ALLOCUTION PRONONCÉE PAR LE COMMANDANT-EN-CHEF FIDEL CASTRO A LA CLÔTURE DU CINQUIÈME CONGRÈS DES COMITÉS DE DÉFENSE DE LA RÉVOLUTION. LA HAVANE. LE 28 SEPTEMBRE 1998.

 

Chers invités,

Chères déléguées et chers délégués au cinquième Congrès des CDR Pour l'unité que nous défendons,

Je pense que nous venons de remporter la seconde victoire, autrement dit le parfait déroulement et les résultats de ce Congrès, avec ou sans ouragan, et même sous l'ouragan ou, comme dans mon cas, poursuivi par lui (rires), puisqu'il est arrivé ici derrière moi, bien que sans de très forts vents, mais avec assez de pluie pour bien mouiller le théâtre Karl Marx où nous aurions dû avoir de quatre à cinq milles invités si l'eau n'y avait pas pénétré, endommageant les services électriques. Et bien que le personnel s'est dit capable de tout rétablir en vingt-quatre heures, on ne pouvait exclure un certain risque découlant de l'électricité, et nous avons alors décidé, comme il avait été prévu si l'on ne pouvait pas faire la clôture au Karl Marx, de la faire ici-même où le Congrès s'est déroulé.

J'espère que ceux que nous allions inviter ont l'occasion de voir la clôture à la télévision, puisqu'elle est retransmise en direct.

J'espère que Marquitos (Marcos Portal, ministre de l'Energie) aura réservé l'électricité le plus possible aux Havanais et aux autres aussi, parce que nous savons que le service a été rétabli à 90 p. 100 dans presque toutes les provinces. En Guantánamo, il était déjà de 75 p. 100 avant-hier. Et maintenant, Marquitos ? (Marcos Portal signale que tout le pays est pratiquement à plus de 90 p. 100.)

Pratiquement à plus de 90 p. 100 dans tout le pays ? Alors, les cédéristes nous écoutent, ils ont de l'électricité ? (On lui dit que oui.) Le journal leur parviendra ensuite ou alors quelques nouvelles, mais nous nous réjouissons beaucoup que l'électricité et les communications en général aient été rétablies en si peu de temps. Les routes aussi permettent toutes les communications.

Nous avons déjà parlé du Congrès, et il n'est donc pas nécessaire que je m'appesantisse. Une partie de ce qui a été dit et discuté a été transmise par la radio, la télévision et les autres médias.

Il existe aussi le rapport complet, avec les petits modificatifs qui ont été introduits pour le rendre plus rigoureux. Certaines choses n'apparaissent pas maintenant, comme si elles étaient normales ou habituelles, et vous les emportez, en plus de ce qu'on va imprimer pour qu'au moins une copie parvienne à chaque Comité de défense - plus de cent mille, vous le savez - et un chiffre un peu supérieur pour que d'autres organisations de masse en reçoivent aussi une copie. Ce rapport, comme je vous l'ai déjà dit, me paraît très bien fait et reflète vraiment l'effort extraordinaire que vous avez réalisé, un effort extraordinaire et croissant, un effort si nécessaire qu'on peut mesurer en chiffres. Ils sont tous là. (Il montre des documents.) Je ne les ai pas tous amenés, mais je me souviens de beaucoup et je ne vais pas les répéter ici. Qu'il suffise de dire que vous avez battu un record impressionnant au cours de cette dure année-ci, celui des 570 000 dons de sang. D'ailleurs, presque tous les indices se sont améliorés. J'espère que ce ne sera pas seulement parce que c'était l'année du Congrès et qu'ils continueront de s'améliorer justement comme résultat de celui-ci. Certains sont de toute façon difficiles à dépasser.

Ainsi, ces 91 p. 100 de Cubains ayant l'âge requis appartenant aux CDR. C'est vraiment là un indice élevé et stimulant qui fait incontestablement de cette organisation la plus vaste de tout le pays, avec plus de sept millions de citoyens, sans compter les enfants qui commencent à s'y organiser, en plus de leur propre organisation à eux, celle des pionniers. C'est une très belle idée que ces CDR infantiles, comme forme d'éducation, comme stimulants pour eux.

Cette participation vous permet de mieux travailler au sein de l'organisation, puisque vous vous êtes proposés de faire un travail toujours meilleur et d'exercer une influence toujours plus grande sur la communauté. Après tout ce que j'ai vu, je n'ai pas le moindre doute que vous y arriverez.

Vous aviez des tâches, mettons, anciennes, et vous en avez maintenant de nouvelles, qui sont stratégiques. Ainsi, l'essor des valeurs patriotiques et révolutionnaires, et la bataille idéologique revêtent une importance cruciale; ou la lutte contre la délinquance et contre les illégalités, où vous allez participer activement en coopération avec les autres forces du pays et avec le ministère de l'Intérieur et la Police nationale révolutionnaire.

Nous avons pas mal discuté de cette question hier, et nous sommes convenus qu'il fallait continuer d'en discuter, en ayant pris la décision la plus ferme de faire face à ces difficultés et de livrer contre elles une dure bataille, en recourant à l'organisation, à l'intelligence, aux méthodes les plus adéquates de contrôle, de pression, de persuasion et d'influence sociale. Nous avons parlé et ce n'est pas la peine de le répéter. Je suis sûr que tous vos compagnons dans le pays, les millions de membres des CDR qui constituent l'immense majorité du peuple, et les autres aussi, vont s'en réjouir. Et même certains délinquants, parce qu'ils n'aiment pas non plus qu'on les vole, vont se réjouir qu'il y ait moins de vols, parce qu'ils doivent être eux aussi victimes de leurs propres vols. Tout le monde va vivre plus tranquille. C'est là un des points qui portent le plus préjudice à tous les citoyens.

La lutte contre les illégalités est vitale, la bataille pour la survie de la Révolution et la défense de la Révolution, très associée à la bataille idéologique, parce que l'ennemi, comme on l'a dit, utilise tous les moyens possibles et les concentre contre Cuba sur ce terrain.

Je vous ai dit avoir lu à ma grande surprise dans une dépêche d'hier la nouvelle que les Etats-Unis avaient failli lancer une attaque nucléaire contre la Chine en 1964. Je dis à ma grande surprise, parce que j'ai beau être habitué aux choses incroyables que font nos voisins du Nord, cette information n'en est pas moins étonnante. Ce n'est pas moi qui l'invente, c'est un des journaux les plus lus des Etats-Unis qui l'affirme en se basant sur des documents déclassifiés du département d'Etat.

Cuba a bien souvent dénoncé des faits, mais il faut attendre des années pour qu'apparaissent ces fameux documents déclassifiés de toute sorte : des documents de la CIA sur des plans et des actions contre Cuba; des documents du Pentagone où on apprend que celui-ci avait reçu des instructions de préparer un prétexte pour une invasion militaire directe de Cuba à la suite de la défaite de l'invasion mercenaire de Playa Girón, des visées que nous avions apprises dès cette époque et qui ont été au départ des mesures que nous avons adoptées de concert avec l'URSS et qui ont abouti à la crise des Missiles, en octobre 1962.

De nouveaux documents ne cessent d'apparaître. Bien entendu, certains n'ont pas été publiés, et d'autres le seront au mieux, allez savoir, dans deux cents ans. Tout ça chez eux est très bien réglementé.

Bref, ils n'arrêtent pas de nous surprendre avec des plans comme celui que je vous ai mentionné aujourd'hui. Bien entendu, les relations entre les Etats-Unis et la Chine sont maintenant normales, vont assez bien. Les USA ont compris ce qu'est la Chine, son énorme pouvoir réel et surtout potentiel dans bien des domaines : scientifique, économique, militaire et autres. Ils ont fait preuve de plus de réalisme envers la Chine. Et puis c'est aussi un marché gigantesque et croissant de centaines de milliards de dollars.

Certains de leurs porte-parole ont déclaré avec le plus grand cynisme qui soit que, vis-à-vis de la Chine, il vaut la peine de renoncer à la politique de confrontation et de faire du commerce, même s'il s'agit d'un pays socialiste, parce que c'est un énorme marché pour les exportations, un énorme champ d'investissements, doté d'une force de travail qualifiée, disciplinée et pas chère. Il savent qu'ils ne peuvent plus s'en passer, non seulement sur le plan économique, mais encore sur le plan politique.

En pleine crise économique internationale - une crise grave sur laquelle je reviendrai - les Chinois font une importante contribution pour éviter la débâcle en ne dévaluant pas le yuan, leur monnaie, qui n'est convertible que de façon très limités, ce qui leur a permis de ne pas être trop touchés par la crise asiatique. En tout cas, une dévaluation du yuan produirait des conséquences terribles et entraînerait peut-être un dénouement catastrophique de la crise économique, parce que cela aggraverait la situation de tous les pays du Sud-Est asiatique et celle du yen, la monnaie du Japon, un pays qui constitue la seconde économie mondiale et qui traverse une récession très difficile.

Tout ceci influe terriblement sur la situation économique mondiale et augmente sérieusement les risques que cette crise ne se généralise d'une manière désormais inévitable.

Bref, la République populaire de Chine maintient la cotisation du yuan, mais cela lui coûte des dizaines de milliards de dollars. La dévaluation lui permettrait de concurrencer bien mieux les marchandises des pays du Sud-Est asiatique qui les écoulent maintenant bien moins cher après la dévaluation dramatique de leurs monnaies. Et la Chine perd bien entendu des marchés, perd des ventes, non seulement parce que ces pays-là achètent moins après le coup dur qu'ont subi leur économie, mais encore parce que leurs produits sont devenus encore plus compétitifs dans les circonstances actuelles.

Et l'Amérique latine et bien d'autres pays vont se voir inondés par les marchandises de ce qu'on appelait autrefois les tigres, qui tentent maintenant désespérément d'accroître leurs exportations. Autrement dit, la Chine ne constitue pas seulement un marché énorme, un champ d'investissements énorme, elle possède aussi désormais un poids important dans l'économie mondiale et elle a résisté de pied ferme à la nécessité de dévaluer sa monnaie, ce qui constitué une contribution importante à l'économie internationale. Bien que personne ne puisse prédire bien entendu si ce grand sacrifice qu'elle consent maintenant, au-delà d'une preuve de son sens des responsabilités et de sa préoccupation pour les affaires mondiales, aura en fin de compte le moindre résultat. Au mieux, ajourner un peu la crise, éviter un dénouement rapide et général, bien qu'elle doive, selon tous les indices, se produire inévitablement, tôt ou tard.

En tout cas, cette hostilité, ce blocus, cette guerre économique des Etats-Unis contre la Chine ont disparu. Au contraire, les investissements y sont importants, les échanges commerciaux sont considérables - je crois que les Chinois exportent aux Etats-Unis pour bien plus de 50 milliards de dollars, si je ne me trompe pas, malgré le yuan non dévalué et la concurrence des autres - le président des Etats-Unis s'y rend en visite, rencontre les leaders, s'adresse à la population. Les Chinois lui ont ouvert les portes, ils l'ont reçu presque comme on reçoit un pape; autrement dit, ils ont mis à sa portée, comme nous, les médias nationaux, et le président a parlé à tous les Chinois. En fait, il a cru leur parler, mais il a eu la mauvaise idée d'amener avec lui ses propres interprètes de chinois. Alors, si quand quelqu'un dont la langue maternelle est l'anglais parle espagnol, il le fait parfois en s'embrouillant pas mal, vous pouvez imaginer un anglophone en train de parler chinois, à plus forte raison quand le chinois qui se parle à Pékin ne se comprend pas à Canton, ni à Shanghai ni à bien d'autres endroits.

Il a donc cru s'adresser à 1,2 milliard de Chinois, alors que l'immense majorité d'entre eux, que je sache, étaient plutôt irrités parce qu'ils ne comprenaient pas ces interprètes. Il est allé ensuite à l'université de Pékin, toujours avec ces mêmes interprètes, il y a fait un discours. Et lui, tout content, tout heureux.

Je rappelle cela pour signaler comment vont les relations : le camp socialiste n'existe plus, ils ont d'excellentes relations avec bien des fragments qui en faisaient partie, certains ont même été invités à entrer dans l'OTAN et l'ont accepté. Avec la Russie, ils ont peur, pas à cause de l'armement nucléaire, ou des confrontations, mais à cause de l'énorme crise économique que traverse ce pays et qui menace aussi, dans une économie mondialisée, de s'étendre rapidement ailleurs. Oui, ils ont bien peur et ils essaient de voir ce qu'ils peuvent faire, mais ils avouent virtuellement leur impuissance. Je vous donnerai un peu après quelques données à ce sujet.

Autrement dit, les Etats-Unis n'ont plus grand-monde sur qui concentrer leurs attaques, leur hostilité. Mettre à sac, c'est autre chose, tout comme investir ce qui leur appartient et ce qui ne leur appartient pas, mais la guerre économique, les hostilités sont révolues. Il reste encore tel ou tel pays, la République démocratique de Corée, par exemple, qui était en train de construire un réacteur nucléaire. Alors, comme ils ont pris peur, ils l'ont convaincue de ne pas le faire, prétextant de la nécessité d'une technologie sûre et ils vont lui fournir, de concert avec le Japon et la Corée du Sud, les ressources nécessaires pour en construire deux, et ils lui livrent même, entre temps, environ 500 000 tonnes de combustible pour les centrales thermiques. Bref, même si la confrontation avec la Corée du Nord se maintient toujours à un niveau élevé, la relation est différente et ils font même des choses de ce genre.

