province de La Havane, une localité qui n'avait jamais connu d'inondations : il est tombé environ trois cents millimètres en quelques heures à la source d'une rivière, et il s'est passé la même chose qu'à Mayari.

Personne ne sait combien il est tombé de pluies en Amérique centrale. Au vu des images, je ne crois pas que ce soit autant que pendant le cyclone Flora, mais cela suffisait largement, de toute façon.

D'ailleurs, on ne sait toujours pas combien il est tombé pendant le Flora. On a calculé 1 600 millimètres, il n'y avait pas beaucoup d'appareils de mesure à l'époque, mais il y en avait déjà quelques-uns, qui ont donné 1 500 et 2 000 millimètres. L'inondation et le courant, au milieu de la province d'Oriente, - et je le dis en tant que témoin oculaire - avaient les dimensions de l'embouchure de l'Amazone, quand se sont unies les eaux de tous les cours d'eau sur lesquels sont aujourd'hui construits des barrages et qui inondaient aussi la vallée du Cauto tous les ans, avant le passage du Flora. Ce n'étaient pas de grandes inondations, d'accord, mais quand même...

Aujourd'hui, ils sont tous endigués. Même le Cauto, avant d'arriver à la route centrale, et aussi près de Miranda; et même le Contramaestre. Tous les cours d'eau qui étaient sortis de leur lit lors du passage du Flora, plus ceux de Manzanillo, dans la région de Granma, sont endigués aujourd'hui. Mais toutes ces eaux - les pluies avaient duré trente-six heures - sont arrivées ensemble, et le fleuve s'est transformé en une vague qui a déferlé, comme un mur qui avance, au petit matin et qui a surpris tout le monde. Des paysans ont même cru que c'était la mer, au nord, qui avait envahi la province.

Le Flora avait fait environ 1 200 victimes. Aujourd'hui, il n'y en aurait pas eu, car chaque fois qu'un cyclone menace, malgré les retenues d'eau et tout le reste, on évacue tout le monde, grâce à notre organisation, grâce à la participation du peuple, comme l'a dit Miret à ce Forum, avec discipline, en étant sûr de recevoir toutes les garanties. On a évacué 700 000 personnes, comme mesure préventive, lors du passage de Georges.

De toute façon, Mitch a été quelque chose d'absolument hors du commun, et on ne peut critiquer aucun de ces pays, car le phénomène a dépassé tous les calculs. Je vous parlais d'un fleuve qui traverse la capitale du Honduras. Eh bien, les pluies l'ont fait déborder, il s'est transformé en un torrent de boue qui a rasé des quartiers entiers.

Je vous disais que la déforestation contribuait aux dégâts provoqués par l’ouragan. Plusieurs choses se conjuguent : ce phénomène métérologique inhabituel, la durée des pluies, des montagnes déboisées qui ne retiennent plus l'eau. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement du volume des pluies, mais aussi de leur durée, plus la capacité de ces fleuves à retenir les eaux en amont, car s'ils pouvaient les retenir durant des heures, les crues ne seraient pas aussi destructrices.

Le phénomène d'El Niño joue aussi, et le changement climatique, et aussi la déforestation. C'est le prix que l'humanité commence à payer à force d'agresser la nature, d'où la nécessité d'accorder une importance croissante aux problèmes d'environnement.

Cuba n'a jamais connu une sécheresse comme celle qui a précédé le cyclone Georges. Elle n'a pas frappé de la même manière tout le territoire, mais elle a été en tout cas très intense dans de vastes zones des provinces d'Holguín, de Las Tunas et dans une partie de celle de Guantánamo. En fait, toute l'île a été touchée, certaines provinces, plus, d'autres moins, mais on n'a jamais connu une telle sécheresse au point qu'il n'est pas tombé une goutte durant tout le printemps dans certaines régions.

D'ailleurs, même des cyclones de ce genre sont déjà plus fréquents. El Niño provoque de grandes inondations dans certaines régions du monde, et de grandes sécheresses dans d'autres.

En tout cas, pour ces pays centraméricains, ç'a été vraiment catastrophique, au point qu'à ce qu'on dit, ils ont reculé de cinquante ans.

Il y a eu un grand nombre de victimes, les chiffres varient, et on ne saura jamais exactement car il est question de morts et de disparus. De nombreux cadavres des victimes du Flora à Cuba, en 1963, n'ont pas été retrouvés. N'allez pas croire qu'après une inondation de ce genre, les cadavres apparaissent lorsque l'eau se retire; non, de nombreux cadavres sont emportés par le courant et n'apparaissent jamais.

En Amérique centrale, on a dénombré - les chiffres varient - de
10 000 ou 12 000 cadavres. Mais, entre morts et disparus, on a parlé au départ d'environ 30 000 victimes. On estime généralement que sur 100 disparus, pas moins de 95 sont des victimes mortelles. Il y a des flancs de montagnes où sont encore ensevelies des centaines, et peut-être des milliers de personnes. Au Nicaragua, par exemple, cinq villages comptant des milliers d'habitants vivaient sur les flancs d'un volcan; on en a retrouvé cent quatre-vingts, et les autres sont ensevelies, portées disparues.

Soutenir l'Amérique centrale est pour nous un devoir élémentaire; nous pouvions le faire efficacement à partir des réflexions que nous avions faites après les ravages causés par le cyclone Georges en Haïti et en République dominicaine, où nous avons envoyé une brigade médicale dès que la piste d'atterrissage de la capitale a été disponible. On m'a dit que l'un des médecins de cette brigade a pris la parole cet après-midi.

On m'a raconté tant de choses intéressantes et humaines de ce qu'elle a fait à Barahona que je ne peux les oublier. Il y avait deux villages de part et d'autre du fleuve; celui de droite a été plus sérieusement touché que l'autre, les maisons étaient couvertes de boue jusqu'au toit. Celui de gauche n'avait pas autant de boue parce qu'il est situé plus en hauteur. Deux municipalités différentes, un vieil hôpital dans le village de gauche, et dans celui de droite un hôpital neuf, juste terminé de construire, sous la boue. Et nos médecins ont extirpé le matériel de la boue. Vous imaginez un appareil d'anesthésie ou de respiration, et bien d'autres, sous la boue ? Ils ont pu récupérer presque tout. Et, quarante-huit heures après le désastre, ils faisaient des opérations avec les appareils récupérés de la boue ! Plus de cent accouchements et opérations, sans compter les milliers de personnes qui venaient d'une cinquantaine de kilomètres à la ronde. Les autorités ont dû mettre une peu d'ordre, envoyer des hommes armés de fusils, des forces de l'ordre, pour organiser tout cela. Les gens faisaient la queue trois heures du matin.

Cela a causé un très gros impact. Le gouvernement, les autorités, toutes les organisations, toutes les forces politiques ont exprimé leur reconnaissance à ces, disons, treize travailleurs de la santé, puisqu'ils avaient aussi le technicien du groupe électrogène et quelques infirmières. Ç'a été vraiment très impressionnant : les autorités ne savaient comment leur rendre hommage, comment les remercier de l'exemple qu'ils avaient donné, de leur travail inlassable. Ensuite elles leur ont fait visiter d'autres endroits. Les autorités dominicaines sont très intéressées par notre expérience. Le précédent de la République dominicaine nous a donné des idées précieuses sur les formes de coopération que nous pouvons mettre en place dans ce domaine.

Dès avant, quand ce même ouragan Georges a fait des ravages en Haïti, nous nous étions demandés : Que va devenir ce pays ? C'est à ce moment-là, le 28 septembre, que j'ai soulevé pour la première fois l'idée d'un programme intégral de santé pour Haïti. On parlait de deux cents à deux cent cinquante morts et de nombreux disparus; on ignorait les chiffres réels, on en calculait environ cinq cents. Cinq cents victimes, c'est un chiffre bouleversant pour un pays aussi pauvre qu'Haïti, où une grande partie des maisons sont des chaumières aux matériaux fragiles. Heureusement qu'une cordillère sépare Haïti de la République dominicaine et que des montagnes de plus de 3 000 mètres servent en quelque sorte de brise-vent, si bien que ce n'est pas le vent qui a fait des ravages, mais les eux qui descendaient des montagnes.

Je me suis pris à réfléchir : on parle d'Haïti depuis si longtemps, mais sans jamais rien régler. Cuba avait été touchée aussi par le cyclone, mais nous avons dit : la communauté internationale doit privilégier ces pays-là. Nous nous sommes demandé : qu'est-ce que nous pouvons faire pour Haïti ? Avec l'expérience que notre pays a accumulée tout au long de ces quarante ans de Révolution, nous savons comment mener un véritable programme de santé, nous savons aussi combien cela coûte et nous savons ce qui est essentiel.

Lorsque la Révolution a triomphé, le taux de mortalité infantile de Cuba était de 60 pour 1 000 naissances vivantes, et il est aujourd'hui de 7,2. Quel était le taux pour les enfants de 0 à 4 ou 5 ans ? Au moins de 75, alors qu'il n'est aujourd'hui que de 9,3.

Lorsque l'ouragan est passé sur Haïti, nous avons proposé de mettre en place un programme de santé, à partir d'une idée très simple : 135 enfants pour 1 000 nés vivants de 0 à 4 ans y meurent tous les ans - c'est ce que disent les statistiques, mais arrondissons à l'âge de 5 ans, comme cela se fait pour l'Amérique centrale - et l'expérience de notre pays indique qu'il est non seulement possible mais, j'oserais dire, facile de réduire ce chiffre de 135 à 35, à condition de disposer du personnel humain qualifié et des médicaments nécessaires.

C'est à ce moment-là que j'ai dit que si un ou plusieurs pays développés - j'ai mentionné quelques noms - fournissaient des médicaments, Cuba était prête à mettre les médecins nécessaires au service d'Haïti. Cette question était à l'étude.

En fait, il n'existait même pas de communications avec Haïti à ce moment-là; mais c'est à la suite de cette proposition que le président haïtien, René Préval, a organisé une visite à Cuba en compagnie de plusieurs ministres, dont celui de la Santé. Cette visite date de quelques jours. Lorsqu'il est arrivé dans notre pays, la catastrophe venait d'avoir lieu en Amérique centrale, et de nouveaux devoirs moraux se sont présentés à nous, mais nous avions d'ores et déjà élaboré les idées essentielles. Nous avons réfléchi à ce qu'on pouvait faire. Les nouvelles qui nous parvenaient d'Amérique centrale ne parlaient plus de 250 morts et d'autant de disparus. Non, là, il s'agissait de 30 000 victimes.

Je me suis dit : les vies qu'on peut sauver par million d'habitants en Amérique centrale sont moindres qu'en Haïti. En effet, si pour 1 000 enfants qui naissent vivants en Haïti, il en meurt 135 de zéro à cinq ans, le potentiel d'enfants qu'on peut sauver est énorme. Voilà pourquoi j'avais parlé d'y sauver 25 000 vies, dont 15 000 enfants - un calcul réservé, parce qu'en fait ce serait davantage, mais dans ce genre de choses il vaut mieux rester en-deça - et quelque 10 000 adultes, - - un calcul également réservé.

En réalité, un programme comme celui que j'ai mentionné permettrait de sauver de 20 000 à 22 000 enfants haïtiens, puisqu'il est né en Haïti de 200 000 à 220 000 enfants chaque année, pour un total de sept millions et demi d'habitants. Il faut tenir compte de deux statistiques fondamentales : ceux qui meurent aux âges indiqués pour 1 000 naissances vivantes et le total de naissances.

Nous avons analysé aussitôt tous les chiffres d'Amérique centrale pour déterminer le nombre de vies qui pouvaient être sauvées. Là, il s'est passé en fait quelque chose de différent par rapport à Haïti : comme, dans tous ces pays, de vastes régions, y compris la capitale du Honduras, s'étaient retrouvées inondées et qu'il y avait un nombre énorme de victimes, la CNN et toutes les autres chaînes de télévision ont filmé ce qui s'était passé et ont montré au monde des images indiquant l'ampleur du désastre. Réellement, ces images du désastre et les informations de la catastrophe survenue en Amérique centrale ont bouleversé l'opinion mondiale, qui n'avait rien vu en revanche des désastres d'Haïti ou de République dominicaine.

Par ailleurs, tout le monde a bien conscience que la région la plus pauvre du continent est l'Amérique centrale, même si d'autres pays du continent sont aussi pauvres : la Bolivie, ou le Paraguay dans une certaine mesure, quand on analyse les taux de mortalité encore très élevés de ces pays.

Nous avons eu l'idée de donner un chiffre suffisamment expressif et éloquent de ce qu'il était possible de faire pour ces pays si dramatiquement touchés. Comme on avait parlé de 30 000 victimes, nous tenions à faire savoir qu'il était possible de sauver chaque année autant de vies que le cyclone en avait emportées - chaque année ! - en partant du principe que si le monde était bouleversé par la tragédie de 30 000 personnes décédées et les énormes dégâts matériels occasionnés, il était temps de faire quelque chose pour ces peuples-là.

Nous avons parlé d'annuler les dettes. Le Nicaragua devait quelque six milliards de dollars. Comme il avait une dette envers Cuba, la première chose que nous avons faite c'est de l'annuler. Cette décision a une valeur morale, une valeur symbolique, parce que l'essentiel de sa dette - nous ne sommes pas un pays dotés de grands moyens - le Nicaragua doit l'acquitter envers des institutions internationales, envers des gouvernements riches de pays développés qui ont beaucoup d'argent et de moyens. Ce sont les pays centraméricains eux-mêmes qui ont demandé officiellement l'annulation de leur dette au cours d'une réunion d'urgence qui a eu lieu au Salvador et où ils ont présenté sept points dont vous avez entendu parler dans la presse ou à la télévision, entre autres que les Etats-Unis cessent d'expulser les Centraméricains dits illégaux, que la dette des deux pays les plus touchés, le Honduras et le Nicaragua, soit annulé; qu'un programme de développement soit lancé pour la région, entre autres requêtes.

Après avoir fait les calculs, nous nous sommes rendu compte que même s'il y avait 30 000 victimes - en supposant que le chiffre soit 30 000, j'espère qu'il sera inférieur; lorsque les calculs seront terminés, de seulement 25 000 ou même moins - il était possible de mener un programme de santé intégral qui permette de sauver chaque année autant de vies que de vies emportées par le cyclone.

Notre argument à l'adresse de la communauté internationale était le suivant : si le monde est bouleversé, ainsi que des organismes financiers internationaux comme le Fonds monétaire, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, et des pays comme la France, l'Espagne, l'Autriche et plusieurs autres pays de l'Union européenne, ou encore les Etats-Unis et le Canada, et si des institutions comme le Parlement européen et bien d'autres parlent d'annuler ou de réduire les dettes qui dépassent les 10 milliards de dollars, parfait, c'est là quelque chose d'important. Je pense que si cette bataille se poursuit, les dettes finiront peut-être par être annulées, parce que beaucoup en ont parlé. On peut annuler 80 p. 100, voire 100 p. 100 de la dette du Nicaragua et du Honduras. On peut réduire celle des autres pays touchés. Ces pays dépensent chaque année une grande partie de leur budget à payer les intérêts ou le principal de leur dette.

Le Nicaragua ne payait plus d'intérêts à Cuba pour sa dette, parce que nous y avions renoncé. Au départ, elle était plus importante; mais nous l'avions réduite, puis annulée, et le Nicaragua en avait payé une partie, mais nous avions renoncé en tout cas à toucher les intérêts. La dette avait atteint 90 millions et nous l'avions réduite à 50,1, sans intérêts.

Ces pays dépensent parfois de 30 à 40 p 100 de leur budget à payer les intérêts de la dette extérieure, et il ne leur reste pratiquement rien pour les secteurs sociaux, pour l'éducation, pour la santé, si bien que l'annulation de la dette représente un grand ballon d'oxygène pour eux. Mais c'est très loin d'être suffisant.

Les voilà donc avec leur dette annulée, très bien. Mais il leur faut reconstruire le pays et pour cela il faut des milliards; mais il leur faut développer le pays, et pour cela il faut d'autres milliards.

Cuba a soutenu les sept points présentés par les gouvernements, quelques heures à peine après la publication de leur accord. Cuba et la France ont été les deux premiers pays à avoir annulé la dette. Nous avons pris cette décision dans les toutes premières heures du jour où nous l'avons annoncée, mais des détails, des calculs, des précisions à apporter nous ont obligés à ne l'annoncer que dans l'après-midi, alors qu'elle avait été prise quatorze heures plus tôt.

Les Français ont un horaire différent. Quand nous nous sommes réunis dans la nuit, là-bas il faisait déjà jour.

A cette heure-là, nous avons même rédigé la note qui devait être publiée; le matin il fallait la taper à la machine, vérifier des données, la traduire dans des langues étrangères, dans la matinée notre ministère des Affaires étrangères devait recevoir un hôte important, et nous avons donc décidé de ne publier la décision que dans l'après-midi. N'allez pas croire que nous faisions la course avec les Français, mais c'est un fait que, chronologiquement parlant, ils ont annoncé avant Cuba l'annulation de la dette de 70 millions que le Nicaragua avait envers eux. Quant à nous, nous n'avons pas annulé d'autres dettes centraméricaines parce que, tout simplement, elles n'existaient pas. Le Guatemala, le Honduras et El Salvador n'ont pas de dettes envers nous. Le seul à en avoir une, c'était le Nicaragua.

Nous ne faisons pas la courses avec les Français, je le répète, je ne fais que dire une vérité historique : nous avions pris cette décision à l'heure que j'ai indiquée. Aussitôt après que la réunion du Salvador a pris fin, dès que les premières informations sur les accords adoptés sont arrivées... Mais c'est bien volontiers et avec joie que nous cédons aux Français l'honneur d'avoir été les premiers, car il est beaucoup plus important que la France ait pris l'initiative plutôt que Cuba.

L'attitude de Cuba implique indiscutablement une valeur morale très grande, étant donné que nous sommes un pays du tiers monde en période spéciale et soumis à un blocus et à une guerre économique; tandis que celle de la France revêt une importance spéciale du fait qu'il s'agit d'un pays d'Europe doté de ressources considérables et qui jouit d'une grande influence au sein de l'Union européenne. Nous donnons à la décision de la France toute l'importance qu'elle mérite, et nous sommes vraiment heureux que nous ayons été les deux premiers pays à avoir décidé l'annulation de la dette; d'autres pays l'ont annoncée par la suite. Je crois que l'Autriche est le troisième pays à l'avoir fait.

Les Espagnols n'ont pas parlé d'annulation, mais ils ont offert en revanche des aides importantes et ont suspendu pour un certain temps le paiement du service de la dette. L'aide accordée par les Espagnols en Amérique centrale est réellement importante et appréciable. Je pense qu'au moins 80 p. 100 de la dette extérieure du Honduras et du Nicaragua seront annulés.

Quoi qu'il en soit, il manque des fonds considérables pour deux choses : reconstruire et développer. L'humanité ne peut pas continuer à se résigner au drame que signifie la terrible pauvreté dans laquelle vivent tant de peuples. Dans ce monde où l'on parle de tant de millions et de billions, où il existe un tel gaspillage, il n'est plus concevable que face à des tragédies comme celle-ci on se borne à des premiers secours, à une petite aide pour la reconstruction, et qu'on tourne ensuite la page.

Ce que nous disons à propos d'Haïti, nous l'avions déjà conçu, comme on peut le constater dans le discours du 28 septembre où j'ai avancé deux idées fondamentales: que si Haïti avait besoin d'invasions, c'étaient d'invasions, non de soldats, mais de médecins, d'enseignants - des enseignants qui devront parler français ou créole - et d'invasions de nombreux millions de dollars pour se développer, car ce qui se passe là-bas est une honte pour ce continent-ci, pour tout l'Occident et pour le monde d'aujourd'hui, étant donné qu'Haïti a été la première nation des Caraïbes et d'Amérique latine à conquérir son indépendance, il y a deux cents ans; que ce pays a été le théâtre d'une révolution victorieuse des esclaves qui ont mis en déroute l'armée la plus puissante d'Europe à cette époque, celle de Napoléon Bonaparte, et le théâtre de la première révolution sociale sur ce continent-ci, alors qu'aux Etats-Unis l'esclavage a duré encore un siècle après leur fameuse déclaration, qui proclamait comme une vérité évidente que tous les hommes naissent «libres et égaux».

Nous avons dit : il est temps d'en finir avec la politique d'invasions, d'interventions et de choses de ce genre qu'on a historiquement utilisées en Haïti. Tout le monde connaît la cause de la pauvreté dans ce pays, où il n'y avait pas une seule école pour apprendre à lire et à écrire aux esclaves qui ont pourtant été capables de conquérir l'indépendance. Il est temps que l'humanité, qui parle tant de mondialisation et d'humanisme, règle ces problèmes, et que des cas comme celui d'Haïti soient réglés une fois pour toutes. Ce n'est pas l'argent qui manque pour ça.

C'est quand ces tragédies se sont succédé l'une après l'autre, d'abord celle de la République dominicaine et d'Haïti, et ensuite celle d'Amérique centrale, presque coup sur coup, que j'ai dit : il est temps que les problèmes de l'Amérique centrale, la région la plus pauvre du continent, après Haïti, soient aussi réglés une fois pour toutes, qu'on ne se contente pas de tapage, de visites, de tournées pour ensuite tourner la page.

Nous avons examiné les sept points essentiels exposés par les gouvernements centraméricains et nous les avons soutenus à fond, mais ensuite nous avons exprimé la disposition de Cuba autant de médecins qu'il faudrait pour le temps qu'il faudrait, en vue d'appuyer le programme de reconstruction et de développement économique et social des pays touchés.

D'abord, nous avons fait les calculs, à partir du taux de mortalité chez les enfants de 0 à 5 ans dans chacun de ces pays, selon les données de l'ONU. Au Guatemala, 63 pour 1 000 naissances vivantes - à propos, j'ai lu aujourd'hui dans le Granma, dans un des articles de première page, que ce taux était de 58; la différence n'est pas grande, mais nous sommes partis de 63, j'ignore s'il existe des statistiques plus récentes; au Nicaragua, 57; au Honduras, 48; en El Salvador, 47; ce sont là les données qui m'ont servi de base. Hier soir nous discutions pour savoir si 48 correspondait à El Salvador et 47 au Honduras, à partir de deux sources différentes; de toute manière, la mortalité infantile moyenne dans cette tranche d'âge, dans les quatre pays touchés par le désastre, est de 54. Nous avons aussi fait le calcul des naissances; il y a environ 900 000 naissances par an, pour une natalité moyenne d'à peu près 3,4 p. 100. Nous sommes partis, avec une rigueur absolue, des données les plus récentes qu'il soit possible d'obtenir, et en analysant pays par pays, on peut parvenir à des chiffres presque exacts qui s'écartent à peine de ceux que nous avons utilisés.

Nous avons calculé ce dont on aurait besoin et la manière dont on pourrait mettre en oeuvre un programme intégral qui, bien appliqué, la réduirait à 20. Nous savons, par notre propre expérience, comment cet objectif peut être atteint et même ce qu'il peut coûter.

Si nous avons dit qu'on pouvait réduire la mortalité à 35 en Haïti, nous pensons qu'en Amérique centrale les conditions existent pour la ramener à 20. Cela représente plus du double du taux actuel de Cuba, et nous sommes un pays en butte à un blocus, à une guerre économique, un pays dont les besoins, vous le savez, sont considérables; un pays où la consommation de calories et de protéines a même subi une réduction importante par rapport à avant la période spéciale. Et pourtant, la mortalité infantile a continué à baisser en pleine période spéciale jusqu'à 9,3 pour 1 000 chez les enfants de 0 à 5 ans, et à 7,2 seulement dans la première année de vie.