Avec Cuba, en revanche, tout est différent. Au point qu'ils ont interdit à la Russie de poursuivre la construction de la centrale nucléaire de Cienfuegos. En principe, les Russes se sont engagés à le faire, mais ça traîne, ça prend du temps, et ils maintiennent tout au plus une petite collaboration et livrent quelques articles pour la maintenance des parties déjà construites, mais ne nous faisons pas d'illusions : ça ne sera pas pour aujourd'hui, à plus forte raison quand on sait la situation terrible que traverse ce pays-là. En attendant, les Etats-Unis mènent une campagne contre tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une centrale nucléaire à Cuba, sous prétexte que c'est un danger pour eux. Ils peuvent en construire une centaine sur leur territoire, eux, mais pas nous, non, ça, c'est un scandale international, même si la centrale est autorisée par l'Organisation internationale de l'énergie atomique et qu'elle dispose de toutes les garanties. Et voilà pourquoi nous devons chercher de nouvelles sources d'énergie.

Avec le Viet Nam, les Etats-Unis ont des rapports analogues à ceux qu'ils ont avec la Chine : ils y investissent. Je me réjouis que les Vietnamiens, qui ont tant lutté, qui ont perdu quatre millions de citoyens, sans compter les invalides et d'autres dégâts et d'autres souffrances humaines, puissent maintenant vivre en paix, faire du commerce et se développer, sans renoncer à leurs principes, aux idées socialistes.

Si je vous dis tout ça, c'est pour vous montrer que tout ce que font les Etats-Unis vis-à-vis de Cuba, c'est toujours contre, contre, contre. Cuba, leur voisin le plus proche, la pomme mûre qui n'est jamais tombée et qui ne tombera jamais chez eux, comme ils l'espéraient et comme ils l'ont dit voilà maintenant bien longtemps. Car, quasiment depuis la création de ce pays-là, ses dirigeants politiques ont affirmé que l'occupation de Cuba faisait partie de leurs plans. Nos ancêtres l'ont empêchée, et nous autres, nous avons le devoir de faire l'impossible pour l'empêcher, comme nous l'avons fait à ce jour et comme nous continuerons de le faire. En tout cas, toutes les ressources de leur propagande, toutes leurs campagnes, toutes leurs manoeuvres, tous leurs mensonges et toute leur guerre idéologique se concentrent essentiellement sur Cuba.

Cela ne veut pas dire que les Etats-Unis ne fassent pas la guerre idéologique à la Chine, qu'ils ne tentent pas d'exercer leur influence par un autre biais. Ne pas l'attaquer verbalement, autant que faire se peut, mais beaucoup diffuser leur culture, pénétrer partout avec leur influence culturelle, les habitudes de consommation et d'autres formes de pénétration; ils voudraient bien pouvoir introduire en Chine le style et les conceptions de la société de consommation, ce qui serait là-bas une folie colossale. Bien entendu, ils ne peuvent agir qu'en vertu de ces principes-là, qui régissent l'économie capitaliste, d'autant qu'ils doivent le faire en concurrence avec d'autres économies capitalistes elles aussi puissantes. Bref, ils apportent leur modèle de consommation qui, comme nous l’avons dit bien des fois, est absolument insoutenable, inconcevable à l'échelle de milliards d'habitants.

Ils continueront aussi de tenter la subversion de l'ordre en Chine, ils s'efforceront par des moyens plus subtils de lui imposer des critères, des conceptions, des idées et des formes provenant des sociétés occidentales. Avec les Vietnamiens, pareil, car ils ne vont pas renoncer à leurs méthodes.

En revanche, l'hostilité des Etats-Unis contre nous vise à renverser la Révolution, à la détruire, à l'écraser, à en éliminer l'idée même. Et, comme nous l’avons déjà dit, ils se concentrent essentiellement sur deux choses : les programmes tant de fois annoncés de la guerre idéologique, à travers le fameux Volet II, et la guerre économique. La guerre économique pour asphyxier le pays, l'étouffer, l'affaiblir, créer les conditions optimales qui permettraient à leurs idées pourries - et ça c'est la guerre idéologique - de pénétrer dans la société ou de remplir d'illusions bien des gens qui ne connaissent pas - comme le connaît ce jeune garçon qui nous a parlé aujourd'hui - les réalités du monde et du système dominant. Voilà la raison pour laquelle il nous faut continuer d'expliquer constamment pourquoi ils ont, eux, ce qu'ils ont et à partir de quoi ils l'ont. On peut même se demander aussi combien de temps peut durer l'ordre économique qu'ils ont imposé au monde.

Ils pourraient d'ailleurs être mieux, eux aussi, les richesses pourraient y être mieux distribuées, plus justement, parce qu'ils ont accumulé assez de technologies, de science, d'industries, assez de toutes les ressources pour produire en abondance.

Le type de société qu'ils ont développée est ruineux pour le nature et ruineux pour le monde, car ils consomment le quart de l'énergie chaque année, ils polluent l'air et les mers plus que quiconque, ils contribuent le plus au changement climatique. Ce sont pourtant eux qui se nient le plus à prendre des mesures. Les Européens, les Japonais et tous les autres pays sont mieux disposés à prendre des mesures relatives à l'environnement, alors que les dirigeants nord-américains offrent le plus de résistance et s'en préoccupent le moins. En fait, ils ne peuvent pas se préoccuper de cette tragédie, parce que le système ne leur permet pas de le faire sérieusement, car c'est pour le capital qu'on travaille là-bas, pour le profit, à partir de lois anarchiques qui leur interdisent de se préoccuper pour rien, ni de l'environnement ni de l'homme, et qui engendrent un développement chaotique.

En tout cas, il ne devrait pas y avoir dans ce pays-là 43 millions de personnes sans assurance de soins médicaux; les inégalités qui y existent, les différences de fortune fabuleuses, énormes, au point que certains possèdent plus de 50 milliards de dollars et que d'autres doivent dormir sous les ponts. C'est là quelque chose d'insensé, ça n'a ni queue ni tête, alors qu'ils disposent de tant de ressources techniques et matérielles, alors que la productivité de travail est si élevée dans la production et les services. Les travaux agricoles manuels, comme la cueillette des tomates et des légumes, c'est le travail des émigrés mexicains, haïtiens, des émigrés étrangers, pas celui des Nord-Américains. Tout le reste se fait avec des machines.

Eh bien, pour qu'ils ne leurrent pas les gens, il faut connaître toutes ces réalités-là. Il ne faut pas oublier l'impérialisme, son origine dans le système capitaliste développé et ce à quoi il conduit le monde. Il faut mettre l'accent nécessaire sur ce thème, car ce système conduit inévitablement à de grandes catastrophes.

Tout ceci fait partie de la bataille idéologique. Il faut ôter de la tête des gens l'illusion impossible de la voiture personnelle. Comme je l'ai dit d'autres fois, j'essaie de m'imaginer une Chine où chaque famille posséderait une voiture ! Eh bien, les cent millions d'hectares arables dont disposent les Chinois pour produire des aliments ne suffiraient pas pour construire les garages, les parkings, les routes, les autoroutes nécessaires. Il n'y resterait plus de terres cultivables. Compte tenu de la proverbiale sagesse chinoise, nous espérons qu'ils réfléchiront à toutes ces choses-là.

L'Inde, pareil; et l'Afrique, idem, et l'Amérique latine aussi. Car c'est là une des grandes tragédies de ces pays-là. La quantité de voitures dans une ville comme Mexico est énorme, et la pollution qu'elles provoquent, en même temps que la fumée des usines, est physiquement insupportable, au point qu'il a fallu réglementer le trafic : la plaque minéralogique se terminant par un chiffre pair ne circule pas tel jour, et la plaque impair, tel autre jour. Alors, qu'est-ce qu'ils ont fait, les riches ? Eh bien, tout simplement, acheter une seconde voiture, une pour chaque jour. Ceux-là n'ont pas d'ennuis, sauf les embouteillages interminables et l'atmosphère polluée, voire empoisonnée.

Les problèmes de circulation dans bien des grandes villes, à Tokyo, par exemple, sont terribles. Les gens mettent trois heures à se rendre d'un endroit à l'autre et, bien souvent, ne peuvent pas prendre la voiture. Ils prennent alors le métro, qui est coûteux mais rapide. Certaines villes ont poussé de façon désordonnée et ne tolèrent déjà plus cette manière de vivre. Tout ceci aboutit à un épuisement énorme de ressources de toutes sortes qui pourraient mieux être employées au service de l'humanité, et non de ce véritable gaspillage. Ces moeurs, ils les ont introduites dans les pays latino-américains, une vraie invasion. J'espère donc que les Chinois ne renonceront pas au vélo auquel ils doivent tant.

Nous, ici, nous avons dû passer des 30 000 parcours quotidiens de bus à la modeste bicyclette. Nous en avons acheté des millions et nous en fabriquons, nous avons dû recourir aux fameux «dromadaires» et supporter, malgré nos efforts, une situation difficile dans le transport de passagers.

Certains pays développés l'usent. En Hollande, par exemple, tout le monde a un vélo, il s'est créé pour ainsi dire une culture du vélo, peut-être grâce à une meilleure conscience de l'environnement, de la santé et de l'exercice physique. En tout cas, les Hollandais l'utilisent massivement, même s'ils ont une voiture; ils en ont dix-sept millions, je crois. Et on m'a raconté que même là-bas on vous vole votre vélo. Par simple vice de voler, allez savoir, ou comme distraction !

Les impérialistes parlent des droits de l'homme, mais ils ne parlent jamais des vrais problèmes de l'homme, que ce soit dans la propre puissance hégémonique ou dans le reste du monde. Nous, en revanche, nous n'arrêtons pas de parler de choses humaines et nous faisons des choses humaines, infiniment plus humaines que celles que ces dominateurs du monde font pour l'homme.

Eux disent que c'est la loi du marché qui règle les problèmes de l'homme, du malade, du chômeur, du pauvre, de l'affamé, du vieillard solitaire, de l'enfant abandonné, de tous les autres, et c'est là une conception insensée qui se double de l'égoïsme terrible qu'engendrent ces sociétés-là. Ce sont là des questions sur lesquelles il faut aller plus loin et qui sont en rapport avec la bataille idéologique si importante, fondamentale, disais-je, parce que c'est avec ces armes-là qu'ils nous attaquent le plus maintenant. Ils maintiennent leurs forces militaires en réserve, mais nous ne savons pas trop ce qu'ils en feront, parce qu'il est impossible de gouverner le monde actuel avec des armes nucléaires.

Ils ont même eu de sérieux problèmes dans un pays aussi petit que la Somalie. Comme ils fourrent leur nez partout, ils y ont essuyé un revers, une de leurs compagnies a été quasiment annihilée, et ceci a créé tant de remous aux Etats-Unis qu'ils ont eu la sagesse de vite en retirer leurs troupes.

Leur plus gros espoir, c'est la grande domination qu'ils exercent sur les médias, ce à quoi ils consacrent d'énormes ressources économiques et techniques. Nous en avons aussi parlé à ce Congrès.

Ce sont des questions auxquelles il faut penser, les jeunes en particulier, sérieusement. On ne peut faire preuve d'irresponsabilité à notre époque, car de grands problèmes sont au coin de la rue pour l'humanité.

Une simple idée : dans cinquante ans, l'humanité comptera 10 milliards d'habitants, alors qu'elle ne sait que faire des 6 milliards actuels, dont 5 vivent dans le monde sous-développé et pauvre, et le reste dans les pays développés. De plus, ceux qui vivent dans ceux-ci ne profitent pas tous des avantages du développement. Non, il existe de grandes inégalités de richesses dans ces pays développés, et des dizaines de millions de chômeurs, et des problèmes de toutes sortes. Mais ils ne sont qu'un milliard.

Il existe aussi des riches dans les pays sous-développés, et ceux-là n'ont pas d'ennuis. Un certain pourcentage y vit comme en Europe. C'est à partir de là que commence la tragédie. Autrement dit, les classes riches dans les pays sous-développés peuvent avoir le niveau de consommation moyen de l'Europe.

Et dans les pays sous-développés, certains sont plus développés que d'autres. D'où l'importance énorme de cette bataille. Et une partie de cette bataille dans notre pays est, je le répète, la lutte contre toutes les illégalités et contre tout type d'activités délictueuses.

Cela engendre du malaise, de l'irritation, ça corrompt, cela entraîne comme séquelle les problèmes que vous connaissez et contre lesquelles vous avez lutté et vous vous proposez de lutter toujours plus, avec des méthodes toujours plus efficaces et qui incluent en bonne part, comme je l'ai dit, le travail d'éducation, de persuasion, de prévention, dans le cadre d'une lutte générale qui unisse toutes les forces que la Révolution a créées dans ce but. Je crois que toutes ces idées sont très claires.

Je suis resté ici pendant les deux séances plénières, mais je sais de quoi ont discuté les deux commissions auxquelles ont participé environ cent vingt délégués. Les débats ont dû être très riches. Ici, en plénière, trente-six ont pris la parole. Cela fait donc un total d'environ cent soixante. Je crois donc que l'organisation est bien informée et que ce Congrès va être très utile non seulement à elle, mais aussi au pays.