De sorte que ce que nous proposons pour l'Amérique centrale continue de représenter une mortalité infantile deux fois plus élevée que celle de Cuba en ce moment - et de nouvelles pratiques, de nouveaux médicaments et de nouveaux vaccins sont en train de surgir qui rendraient la tâche encore plus facile - et représenterait 50 p. 100 de plus que le taux du Costa Rica. Tenez, vous avez là l'exemple d'un pays centraméricain qui a développé des programmes de santé durant de nombreuses années, y compris avant le triomphe de la Révolution cubaine, qui a travaillé, qui a bénéficié du soutien international et qui a réduit la mortalité à 14 pour 1 000 naissances vivantes chez les enfants de 0 à 5 ans, selon les données de l'ONU. Autrement dit, si un pays centraméricain a atteint 14 de mortalité infantile, il est parfaitement possible de parvenir à une moyenne de 20 dans les autres, et ce dans un laps de temps minime.

Et je vous dis que si on ne réduit pas ce taux à 20, mais à 25, cela représentera tout de même 25 000 enfants de 0 à 5 ans sauvés en Amérique centrale; 25 000 enfants chaque année. A vrai dire, avec le programme que nous proposons, on pourrait en sauver 30 000. En ajoutant le reste de la population de plus de 5 ans, on pourrait, selon des calculs très réservés, sauver 20 000 vies supplémentaires en Amérique centrale.

Mais il ne s'agit pas seulement des vies qui pourraient être sauvées. En conversant avec les médecins qui sont allés en République dominicaine - je me suis entretenu avec eux pendant plus de cinq heures au lendemain de leur retour, pour recueillir tous les détails de leur expérience de quarante jours - je me suis rendu compte qu'en étendant les services à toute la population, on peut éviter qu'un grand nombre de personnes ne souffrent d'un handicap. Les gens ne meurent pas, bien entendu, mais beaucoup peuvent perdre, par exemple, la vue, l'ouïe, souffrir de troubles moteurs et demeurent invalides ou semi-invalides, traînant les jambes ou privés de l'usage d'une main ou d'un bras, handicapés, tandis que d'autres vivent des dizaines d'années atteints de maladies curables.

Un programme de santé intégral ne se mesure pas uniquement au nombre de vies sauvées, mais aux millions de personnes qui se sentent, en premier lieu, en sécurité, ce qui est essentiel pour la santé; ce programme offre la sécurité à des millions de personnes, aux parents, aux oncles, aux grands-parents, aux enfants, car le fils dont le père est âgé craint qu'il ne contracte tel ou tel mal ou qu'il ne meure d'une maladie qu'on peut prévenir ou curable.

Et puis, il faudrait voir de combien ce programme augmente les perspectives de vie et ce que signifie ce cadeau de huit ou dix ans de vie de plus à des dizaines de millions de personnes, une vie, en plus, non seulement sûre et plus longue, mais aussi plus humaine, car ce programme permet d'éviter qu'un nombre incalculable de personnes ne restent invalides ou handicapées, avec toutes les souffrances que ça implique. Je n'évoquerai pas ici certains cas, qui sont terribles.

De nombreux handicaps qui empêchent de travailler, des défauts des jambes ou des bras, peuvent être éliminés; ou la scoliose, qui rend les gens invalides et qui, prise à temps, peut être enrayée et éviter à un être humain d'être obligé de vivre trente ou quarante ans atteint de maladies déterminées. J'en ai évoqué trois ou quatre, mais je pourrais en mentionner une bonne cinquantaine. Voilà pourquoi on utilise généralement un indice très évocateur dans un programme de santé intégral : le nombre de vies sauvées, qui est encore plus parlant si vous le comparez aux vies des victimes d'une catastrophe naturelle, comme celle-ci qui a secoué le monde, car des milliards de personnes ont pu voir les corps flottant sur les eaux, ou ensevelies dans la boue, comme le dit la déclaration cubaine.

Mais les milliers d'êtres humains qui meurent en silence, sans bruit, ceux dont les noms n'apparaissent nulle part, dont les corps ne figurent sur aucune photo, sur aucun écran de télévision et dont seuls les parents qui les enterrent savent qu'ils sont morts - je parle ici des enfants, et j'évoque aussi ces croix disséminées tout au long de la côte sud de la Sierra Maestra et qui indiquent les tombes de ceux qui sont morts sur place faute d'avoir pu monter à bord d'une embarcation de passage qui aurait pu les conduire chez un médecin, à Santiago de Cuba - ces milliers d'êtres humains, donc, on peut continuer de les ignorer.

Ce sont les souffrances infligées aux êtres humains qui émeuvent le plus. En effet, même si les dommages matériels doivent aussi émouvoir, car c'est de cette agriculture que vivent ces êtres humains, ce qui impressionne le plus, c'est de savoir que des milliers de personnes gisent ensevelies sur les flancs d'une montagne, que les corps de milliers d'autres ont été entraînés et ont disparu en mer, ou sont encore prisonniers de la boue ou au fond des rivières et des lacs, ce qui cause un problème terrible, car, en contaminant l'eau potable, ils sont à l'origine de toutes sortes de maladies.

Au Honduras, il n'y avait de l'eau potable nulle part. J'ai lu une dépêche, il y a quelques jours, où il était question d'une fillette qu'on a assassinée pour lui voler la cruche d'eau qu'elle portait sur la tête. Toutes les eaux ont été contaminées, toutes; les systèmes d'adduction ont été détruits et les fleuves charrient des cadavres d'êtres humains et d'animaux. Les gens n'ont même pas d'eau à boire, en fait.

Bien sûr, les dommages matériels, il faut les réparer. Ce que je vous ai dit à propos de l'eau ne se voit pas, il faut que quelqu'un le raconte. Dans notre appel à la communauté internationale nous avons dit : il y a un cyclone pire que Mitch, qui cause un mal terrible aux êtres humains, un cyclone qui tue chaque année plus de personnes que lui, et dont vous avez vu, émus, quelques-unes des victimes à la télévision. Vingt ans peuvent bien s'écouler maintenant sans un Mitch, et pourtant un million d'êtres humains seront morts silencieusement en Amérique centrale sans que personne n'ait dit un seul mot. Faut-il attendre d'autres cyclones, qui seront encore pires à cause des changements climatiques et des courants de plus en plus fréquents du Niño ? Faut-il donc attendre de nouveaux cyclones, en plus des tremblements de terre et d'autres calamités, ou des sécheresses qui font un mal terrible, même si elles ne tuent pas directement, comme un ouragan ? Quand allons-nous prendre conscience ? C'est ce que dit Cuba, en essence, dans son appel. Ce sont des idées, et qui sont importantes non seulement pour l'Amérique centrale, mais aussi pour le reste du monde. C'est cela qu'il faut dire partout dans le monde, ce monde mondialisé avec tant de technologie, tant de gaspillage et tant d'inégalités dans la distribution des richesses.

Mais j'ajouterai autre chose : ces objectifs de santé que nous proposons pour l'Amérique centrale peuvent être atteints sans rien changer au système social. Si on ne pouvait les atteindre qu'en faisant au préalable une révolution politique et sociale, c'est-à-dire une révolution comme à Cuba, cela n'aurait aucun sens de le proposer. Mai le fait est que ce n'est pas nécessaire et qu'on n'a pas le droit d'attendre de tels changements pour sauver des centaines de milliers de vies, parce que ça peut se faire, avec un peu de rationalité et de bon sens, au sein du même système social, avec le même régime de propriété existant, avec le soutien relativement modeste de la communauté internationale. La tâche, je le répète, est assez facile, et possible.

De plus, si la tâche est possible et facile, aucun gouvernement d'aucun pays au monde ne repousserait cette éventualité, aucun gouvernement ! Au contraire, ce qu'a pu percevoir notre délégation au Honduras et au Guatemala, c'est l'intérêt et l'enthousiasme énormes des deux gouvernements pour un plan de cette nature.

Une fois prise la décision de le faire, il faut savoir le faire, bien entendu, et c'est important. Que signifie savoir le faire ? Eh bien, il y faut beaucoup de tact. D'abord, que personne ne se sente blessé, qu'aucun médecin ne se sente blessé ou lésé d'une manière ou d'une autre par un programme de cette nature. Ce programme ne prétend se substituer à aucun médecin dans aucun pays d'Amérique centrale; au contraire, nous pouvons coopérer modestement avec eux dans les domaines de la santé où notre expérience peut leur être utile.

Prenons la leptospirose : Cuba a mis au point un nouveau vaccin, déjà administré à un million de nos concitoyens parce que son efficacité a été démontrée. Nous ne l'exportons pas encore parce que son inscription internationale est encore en cours, mais notre pays l'utilise déjà en masse. On m'a dit qu'il y a environ un million de personnes vaccinées.

Par ailleurs, nous disposons d'un produit biologique qui est un ennemi mortel des rats, d'une efficacité incroyable et qui vaut jusqu'à 8 000 dollars la tonne, le Biorat. Nous en avons envoyé certaines quantités; on nous en a d'abord demandé cinq tonnes du Nicaragua, que nous avons envoyées aussitôt en avion, puis quinze autres tonnes, que nous avons expédiées. Nous disposons déjà d'une production croissante.

Nous avons envoyé le Biorat et nous avons le vaccin. Quand un des pays les plus touchés a appris l'existence du vaccin et que nous l'utilisions déjà dans le pays, il nous a en demandé 40 000 doses, hier ou avant-hier, et il l'utilisera dès demain ou après-demain pour enrayer un peu l'épidémie de leptospirose.

Bien. Je vous offrais des éléments de réflexion sur ce que signifie le programme de santé intégral que nous proposons comme un modèle de coopération avec les pays du tiers monde, avec les pays les plus pauvres. Et c'est un pays comme Cuba qui le propose, qui n'est pas un pays riche, bien au contraire; c'est un pays qui souffre d'un blocus, qui traverse une période spéciale. Alors, si nous, nous pouvons le faire, à plus forte raison ce monde développé dont le produit brut atteint déjà pas moins de 30 billions de dollars. Les Etats-Unis en produisent à eux seuls environ 8 billions; le Japon, environ 4 billions - pour ne citer que quelques cas - et l'Europe doit produire presque autant que les Etats-Unis.

Il faudrait vérifier les chiffres, n'est-ce pas ?, mais j'oserais dire que les pays industrialisés, un sixième de la population mondiale, produisent plus de 80 p. 100 du produit brut. Ils ont tant de ressources que l'application d'un programme comme celui-ci - et je n'ai pas fini d'expliquer les détails, mais je vais le faire - leur coûterait vraiment peu.

Ils n'arrêtent pas de se réunir, ils concentrent des armées entières pour entreprendre des guerres, envahir des pays, intervenir ici et là, parce que dans leur concept de civilisation, paré d'intérêts précis d'hégémonisme et de domination mondiale donnés, à quoi il faut ajouter compter la nécessité de maintenir l'ordre, «leur ordre», ils tentent d'empêcher des guerres locales ou intestines, au cours desquelles un millier de personnes, ou dix mille personnes ou même des dizaines de milliers de personnes peuvent, hélas, être tuées par des armes que livrent les gros producteurs, qu'on ne connaît que trop, ce qui sert de prétexte idéal aux plus riches et aux plus puissants pour lancer des «guerres humanitaires».

J'ai fait le calcul de ce qu'il faudrait pour un programme de santé en Amérique centrale et les énormes bénéfices que cela supposerait. Appliquez-le au reste de l'Amérique latine; appliquez-le à l'Afrique, aux pays d'Asie, et il vous est facile d'imaginer le bien-être que cela apporterait à l'humanité. On peut même calculer combien cela coûterait, et on peut démontrer avec une dizaine d'arguments différents que le coût d'un programme pareil serait dérisoire, alors qu'il permettrait de sauver tous les ans des dizaines de millions de personnes, autant que les victimes de la première guerre mondiale. La guerre contre le sous-développement, la pauvreté, la faim et les maladies, voilà quelle devrait être la seule guerre vraiment humanitaire !

Ce que Cuba veut démontrer, c'est que si un pays aux moyens matériels et économiques aussi limités que le nôtre peut faire quelque chose en ce sens dans la région, alors, le monde industrialisé peut infiniment plus. Je ne dis pas que nous soyons un pays pauvre en ressources humaines, car à ce point de vue-là nous sommes riches; on peut même dire que nous sommes des champions olympiques, sans ostentation, sans hâblerie.