Il faut divulguer tout cela le plus possible, dans tous les comités et auprès de tous les cédéristes du pays. Il est très important qu'ils prennent conscience, qu'ils soient totalement informés de ce qu'a été le Congrès et de ses résultats.

Je ne crois pas que je doive parler plus longtemps de ce point. Passons au suivant : l'ouragan.

Nous en avons touché quelques mots le jour de l'inauguration, et nous avons même eu l'occasion de vous parler brièvement de l'histoire des comités, ce qui m'évite de revenir là-dessus. En fait, ce n'est pas tant parler de l'histoire qu'il faut, mais la garantir. Ce n'est pas tant le passé, même s'il est très important parce qu'il contient nos racines, qui intéresse que la lutte que nous devront livrer à l'avenir.

J'ai dit aussi quelques mots sur l'ouragan, et sur la satisfaction morale que représentait le fait d'avoir pu livrer deux très importantes batailles sur ces deux fronts. Et nous sommes entrés dans la phase de redressement, maintenant que le cyclone est passé.

Je dois dire d'abord, une fois toutes les données réunies, que le nombre de victimes fatales, qui n'était que de quatre quand je vous ai parlé voilà trois jours, s'élève maintenant à six. En voici les noms et les causes.

Une femme qui a dû sortir dans la cour de sa maison et qui est morte au contact d’un câble électrique. On ne peut donc même pas parler d'imprudence.

Un membre du ministère de l'Intérieur qui meurt sur la route en moto, atteint par un câble électrique que le vent avait fait tomber, alors qu'il était en mission. Il ne se promenait pas, donc.

Un homme meurt quand il tente de brancher un câble électrique près de chez lui. Il ne s'électrocute pas, mais le courant le lance dans la rivière Simborrio, dans la commune de Yara, et il se noie. Ce compatriote meurt donc dans ces conditions. Peut-être avait-il besoin de ce branchement...

Un autre décès dans la commune Troisième Front, à Santiago de Cuba, quelqu'un qu'on a retrouvé noyé au gué Salto de Chivo, le 25 septembre, mais sans qu'on ait pu préciser les circonstances.

Un autre cas, que j'ai mentionné le premier jour, un travailleur des services hydrauliques qui meurt sur un barrage. Là, il semble qu'il ait fait preuve d'imprudence, alors que j'avais dit qu'il était mort en faisant son travail et qu'il luttait contre l'ouragan. En fait, il rentrait chez lui, il a tenté de traverser sur la digue pour aller de l'autre côté, il n'a pas fait attention que l'eau déversait et celle-ci l'a entraîné. C'est le cinquième cas.

Le sixième décès, dans la commune de Buey Arriba, dans la province de Granma, quelqu'un qui se noie en tentant de traverser à cheval la rivière Buey en cru, à Yara, le 26 septembre. On en a informé hier soir.

Ce sont donc six personnes dont je vais dire les noms afin de faire parvenir nos condoléances aux familles en mon nom et au vôtre : Elvia Matos Reyes, soixante et un ans; Amaury Reyes Mojena, soixante-ans - celui qui meurt sur la moto, un ancien combattant de la Révolution; Jorge Vega Guillén, quarante-deux ans; Rafael Mojena Arteaga, soixante ans; Israel González Chacón, cinquante-huit ans, et Lorenzo Fiss Ramírez, trente-trois ans.

Voilà les victimes à ce jour. Il n'est pas exclu que d'autres apparaissent, mais cela n'est guère probable, car toutes les communications ont été rétablies et tous les endroits ont été parcourus.

Aucun enfant, aucun adolescent n'apparaît parmi les victimes. Le plus jeune a trente-trois ans. Aucun jeune de moins de trente ans n’est mort à cause de l’ouragan.

Les plus gros dégâts se sont concentrés assurément dans l'agriculture. Les plantations ont été touchées sensiblement, puisque l'ouragan a traversé treize des quatorze provinces du pays, dont La Havane-province et La Havane-ville, bien que sur ces deux dernières, il y a plus de pluie que de vent.

Ces provinces produisaient 95 p. 100 des bananes du pays et représentaient 94 p. 100 de la surface totale des plantations. Heureusement, les dommages ont été moindres à La Havane-province, qui doit livrer à une ville de plus de deux millions d'habitants.

Mais les plus endommagées ont été les meilleures plantations, où se trouvaient installés des systèmes d'arrosage au goutte-à-goutte, celles qui avaient reçu les plus gros investissements et produisaient le plus. Les plus touchées ont été celles de Guantánamo.

Les plantations de café et de cacao ont aussi été pas mal touchées, en premier lieu celles de Guantánamo, de Santiago de Cuba, de Granma et de Holguín, autrement dit les plus grosses productrices.

D'importants dégâts dans les chemins, dont 344 kilomètres à Guantánamo et 162 à Granma, les calculs n'étant pas encore arrivés des autres provinces.

D'autres tubercules comestibles et légumes. Beaucoup de manioc inondé. Sauf à Guantánamo et à Holguín, toutes les autres provinces informent de plantations de manioc inondées, et s'efforcent de faire écouler les eaux et de récupérer le plus possible. Une partie importante de cette production destinée à la population sera touchée.

Aussi les plantations de chou de primeur, même si, heureusement, la pleine saison des semailles n'avait pas commencé.

Des pépinières de légumes se sont aussi perdues, mais on dispose des semences pour les

remplacer.

Le riz a beaucoup souffert, sauf celui qui était déjà récolté et siloté. Les dommages concernent les plants déjà mûrs qu'il est impossible de récolter à cause des inondations et de l'humidité. En Pinar del Río, il reste 5 200 tonnes à récolter, mais les pluies n'ont pas été très fortes et les hectares inondés sont moindres.

Les rizières les plus touchées sont celles de Granma, où il reste à récolter environ 10 000 tonnes entre riz monté et riz mûr.

Le tabac. Pas de dégâts pour le tabac cueilli et entreposé de la campagne précédente, qui a été protégé en temps opportun. Les dommages concernent les pépinières dans pratiquement toutes les provinces - vous savez qu'on en cultive en Sancti Spíritus, en Villa Clara et ailleurs - mais elles sont récupérables et ne constituent pas un problème digne d'intérêt.

Les plantations d'agrumes ont souffert, mais pas autant que durant le cyclone Lili. L'exploitation Victoire de Girón, de Jagüey Grande, en Matanzas, n'a pas été très touchée; en Ciego de Avila, on informe des pertes de 2 500 tonnes d'agrumes à Ceballos et de 1 000 tonnes à Morón.

Ont été touchées 796 tonnes d'oranges, 400 tonnes de citrons et autant de mandarines.

En Camagüey, 2 095 tonnes de pamplemousse des plantations de Sola ont été touchées.

En sylviculture, le nombre d'arbres abattus par le vent sur les caféiers est considéré élevé, ainsi que ceux abattus sur les chemins et routes de montagnes, dans toutes les provinces touchées. On ignore encore le total de mètres cubes de bois perdus.

On estime que le potentiel des plantes mellifères a été touché à 80 p. 100, surtout parce que l'ouragan est arrivé au moment de la floraison de la liane indienne, qui a beaucoup souffert et dont le miel qui en découle est destiné à l'exportation.

Voilà en ce qui concerne l'agriculture en général. Les données concernant les plantations de canne à sucre n'ont pas encore réunies avec précision.

Pas de pertes importantes dans le bétail bovin.

Pas de pertes non plus des silos de fourrage. Certains toits ont été touchés, mais aussitôt réparés. Pas de pertes de matières premières pour les aliments destinés aux animaux. La production a été paralysée faute de courant.

Pas de difficultés pour les médicaments, les réserves suffisant dans toutes les provinces pour faire face à tout imprévu.

Pas de dégâts importants dans l'élevage de porc.

Pas de pertes de pesticides, de matières premières pour aliments d'animaux, de matières premières pour les engrais et de semences entreposées.

Je ne vais pas m'arrêter sur les mesures prises.

En tout cas, selon les rapports préliminaires envoyés par les provinces, les mesures ont été les suivants : 494 124 personnes évacuées, dont 202 513 dans des édifices publics, et 237 991 élèves internes évacués.

Soit un total de 700 000 personnes évacuées. Aucun cas d'enfant, d'adolescent ou de jeune ayant souffert.

Un total de 705 600 animaux ont été transférés en lieu sûr.

40 079 logements touchés, dont 2 100 détruits.

Près de 400 ouvrages économiques touchés en partie, dont 144 exploitations agricoles.

113 écoles ont été touchées.

104 935 personnes et 8 676 véhicules ont été mobilisées dans le cadre de la défense civile.

J'ai parlé en premier lieu des personnes décédées, bien qu'on les signale ici dans le rapport.

Les dommages concernant les ponts et les routes, les territoires sont encore en train de les préciser, mais nous espérons que ce sera un problème réglable.

Les communications se rétablissent peu à peu. Le pont de chemin de fer entre Santiago et Guantánamo, d'acier et de béton, le plus important, a été emporté par le fleuve. Guantánamo va être isolé par cette voie. Il faut reconstruire le pont au plus vite, mais cela prendra du temps, alors que 60 p. 100 des marchandises y sont transportées par chemin de fer. Ce qui représentera de nouveaux frais de transport plus coûteux en attendant la reconstruction du pont.

Le problème avec ce cyclone par rapport à la production agricole, c'est qu'il a été associé à la fin de la plus grande sécheresse qu’ait connue la Révolution, en fait la plus grande qu'ait connue Cuba de tous temps. Elle a fait des dégâts partout. À la production de riz, bien entendu, car les retenues d'eau, comme vous le savez, étaient presque toutes vides, au point qu'il fallait approvisionner en eau un certain nombre de ville par camion-citerne, ce qui coûte cher. Alors, à cette sécheresse qui a porté préjudice aux productions agricoles dans presque tout le pays, vient s'ajouter cet ouragan qui a causé les dégâts que je vous ai mentionnés, surtout dans les bananes et d'autres cultures de produits auxquels notre population est habituée, tant en ville qu'à la campagne.

Pour avoir une idée de la façon dont la sécheresse a touché la production de haricots, il suffit de dire que la livre, qui valait avant six pesos sur les marchés agricoles de la capitale, en vaut à présent douze, treize ou quatorze. C'est là une des conséquences de la sécheresse, qui a porté préjudice aux plantations de tubercules comestibles dans les différentes provinces, mais surtout, et terriblement, en Las Tunas et en Holguín, et dans trois communes de Guantánamo. Oui, une sécheresse très sévère. Qui a touché l'agriculture et la canne à sucre. Et dans la canne, les dégâts sont toujours importants, parce qu'il s'agit d'un produit d'exportation, d'une industrie où l'on fait tous les ans des investissements et des dépenses importants pour garantir une production de sucre déterminée.

Bien entendu, l'ouragan fait chuter la production, prive le pays de tant de tonnes de sucre, bien qu'on ne puisse pas dire encore combien. Il faudra bien le calculer, voir comment le temps évoluera, s'il tombera de nouvelles pluies, si l'on pourra semer. Les semailles actuelles sont pour la campagne 1999-2000. C'est important, on ne peut s'arrêter... Maintenant il faut attendre que les plantations reviennent à la normale, parce qu'il y a trop d'eau, trop d'humidité.

Ce sont là des dégâts par un autre biais, parce que la canne à sucre représente aussi de la mélasse pour la production de rhum, qui est prioritaire, de la mélasse pour la production d'alcool, de la mélasse pour les aliments pour animaux et d'autres usages. C'est là un préjudice indirect, mais important.

Je n'ai pas parlé de la campagne sucrière. Mais je veux expliquer à fond certaines choses. Ça entraîne une situation compliquée.

Je vous ai expliqué que le pays consentait un effort énorme à cause de la sécheresse. Oui, il n'a pas hésité dès qu'il a apprécié la situation où se trouvaient les provinces d'Holguín et de Las Tunas. Quelques autres endroits souffraient aussi, c'est sûr. Mais les points les plus critiques étaient ces deux provinces, et les trois communes les plus critiques de la province de Guantánamo, et décision a été prise de faire des dépenses, relativement élevées pour le pays, de leur fournir un supplément alimentaire.

Je vais donner des chiffres. Il a été décidé de doubler la quantité de pain, ce qui implique de la farine supplémentaire dans l'immédiat. Ce supplément commencera en septembre. On a inclus le pain, bien qu'il implique un processus industriel, ce qui complique les choses, sans parler du transport, de la distribution. Mais comme la production est organisée dans les villes et à la campagne, on a doublé la ration et on a acquis tout ce qu'il fallait pour maintenir cette mesure pendant quatre mois.

Il n'y avait pas encore de cyclone. Les semailles de haricots et d'autres cultures d'automne étaient en cours. Et il a donc été décidé de doubler la quantité de pain - ce qui représente tout de même quelque chose - de fournir un kilo supplémentaire de riz, un autre de pois chiche - et je vous expliquerai quelque chose à ce sujet - une demi-livre d'huile, soit environ un quart de litre par habitant par mois, déjà acheté. Quand on a fait les calculs des dépenses que cela impliquait, on ne parlait toujours pas d'ouragan.

Et maintenant, voilà que l'ouragan vient s'ajouter à la sécheresse. Nous avions l'espoir que les Holguinais, les Tuniens et les Guantanamiens, s'il pleuvait un peu, pourraient commencer à se redresser. Il avait un peu plu dans ces provinces avant le cyclone, jusqu'à plus de trente millimètres à certains endroits. Mais le problème, c'est que l'ouragan a bien endommagé les bananeraies arrosées au goutte-à-goutte, qui était la production la plus sûre. Je ne vais pas dire qu'elles ont toutes été liquidées, on en tire toujours un peu de profit, mais les vents violents font beaucoup de dégâts. Nous le savons par expérience ici dans la capitale, et nous savons aussi le temps que prend un de ces arbustes pour se récupérer, parce que, même s'il ne tombe pas totalement, les feuilles sont très endommagées.

Holguín est la province de la banane, c'est son fruit principal. Elle avait développé ces plantations arrosées au goutte-à-goutte qui rendent dix, ou douze, ou quatorze fois plus que les autres. Mais cette province est bananière par tradition, avec de nombreux hectares de culture, sans arrosage. On trouve aussi des bananeraies en Las Tunas, en Camagüey, un peu partout, et partout elles ont été touchées, avec ou sans arrosage, en plus des autres dommages dont j'ai parlé.

Il fallait trouver une réponse rapide en matière alimentaire à cause de l'ouragan, et qui est bien entendu plus coûteuse que celle d'aider seulement 1,6 million de personnes, et c'est là un chiffre précis, exact.

Nos ressources sont maigres, et on n'a pas hésité. Nous nous sommes réunis, comme je vous l'ai expliqué, vendredi. A la fin de la séance d'inauguration avec vous, je suis allé au Palais et nous nous sommes réunis pour analyser en détail deux choses : d'abord, les dégâts dans les logements, les installations et le reste. On a alors appris que 40 000 logements avaient été touchés, mais non détruits, et que 2 100 avaient été totalement détruits à des endroits divers et distants. Ensuite, tout analyser, combien de matériaux nous avions en réserve - parce que nous conservons toujours quelques réserves que nous avons sous la main - des planches de zinc, d'amiante, des tôles, etc., de combien de bois nous disposions, de combien de tonnes de clous, de combien de peinture, bref, de tout ce qui est peut être utile pour réparer ou bâtir un logement en cas d'imprévu, ou alors si quelqu'un perd un réfrigérateur, combien en avons-nous en réserve où il en existe toujours pour ces occasions-là, ou alors un téléviseur, des choses de ce genre, ou encore un matelas, des choses importantes.

Je peux vous dire, par exemple, que nous avons appris aujourd'hui qu'il s'est produit vendredi à San Nicolás de Bari, dans La Havane-province, quelque chose de semblable à ce qui s'est passé à Mayarí : il est tombé 300 millimètres de pluie, dans un village où il n'y a jamais eu d'inondations et où personne, bien entendu, n'avait été évacué. Alors, il se produit une inondation, les gens ont dû grimper sur le toit des maisons, et seules quelques maisons n'ont pas été inondées. Je ne sais combien d'habitants peut compter le village de San Nicolás de Barí, quelques-uns de vous doivent le savoir (on lui dit : 21 000). 21 000, ce n'est pas si petit que ça ! Et alors toutes les forces organisées se sont rendues sur place et ont évacué tous les gens qu'il fallait. Et il n'y a pas eu un seul accident, pas un noyé. L'eau avait monté à la hauteur du toit dans presque toute la localité. Ça s'est passé tout d'un coup. Un petit ruisseau dont la source a reçu 300 millimètre de pluie en très peu de temps en pleine crue. Pareil qu'à Mayarí. Nous savons que trois cents matelas se sont perdus. La ministre du Commerce intérieur est sur place depuis hier, car c'est elle qui administre la fourniture de certains articles, pour organiser la remise immédiate des trois cents matelas, pour remplacer ceux qui sont irréparables et réparer ceux qui peuvent l'être.

Ces articles se vendent aux sinistrés, mais à des prix réduits, minimums, bien souvent subventionnés. Et si les gens n'ont pas assez d'argent, on leur offre toutes les facilités nécessaires pour les acheter.

Combien se sont perdus à Mayarì ? Et combien à Sagua ? Et combien ailleurs ? A La Havane-province, San Nicolás n'a pas été le seul endroit touché, car Aguacate a subi le même sort. Combien de choses sont restées sous les eaux là-bas ? (On lui dit qu'environ cent dix maisons, mais que les eaux sont redescendues plus vite et que les dommages ont été moindres.) Combien de matelas, grands et petits, se sont perdus ? (On lui répond qu'aucun.) Il faut apprendre à être tous honnêtes en signalant les pertes. On en a enregistré dans presque toutes les provinces. Mais on le connaît encore avec toute la précision requise. Nous savons en tout cas les réserves dont nous disposons, et les matières premières pour fabriquer des matelas dont certains parfois ne veulent pas, alors que ce sont pourtant les meilleurs, les plus confortables et les plus durables, des matelas de mousse. Les autres, les matelas d'ouate et d'autres matériaux, nous ne disposons des capacités de production similaires. Bref, nous savons des capacités dont nous disposons pour fabriquer des matelas et d'autres articles essentiels.

Il existe justement une société d'économie mixte capable de produire cet article, qui a apporté la technologie et des équipements, et qui fournissent aussi la matière première. Ce sont nos partenaires, et l'accord passé avec eux stipule que dans des circonstances pareilles, les articles se vendent au prix de revient. Mais c'est une dépense, bien entendu, et ce qu'on retire de la réserve des matériaux, il faut le remplacer. On a analysé tout ce qu'il existe de chaque chose et on distribue tout rapidement dans les provinces.

Deux commissions sont parties aujourd'hui pour évaluer les dégâts avec exactitude, mais nous avons dit : n'attendons pas les commissions, qui vont parce qu'il est indispensable de visiter les endroits et de préciser les dommage dans les zones touchées, mais n'attendons pas leur retour, commençons à envoyer les ressources qui sont utilisables immédiatement, n'attendons pas un jour de plus. Les commissions vont servir à évaluer l'ensemble des dégâts avec toute l'exactitude requise, ce sont des commissions de ministres et de vice-ministres présidées par un cadre expérimenté. Il ne s'agit pas de régler les vieux problèmes, qui sont nombreux, mais les nouveaux problèmes créés par l'ouragan. Ces produits sont disponibles, immédiatement, comme on l'a fait en Cienfuegos, en Villa Clara et à tous les endroits touchés quand le cyclone Lili nous a frappés voilà deux ans.

Nous sommes par ailleurs au milieu de la saison des cyclones et personne ne peut assurer qu'il n'en viendra pas un autre. Par conséquent, si on utilise une certaine partie des réserves à un endroit donné, il faut remplacer ce qu'on y a pris. Il faut maintenir les réserves au moins aux niveaux actuels, les réserves de ces matériaux qui impliquent des dépenses en liquidité et en devises. C'est bien de cela dont je parle. Donc, en premier lieu, il faut les avoir sous la main, et ensuite il ne sera pas difficile de les faire parvenir où on en a besoin.

Toutes les brigades du bâtiment sont organisées et ont commencé à travailler dès que la pluie a cessé. Voilà ce que cela veut dire être organisé, voilà aussi ce que signifie la propriété nationale ou le contrôle et la coopération étroites des moyens de production fondamentaux, des transports, des trains, des usines, pour répondre aussitôt à une situation critique.

Par exemple, les tôles de zinc se trouvaient à Las Tunas. Il y a une certaine quantité de matière première prête, et on sait avec précision la capacité de production, parce que les tôles déjà produites comme réserve avant l'ouragan occupaient presque tout l'espace. Il y a donc maintenant la matière première et il faut vite produire les tôles. La production et les fournitures vont devant. Dans ces conditions-là, il ne faut pas attendre une minute pour commencer à réparer et à construire. Voilà ce que j'avais à dire en ce qui concerne les dommages de type matériel, les mesures prises.

Quant aux besoins alimentaires d'urgence, je vous ai expliqué celles qui provenaient de la sécheresse. Viennent maintenant celles qui découlent du cyclone, qui s'est payé le luxe de parcourir neuf cents kilomètres, de Maisí à l'endroit où il est parti en mer, avec l'influence de vents et de pluies forts sur Varadero.

Combien y a-t-il de la pointe de Maisí à la pointe des Icaquiers ? D'une pointe à l'autre, sur une grande partie du territoire. Des vents de jusqu'à cent kilomètres-heure ont soufflé sur Varadero, et sur la capitale, des vents d'une certaine force. Des fortes pluies sont tombées sur certaines zones des provinces havanaises, mais le cyclone couvrait environ neuf cents kilomètres sous son influence directe, avec des vents violents ou des pluies abondantes durant pratiquement trois jours.

Les dégâts sur le front de mer de La Havane ont été heureusement moindres, parce qu'il s'agit toujours de dégâts coûteux. De fait, la mer a peu pénétré à terre, même si elle a sauté par-dessus le mur et a envahi quelques rues. Mais des vents du sud ont commencé à souffler et ont freiné les vagues de marée. Nous avons eu de la chance que la mer ait peu pénétré au nord de la ville et que les vents n'aient pas liquidé les bananeraies de La Havane. Les dégâts doivent tourner autre de 5 ou 10 p. 100.

Il faudrait maintenant prendre des mesures. Que faire, compte tenu de ce qui s'est passé dans tout le pays à cause de la sécheresse, parce les mesures sur ce plan ont concerné les zones les plus critiques, sans ouragan, car il pleuvait déjà dans le reste du pays et que les gens se préparaient à semer et à cultiver les tubercules, les haricots et tout ça avant l'ouragan ?

Nous avons bien analysé ce qu'il fallait faire dans cette situation-là et nous avons pris les décisions suivantes : maintenir bien entendu le programme de quatre mois prévu pour Las Tunas, Holguín et les trois communes de Guantánamo.

Mais, à part ça, nous avons disposé quelque chose de commun pour toutes les provinces, de Matanzas à Maisí, sans mesurer laquelle avait souffert le plus dans chaque hectare de terre. Sancti Spíritus, par exemple, a moins souffert, mais on ne va appliquer un programme et en écarter cette province-là ! Ce serait trop compliqué de faire maintenant des calculs mathématiques, pour savoir à laquelle on remet un livre, une livre et demie, et à laquelle on en remet deux. Le calcul concerne un supplément alimentaire pour tout le monde.

Un kilo de plus de grains par personne -des pois chiche, en l'occurrence - pour tous les citoyens. Autrement dit, si un foyer compte six ou sept personnes, cela fait six ou sept kilos de plus par mois pendant trois mois, à savoir octobre, novembre et décembre, de Matanzas à Guantánamo, ce qui s'ajoute aux produits supplémentaires que reçoivent déjà Holguín, Las Tunas et les trois communes de Guantánamo. Ce qui se donne ne se reprend pas ! (Rires.) Car ce supplément provient du fait que ces endroits avaient été gravement touchés par la sécheresse, sans parler maintenant des dommages causées par l'ouragan, les pluies et tout le reste

Vous voyez que ce ne sont pas des chiffres très importants, mais ça ne va pas être la seule chose. Un kilo mensuel par personne pendant trois mois pour toute la population de ces provinces, de Matanzas à Guantánamo, cela signifie environ 22 000 tonnes, et cela tout de suite. Mais on va faire autre chose dans tout le pays, mais à partir d'un choix. On a calculé combien le pays comptait d'enfants âgés de 0 jusqu'à quatorze ans, c'est une distribution un peu sélective, mais notre peuple le comprendra parfaitement. Tous les enfants jusqu'à quatorze ans, sans aucune exception. Certaines familles ont davantage de ressources et peuvent acheter, à n'importe quel prix, au marché agricole ou au magasin, mais on ne peut pourtant pas faire de distinction : un enfant est un enfant. On fournira donc un supplément à tous les enfants jusqu'à quatorze ans et à toutes les personnes de plus de soixante ans ! Savez-vous combien notre pays compte de personnes de plus de soixante ans ? Environ - je n'ai pas le chiffre exact en tête - 1 300 000. Ce sont les fruits des programmes de santé, de l'augmentation de l'espérance de vie. Environ 1 300 000 personnes !

José Luis, pourrais-tu donner le chiffre exact, puisque tu étais à la réunion ? (José Luis lui dit : 1 460 000.) Eh bien, c'est encore plus, et je m'en réjouis infiniment. Surprenant, n'est-ce pas ? Bon, vous savez donc. Certains gens ont même de bons revenus et ne se souviennent pas de la petite vieille s'ils parviennent à l'envoyer dans un asile. Non que les personnes âgées soient mal dans un asile, non. En tout cas, ce genre de choses arrivent.

Tout le monde, donc, pendant dix mois, jusqu'à ce que l'agriculture reparte mieux. Voilà notre calcul, dix mois. Tous les enfants jusqu'à quatorze ans et toutes les personnes à partir de soixante ans vont recevoir pendant dix mois un supplément alimentaire.

En quoi consistera-t-il ? En un kilo de riz - c'est déjà quelque chose - un kilo de pois chiche - nous y revenons, et j'ai dit que j'en parlerai ensuite - exception faite des provinces orientales qui recevront un kilo et demi parce qu'elles ont été les plus touchées par la sécheresse et l'ouragan. Ces personnes dans cette région-là, autrement dit les provinces orientales, recevront donc deux kilo et demi de grains de plus. Je répète : un kilo de riz, un kilo de pois chiche - on peut faire le riz aux pois chiche, le potage avec un peu de riz - et un quart de litre d'huile pendant dix mois. Ce sont un peu plus de 3 900 000 personnes, environ 4 millions, entre les enfants jusqu'à quatorze ans et les personnes à partir de soixante.