Je me demande d'ailleurs si les Etats-Unis peuvent envoyer deux mille médecins travailler dans les conditions dans lesquelles nos médecins sont disposés à remplir leur devoir solidaire en Amérique centrale; parce que nous ne les proposons pas pour les capitales, ni pour les villes, ni pour vivre dans des hôtels ou dans des résidences, mais pour vivre sous la tente, ou dans une chaumière, n'importe où, comme lors de la campagne d'alphabétisation dans notre pays.

Les cent milles écoliers et étudiants, des jeunes de treize à dix-sept ans - cent mille ! - qui s'étaient mobilisés pour en finir avec l'analphabétisme à Cuba, où étaient-ils logés ? Chez les paysans, sous des abris de fortune, n'importe où. C'est ainsi qu'ont débuté un grand nombre de nos meilleurs médecins actuels, qui ont participé à l'alphabétisation et reçu une éducation axée sur le travail et la solidarité. Ce sont eux qui ont établi la tradition.

C'est pourquoi je dis que nous sommes riches en ressources humaines.

Alors, on envoie 2 000 médecins ? Au mois d'août, nous aurons 2 500 diplômés de plus. En Afrique du Sud, 402 médecins travaillent dans les villages les plus reculés, où ils ont dû même apprendre la langue locale, parce que personne n'y parlait l'anglais qu'ils avaient pourtant étudié avant de partir.

Et quelle satisfaction ce que m'a raconté un ministre d'un pays très important de ce continent, le ministre de la Santé du Canada, qui vient de visiter notre pays et avec qui j'ai abordé ces questions ! Au moment de son départ, il m'a raconté qu'il avait reçu la ministre sud-africaine de la Santé quelques jours plus tôt et que celle-ci lui avait fait les plus grands éloges du travail réalisé par les médecins cubains dans les villages de son pays.

Elle tombait au bon moment, presque à la seconde même où nous avions besoin de la recevoir, cette nouvelle, et de la bouche d'une personnalité politique importante, le ministre canadien de la Santé, avec qui je me suis entretenu de certains de ces problèmes, des besoins de ces pays, des possibilités de faire beaucoup à partir de peu, en m'efforçant de le persuader. Il s'est montré d'ailleurs très réceptif durant la conversation. Et c'est à la fin qu'il m'a parlé de la très grande impression qu'avaient provoquée en lui les propos de la ministre sud-africaine de la Santé.

Ainsi donc, nos médecins en Afrique du Sud sont devenus des exemples, et ils contribuent par leur travail à notre effort de conscientisation au sujet de ce qui peut se faire et qu'il faut faire.

A un moment donné, le pays comptait 6 000 nouveaux élèves de médecine tous les ans; maintenant, le chiffre est de 3 000 à 4 000. En août, le pays disposera de 66 000 médecins au total. Bien sûr, il faut soustraire les 400 qui se trouvent en Afrique du Sud, et d'autres qui se trouvent ailleurs, en gros, un millier.

Nous avons proposé 200 médecins à Haïti. En fait, pour que Préval reparte avec un chiffre, nous n'avons pas fixé de limite et nous avons discuté. Quatre experts cubains de la santé sont déjà partis étudier la situation sur le terrain. Il y a même là-bas des polycliniques données par des organismes ou des pays, modernes et en parfait état, qui se trouvent sans personnel.

Ce travail dont nous parlons maintenant est un travail très direct, presqu'un travail de médecin de la communauté, mais, bien sûr, il apparaît tout de suite des cas qui relèvent de la chirurgie et qu'il faut envoyer dans un hôpital. Tout cela demande une étude, car nous pensons continuer à plaider au sein de la communauté internationale pour qu'Haïti dispose non seulement de médecins là où ils sont nécessaires, mais aussi de certaines installations, genre polycliniques, avec quelques lits et la possibilité de réaliser des opérations.

Pour l'instant nos médecins doivent partir sans un laboratoire qui leur permette de savoir s'il s'agit de parasites ou d'amibes ou d'autre chose, les aide à établir un diagnostic et à prescrire les médicaments. Nos médecins de la communauté connaissent cela assez bien, parce qu'ils ont travaillé à la campagne et que les spécialistes en médecine générale intégrale sont restés trois ans au moins dans la communauté.

Les équipes se constituent en fonction de circonstances, mais il faut réaliser une étude approfondie, non pas pour les calendes grecques mais tout de suite.

Les quatre experts doivent revenir d'Haïti aujourd'hui ou demain. Ils ont rencontré le président et ils arrivent déjà avec quelques idées en tête après les visites qu'ils ont faites.

Ils disent que dans certaines zones les conditions sont très dures. Une population importante, beaucoup de terres érodées et déboisées.

On n’a pas perdu une seule minute. Les experts sont partis avec le président Préval. Quant à nous, nous faisons des démarches et nous réclamons un soutien pour le programme d'Haïti. Et vous savez qu'il est plus facile de demander pour les autres que pour soi.. Et si vous apportez de plus le facteur essentiel, autrement dit l'homme qu'il faut là-bas, capable de se rendre dans n'importe quel endroit montagneux, dans n'importe quelle vallée, dans n'importe quel coin perdu de la campagne, alors vous jouissez d'une certaine autorité, d'une certaine force morale pour présenter les problèmes.

Et voilà comment deux cyclones ont fait surgir deux programmes réalisables avec peu de ressources. Les ressources humaines, nous pouvons les fournir, envoyer celles qu'il faut et même les remplacer aussi vite qu'il le faut, parce que notre pays compte vingt-et-une facultés de médecine, dans toutes les provinces. De sorte que deux idées, nées à la suite de deux ouragans, sont en marche. Et le calcul est facile à faire : combien de vies peut-on sauver en dix ans ? Ou alors en vingt ans, en joignant les deux programmes... Quelqu'un a dit - dans un tango, je crois - que vingt ans ce n'était rien... Eh bien, je vous assure, moi, qu'en vingt ans ça ferait bien plus d'un million de personnes.

Les chiffres annuels sont très éloquents. En Haïti, vous pouvez sauver 25 000 vies, soit cinquante fois plus que les victimes de l'ouragan, en supposant qu'il y ait eu 500 morts ou disparus. Mais comme ce qui est dramatique, ce qui a bouleversé le monde, ce sont les victimes et les destructions en Amérique centrale, nous avons penser à l'idée de sauver autant de vies - et il y en avait énormément - que celles qu'avait emportées le cyclone, tout en défendant dans l'arène internationale les deux autres idées: des programmes de reconstruction et des programmes de développement économique et social. Et je parle du social parce qu'il faut inclure d'autres choses, en particulier l'éducation, le logement, l'emploi, etc., et que dans un domaine très important du développement social, autrement dit la santé, nous pouvons apporter une contribution tout à fait considérable, aussi bien en Haïti qu'en Amérique centrale.

Qu'avons-nous offert ? Pour donner des chiffres - parce que si vous dites, par exemple : tous les médecins qu'il faut, c'est vague et personne ne sait combien, tandis que si vous donnez un chiffre, c'est plus clair et plus concret - nous avons proposé modestement, pour ne pas donner l'impression d'exagérer, deux mille médecins. Et cette proposition a eu des répercussions dans le monde.

Là où la nouvelle a eu le moins de publicité, c'est là-bas, chez nos voisins du Nord, malheureusement. J'ignore à l'heure actuelle combien de Nord-Américains sont au courant que Cuba a proposé un programme de ce type et que nous sommes prêts à envoyer immédiatement ces médecins. Bien sûr, il faudra attendre quelque peu pour les envoyer tous, il faudra voir où les envoyer et procéder à l'élaboration du programme, mais la décision d'envoyer sans retard deux mille médecins est prise. Il faudra faire passer sur Internet, intégralement - puisqu'ils ont plus d'ordinateurs que personne au monde - pour que le citoyen nord-américain apprenne l'existence de la première et de la seconde déclarations du gouvernement cubain, qui ont été toutes deux traduites, et bien traduites.

Oui, parce que quand Robertico (Roberto Robaina, ministre des Affaires étrangères) a eu fini de lire à l'ONU la Déclaration du gouvernement cubain, nos représentants ont commencé à la distribuer à toutes les délégations des Nations unioes, aux cent quatre-vingts, en espagnol, mais aussi traduite en anglais, en français. Le temps nous a manqué pour d'autres langues. Au même moment, dès la fin de la lecture, ou plutôt dès sa confirmation - au cas où Robertico serait tombé malade ou s'il lui était arrivé quoi que ce soit - pour éviter de publier une déclaration qui n'aurait pas été faite, ou avant qu'elle ne soit prononcée, pour un retard

quelconque. Confirmé ? Et on a averti le chef de la Mission, là-bas, aux Nations unies. La déclaration était déjà imprimée, elle se trouvait également dans toutes nos missions diplomatiques dans les pays qui ont des relations avec nous, elle se trouvait aussi à notre Bureau d'intérêts de Washington pour l'envoyer à de nombreux Nord-Américains.

Mais il ne fait aucun doute qu'il faut utiliser Internet et recommander... (On lui dit que c'est fait.) Les deux ? Souvenez-vous de la première, lorsque nous avons soutenu les positions des gouvernements centraméricains réunis en El Salvador.

Il y a trois documents que je considère importants : d'abord, le message au peuple nicaraguayen; ensuite, la déclaration d'annulation de la dette du Nicaragua, le soutien aux points de la réunion du Salvador et l'offre de médecins; et enfin, très concrètement, la Déclaration du gouvernement cubain lue par Robertico à la conférence de presse dans la capitale du Honduras, à Tegucigalpa. Rosa Elena (Rosa Elena Simeón, ministre de la Science, de la Technologie et de l'Environnement), vérifie bien que toutes les trois soient sur Internet, bien traduites.

Il faut le faire savoir au peuple nord-américain. Je ne sais pas pourquoi, il y a peut-être d'autres nouvelles et d'autres problèmes importants, je ne veux accuser personne à ce sujet, mais j'ai demandé au ministère des Affaires étrangères, et au chef de notre Bureau d'intérêts à Whasington : «Ils l'ont publiée, aux Etats-Unis ?» Il a répondu : «Non.» La déclaration a été publiée en Europe, dans beaucoup de pays, mais pas là-bas.

Oui, ce pays-ci, en butte au blocus, à la période spéciale, est prêt à envoyer immédiatement deux mille médecins. Et c'est un minimum. Ah ! si les Etats-Unis souhaitaient rivaliser avec nous sur ce point ! Ils apportent une aide, ça il faut le dire : leurs hélicoptères militaires ont sauvé des personnes en danger dans des endroits isolés, ils ont transporté des vivres et des médicaments dans des endroits inaccessibles par d'autres moyens, mais ils n'envoient pas de médecins, ils envoient des soldats. Pas pour tuer, bien sûr. Ils l'ont fait d'autres fois, mais pas cette fois-ci. Ces soldats ont réalisé pour une fois une tâche vraiment constructive, positive, utile.

Les Etats-Unis ne disposent pas d'une organisation civile capable de réaliser cela. L'armée est sans doute la seule institution qui dispose de tous les moyens pour construire des routes et des ponts dans une situation d'urgence et rapidement. Alors, ils ont décidé d'envoyer environ quatre mille soldats, surtout pour travailler dans l'infrastructure et apporter leur aide à des travaux importants, reconnaissons-le. Ils disent qu'ils fourniront une aide médicale, je ne sais pas laquelle; ils doivent avoir de très bons médecins dans l'armée, mais je présume que ce sont surtout des experts en médecine de guerre.

Tenez, un de nos médecins qui se sont rendus en République dominicaine, un excellent gynécologue, a dû réaliser un accouchement compliqué dans des conditions difficiles dans un hôpital improvisé, et il a sauvé le bébé et la maman. C'est lui qui me l'a raconté. J'imagine mal un membre du corps médical des Etats-Unis, dans un village centraméricain, en train de pratiquer un accouchement par le siège dans les conditions vécues par notre médecin, et je ne me l'imagine pas non plus en train de prodiguer ses soins en anglais, sans laboratoire ni rayons X, à des enfants souffrant de l'une des innombrables maladies qui abondent dans un pays tropical du tiers monde.