Peut-on faire quelque chose de plus équitable, de plus juste, alors que les ressources ne nous suffisent pas ? En fait, toutes les familles comptent un enfant, ou un petit-fils, ou une grand-mère. Evidemment, les grands-mères protègent généralement les enfants; et ce sont les personnes les plus âgées qui sont les moins protégées. Par psychologie et par coutume, la logique est plutôt de protéger les mineurs. Ce supplément, je le répète, va donc se prolonger dix mois. Tout est bien clair ? Aux prix subventionnés du carnet de rationnement.

Pas à la parité du dollar avec le peso, bien entendu, quand je parle du peso, sinon ce serait vingt fois plus. Non, je ne compare les prix avec la parité du dollar, qui est de 1 à 20 dans les bureaux de change. Les prix dont je parle sont des prix en peso cubain, aux prix normaux et subventionnés du carnet de rationnement. Ça, ça s'appelle Révolution, oui ! (Applaudissements.)

Je veux continuer de réfléchir sur ce point. Bien entendu, il faudra travailler dur à la récupération agricole.

Entre ouragan et sécheresse, ça fait 146 000 tonnes de grains et environ 10 000 tonnes d'huile.

Chaque produit coûte. Et l'un des plus coûteux, en fait, est maintenant le riz, dont les cours ont flambé. Et pourtant on a analysé non seulement les grains, mais encore une certaine quantité de riz, comme on l'a fait avec cette histoire de la sécheresse là-bas.

Ça fait environ 156 000 tonnes de denrées alimentaires - en comptant l'huile - dont 146 000 de grains, et j'y inclus la farine pour le pain pour les provinces d'Holguín et de Las Tunas, et pour les trois communes de Guantánamo. Additionnez donc tout cela. Et certains prix sont élevés, et d'autres, moins. Le plus élevé est le riz, avec des risques de le voir augmenter encore.

Ceci, c'est pour les trois prochains mois. Le supplément pour les enfants et les personnes âgées, lui, durera dix mois.

Deux choses : rien de ce qui s'ajoute ne supprime rien de l'antérieur. Tout le monde doit faire ses calculs en fonction de ce que je viens d'expliquer. Les Holguinais, les Tuniens et les autres continueront de recevoir ce qu'ils recevaient déjà, le pain et le reste, plus le kilo supplémentaire qui sera fourni de Matanzas à Guantánamo pendant trois mois, et, en plus, pour les enfants et les personnes âgées, un supplément de dix mois dans tout le pays (applaudissements).

Nous sommes en train de faire un effort dans tout le pays pour voir comment augmenter les quantités de yaourt. Les enfants se sont parfaitement adaptés au yaourt de soja.

Nous allons voir, il faut étudier tout ça, mais ce sont les choses dont je devais vous parler sans retard, parce que nous disposons maintenant des ressources.

Chaque province doit faire ses calculs. Chaque Holguinais, par exemple, doit faire les siens. J'ai l'espoir qu'à Velasco et dans tous ces endroits similaires, dans tout le pays, on cueillera les haricots et le reste en janvier s'il n'y pas d'autres cyclones. Et s'il en vient, eh bien, il faudra continuer de se débrouiller.

Les ressources dont j'ai parlé sont en route, c'est pour tout de suite. Dès vendredi, on a donné des instructions de mettre en route ce dont on disposait pour commencer, et d'acheter ce qui manquait, tandis que d'autres ont même été achetés avant l'ouragan, en prévision. Il s'agit d'une dépense de plusieurs dizaines de millions de dollars, tout compris : ouragan, sécheresse, matériaux de réparation et le reste. Ce qu'on utilise maintenant, il faut le remplacer aussitôt, et les autres choses qu'on peut ajouter.

Comme je vous l'ai dit, il n'y a eu aucune hésitation, même si cela peut signifier qu'on ne puisse pas faire certains investissements qui sont importants pour le développement du pays et qui reçoivent une certaine priorité.

De toute façon, vous savez qu'un hôtel, par exemple, fournit des devises, des emplois et d'autres choses. Bon, on trouve des formules et on cherche plus d'efficacité. On ne va pas arrêter pour autant les programmes de développement.

Mais on ne pouvait pas attendre l'aide extérieure pour commencer, nous avons l'expérience. Lors du cyclone Lili, nous avons fait des demandes de crédit pour des denrées alimentaires à différents pays possédant d'abondantes ressources, et nous n'avons reçu aucune coopération, sauf quelques modestes dons. Et comme je vous le disais l'autre jour, ce ne sont pas les désastres qui manquent dans le monde ! Des condoléances, des télégrammes de solidarité, ça oui, une foule. Bien entendu, ceux qui adressent des messages sincères sont justement ceux qui n'ont pas les ressources pour aider. Je ne pourrai jamais oublier qu'un pays ayant aussi peu de ressources que la Jamaïque nous a fait parvenir 50 000 dollars lors du cyclone Lili, ce qui est vraiment émouvant. Nous savons gré de chaque message de solidarité que nous recevons, d'où qu'il vienne. Certains pays ayant plus de ressources envoient des dons; certains autres font spontanément des offres, sans qu'on le leur demande, mais les quantités sont sans commune mesure avec les efforts énormes, les sacrifices et les dépenses que notre pays réalise dans des cas semblables, parce que Cuba, victime d'un blocus économique depuis bientôt quarante ans, n'a jamais reçu un centime des institutions financières internationales, parce que les Etats-Unis l'interdisent. Nous avons appris à lutter seuls contre les désastres.

Quand l'ouragan Lili nous a frappé fort, provoquant des pertes considérables et de grands dommages, en plus, à nos exportations traditionnelles, c'est le pays qui a fourni le gros des ressources en monnaie convertible et d'autres ressources importantes. Dans cette circonstance exceptionnelle-ci, des deux désastres à la fois, sécheresse et ouragan, il était bien plus important de fournir sans retard aux gens, qui se sont si bien portés, qui ont livré une bataille exemplaire, l'aide indispensable qu'il était possible de leur apporter, au moins comme une preuve de l'effort que le pays est capable de faire, même en pleine période spéciale, à partir de ressources qui sortent des entrailles mêmes de notre économie.

Nous avons fait quelques expériences amères dans ce domaine. J'ai raconté à la télévision, depuis la station météo, l'expérience que nous avons vécue avec des aides que des organisations non gouvernementales et des amis ont offert d'envoyer depuis la Floride et que nous avons acceptées uniquement par politesse, pour ne vexer personne. Eh bien, la maffia contre-révolutionnaire s'en est mêlée, a saboté les envois, en y mettant dans les marchandises sa sale propagande annexionniste et antipatriotique. Bien entendu, ce n'est pas là l'attitude de bien des citoyens nord-américains ou d'origine cubaine. Des gens comme Lucius Walker et des institutions nord-américaines envoies des aides que notre peuple apprécie grandement parce qu'elles sont sincères, nobles et courageuses.

Bien entendu, ce n'est pas pour autant que des porte-parole des Etats-Unis doivent raconter les choses éhontées qu'ils racontent. Quand notre ministre des Affaires étrangères a parlé à l'ONU, un représentant des Etats-Unis a utilisé le lendemain son droit de réplique. Et aussitôt, Robertico a répliqué à son tour, un texte très bien, bref. La réplique nord-américaine a duré, je ne sais pas trop, de cinq à dix minutes, et celle de Robertico, à peu près six minutes. Il y a dit quelques vérités de plus. Le représentant nord-américain a répliqué de nouveau - il y avait belle lurette qu'on ne voyait plus ça aux Nations unies - et Robertico a contre-contre-répliqué pendant quatre ou cinq minutes. Très bien, d'ailleurs, même si ça n'a pas la même importance que l'allocution qu'il a prononcée au nom de Cuba, qui a eu de l'effet, de l'impact.

Eh bien, savez-vous ce qu'a dit, entre autres choses, le représentant nord-américain ? Que des citoyens nord-américains avaient envoyé ces dernières années environ deux milliards de dollars d'aide humanitaire privée à Cuba ! Voilà sa déclaration textuelle : «Plus de deux milliards d'aide humanitaire des Etats-Unis vers Cuba ont été autorisés depuis 1992.» C'est vraiment un peu fort de café ! Ils ont dû même y inclure les dons de Lucius Walker, ces dons qu'ils bloquaient à la frontière et pour lesquels il a dû mener des grèves de la faim et livrer des batailles héroïques ! Et qu'est-ce que vous me dites des prétendues autorisations que le gouvernement nord-américain a affirmé qu'il les délivrerait pour exporter des médicaments à Cuba, dont Robertico a mentionné certains aux Nations unies ? On n'en a pas encore vu un seul. Et je suis prêt à rectifier si notre ministre de la santé publique me dément. (Dotres, le ministre, dit qu'il n'en est arrivé aucun.) Aucun, vous voyez ! Et elles datent de quand, ces déclarations ? J'étais alors à Genève, si j'ai bonne mémoire. (Dotres indique que Cuba a fait des demandes à dix sociétés nord-américaines voilà environ trois mois.) Voilà : des demandes à dix sociétés et aucun médicament n'est encore arrivé. (Dotres précise que certaines ont déjà répondu non.)

Dès que le président a fait cette déclaration, nous les avons mis à l'épreuve et j'ai dit : Dotres, quelles sont les choses fondamentales, essentielles, que nous pouvons demander, de celles que nous devons obtenir par d'autres biais, ou que nous ne pouvons pas du tout obtenir ? Ça fait trois mois, et aucun comprimé d'aspirine ne nous est encore arrivé. Ça vous donne une idée de la malhonnêteté de ces gens-là ! Et après ça ils osent dire que des citoyens nord-américains ont fourni un aide humanitaire s'élevant à deux milliards de dollars ! Qu'on fasse donc les calculs pour savoir par combien il ont multiplié le chiffre réel.

Toi, Dotres, qui est du secteur, as-tu une idée de l'aide humanitaire reçue de ce pays-là en médicaments ? (Dotres répond que des organisations non gouvernementales ont fourni un peu d'aide qui n'atteint même pas le centième du chiffre mentionné, soit même pas vingt millions.) Même pas vingt millions, c'est bien ça, hein ? Pourquoi ne fait-on pas les calculs complets pour les leur montrer ? Comment osent-ils compter au titre de l'aide humanitaire les articles qu'ils ont interdits pendant des années et qu'ils n'ont laissé passer qu'après que les donataires ont fait une grève de la faim de je ne sais pas combien de jours. Et ils ont maintenant l’aplomb de se présenter à l'ONU pour dire que des citoyens nord-américains ont envoyé à Cuba une aide humanitaire d'environ deux milliards de dollars !

Deux milliards de dollars ! Notre ministre est ici, qui peut dresser la liste de tout ce qui est arrivé, et calculer même au prix du marché, au prix normal, même ça pour leur faire plaisir. Ils ont exagéré d'au moins cent fois ? Qu'en dites-vous ? Eh bien, ils l'ont dit aux Nations unies. Alors qu'ils ont même interdit les envois d'argent de famille pendant une bonne partie des années qu'ils ont signalées ! Des millions de personnes dans le monde entier envoie de l'argent à leurs familles, depuis les Etats-Unis, depuis l'Europe, depuis les pays pétroliers, depuis l'Afrique du Sud, depuis la Malaisie, depuis n'importe quel pays où travaillent des émigrés étrangers, et ces envois n'ont jamais été qualifiés nulle part dans le monde d'aide humanitaire, car ce serait une offense pour ceux qui les envoient et pour les épouses, les enfants, les parents, les frères qui les reçoivent. Pratiquement tous les pays du tiers monde reçoivent des envois expédiés aux familles par des émigrés qui travaillent dans les pays plus développés. Ces envois existent même entre pays développés. Et si ces gens-là se réfèrent à ça en parlant d'aide humanitaire, eh bien c'est honteux ! On ne peut changer le dictionnaire à sa guise.

Il faudra expédier un petit message là-bas, s'il vous plaît, avec les bons calculs, à tous les délégués des Nations unies, parce que Robertico n'a sûrement pas ces données avec lui. Mais en ce qui concerne cette phrase que je vous ai lue, il faut expédier un message à l'Office panaméricain de la santé, à l'Organisation mondiale de la santé et à tous les ambassadeurs auprès des Nations unies, avec la liste et le démenti. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés, il faut démasquer ces gens-là, ça en vaut la peine. Sans parler du fait qu'ils ont trompé le monde quand ils ont déclaré voilà maintenant plus de trois mois qu'ils allaient autoriser l'exportation de médicaments à Cuba.

N'empêche que nous remercions énormément les Nord-Américains ou les organisations nord-américaines qui ont envoyé des médicaments à Cuba, de bonne foi, honnêtement. Nous ne mesurons pas les gestes par le volume de l'aide, mais par la bonne volonté avec laquelle ça se fait, par l'esprit solidaire avec lequel ça se fait. Voilà notre aune à nous ! Et nous les remercions, et j'en profite pour le faire (applaudissements). Si seulement Dotres pouvait se tromper, et que ce soit vraiment quinze ou vingt millions, pendant les années de période spéciale ! J'avais déjà demandé une fois au ministre de faire le calcul, parce que j'avais lu des déclarations de ce genre. Je n'en suis donc pas tout à fait surpris.

Différents pays aident, c'est vrai. Mais quand l'aide arrive-t-elle ? Bien après que nos habitants aient fini de manger les bananes abattus par les vents ? Bien entendu, ce serait pire de ne rien recevoir du tout. Ce ne serait pas beaucoup, mais ce serait quelque chose, un geste noble de bonne volonté.

Ainsi, une institution des Nations unies, le Programme alimentaire mondial, que préside justement une Nord-Américaine qui nous a rendu visite il n'y a pas longtemps, nous a offert son soutien à l'occasion de la sécheresse. Cette fonctionnaire des Nations unies a souhaité trouver une aide, mais un inconvénient s'est présenté : une partie de l'aide devait être libellée comme don du gouvernement des Etats-Unis. Nous avons répondu alors que nous n'accepterions pas cette partie de l'aide. À la suite de la visite du pape qui a critiqué le blocus économique dans son allocution d'adieu, comme vous le savez, messieurs Helms et Burton - le jeune qui parle si bien m'a devancé, mais pour cette cérémonie-ci plus solennelle, je rends à l'autre son n et l'inversion du r et du u, je n'utilise pas l'autre qualificatif qui s'applique parfaitement et à juste titre à cette loi (le jeune homme avait qualifié le sénateur Burton de Brutón, qui veut dire «gros crétin» en espagnol) - les auteurs, donc, de cette fameuse loi génocide, ont aussitôt manigancé à la Chambre des représentants et au Sénat pour lever le blocus en ce qui concerne l'exportation d'aliments et de médicaments, mais uniquement comme prétendue aide humanitaire. Comme il ont été pris de court, ils ont inventé cette histoire de l'aide humanitaire, assortie en plus de conditions, tout en maintenant le blocus économique dans toute sa rigueur.

Nous avons aussitôt déclaré que cette aide indigne et déshonorante, nous ne la recevrions pas, même sans conditions. Ce que nous exigeons, c'est la levée du blocus ! Si le blocus cesse, nous n'aurons pas besoin de l'aide humanitaire (applaudissements) du gouvernement qui nous l'impose depuis quasi quarante ans, qui nous fait la guerre économique, qui concentre sur nous dans cette guerre toute son influence dans le monde, une influence plus forte que jamais, un pouvoir plus fort que jamais. Alors, comme ça, ils vont nous poignarder d'une main et de l'autre jouer au gouvernement humanitaire en nous envoyant une certaine quantité d'aliments dont on ne sait d'ailleurs pas ce qu'ils seront ! Et le blocus, alors ? C'est le comble ! Et l'honneur, et la morale de ce pays-ci, et la longue bataille qu'il livre contre ce blocus économique, une bataille qui gagne toujours plus de terrain, de soutien, de sympathie, comme nous le constatons jour après jour ! Jusque chez des hommes d'affaires nord-américains.

Plus de cent entrepreneurs nord-américains voulaient nous rendre visite ces temps-ci, et certains avaient commencé à l'organiser. Ils allaient rester ici vingt-quatre heures. Oui, mais leur gouvernement leur a dit qu'ils ne pouvaient pas dépenser un sou ici ! Qu'à cela ne tienne, nous étions prêts à les loger dans un bon hôtel pour qu'ils ne dépensent pas ce fameux sou. Ce n'était pas leur faute, n'est-ce pas ? Eh bien, non, et encore non, ils pouvaient tout au plus arriver le matin et repartir le soir, puisqu'ils seraient venus de Cancún. Finalement, leur gouvernement leur a dit tout simplement non et leur a interdit de venir. Certains d'entre nous - ainsi, Alarcón qui se rendait à ce moment-là à une réunion en Amérique centrale et un autre - ont donc dû aller rencontrer ces hommes d'affaires nord-américains qui veulent faire du commerce avec Cuba, et même, soit dit en passant, certaines sociétés très importantes. Eh bien, ils n'ont pas reçu l'autorisation de venir.

À propos, une université qui a pour coutume d'organiser des voyages de ses étudiants à l'étranger vient de nous demander d'en recevoir plusieurs centaines. Nous avons répondu que oui. Il n'y a pas de raison de les priver du droit de connaître un pays. Il s'agit d'une université prestigieuse, sérieuse. Et curieusement, le gouvernement leur a donné l'autorisation. Je ne sais pas, Otto (le président de la Fédération des étudiants cubains), s'il pense que ces étudiants vont ramollir ou endoctriner les étudiants et les jeunes cubains.

Je ne sais pour quelle raison ce gouvernement-là ne donne pas l'autorisation aux hommes d'affaire, multiplie la prétendue aide par cent ou deux cents et autorise en revanche, selon nos informations, les étudiants d'une université nord-américaine sérieuse. Je ne conteste pas, tant s'en faut, l'attitude de ces étudiants. Les nôtres ont toujours maintenu des contact avec leurs collègues de là-bas, et ce ne sont pas les thèmes de discussion qui manquent. Je crois qu'ils seront autour de sept cents, mais je ne sais combien de temps ils resteront, un jour, deux jours... En tout cas, nous leur avons dit : Venez donc.

Sont-ils donc devenus tout gentils, au département d'Etat ? N'ont-ils pas peur ? Je ne sais pas quel est le point de vue qui prédomine... peut-être estiment-ils que cette visite entre dans le cadre du Volet II ! En tout cas, que les étudiants viennent et qu'ils connaissent notre pays. Oui, qu'ils viennent. Est-ce que ça a été la fin du monde quand trois mille journalistes sont venus suivre ici la visite du pape ? Et pourtant ils ont fourré leur nez partout, eux oui, ils ont fait collecte de tout, eux, oui, ils en savent presque autant que vos, parce que certains d'ici leur ont même organisé des visites, aux journalistes de la télévision, de la radio et de la presse. Eh bien, non, ça n'a pas été la fin du monde.

Ravis. Bienvenue aux sept cents étudiants ! J'espère que vous les accueillerez, que vous leur organiserez un programme qui puisse les intéresser, depuis le monument aux victimes du Maine jusqu'aux navires de l'escadre de Cervera, échoués en face de Santiago de Cuba. A condition que ça les intéresse. Différents thèmes doivent sans doute les intéresser. Mais je suis convaincu que quand vous discuterez avec eux, vous disposerez d'un énorme arsenal de questions, dans le plus grand respect, avec beaucoup de courtoisie, sans insulter, tant s'en faut, leur pays.

Notre grand intérêt à nous, c'est d'analyser de problèmes actuels importants, en recourant à des arguments. Et les nôtres sont si solides qu'il sont, en un seul mot, irréfutables. Et beaucoup parmi ces jeunes doivent être de bonne foi, parce qu'ils n'ont pas d'autres informations que celles qui leur parviennent par un moyen ou un autre, mais rarement fiables.

On nous a aussi proposé d'accueillir une réunion d'importants organes de presse. Nous avons dit là encore : venez donc. Un bon nombre de ces organes de presse, mais pas tous, ont critiqué la politique de blocus, certains nous sont hostiles, mais nous n'avons pas peur. De notre côté, nous n'y voyons aucun inconvénient.

En revanche, les hommes d'affaires n'ont pas eu le droit de venir.

Autrement, ces gens-là utilisent contre nous tous les moyens, toutes les ressources, nous livrant une guerre politique, idéologique et économique implacable, disant des mensonges de toute sorte, comme celui que je viens de vous citer. Et si je les fais, c'est pour que vous soyez bien informés et que le reste de la population le soit, ainsi que les concitoyens de Guantánamo et des autres endroits qui possèdent l'électricité et qui peuvent voir en ce moment la télévision.

Inutile de dire que les mesures que nous avons adoptées constituent un gros sacrifice pour les plans que nous développons afin de surmonter nos difficultés actuelles. Mais il était prioritaire de s'occuper de la population.

Je vous parlais donc des aides. Certaines promesses existent. Je vous en parlais à propos de l'action constructive de cette Nord-Américaine qui préside le Programme alimentaire mondial. Elle cherchait donc vingt millions de dollars, ce qui prouve un effort de coopération sincère de la part d'une institution qui doit faire face à un grand nombre de demandes. Vingt millions de dollars, donc, pour aider notre pays à cause de la sécheresse. Mais le hic, comme je vous l'ai raconté, c'est que le gouvernement de Washington, qui fournit une partie de cette aide à travers le PAM, tient à préciser qu'il s'agit d'un don des Etats-Unis. Alors, nous lui avons dit : non, s'il vous plaît, que votre organisation fasse tous les efforts possibles, qu'elle collecte tout ce qu'elle peut, qu'elle cherche les fonds là où elle le souhaite, mais nous n'acceptons aucune aide nominale des Etats-Unis.

Ces institutions des Nations unies collectent des fonds de différentes provenances, mais nous avons dit sans ambages : nous n'acceptons pas dans ce programme de vingt millions l'aide provenant du gouvernement nord-américain au titre de don à Cuba. Et le PAM continue de chercher des fonds pour aider Cuba.

Une autre institutions des Nations unies, la FAO, a fait de nobles et généreuses contributions alimentaires à Cuba tout au long de ces années.

D'autres pays ont parlé d'une aide déterminée. L'Espagne a, que je sache, offert spontanément un million de dollars; d'autres pays nous ont offert de l'aide, parfois cent mille dollars, et d'autres encore peuvent nous offrir une certaine collaboration. Mais nous savons que les conséquences des graves dommages causés par une sécheresse intense et prolongée, plus ceux de l'ouragan qui a traversé tout le pays, nous devons y faire face essentiellement avec nos propres ressources, comme je l'ai dit l'autre jour. Nous chercherons des solutions, quels que soient les dommages causés par l'ouragan, en puisant dans nos propres forces et en faisant tous les sacrifices nécessaires. Nous distribuerons gratuitement toute l'aide que nous recevrons de l'extérieur, en plus des quantités modestes, mais qui nous coûtent, que nous avons décidé d'acquérir nous-mêmes.

Nous avons même dit : nous préférons qu'on donne la priorité à la République dominicaine et à Haïti, des pays frères gravement touchés. Et là-dessus, j'ai quelque chose à dire.

L'ouragan a terriblement frappé la République dominicaine, parce qu'il avait alors des vents de deux cents kilomètres-heure et qu'il l'a traversée juste par le milieu, avec des pluies intenses, les fleuves en crue. Bref, des dégâts terribles. Voilà encore deux jours, seule la capitale avait de la lumière, mais pas le reste du pays. D'après nos informations, ils mettront au moins dix ou douze jours à la rétablir, parce que les dommages ont été grands dans le réseau électrique, le réseau de communication, les routes, les logements, l'agriculture. Les vents ont soufflé en continu à 200 km/h, et les dommages doivent avoir été dévastateurs. On a déjà dénombré, si je ne me trompe pas, environ deux cents morts, une centaine de disparus, et il est très probable que ces chiffres augmentent à mesure que les communications seront rétablies. Les autorités chiffrent les dommages économiques à 1,2 milliard de dollars.

On est sans nouvelles d'Haïti, parce qu'on n'a pas pu établir la communication. Même pas le gouvernement dominicain. Je le sais parce que j'ai eu une conversation téléphonique, voilà deux jours, avec son président, qui s'est intéressé à notre situation et à qui j'ai expliqué tout ce qui était arrivé. Il m'a expliqué de son côté, longuement, les dommages que le pays a souffert, et la situation.

Je ne vais pas vous raconter cette conversation, qui a été assez intéressante. Nos voisins d'en face l'ont sûrement enregistrée, parce qu'il n'y a pas une seule conversation téléphonique partant d'ici qu'ils n'enregistrent, et ils dépensent des milliards pour ça tous les ans. Je dois de toute façon être discret sur cette conversation, qui a été normale dans des conditions pareilles.

Les Dominicains nous avaient demandé une collaboration. Bon, avant, je vais terminer mon idée. Donc, l'ouragan a fait de très gros ravages. Il a dû sûrement en faire de très gros en Haïti. Tout ce qu'on sait pour l'instant, c'est qu'il y a eu une centaine de morts et une soixantaine de disparus. Et le bilan sera sûrement plus élevé quand les communications auront été rétablies et qu'on saura ce qui s'est passé.

Les pluies ont dû être fortes en Haïti. Le cyclone apportait une humidité telle qu'après être passé au-dessus des montagnes, les pluies ont dû redoubler. En tout cas, c'est généralement ce qui se passe. Les vents n'ont sans doute pas été aussi violents. Mais je ne peux rien en dire, faute d'informations et à cause de l'impossibilité d'établir des communications avec Haïti. Le président de la République dominicaine, qui est pourtant voisine, n'a pas pu y arriver non plus. Bref, on ne sait toujours rien.

L'ouragan a aussi causé des dégâts à Porto Rico, et nous avons envoyé un télégramme de solidarité avec le peuple de l'île. Mais il a aussi causé des ravages dans les petites îles plus à l'est : la Guadeloupe, Saint-Martin, Antigua-et-Barbuda, Saint-Kitts-et-Nevis, la Dominique. Les deux dernières sont des pays indépendants membres de la Communauté des Caraïbes. La Guadeloupe, elle, est un Département français d'outre-mer, et Saint-Martin est divisée, je crois, en un partie française et une partie hollandaise. Il y a aussi Montserrat, une colonie anglaise.