De toute façon, je tiens à dire qu'ils sont en train d'aider en Amérique centrale à des travaux de reconstruction, mais qu'ils doivent le faire avec des soldats, parce que l'armée est la seule institution organisée et disciplinée qui dispose de tous les moyens d'ingénierie, de transport et d'abondantes ressources matérielles et financières, peut le faire avec toute l'urgence requise. D'autres pays ont envoyé aussi des militaires. Nous nous réjouissons qu'ils offrent ce service aux pays centraméricains. C'est justement ce que nous prônons : aider les peuples de ces pays.

Mais il serait bon que le peuple nord-américain sache combien on peut faire de choses avec très peu de moyens dans d'autres domaines qui sont essentiels au bien-être des peuples d'Amérique centrale, et j'ai l'espoir que leur presse divulguera aussi ce que font les autres.

Je vais parler franc : si nous donnons tant de divulgation, dans la mesure de nos moyens, à notre coopération, ce n'est pas pour des raisons de prestige, parce que ce n'est pas notre style de divulguer ou d'exalter ce que nous faisons. Combien de médecins cubains ont prêté leurs services au tiers monde ? 26 000 ! J'en ai parlé en Afrique du Sud, mais ici on n'en parle jamais. Les innombrables services que notre pays a rendus à d'autres peuples et aussi à beaucoup de gens d'autres pays ont bénéficié de très peu de publicité ou d'aucune.

Et si nous le faisons aujourd'hui, c'est, en premier lieu, parce qu'il faut conscientiser la communauté internationale et les pays riches au sujet de questions et de problèmes qui sont vitaux pour le monde; deuxièmement, pour expliquer à notre peuple en quoi consiste l'effort que nous nous proposons de réaliser, ainsi que la nature et la portée de cet effort, en quoi il consiste et comment nous allons procéder. Nous avons besoin du soutien de nos médecins, de nos infirmières, de nos techniciens de la santé; il faut que le peuple comprenne cet effort noble et digne, et coopère avec enthousiasme et avec fierté, comme il l'a fait chaque fois. A présent nous demandons deux mille médecins bénévoles. Nous savons qu'ils sont très nombreux à se présenter et à vouloir participer. Il n'y a pas une province, pas une commune, pas un endroit à Cuba où il n'y ait pas de volontaires : médecins, infirmières, techniciens. Si on ne leur fournit pas toute l'information nécessaire, comment pourrait-on les mobiliser ? N'oublions pas que le personnel médical a de la famille, des patients, des engagements, des programmes d'études et de recyclage... Cependant, je n'ai pas l'ombre d'un doute quant à leur réponse.

Je bavardais avec Juventino, le médecin qui parlait de médecine naturelle, et je lui ai dit : Juventino, tu nous seras peut-être d'une grande aide pour le programme de l'Amérique centrale. Il me parlait avec enthousiasme des avantages de la médecine naturelle qui est, selon lui, celle des pays pauvres.

Je parlais de deux mille volontaires. Je suis persuadé qu'ils se présenteraient même si on ne publiait rien là-dessus; mais il s'agit d'un effort, d'un travail dévoué, d'un sacrifice.

Nous en demandons un peu plus : deux mille deux cents, en comptant les deux cents d'Haïti. Et même encore plus : tous les volontaires possibles, pour si jamais il en faut cinq cents de plus en Amérique centrale, ou deux cents ou quatre cents de plus en Haïti.

C'est pourquoi nous donnons à la population beaucoup d'informations. Sinon, soyez convaincus que nous ne dirions pas un seul mot sur le départ de telle ou telle brigade, que nous procéderions en toute discrétion, comme nous l'avons fait tant de fois.

Notre digne tradition en matière d'assistance médicale et de solidarité avec d'autres peuples du monde ne date pas d'hier. Je me souviens de l'arrivée de la première brigade de coopérants en Algérie en 1962 ou 1963, juste après l'indépendance de ce pays, qui a marqué le début de nos missions médicales. Je me souviens aussi de l'aide médicale envoyée au Nicaragua après le tremblement de terre qui avait détruit Managua et de nos avions chargés de médicaments en partance. Je me souviens de la brigade médicale que nous avons envoyée au Guatemala; il y a longtemps de cela, parce que, pour ce genre de missions, nous ne tenons pas compte des questions idéologiques ni des différences politiques. Il s'agit d'un devoir de solidarité, d'un devoir envers les peuples, envers l'humanité, et nous le remplissons.

A l'époque du tremblement de terre du Pérou, nous n'avions de relations diplomatiques avec aucun pays d'Amérique du Sud. Le séisme avait causé soixante-dix mille morts. En dix jours, notre population a offert cent mille dons de sang pour le peuple péruvien, et Cuba y a dépêché non seulement des brigades de médecins mais des brigades de bâtisseurs qui ont construit des hôpitaux dans les régions les plus durement frappées.

C'est là une tradition digne et glorieuse de notre peuple qui, en matière de solidarité, n'a jamais fait aucune exception envers aucun pays. Et tout cela n'est pas une invention de dernière heure. Je n'invente rien, et que personne n'aille imaginer que nous voulons nous servir de la tragédie des pays d'Amérique centrale pour améliorer notre image de marque ou pour obtenir des avantages sur le plan politique. C'est une tradition. Nous avons envoyé de l'assistance médicale, chaque fois qu'il y a eu une catastrophe, dans plusieurs pays, à l'époque où des hommes hostiles les gouvernaient et qui n'entretenaient aucune relation avec nous. Aujourd'hui, notre potentiel dans ce domaine est infiniment plus important.

Bien mieux : quand il s'est produit un grand tremblement de terre en Californie, nous avons envoyé un message au gouverneur de l'Etat pour lui dire que nous étions prêts à envoyer ne serait-ce que des médecins ou à faire n'importe quoi qui soit à notre portée, même de façon symbolique, comme une expression de notre volonté. Et il s'agissait de la Californie, qui est très riche et qui fait partie des Etats-Unis, le pays qui nous impose un blocus.

J'ai même dit une fois à des législateurs noirs des Etats-Unis avec qui nous avons des relations et qui sont des amis - parce que plusieurs quartiers noirs manquent de services médicaux adéquats : le jour où vous aurez besoin de médecins cubains dans un de ces quartiers, comptez sur nous. Bien entendu, jamais les autorités nord-américaines ne les auraient laissé entrer dans leur territoire, c'est certain, mais nous étions disposés à envoyer gratuitement des médecins aux Etats-Unis. Je le répète, il s'agit d'une tradition, qui est aujourd'hui plus que jamais conforme à notre monde et aux déclarations de Cuba en ce qui concerne la situation actuelle du monde et à tout ce que nous prônons.

Ceci dit, je vais ajouter tout simplement quelque chose de très important. Quel est le prix de tout cela ? Combien coûterait-il de sauver 30 000 vies ? Attendez, je vous ai dit que ce programme que nous proposons permettrait de sauver 50 000 vies - je parle de l'Amérique centrale - mais je n'ai pas mentionné ce chiffre concret, j'ai parlé de sauver autant de vies que celles emportées par l'ouragan. Donc, à supposer qu'il y ait eu 30 000 morts; nous avons parlé de 30 000 personnes à sauver, dont au moins 25 000 enfants. Je parle donc essentiellement de 25 000 enfants qui peuvent être sauvés chaque année.

Combien cela pourrait coûter ? La question des médicaments offre une particularité : les médicaments coûtent généralement très cher si vous achetez le produit fini à des entreprises commerciales, qui le vende parfois sous quinze ou vingt marques différentes. Nous produisons nous-mêmes beaucoup de nos médicaments, beaucoup de nos vaccins, ou nous faisons venir les matières premières. Nous fabriquons 90 p. 100 de nos médicaments, et il nous faut importer environ 10 p. 100 que nous ne pouvons pas produire.

Nous travaillons même à la production de vaccins contre le cancer, contre le sida. Le vaccin contre l'hépatite B est un vaccin cubain, le premier au monde et le seul qui existe aujourd'hui à avoir été mis au point par génie génétique. Il y a aussi les interférons, et beaucoup d'autres choses de ce domaine qui sont fabriquées à Cuba. Cependant, nous manquons souvent de médicaments, pour des raisons diverses, certes, parfois administratives ou parce que certains en accaparent, mais aussi parce que certains les volent, nous le savons et nous travaillons tenacement pour perfectionner les contrôles. Et ce manque est souvent dû à l'arrivée tardive de matières premières en provenance de pays lointains.

Mais, à nos meilleurs moments, nous dépensions en devises - en devises convertibles, même si nous achetions certains médicaments au camp socialiste - entre 100 et 110 millions de dollars environ, pour une population qui était à l'époque de 10 millions d'habitants, pour assurer la couverture de la totalité du service médical, en fabriquant ici les médicaments et en réduisant considérablement les coûts

J'ai suggéré à certains des représentants des pays auxquels nous avons demandé leur coopération pour les programmes de santé en Haïti et en Amérique centrale, au cas où ils se décideraient à franchir ce pas : faites des démarches auprès des laboratoires de vos pays afin que, vu le caractère profondément humanitaire de ces programmes, ils vous consentent une réduction de prix, ou qu'ils vous les vendent au prix coûtant plus un bénéfice modéré.

Nous savons très bien ce qu'on peut faire dans notre pays avec un million de dollars de matières premières pour fabriquer des médicaments. Les coûts en médicaments pour le programme de santé intégral en Amérique centrale - qui, je le répète, permettrait de sauver au moins 25 000 enfants et 5 000 adultes, c'est-à-dire au moins 30 000 vies - il faudra les étudier de façon plus rigoureuse, mais il est probable que 200 millions de dollars en médicaments et en vitamines suffiraient à matérialiser ce programme; 200 millions, plus ou moins, selon que vous les fabriquez ou les achetez, avec l'aide de l'Organisation mondiale et l'Organisation panaméricaine de la santé, qui ont beaucoup d'expérience et obtiennent parfois des prix très bas. Donc, il suffirait de 200 millions de dollars - c'est un calcul purement mathématique, approximatif - et peut-être même de moins, en fonction des circonstances et des possibilités.

Qu'est-ce que 200 millions de dollars lorsqu'on sait que le budget militaire des États-Unis est de 260 milliards de dollars, sans compter d'autres programmes destinés à la mise au point d'armes de plus en plus meurtrières, efficaces et coûteuses alors que la guerre froide est censée être révolue ? Avec un dollar des 1 250 qu'ils dépensent dans des activités militaires, avec ce dollar bien employé dans des programmes de coopération rationnels en matière de santé comme celui que nous avons suggéré pour l'Amérique centrale, on pourrait sauver 50 000 vies. Et 100 dollars sur 1 250 permettraient de sauver 5 millions de vies !

Que vaut une vie humaine ? Comment le monde peut-il se permettre de dépenser chaque année 800 milliards de dollars en budgets militaires ? Que de choses ne pourrait-on faire en matière de santé, d'éducation, d'eau potable, de logements, de systèmes d'irrigation, de production d'aliments, de recherches scientifiques et de préservation de l'environnement rien qu'avec la moitié de cette somme ? Est-ce là donc la rationalité de l'ordre mondial qui nous a été imposé ? Et que réserve-t-il à l'humanité ?

Les opérations spéculatives sur les monnaies se chiffrent à un billion de dollars tous les jours. Si on prélevait dessus un impôt de 1 p. 100 - un prix Nobel d'économie l'a suggéré très sérieusement voilà quelques années lorsque ce nouveau phénomène colossal ne faisait à peine que commencer, et cette somme serait facile à prélever, les ordinateurs sont là pour faciliter cette tâche, et certains pays comme le Brésil prélèvent 1 p. 100 de chaque chèque viré - si on prélevait donc ce 1 p. 100 sur les opérations spéculatives, on pourrait réunir autant d'argent qu'il faudrait pour développer économiquement et socialement le tiers monde et pour sauver ces millions de personnes qui meurent chaque année de maladies curables.

En ce qui concerne ce programme spécifique de développement intégral de la santé pour l'Amérique centrale, sur lequel j'ai axé mon discours, j'oserais dire, face à des sommes si astronomiques d'argent dilapidé et mal employé dans des opérations spéculatives insensées et guère honorables, qu'il suffirait de 200 millions noblement et humainement investis par an. Quant au personnel médical, Cuba le fournit, pour prêter des services, en premier lieu, dans les endroits les plus reculés et les plus difficilement accessibles, là où personne n'ose aller; en deuxième lieu, dans les polycliniques susceptibles de constituer un réseau de soutien, où on a besoin d'un spécialiste, et même dans un hôpital national si une spécialité manque de personnel, mais sans remplacer un seul médecin de ces pays, au contraire, en collaborant avec eux, au cas où nous pourrions leur transmettre nos expériences et en leur demandant leur aide précieuse et indispensable. Il n'est pas difficile de trouver des médecins centre-américains qui ont fait des études dans notre pays.

Ah, il faut que je vous parle de quelque chose de très intéressant ! Savez-vous qui a accompagné Robertico lorsqu'il a visité notre brigade médicale dans la capitale hondurienne ? L'archevêque de Tegucigalpa, quelqu'un de très connu, qui est président du CELAM, autrement dit le Conseil épiscopal latino-américain, qui regroupe tous les évêques d'Amérique latine, quelqu'un de très préoccupé, je le sais, par les questions sociales : Mgr Oscar Rodriguez Maradiaga. J'ai lu l'excellent discours qu'il a prononcé au Synode de Rome l'année dernière et je suis au courant de ses luttes en faveur des pauvres. Il s'est beaucoup intéressé au projet cubain, et il est allé accompagné le ministre hondurien des Affaires étrangères et le ministre cubain quand ils ont rendu visite à la brigade qui travaille dans un quartier très pauvre de 80 000 habitants, pratiquement rasé par le cyclone.

Le lendemain, nous avons reçu une autre nouvelle très intéressante. J'avais demandé à Robertico de rendre visite le plus tôt possible à l'archevêque, de lui expliquer en quoi consistait le programme, de lui demander sa coopération. Or, justement, quand Robertico a envoyé un rapport sur sa visite à La Mosquitia - dire La Mosquitia, c'est dire les marais de Zapata de chez nous, mais multiplié par je ne sais combien de fois, où les

médecins doivent se déplacer dans des embarcations pendant des heures et des heures - nous avons appris qu'une partie de la première brigade avait été logée dans l'église du village. Le curé catalan de l'endroit - dont Robertico parle très bien dans son rapport - leur a trouvé un local et leur a donné tout son appui.

Les groupes qui travaillent à un programme comme celui-ci ont besoin de la coopération de tous. Nos médecins ne se mêlent pas, je le répète, et ne se mêleront absolument pas de questions politiques. Ils travailleront avec tous, en premier lieu avec les autorités locales, les diverses institutions locales et aussi avec les institutions religieuses.

En Amérique centrale il existe des églises catholiques, des églises d'autres confessions, et nous demandons la coopération des institutions religieuses pour mener à bien ce travail humanitaire; partout où il y a une paroisse catholique, un prêtre, il faut leur demander leur coopération, partout où il y a un pasteur d'une autre église chrétienne. Ces gens-là vivent sur place, ils connaissent les familles et sont conscients des problèmes sociaux, si bien que leur soutien pour résoudre les problèmes de santé est indispensable. Concilier et respecter les idées et les opinions; travailler ensemble, coude à coude, à cette tâche, avec toutes les institutions civiles, quelles que soient leurs positions sociales, idéologiques ou politiques. La coopération de tous est la clé du succès du programme médical. Je vous le dis ici, dans cette salle, et je le répète pour que les choses soient bien claires: nos médecins ne s'immisceront en rien dans les affaires de politique intérieure. Ils seront absolument et strictement respectueux des lois, des traditions, des us et coutumes des pays où ils travailleront. Leur mission n'est pas de propager des idéologies. Ils observeront donc scrupuleusement celles des citoyens et des patients, ainsi que leurs croyances religieuses, et ce sera la meilleure manière pour eux de faire respecter leurs propres idées politiques, philosophiques ou religieuses qu'ils s'abstiendront, je le répète, de prôner ou de propager, parce qu'ils vont en Amérique centrale en qualité de médecins, en tant que porteurs dévoués de la santé humaine, pour travailler à des endroits et dans les conditions les plus difficiles pour sauver des vies, préserver ou restaurer ce bien précieux qu'est la santé et honorer et rehausser le prestige de la noble profession de médecin. Rien de plus.

En essence, voilà nos idées. Et il ne reste qu'une chose à dire : nous n'allons pas nous borner à envoyer 2 000, 2 500 ou 3 000 médecins; il y a une chose plus importante, autrement dit, le programme de formation de médecins centraméricains à Cuba que nous avons proposé.

Nos médecins jouissent partout d'un grand prestige, car ce n'est pas pour rien qu'ils étudient pendant six ans et passent trois autres années à exercer dans la communauté - je parle de nos dernières promotions de médecins - et après deux, trois ou quatre ans de plus à leur spécialité, selon le cas. Nos médecins sont tout à fait bien formés. Nous pouvons avoir pleinement confiance en eux et nous savons qu'ils se dépassent, nous connaissons leur dévouement lorsqu'il leur faut accomplir une mission importante et difficile. C'est une particularité de notre peuple.

Nous ferons de notre mieux pour assurer la formation de ces futurs médecins centraméricains. Et nous adapter à certaines réalités. Ainsi, chez eux, l'année universitaire termine à peu près à cette époque-ci et les vacances commencent en décembre. Juste à l'inverse de chez nous, puisque la rentrée a lieu ici en septembre. On pourrait profiter de ce décalage, par exemple, pour qu'ils puissent venir quelques mois plus tôt pour une révision générale, pour une évaluation et une préparation générale intensive parce que les deux premières années consacrées aux sciences de base sont assez difficiles. En tout cas, je le répète, nous ferons de notre mieux pour former ces médecins.

Nous avons offert cinq cents bourses par an pour des études de médecine. Comme certaines dépêches parlent de cinq cents par an et d'autres de cinq cents tout court, je vais devoir compléter cette idée et mieux l'expliquer.

Cuba a offert cinq cents bourses par an pendant dix ans. Au départ, nous n'avons pas précisé ce détail, mais l'idée est bien celle-là : accorder cinq cents bourses par an pendant dix ans à des bacheliers centraméricains pour des études de médecine. Cuba a donc offert cinq mille bourses, pas cinq cents ! Cinq cents par an pendant dix ans !

Ce que nous avons beaucoup apprécié dans la conversation entre notre ministre des Affaires étrangères et le président du Guatemala, c'est son grand intérêt pour ces bourses. Et surtout son souhait que la moitié de ces bourses soient accordées à de jeunes Indiens. Quelle idée merveilleuse ! Dans ce pays où plus de la moitié de la population est indienne, où de nombreux villages sont habités uniquement d'Indiens, cela me paraît une idée merveilleuse.

En ce moment, nous analysons la manière de sélectionner les candidats. C'est un travail qu'il faut réaliser le plus vite possible.

Sachez en tout cas que l'impact de cette offre de Cuba a été incroyable, vraiment incroyable, dans les deux pays centraméricains que Robaina a visités.

Permettez-moi d'ajouter qu'hier et avant-hier, puisque le programme a été annoncé mercredi, à deux heures de l'après-midi, cette nouvelle a été très divulguée par la radio, la télévision et la presse de toute l'Amérique centrale, et que les téléphones de nos ambassades au Nicaragua et au Guatemala, et de notre Bureau d'intérêts au Honduras n'ont pas arrêté de sonner.

Hier soir, par exemple, nous leur avons posé la question et ils ont dit que les téléphones n'avaient pas arrêté de sonner. Nous avons demandé à notre chargé d'affaires au Nicaragua quelques renseignement, par exemple, le nombre d'inscriptions dans les universités. Il nous a répondu - mais il faut ratifier ce chiffre - 5 000 pour toutes les branches. Quand aux bacheliers, ils oscillent de 20 000 à 25 000 par an. Et c'est parmi eux qu'il faudra sélectionner ceux qui veulent faire des études de médecine.

Mais il faudra déterminer avec chaque pays les critères de sélection. Le président du Guatemala, je vous l'ai dit, souhaite que la moitié des élèves choisis soient d'origine indienne. A notre avis, il s'agit précisément d'essayer de former des médecins prêts à exercer dans les endroits les plus reculés, les plus difficiles. Si le potentiel est grand, il est facile de faire de bon choix. Il faut analyser avec les ministres de la Santé et avec les autorités de chaque pays les critères et les méthodes de sélection.

J'imagine que c'est la même chose dans toute l'Amérique centrale. Il faut profiter de cinq ou six mois avant septembre pour donner des cours de préparation intensifs.

Nous analysons dans les installations dont nous disposons ce qu'il faut faire pour les recevoir le plus vite possible, dès le mois de janvier, pour qu'ils ne perdent pas des mois précieux de préparation.

La demande est telle que nous envisageons d'octroyer mille bourses, au lieu de cinq cents, la première année, parce que nous avons pu nous rendre compte de l'intérêt manifesté par les autorités et par les jeunes des deux pays visités. Nous analysons tout, et nous réunirons les conditions pour en recevoir mille la première année, et ensuite cinq cents tous les ans.

Pendant toute la durée de leur formation, ces pays pourront compter sur les services de nos médecins. Il ne s'agit pas seulement de médecins cubains, nous ne voulons pas nous retrouver seuls là-bas. Nous avons parlé d'un programme latino-américain, avec des médecins latino-américains; nous pensons même à un programme ibéro-américain, avec l'Espagne et le Portugal. Ce programme pourrait devenir euro-ibéro-américain, parce qu'il se peut, je pense, que certains pays d'Europe occidentale veuillent y contribuer économiquement et même apporter du personnel qualifié.

Au bout de dix ans, nous aurons accordé cinq mille cinq cents bourses. Nous allons attendre un peu, mais nous avons déjà informé certains gouvernements de la région que le nombre de bourses pour la première année va être plus important, parce que la pression va être grande.

Nous disposons de capacités et nous sommes en train de former des médecins des Caraïbes, et autant qu'il en faudra. Nous formons aussi des médecins d'Afrique du Sud et d'autres pays. Comme vous pouvez le constater, nous ne faisons pas de publicité ni de propagande au sujet de la coopération que nous offrons à de nombreux pays du tiers monde.

Le Paraguay a demandé des bourses depuis longtemps, et cent vingts étudiants de ce pays font leurs études de médecine ici. Personne n'a jamais dit un seul mot de cela. Un certain nombre d'étudiants étrangers payent une certaine somme pour contribuer à leur formation. Mais nos voisins des Caraïbes reçoivent des bourses gratuites. Tout comme le Paraguay dont les cent vingt bourses sont gratuites et ont favorisé des jeunes choisis de préférence en province. Et je crois savoir - je donne là des chiffres approximatifs - que quatre-vingts autres payent leurs études de médecine dans notre pays, même si la majorité bénéficie d'une bourses absolument gratuites..

Combien d'étudiants en médecine payent leurs études, Dotres (Carlos Dotres, ministre de la Santé) ? (Carlos Dotres lui répond que 500 payent et 800 sont boursiers.) Très bien. Ceux qui ne bénéficient pas de bourses gratuites paient cinq mille dollars par an pour le séjour et les études, ce qui est bien inférieur aux coûts des études aux Etats-Unis, par exemple, où certaines universités font payer quinze, ou vingt ou trente mille dollars par an.

Combien avons-nous d'étudiants de médecine sud-africains ? (Carlos Dotres lui répond : entre soixante et soixante-dix.) Eux, c'est que leur ministère de la Santé qui paye leurs frais. L'Afrique du Sud est un pays qui en a les moyens. Mais compte tenu du problème social qui y existe au point que les villages réclament de plus en plus les services des médecins cubains, nous avons proposé aux autorités d'envoyer plutôt nos professeurs sur place pour qu'ils les préparent le plus massivement possible. Il faut savoir que la population noire sud-africaine a eu très peu de possibilités d'entrer dans les universités. Ce privilège était réservé à la classe riche qui soutenait l'apartheid. Nous leur avons dit que cette situation, autrement dit que quelques dizaines d'étudiants sud-africains doivent payer leurs études, nous faisait honte..