Je saisis l'occasion pour transmettre, en votre nom et au nom du peuple cubain, aux citoyens de tous ces pays : Porto Rico, Saint-Martin, la Guadeloupe, Monserrat, Antigua-et-Barbuda, Saint-Kitts-et-Nevis, et la Dominique, nos sentiments de solidarité, en leur disant que nous regrettons ce qui s'est passé et si nous pouvons collaborer a quelque chose, nous sommes prêts à le faire (applaudissements).

Mais là-dedans, il y a des différences. Porto Rico, vous le savez, est une colonie des Etats-Unis envers laquelle ceux-ci ont des obligations morales. Ils l'ont d'ailleurs déclarée zone de désastre et on peut supposer que les Porto-Ricains disposeront des ressources nécessaires pour relever leur pays où l'ouragan a causé de gros dégâts dans les logements et dans d'autres secteurs. La Guadeloupe, en tant que département français, pourra compter logiquement sur les ressources abondantes de la France pour se redresser, ainsi que Saint-Martin et Monserrat, de la part de la France, de la Hollande et de la Grande-Bretagne.

Oui, mais reste ce qui n'ont pas ces ressources. En tout premier lieu, Haïti, où la pauvreté est terrible, dont l'étendue est réduite mais où vivent sept millions de personnes. Les îles antillaises indépendantes comme Antigua-et-Barbuda ne peuvent compter que sur la collaboration que peuvent leur offrir les autres pays antillais. Saint-Kitts-et-Nevis, dont le président nous a rendu visite récemment, la Dominique, tous ces pays ont d'excellentes relations avec nous, mais qui peut leur garantir quoi que ce soit, eux ?

Il est vrai que ces pays, tout comme la République dominicaine et Haïti, ont une possibilité que nous n'avons pas, nous, à savoir demander un prêt concessionnel à la Banque mondiale ou à la Banque interaméricaine de développement, ou à d'autres institutions, sur quinze ou vingt ans, à un taux d'intérêt minimum et avec un certain nombre d'années de différé de paiement. C'est d'ailleurs ce que nous leur suggérons de faire. Cela leur permettra de reconstruire les logements et le reste. Les îles plus petites comptent des hôtels, vivent du tourisme, je ne sais quels dommages l'ouragan y aura causés. Ces hôtels appartiennent généralement à des sociétés étrangères, dont beaucoup ne paient même pas d'impôts pendant un certain temps et qui ne procurent que des emplois. Pour ces pays, c'est mieux que rien, bien entendu, car ils n'ont pas beaucoup de ressources. Voilà pourquoi je tiens à exprimer ici publiquement que les organismes financiers internationaux de crédit peuvent et doivent les aider, car ils souffert de gros dégâts.

Les pays indépendants dont j'ai parlé disposent de sources d'approvisionnement plus proches en aliments. Les Etats-Unis, par exemple, qui ont des excédents de grains et de divers matériaux. Nous, en revanche, nous devons acheter plus loin, ce qui cause des problèmes de transport, en plus du fait qu'on ne trouve pas toujours tout.

Bien. Nous sommes entrés en communication avec la République dominicaine qui, vendredi, le jour de l'inauguration du Congrès, a adressé un message à différents pays, dont le nôtre, pour expliquer que le pays avait souffert une calamité et pour demander de la coopération. En fait, nous n'avons pas beaucoup de ressources, vous le savez bien, et ils le comprennent, eux, comme tout le monde le comprend, car nous venons de souffrir la sécheresse et l'ouragan. Mais nous nous sommes dit : nous ne pouvons pas nous croiser les bras, nous contenter de leur dire que notre situation est très dure, alors que nous pouvons cependant coopérer d'une certaine manière. Et voilà pourquoi, dès samedi, nous leur avons répondu que nous étions prêts à envoyer une brigade de médecins à l'endroit le plus reculé et le plus difficile, mais en veillant à empêcher la moindre jalousie professionnelle de la part des médecins dominicains, ce dont je doute beaucoup, d'ailleurs; nous n'allons faire concurrence à personne là-bas, il s'agit simplement d'un geste de bonne volonté, de réponse, car, dans une situation d'urgence comme celle-ci, nos médecins peuvent aller n'importe où et prêter des services utiles.

Le gouvernement dominicain est entré en contact vendredi avec notre ministère des Affaires étrangères, et nous leur avons répondu samedi que nous étions prêts à envoyer des médecins. Saint-Domingue a accepté aussitôt, et, hier, dimanche, un IL-18 a décollé à neuf heures du matin - ce sera un des premiers avions à atterrir là-bas - emportant une équipe de treize spécialistes, deux tentes qui permettront d'installer un petit hôpital de campagne, des instruments, une dizaine de lits, les lits de camp de notre personnel, quelque équipements et les ressources nécessaires pour soigner les patients, dont du plasma, des médicaments, etc. Ce ne sont pas des dépenses très élevées. Le total des médicaments, par exemple, doit s'élever à 40 000 dollars. Je le dis franchement, sans rien cacher.

Certains vont critiquer, ceux qui ne comprennent pas ce sens élémentaire de la solidarité (applaudissements), ceux qui ne comprennent pas ce qu'est la morale, ce que signifie l'exemple que peut donner un pays touché sérieusement par un ouragan, qui est resté ici plus longtemps qu'ailleurs, et par une grave sécheresse, en dépensant l'équivalent de... C'est bien ça, Dotres, n'est-ce pas ? (Dotres lui répond que les dépenses se montent à entre 40 000 et 50 000 dollars.) Supposons donc que ce soit 50 000, même s'il s'agit d'une part de ce qu'on nous envoie à nous.

Nous sommes en butte à un blocus, nous ne pouvons pas aller acheter rapidement une marchandise en Floride, des grains, ou n'importe quoi, avec des frais de transport minimes, et nous ne pouvons pas bénéficier de crédits d'aucune banque, d'aucun de ces organismes internationaux. Ce que nous avons, en revanche, c'est nous-mêmes : un peuple blanchi sous le harnois, un peuple vétéran, un peuple aguerri, un peuple organisé, un peuple protégé. Voyez donc les coordonnées des personnes qui sont décédées : pas un enfant, pas un adolescent, pas un jeune ! Et, malgré nos difficultés et nos pénuries, nous envoyons l'aide dont j'ai parlé à la République dominicaine, sous la responsabilité de la Révolution et avec votre soutien (applaudissements). C'est ça qui est important.

Les dépenses concernent l'essence de l'avion, quelques petits appareils qui permettent même de faire de la chirurgie ponctuelle, le maintien du personnel aussi longtemps qu'il le faudra. Mais nous sommes très conscients de ce que signifie moralement ce geste de Cuba. Les Dominicains ne vont pas mesurer le volume de l'aide, mais le geste en soi. Si nous sommes disposés à aider un pays qui a été plus gravement touché que nous, je crois que nous ne prêchons pas seulement en bonnes paroles : nous prêchons d'exemple !

Nous faisons confiance en la qualité des spécialistes qui sont partis, et nous espérons qu'ils sauveront beaucoup de vies.

Mais le problème fondamental des Dominicains est le problème matériel. Notre geste est pratiquement symbolique, à quoi il faut ajouter les frais de combustible de l'avion, les équipements, l'hôpital de campagne.

Les médecins sont partis de La Havane, dimanche, à neuf heures du matin, et, aujourd'hui, lundi, ils doivent déjà être installés à l'endroit prévu, à Barahona, non loin du village de Baní où est né Máximo Gómez. Que c'est beau que nous puissions donner un peu de notre sang - tiré de ces dons que vous stimulez comme CDR - un peu de plasma à nos frères dominicains, au pays de naissance de Máximo Gómez ! (Applaudissements.)

À propos, le président dominicain m'a dit : «Je vais te donner une bonne nouvelle, au milieu de tout ça : ton village de Baní n'a que très peu souffert.» Une montagne doit l'avoir protégé des forces du vent. En revanche, Barahona, où se rendent les médecins - sur la côte, en allant de Baní vers la frontière haïtienne, l'endroit choisi par les autorités dominicaines - a terriblement souffert des ravages de l'ouragan. Et puis, aussi, la ministre de la Santé est allé accueillir notre brigade à l'aéroport. Ils ont confié la brigade à un vice-ministre, et j'espère qu'elle fera du bon travail, dont la valeur est, je le répète, fondamentalement morale et qui donne de l'autorité à notre pays pour parler de ces choses-là.

Et je vais ajouter quelque chose. Il reste Haïti. On parle d'une centaine de morts et d'un certain nombre de disparus, dont beaucoup finiront sans doute sur la liste des morts. Oui, ce cyclone a provoqué une centaine de morts. Pourquoi n'aide-t-on pas ce pays ? Je pose la question à la communauté internationale. Pourquoi n'aide-t-elle pas ce pays ? Et veut-elle savoir combien elle pourrait sauver de vies humaines ? Eh bien, je vais saisir cette occasion dramatique du cyclone pour en parler.

Les cyclones rendent les choses plus dramatiques, mais il faut savoir que ce pays est en butte en permanence à un cyclone comme celui-ci, ou pire, qui tue en un jour autant de gens. Et je me fonde sur des données précises, exactes.

Je demande à la communauté internationale : voulez-vous aider ce pays, envahi et occupé militairement voilà encore peu de temps ? Voulez-vous sauver des vies ? Voulez-vous donner une preuve d'esprit humanitaire ? Eh bien, parlons-en donc, de l'esprit humanitaire et des droits de l'homme !

Nous lui disons : nous savons comment on peut sauver 15 000 vies tous les ans ou en deux mots, nous savons comment on peut sauver 25 000 vies en Haïti tous les ans. Pour cela, il suffit de savoir que le taux de mortalité infantile entre 0 et 5 ans s'élève à 135 pour 1 000 naissances vivantes. Je répète : 135 enfants de 0 à 5 ans pour 1 000 naissance vivantes tous les ans.

Un programme de santé - j'en ai parlé avec des dirigeants politiques de ce pays qui nous ont rendu visite - pourrait sauver 15 000 de ces enfants de 0 à 5 ans, et, en calculant au plus juste, 10 000 autres de 5 à 15 ans, ainsi que des jeunes et des adultes. Et ce sans de grands frais.

Pourquoi, à partir de cette amère expérience, de ces dommages qu'a soufferts le pays et qui nous rappelle la longue tragédie de ce peuple, ne l'aide-t-on pas dans ce domaine ?

Partant donc de la prémisse que le gouvernement et le peuple haïtiens accepteraient avec plaisir une aide importante et vitale dans ce domaine, Cuba propose, à supposer que le Canada, par exemple, qui a des relations étroites avec Haïti, ou la France, qui a des relations historiques et culturelles étroites avec lui, ou les pays de l'Union européenne qui sont en train de s'intégrer et qui disposent désormais de l'euro, ou le Japon fournissent les médicaments, nous proposons de mettre les médecins à la disposition de ce programme (applaudissements), tous les médecins nécessaires, même s'il faut envoyer une promotion entière ou l'équivalent.

Notre pays, qui compte plus de 60 000 médecins et qui peut dire avec fierté qu'il possède le taux d'habitants par médecin le plus bas au monde, qui a formé des médecins en calculant même les besoins du tiers monde où il a envoyé un grand nombre de ses professionnels, qui a même fondé des facultés de médecine dans plusieurs d'entre eux, dispose des médecins suffisants pour le programme qu'il propose.

J'ai eu une réunion avec ceux qui exercent en Afrique du Sud, et j'ai eu la preuve éloquente que la question de la langue n'est pas un obstacle. Nos 400 médecins qui sont partis en Afrique du Sud ont dû étudier l'anglais et passer un examen sévère, et certains même exercent comme professeurs. Je sais combien on les apprécie, au point que chaque village réclame des docteurs cubains. Or, quand ils sont arrivés sur place, dans les villages, ils ont constaté que personne n'y parlait anglais ! Et ils ont dû en très peu de temps s'adapter à la situation et apprendre le dialecte des villages. Et ils prêtent d'excellents services. Eh bien, puisqu'on parle français ou créole en Haïti, les médecins apprendront en cours de route avec quelques leçons, avec quelques livres, la terminologie nécessaire pour se faire comprendre des patients. Ce n'est pas un problème, l'anglais est plus compliqué.

On peut d'ailleurs citer un autre exemple. Des dizaines et des dizaines de milliers d'Haïtiens sont venus à Cuba, dans les premières décennies de ce siècle, pour couper la canne et travailler quasiment comme des esclaves, et la langue ne les a pas empêchés de couper toute la canne à sucre dont avaient besoin les transnationales nord-américaines et ceux qui les employaient. Pour les exploiter, ceux-ci n'avaient pas besoin de connaître leur langue, pas plus que les négriers anglophones ou hispanophones n'avaient besoin de connaître celle des villages africains pour en enlever des millions et des millions d'habitants, les réduire en esclavage et les amener de ce côté-ci de l'océan où ils ont créé des fortunes fabuleuses pour leurs maîtres.

Pour soigner un malade et sauver des vies, il n'est pas besoin de connaître au préalable la langue des villages. L'histoire l'a prouvé, sans parler de notre expérience récente.