Compte tenu du budget du ministère sud-africain de la Santé publique que dirige une grande militante contre l'apartheid, celle qui s'est rendue au Canada où elle a expliqué ce que je vous ai raconté, il ne peut envoyer à Cuba qu'un nombre limité d'élèves de médecine. Nous lui avons dit que nous avions honte, vraiment, de faire payer ces soixante bourses accordées, que nous allions y renoncer, qu'elle devait en envoyer d'autres, et que, compte tenu des frais de voyage, il valait mieux promouvoir des études massives en Afrique du Sud avec des professeurs cubains, parce que, sans ça, le pays ne réglerait jamais son besoin de médecins capables de travailler dans les villages.

Savez-vous quelles sont les capacités de nos vingt-et-une facultés de médecine ? Trente mille. Or, pour l'instant, il n'y a qu'environ quinze mille élèves, dont, bien entendu, quelques étrangers. Nous avons progressivement réduit les effectifs des promotions qui sont passées de 6 000 étudiants par an à 2 500 environ, parce que nous avions le personnel médical nécessaire pour mener à bien nos ambitieux programmes de santé, et qu'il s'agissait uniquement de former les remplaçants et de garantir la réserve.

Lorsque nous avions élaboré le programme de santé, au début des années 80, nous avions pensé à disposer de dix mille médecins pour aider le tiers monde. C'est à cette époque que nous avions créé toutes ces facultés, bien avant la période spéciale. Quand nous y sommes entrés, les limitations de ressources et d'autres difficultés ont modifié en quelque sorte ces programmes, et nous avons utilisé une partie des capacités pour former du personnel infirmier ayant le niveau de la licence et d'autres personnels techniques. Mais nous avons des capacités en réserve.

Les pays des Caraïbes anglophones, qui sont nos meilleurs amis, qui ont été à l'avant-garde de la lutte pour rompre l'isolement de Cuba sur ce continent, qui ont beaucoup aidé Cuba aux Nations Unies, au cours des nouvelles négociations sur la Convention de Lomé et dans tous les forums internationaux, qui sont des petits pays, bénéficient au total d'un quota de mille bourses gratuites minimum pour les différentes branches. Et s'ils en ont besoin de plus, eh bien, ils les auront.

En Namibie, j'ai eu la satisfaction de rencontrer certains de ceux qui étaient venus à Cuba encore enfants, à l'âge de dix ou douze ans, des survivants du massacre de Cassinga, dans le sud de l'Angola, un des crimes les plus horribles commis par les fascistes de l'apartheid. Nous avions créé pour eux une école à l'île de la Jeunesse, que nous avons visitée à plusieurs reprises. J'ai eu la satisfaction, lors de mon récent voyage en Namibie, de retrouver ces enfants devenus des médecins et des professionnels universitaires - vraiment, on ne réalise pas bien la portée morale et humaine de ce que nous avons fait - et certains sont aujourd'hui ministres. Le titulaire d'un des ministères les plus importants de Namibie, celui de la Pêche, en raison des eaux très poissonneuses du pays, est un médecin formé à Cuba, un jeune survivant du massacre de Cassinga. Oui, il est difficile de mesurer la valeur de ces graines semées dans le monde.

Nous avons eu jusqu'à vingt-deux mille boursiers étrangers dans notre pays. Aucun autre pays du monde n'a eu autant de boursiers par habitant que Cuba, et on les retrouve un peu partout dans le monde, en Afrique et ailleurs. Et cela explique la solidarité du tiers monde avec Cuba, les 157 pour, face à 2 contre, au dernier vote à l'ONU contre le blocus des Etats-Unis, même si nous ne l'avons pas fait pour cela, mais au nom de nos idées, de nos sentiments de solidarité et de l'internationalisme (applaudissements).

C'est là notre idéologie, c'est là ce que nous prêchons, non pas avec des mots, mais par l'exemple, fort de cette liberté que nous avons d'être peut-être le seul pays au monde - je ne dis pas le seul pays libre du monde - mais le seul pays au monde qui puisse parler en toute liberté, avec 100 p. 100 de liberté... Bon, enlevez 0,5 p. 100 si vous voulez, parce que, même si nous ne mentons jamais, vous pouvez en être sûrs, la politesse diplomatique nous obligent parfois à être prudents sur certains sujets (rires). Mais nous sommes en tout cas un pays qui peut se rendre aux Nations unies, ou n'importe quelle tribune, n'importe où, et dire ce que bien des bons amis, des amis honnêtes, ne peuvent pas dire pour une raison ou pour une autre, à cause des retombés que ça aurait, parce qu'ils dépendent, par exemple, du FMI ou de la Banque mondiale, ou de telle et telle Banque régionale, ou de la Banque d'exportation des Etats-Unis. Comme notre pays ne dépend d'aucune de ces institutions, il a appris à survivre dans les conditions les plus difficiles, il a lutté quarante ans pour cette indépendance que nous pensons toujours conserver, avec ou sans blocus, parce que, même si jour celui-ci disparaissait un jour et que les relations devenaient normales - et nous savons ce que sont des relations normales avec les Etats-Unis - nous continuerions à vivre dans un monde où il faudra dire la vérité, et nous ne pourrions jamais renoncer au droit et à la liberté de la dire.

Nous avons de nombreuses relations internationales, nous avons des relations diplomatiques avec je ne sais combien de pays, et nous en avons toujours plus, n'empêche que notre pays expose partout les idées de base, les idées fondamentales, essentielles, de sa politique internationale et l'idéologie de notre Révolution. Et je peux vous assurer que rien ne rapporte plus que cette liberté et cette possibilité de dire la vérité. Dans les conditions les plus invraisemblables et les plus incroyables, nous prêchons par la parole et nous prêchons d'exemple, et ça donne beaucoup de fruits.

Ces fruits, nous ne les voulons pas pour nous. Nous allons continuer à lutter pour nous, bien entendu, et sans nous lasser, et pour le plus grand bien-être de notre peuple, sans nous lasser, mais nous avons une ressource avec laquelle nous pouvons aider le monde, et l'aider beaucoup : oui, nous sommes un exemple qui peut aider le monde, et l'aider beaucoup; nous avons des idées qui peuvent aider le monde, et l'aider beaucoup, ce monde qui comptera dans cinquante ans quelque dix milliards d'habitants et qui a besoin de survivre, qui doit trouver des solutions, et qui ne survivra pas sans exemple, sans idées et sans vérités.

Voilà les éléments que je voulais vous apporter. Je verrai ensuite si j'ai oublié quelque chose.

Ah oui, j'ai oublié quelque chose, bien entendu : remercier ce forum (applaudissements), parce que c'est grâce à vous et à des millions d'hommes et de femmes comme vous que notre patrie peut écrire cette page de gloire, cette page d'honneur, cette page d'humanisme. C'est grâce à des millions d'hommes et de femmes comme vous que notre pays a résisté et qu'il résiste, et que non seulement il résiste, mais qu'il avance, et que non seulement il avance - je ne vais pas mesurer cette avancée en termes de productions matérielles, qui sont encore modestes, bien qu'obtenues héroïquement - mais qu'il contribue déjà, dans une mesure qui n'est pas négligeable, au progrès de notre monde.

Nous devons nous habituer à comprendre que, dans ce monde qui nous est échu, aucun pays ne peut régler tout seul ses problèmes. Dans ce monde d'aujourd'hui, il n'y aura de solutions pour aucun pays s'il n'y a pas de solutions pour le monde. Et je vais vous en donner un exemple tout à fait éloquent : les fameux dragons asiatiques qui n'avaient cessé de croître et de croître et de croître, avec des économies florissantes, avec des réserves de dizaines de milliards de dollars, et qui, à cause de la mondialisation néolibérale, à cause de ce système qu'on a imposé au monde, se sont retrouvés dans la ruine en quelques jours. Il n'y a aucun pays en sécurité sur cette Terre.

L'Europe s'unit, parce qu'aucun pays européen ne peut survivre tout seul, économiquement. Toute seule, la Grande-Bretagne ne peut survivre, et les spéculateurs nord-américains l'ont contraintes à dévaluer sa monnaie et l'ont placée au bord de la ruine. Toute seule, la France ne peut survivre, pas plus que l'Espagne, ou l'Italie. Pas même l'Allemagne, qui est pourtant une des plus grandes puissances industrielles et économiques du monde. Elles ne peuvent pas ! Elles doivent s'unir pour survivre, unies, à la domination totale de l'empire nord-américain sur les plans économique, politique, militaire, et même culturel, parce que la culture en devient l'arme numéro un. Le tout récent Congrès des écrivains et des artistes a insisté sur cet effort des Etats-Unis pour imposer un empire culturel, comme leur arme fondamentale, que quelqu'un qui les connaît bien a qualifiée d'arme nucléaire du XXIe siècle.

Sur le plan économique, aucun pays au monde n'a ni ne pourra jamais vivre en sécurité. Les Etats-Unis sont les seuls aujourd'hui à jouir d'une sécurité relative; d'un certain degré de sécurité, disons, parce que ce sont eux qui ont conquis le privilège d'imprimer la monnaie du monde, qu'ils ont tout l'argent qu'ils veulent aux dépens des autres, et que ce sont eux qui investissent le plus dans le monde : ils investissent l'argent des autres - autrement dit ces billets que les autres ont reçus et qu'ils ont déposés dans leurs banques centrales ou dans les banques nord-américaines - et l'utilisent pour acheter des entreprises dans n'importe quelle région du monde, pour monter des industries, etc. Mais il y a des limites à ça. Et, au cours des derniers mois, le monde est justement arrivé à la limite, c'est-à-dire au bord d'une catastrophe économique, même si, comme nous l'avons dit, ils ont encore des possibilités et des moyens de retarder la crise, de l'ajourner, comme ils sont en train de le faire.

Le système est condamné, la domination établie est condamnée. C'est bien pour ça que je l'ai dit à bien de gens : aucun pays ne peut résoudre ses problèmes à lui tout seul.

Cette même Révolution-ci, si elle avait triomphé maintenant, en 1998, à supposer qu'on lui ait permis de triompher, qu'on n'ait pas essayé de l'écraser dans l'oeuf - comme cela s'est passé pratiquement avant notre retour à Cuba à bord du Granma, ou avant notre départ du Mexique - eh bien, elle ne pourrait pas exister comme pouvoir révolutionnaire. Si nous pouvons exister, c'est parce que nous somme nés à un moment déterminé et conjoncturel, que nous sommes parvenus à accumuler toute cette force de conscience et de valeurs humaines, tout ce qui fait de Cuba ce qu'elle est aujourd'hui, en dépit de tous les problèmes.

Vous remarquerez que je ne vous ai pas parlé de problèmes ! A quoi bon ? Nous en parlons tous les jours et nous les connaissons par coeur. Je n'en ignore aucun, je n'ignore pas la lutte que nous avons à livrer tous les jours, ce qui ne m'empêche pas de voir ce que nous avons et ce que nous avons créé. Tenez, il suffit d'une situation comme celle-ci pour le constater : il faut presque recourir au continent entier pour réunir les médecins animés d'un véritable esprit de missionnaires de la santé que nous pouvons réunir, nous !

Vous voulez que je vous dise une chose ? Nous pourrions mettre en pratique, simultanément, quatre ou cinq programmes comme celui que nous proposons. Cuba a assez de forces - je parle de forces humaines, un domaine où nos ressources sont illimitées - non seulement pour organiser un programme de santé en Amérique centrale, mais aussi pour en appuyer un du même genre dans toutes les zones reculées de l'Amérique latine où les soins médicaux sont inexistants.

Je dis ceci uniquement pour donner une idée de la force en ressources humaines que nous avons créée. Et pas seulement dans ce domaine, dans bien d'autres, parce que nous avons diplômé 600 000 professionnels dans ce pays depuis le triomphe de la Révolution.

En Amérique latine, certains pays ont un développement économique et social supérieur à d'autres. Le Chili, par exemple. Je ne crois qu'il y ait beaucoup de paysans privés de soins médicaux. A un moment donné, sous le gouvernement d'Allende, nous avons envoyé des médecins dans quelques régions où certains services médicaux faisaient défaut. Je pense aussi à l'Uruguay, au Costa Rica. Certains pays latino-américains n'en ont pas besoin, quelques-uns, pas beaucoup. Mais nous connaissons aussi beaucoup d'endroits en Amérique latine où les populations, surtout rurales, n'ont pas accès aux services de santé.

Je pourrais compléter cette idée en affirmant que nous disposons de personnel humain suffisant pour un programme comme celui-ci dans toutes les zones rurales de cet hémisphère. Je me borne à dire ceci, je ne donnerai pas de chiffres. A quoi bon ? Si j'ai abordé ce sujet, c'est parce que j'ai parlé des valeurs et des ressources humaines que ce pays-ci a créées, que la Révolution a créées, avec lesquelles nous nous sommes défendus, avec lesquelles nous avons résisté, avec lesquelles a lutté la Révolution, qui va avoir quarante ans et qui est en butte à un blocus depuis le début. Certains disent que le blocus dure depuis trente-sept ans, ou trente-six. C'est faux. C'est dès le triomphe de la Révolution que les Etats-Unis nous ont coupé tous les crédits. Au 1er janvier 1959, il ne restait pratiquement pas un centime dans la réserve de l'Etat, et cependant ils nous ont privés des crédits commerciaux, bancaires et autres, et ce dès le premier jour. Après ils ont supprimé une chose un jour, et une autre, un autre jour, les contingents sucriers petit à petit... C'est là la réalité, et nous avons survécu. Le camp socialiste s'est effondré, et nous avons survécu; nous nous sommes retrouvés seuls, et nous avons survécu. Aujourd'hui nous avons plus de relations et de soutien international que jamais, plus d'amis que jamais, y compris aux Etats-Unis.

Nous avons en plus toute la patience nécessaire pour lutter et résister, car si nous avions des raisons de lutter le 1er janvier, quand la Révolution a triomphé, aujourd'hui que nous sommes pratiquement l'unique porte-drapeau des causes les plus justes, nous avons quarante fois plus de raisons de le faire, mais avec un avantage supplémentaire : il ne suffit pas d'avoir des idées justes, nobles, généreuses; il faut que la chance fasse en sorte que ces idées justes, nobles, généreuses, coïncident avec l'instant où l'humanité ne peut être sauvée que si ces idées justes, nobles et généreuses sont mises en pratique.

Je vous remercie infiniment. (Ovation.)

(On lui remet la lettre d'un étudiant en médecine fraîchement diplômé.)

«Compañero Maynegra,

J'aimerais que vous fassiez savoir au commandant en chef que la dernière promotion de médecins est disposée à participer aux tâches de solidarité en Amérique latine.

Docteur Pedro Luis Alonso, nouveau diplômé, Commission 09.»

La Commission 09 est celle des étudiants. (On lui dit quelque chose. Aplaudissements.)

C'est magnifique. Nous n'envisageons pas d'utiliser au début du personnel fraîchement diplômé, nous voulons que ces jeunes aient travaillé au moins un an dans la communauté, où ils acquièrent une grande expérience. Nous allons demander aux jeunes diplômés de faire de leur mieux, de travailler, d'apprendre, car il va falloir assurer la relève.

Je pense qu'à la fin de leurs études - et je sais qu'ils acquièrent des connaissances solides et une bonne pratique hospitalière - ils doivent avoir travaillé au moins un an à la base. On ne sait pas encore combien de spécialistes en médecine générale intégrale feront partie des premières brigades.

Vous savez que dans les communautés urbaines, là où il y a trois médecins on peut en prendre un - ce qui n'est pas le cas dans les montagnes, où les distances sont plus grandes - dans les polycliniques, on peut prendre un diplômé en médecine générale intégrale sur trois, ou un interne avancé dans cette spécialité. Potentiellement, on pourrait mobiliser dix milles médecins de ceux qui exercent comme généralistes intégraux. L'expérience acquise dans les zones rurales est particulièrement importante. Lorsqu'on aura une idée plus précise et détaillée des missions à accomplir, des régions où il faudra travailler et des caractéristiques de chacune de ces régions, on pourra penser à du personnel fraîchement diplômé pour travailler en équipe avec des médecins d'expérience.

En plus des généralistes intégraux, il faudra recruter inévitablement du personnel formé dans diverses branches, et le potentiel dont nous disposons est varié et important. Nous avons, si ma mémoire est bonne, de deux mille cinq cents à trois mille chirurgiens, des milliers de pédiatres, des milliers d'obstétriciens. Dans beaucoup des spécialités dont nous avons le plus besoin en ce moment, nous disposons de milliers de spécialistes. Je tiens à vous dire que si nous mobilisons dix mille médecins pour aller accomplir une mission noble et humaine à l'étranger, les programmes de santé dans le pays n'en souffriront pas. tout simplement en raison du nombre dont nous disposons, surtout à la base, dans la communauté, qui est une des choses les plus importantes; nous avons des dizaines de milliers de professionnels.

Nous avons découvert, en outre, que le généraliste intégral est presque le médecin parfait pour ce genre de tâches. On en demande beaucoup.

Dans toutes les villes où ils sont trois - les fameux trios - on en prend un et les deux autres font le travail.

Nous en prenons deux mille pour le programme centraméricain, et nous les remplaçons dans quelques mois, avec les deux mille cinq cents nouveaux diplômés d'août. Nos facultés de médecine peuvent, à l'avenir, en cas de nécessité urgente, porter à trois ou quatre mille le nombre d'inscriptions annuelles, sans que ce soit au détriment des plans de bourses pour l'Amérique centrale dont j'ai parlé.

Nous avons une grande école de sciences fondamentales dans la capitale. Sans compter qu'aujourd'hui même, quelques compañeros sont allés visiter une excellente école d'officiers de marine que le ministère des Forces armées révolutionnaires, suite à une rationalisation des effectifs, souhaite mettre à la disposition du programme de formation de médecins centraméricains. Nous envisageons de l'utiliser peut-être comme école de sciences fondamentales pour les deux premières années de médecine. Dans un premier temps elle sera occupée par les étudiants d'Amérique centrale mais elle pourrait devenir ensuite une école latino-américaine de sciences fondamentales pour la formation de médecins.

Il faut travailler à l'union entre Latino-Américains et Caribéens, et je peux vous assurer que l'on avance. En juin, tous les Latino-Américains - du Mexique, d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud - et tous les Caribéens vont avoir une réunion au sommet avec les quinze pays de l'Union européenne, à Rio de Janeiro.

Il faut s'unir, et s'unir de plus en plus. Je vous ai expliqué que si les pays d'Europe ne s'unissent pas, ils sont perdus.

Nous travaillons beaucoup, beaucoup, au rapprochement et à l'unité entre les pays latino-américains, sans introduire de problèmes idéologiques, en analysant uniquement les situations qui se produisent dans le monde d'aujourd'hui, des situations désastreuses pour le tiers monde, un pillage incroyable; en ne prenant pas seulement en compte les problèmes de l'environnement, mais en démontrant aussi que cette situation est insoutenable; en mettant en garde contre tous les risques auxquels nous sommes exposés. Il faut travailler à l'unité. C'est pour cela que je pense que cette école sera au service de la médecine latino-américaine.

Pourquoi voulons-nous former des médecins centraméricains? Parce que l'important, c'est que ce soient des médecins de ces pays qui prêtent ensuite ces services. Je peux imaginer qu'un jour un Nicaraguayen se trouvera au Honduras et un Hondurien au Salvador, parce que ces pays ont été unis autrefois au moment de l'indépendance, même s'ils sont séparés aujourd'hui..

Les Sud-Américains aussi devront s'unir, ils ne peuvent survivre sans ça. Ils doivent s'unir pour survivre, et même ainsi les problèmes essentiels, les problèmes des racines profondes de l'économie mondiale seront bien loin d'être résolus, et on ira de crise en crise. La mondialisation, ça ne vaut même pas la peine de tenter d'y mettre le holà, parce qu'elle est irréversible; ce qu'il faut, en deux mots, c'est une mondialisation humaine, rien de plus, et non cette mondialisation-ci.

Comment est-il possible que 135 enfants sur 1 000, de 0 à 4 ans, meurent en Haïti ! Dans l'ensemble des pays européens, il en meurt à peu près 10. A Cuba - pour prendre un exemple - 9,3; nous sommes déjà très près des meilleurs indicateurs. Et il se peut que quelques pays comme la Finlande, la Suède et d'autres soient au-dessous de 9,3; mais croyez-moi, il n'est ni moral ni humainement acceptable que certains aient un taux de 7 ou 8 et d'autres de 135, ou 60, 70.

Dans toute l'Amérique latine, si nous exceptons le Chili, et peut-être aussi l'Uruguay et l'Argentine, les taux de mortalité infantile sont très élevés. Est-ce que Chomi (José Miyar Barruecos, secrétaire du Conseil d'Etat) est par là ? Chomi, quels sont, d'après les données que nous consultions hier, les niveaux de mortalité infantile de 0 à 5 ans en Amérique latine, en excluant le Costa Rica, qui a un taux de 14, et peut-être le Chili ? Quel est le taux du Chili, est-ce que quelqu'un le sait ? (José Miyar Barruecos lui répond que la moyenne du sous-continent est de plus de 40.) Chomi, il me semble qu'elle approchait de 45 (entre 43 et 45, précise Miyar Barruecos). De toute façon, c'est un scandale qu'elle dépasse 40.

Quel est le taux de la Bolivie, par exemple, pour prendre l'exemple d'un pays qui peut avoir besoin de coopération dans ce domaine ? Tu as oublié ? (Rires.) Je crois me souvenir qu'il était de 83. (Miyar Barruecos dit qu'en 1996 le taux était de 102 chez les enfants de moins de 5 ans et de 71 chez les moins d'un an.) Cette différence entre les moins de 5 ans et les moins de un an me paraît bien élevée. Quoi qu'il en soit, même en prenant les chiffres les plus bas, c'est incroyable que tant d'enfants meurent à ces âges-là. Après Haïti, il y aurait donc la Bolivie.

Autre chose, Chomi. Quel est le taux du Paraguay ? (Il répond que le Paraguay a un taux de 47 chez les moins de 5 ans et de 39 chez les moins d'un an.) C'est mieux que la Bolivie, mais c'est encore élevé, franchement.

Et le grand, notre ami le Brésil ? (Miyar Barruecos dit que le Brésil a un taux de 52 chez les moins de 5 ans et de 44 chez les moins d'un an, d'après des données de 1996.) Ils m'ont dit il y a peu qu'il était élevé.

On peut donc dire que pour chaque enfant de moins de 5 ans qui meurt en Europe il en meurt 5 en Amérique latine, et je ne parle pas de l'Afrique, je ne parle pas d'Haïti.

Ce sont les Européens qui ont inventé l'esclavage moderne, qui ont amené de force des hommes et des femmes d'Afrique pour en faire des esclaves, et les esclaves haïtiens ont été assez héroïques pour se libérer et fonder une république. Pourtant, pour chaque enfant qui meurt en Europe, il en meurt 14 en Haïti et tout le reste à l'avenant. Ce n'est là qu'un aperçu de toutes les autres calamités dont souffrent nos peuples.

Maintenant, avec la mondialisation, les idées se propagent plus rapidement de par le monde, et je constate des progrès. Je pense toutefois que la situation objective du monde a pris aujourd'hui le pas sur la conscience des peuple. Mais la conscience de la population mondiale sur de nombreux problèmes grandit à un rythme accéléré et la conscience de l'humanité est aussi importante que les conditions objectives qui caractérisent aujourd'hui la vie sur notre planète. Et je ne crois pas que ce soit par les guerres que ces problèmes seront réglés, bien qu'il puisse se produire toutes sortes de convulsions sociales, d'explosions inouïes au train où nous allons. C'est mathématique, c'est presque de la science exacte.

De sorte qu'aujourd'hui, Maynegra, nous pouvons inclure la politique dans les forums de science et de technique (rires et applaudissements). Donc, je ne me suis pas écarté du sujet (rires et applaudissements).