Le plus difficile dans ces programmes est d'avoir le personnel requis, et nous l'avons. Je suis sûr que les volontaires ne manqueront pas parmi nos jeunes médecins, j'en suis absolument convaincu (applaudissements prolongés). Ce sont des médecins qui partent dans les montagnes, qui partent dans les campagnes, qui partent n'importe où. Ils sont même dans les villages sud-africains ! (Quelqu'un du public lance : «Et du sang, s'il le faut !». Applaudissements.)

Je saisis l'occasion, alors que ces populations sont encore traumatisées par ce qui s'est passé, pour proposer ce programme qui serait dirigé par une institution des Nations unies, l'Organisation mondiale de la santé.

Ce n'est pas de soldats dont a besoin Haïti, ni d'invasion de soldats. Ce dont a besoin Haïti, c'est, pour commencer, d'invasions de médecins, et puis après, d'invasion de millions de dollars pour son développement. Ça, nous, nous ne les avons pas; ce sont les organismes internationaux qui en ont, et plus qu'il n'en faut : la Banque mondiale, les autres institutions, et l'Occident, aussi, et ils ont les capacités suffisantes pour donner un exemple d'humanité. Haïti fait partie des pays les plus pauvres du monde et il est le plus pauvre d'Amérique latine, incontestablement : peu d'espace, des terres érodées, des montagnes déboisées, des pêcheries épuisées. Et pourtant Haïti a fait l'objet d'accords des Nations unies, d'invasions militaires autorisées par les Nations unies et exécutées par des brigades aéroportées des Etats-Unis.

Ce n'est pas de brigades aéroportées dont a besoin ce pays-là; ce dont il a besoin, et désespérément, ce sont des brigades de médecins ! Les médecins, nous pouvons les fournir, nous. Que d'autres envoient les enseignants, que d'autres envoient les ressources scolaires indispensables, l'infrastructure pour les hôpitaux et pour le développement du pays. Pour quand va-t-on le laisser ?

Et qu'on ne nous dise pas que nous allons là-bas endoctriner les Haïtiens, parce que nos médecins n'endoctrinent jamais personne dans les villages sud-africains, ni dans les dizaines et les dizaines de pays où ils ont travaillé, à commencer par l'Algérie, très tôt. Car les premiers médecins qui sont partis à l'étranger, ils sont allés de fait en Algérie, tout au début de son indépendance. A une époque où nous n'avions plus que trois mille médecins, parce que la Révolution leur avait ouvert les portes des Etats-Unis qui voulaient laisser notre peuple sans médecins : sans la Révolution, les Etats-Unis n'auraient délivré aucun visa à ceux qui n'avaient pas d'emploi ici au jour de la victoire, sans même la possibilité d'aller ailleurs. C'est en Algérie que s'est déroulée la première mission internationaliste de nos médecins. Depuis, environ 25 000 médecins et personnels de santé ont travaillé dans des dizaines et des dizaines de pays du monde.

Voilà donc notre proposition. Nous la soumettons aux pays ou aux groupes de pays que j'ai mentionnés, indépendamment de l'appel que j'ai lancé pour qu'ils aident Saint-Domingue et les autres îles que j'ai signalées.

Mais le cas, le cas vraiment critique, c'est Haïti. Un exemple on ne peut plus clair de la façon dont on pourrait, avec un programme de santé relativement modeste, sauver 15 000 enfants de moins de cinq ans rien qu'en réduisant la mortalité entre ces âges à 35 décès pour 1 000 naissances vivantes. Notre taux à nous est de 9,4, presque quatre fois moins. Réduire ce taux à moins de 20 exige une médecine plus perfectionnée, mais le réduire jusqu'à 35 ou 20 est relativement facile.

Combien de mères mourant en couches pourrait-on sauver, et combien de personnes de tous âges mourant de maladies infectieuses typiques de ces pays si pauvres, ou d'autres maladies qu'on peut parfaitement prévenir et soigner ? Je calcule au plus bas et j'offre aujourd'hui à la communauté internationale la coopération de Cuba pour sauver chaque année non moins de 25 000 vies, dont l'immense majorité sont des enfants. Si on ne fait pas ce genre de choses dans le monde, quel sera son destin ?

Le personnel, nous l'avons. Le coût n'est pas économique, il est humain. Nous comptons les hommes et les femmes capables d'exécuter ce programme. Si les pays concernés daignent écouter mes paroles, cette proposition, alors, qu'ils entrent en contact avec nous quand ils le souhaitent pour pouvoir réaliser sans retard une étude de ce dont ce pays-là a besoin pour se sauver. Ce dont il a besoin, bien entendu, c'est de médecins et de médicaments.

J'espère qu'on comprendra que nous ne souhaitons pas jouer le rôle protagoniste, car tout serait subordonné à l'OMS. Et puis, qu'on se rassure, nous n'allons endoctriner personne, parce qu'il est bien difficile de le faire avec un bébé de six mois, ou un enfant d'un an, de deux, ou de cinq ou de sept ans, en questions de marxisme-léninisme, ou en théories communistes ou en subversion politique. D'autant que nos médecins ne l'ont jamais fait dans aucun des dizaines des pays du tiers monde où ils ont exercé et sauvé d'innombrables vies.

Maintenant, si vous me concédez un petit peu de temps de plus, je voudrais, après avoir terminé les choses que je voulais vous dire, vous expliquer la grave, la sérieuse situation économique internationale. Nous y sommes tous en plein dedans, et personne n'en pourra accuser le communisme, ni le socialisme. La faute, elle en incombe, de pied en cap, au capitalisme et à ses célébrissimes économies de marché, à l'ordre mondial qu'il a imposé.

Voilà pourquoi j'ai apporté avec moi quelques documents, dont je vais utiliser certains paragraphes, sur la situation économique. Mais je vais d'abord vous lire, si vous me le permettez, deux paragraphes du discours que j'ai prononcé à l'0MC à Genève - le jeune garçon, Rainer, qui a pris la parole ici, doit le savoir - le 19 mai dernier. Je m'étais rendu compte de l'euphorie qui régnait là-bas, des choses qui s'y mijotaient - si quelqu'un est intéressé, il a été publié dans le Granma, et si vous ne l'avez pas sous la main, il se trouve en bibliothèque. Je vais donc vous en lire un paragraphe : «Par ailleurs, les Etats-Unis possèdent le curieux privilège de frapper la monnaie dans laquelle les banques centrales et les banques commerciales du monde entier conservent le gros de leurs réserves en devises. Comme c'est la nation où les citoyens épargnent le moins, ses sociétés transnationales achètent les richesses du monde entier avec l'argent qu'épargnent les ressortissants des autres nations, et dans des billets que le gouvernement imprime sans la couverture en or convenue à Bretton Woods et éliminée unilatéralement en 1971.»

Et je concluais mon allocution comme suit. Ecoutez bien : «Nul ne peut prédire, au milieu d'une telle euphorie, jusqu'à quand le système économique des Etats-Unis, présidé par les lois aveugles de l'économie de marché, pourra empêcher la baudruche financière de se dégonfler. Les miracles économiques n'existent pas, la preuve en est faite. Les cours, gonflés jusqu'à l'absurdité, des actions boursières de cette économie-là ne peuvent, même si elle reste sans doute la plus forte du monde, se soutenir. Dans de telles circonstances, l'Histoire ne fait jamais d'exception à la règle. La seule différence, c'est qu'une grande crise serait maintenant mondiale et aurait des conséquences incalculables, ce que personne - même les adversaires, au rang desquels je me compte, du système en place, ne saurait souhaiter.»

Et j'avais ajouté : «Il vaudrait la peine que l'OMC apprécie ces risques-là et inscrive à son ordre du jour, parmi ce qu'elle appelle les "nouveaux thèmes", le suivant : "Crise économique mondialisée : que faire ?"»

C'était le 19 mai. Et les événements se sont produits et précipités.

Trois mois et dix jours plus tard, le 29 août 1998, une revue anglaise de grande prestige, The Economist, conservatrice, traditionnelle, partisan du système et de toutes ces théories si en vogue, publiait un article intitulé : «Dans une si mauvaise passe ?», dont le sous-titre d'ensemble affirme : «Une récession mondiale peut, tout dépend de la définition que vous lui donnez, avoir d'ores et déjà commencé.» L'article constate, entre autres choses : «L'économie mondiale ressemble à un avion qui aurait perdu deux de ses quatre moteurs, tandis qu'un troisième commence à avoir des ratés... Le rouble russe descend en piqué. L'Amérique latine risque d'être la prochaine région à connaître des convulsions. Last but no the least, Wall Street continue d'osciller...»

L'article poursuit un peu plus loin : «Si Wall Street s'effondre, entraînant dan sa chute l'économie mondiale, le blâme en retombera assurément sur les investissements réalisés de façon irréfléchie en Asie. N'empêche que la fragilité actuelle de la bourse des Etats-Unis a aussi beaucoup à voir avec l'irréflexion à domicile. Malgré ses baisses récentes, Wall Street reste en expansion par rapport aux standards historiques, comme si les investisseurs jugeaient que les actions ordinaires étaient plus sûres maintenant que voilà quelques années en arrière, ce qui est faux de toute évidence.»

Le problème, c'est que la valeur de ces bourses s'est multipliée géométriquement de façon fabuleuse, exactement - mais alors exactement ! - comme dans les mois qui ont précédé la crise de 1929. Nous avions demandé à ce sujet aux chercheurs de l'Institut de l'économie mondiale de réunir toute l'information et de faire une analyse comparée. Eh bien, il n'y a rien de plus ressemblant aux mois ayant précédé le fameux krach de 1929, qui avait provoqué une récession qui a duré plus de dix ans, que ce qui se passe actuellement dans les bourses nord-américaines. On dirait une copie conforme. Le hic, c'est que la crise de 1929 avait eu des répercussions très graves, tandis que celle-ci, dans une économie mondialisée, serait bien pire.

J'ai d'autres articles de cette même revue, traditionnelle, conservatrice, je le répète. Nous souhaiterions d'ailleurs qu'elle envoie un collaborateur à la réunion d'économistes que nous allons organiser en janvier, pour discuter en profondeur de ces questions.

J'ai un autre article intitulé : «En pleine fonte ? », du 5 septembre, qui affirme notamment : «La crise économique mondiale continue d'empirer. La dernière horreur en date, l'effondrement de la Russie, peut sembler insignifiant, parce que son économie n'est qu'un gringalet dans le monde. N'empêche qu'il s'agit d'un tournant : la maladie qui est partie d'Asie se répand toujours, réclamant des victimes toujours plus loin.»

On peut lire ensuite, sous le sous-titre : «Chance et jugement», ce qui suit : «Une récession mondiale apparaît comme pensable, voire plausible, pour la première fois depuis le début des années 80. De fait, le danger est encore plus grand qu'alors, en quelque sorte.» Elle ne parle toujours pas de la crise de 1929, mais d'une autre, assez sérieuse, mais qui n'avait pas atteint les conséquences calamiteuses de celle de 1929. «Une bonne partie du monde est désormais plongée dans la récession; la chance est que le pire n'est pas encore arrivé pour beaucoup des grosses économies de marché émergentes... pour ne pas mentionner une poignée de producteurs de produits de base des pays riches, dont les recettes d'exportation se sont effondrées.» C'est là un phénomène actuel qui a aussi précédé d'autres crises, dont celle de 1929, autrement dit l'effondrement des cours des produits de base, ce qui veut dire, entre bien d'autres, le café, le cacao, les minerais, l'aluminium, le cuivre, le zinc, le nickel - ça, ça nous concerne, parce que les cours du nickel ont chuté de moitié par rapport à quelques années et permettent bien difficilement de récupérer les coûts de production. Les cours du pétrole, un autre des produits de base de nombreux pays, ont aussi beaucoup baissé et ses producteurs font des manoeuvres désespérées pour les relever.

L'article poursuit : «Au milieu de la semaine, Wall Street s'est retrouvé environ 15 p. 100 plus bas que son plafond de juillet. Néanmoins, même à ces cours, les actions ordinaires nord-américaines restent chères.» C'est bien là le problème : hyper-élevées. «Si le marché descendait d'encore 20 p. 100, le choc pour les consommateurs nord-américains pourrait suffire à mettre fin à la longue expansion du pays. Ce qui balaierait tous les espoirs de voir les Etats-Unis sortir le monde de ses problèmes.»

Je ne vous ai lu que quelques paragraphes.

Voici un autre article du même numéro, intitulé : «Sur le fil du rasoir» et dont le chapeau signale : «Les risques d'une profonde récession mondiale augmentent...» En voici quelques extraits : «L'économie mondiale s'est retrouvée encore plus dangereusement déséquilibrée ce mois-ci que durant toute l'année dernière. A la réunion annuelle de la Banque de réserve fédérale de Kansas City, tenue ce week-end à Jackson Hole dans le Wyoming, quelques banquiers centraux admettaient en privé que l'économie mondiale traversait les pires conditions qu'ils aient jamais connues dans leur vie... Le Japon et la plupart des autres pays d'Asie de l'Est se trouvent dans une profonde récession. On prévoit que le PIB chutera d'au moins 15 p. 100 cette année en Indonésie, et de 6 à 7 p. 100 en Thaïlande et en Corée du Sud. Le gouvernement russe, quant à lui, n'honorera pas sa dette, et sa situation déjà difficile empire jour après jour. La Chine pourrait tenter de contrecarrer le brusque ralentissement de son économie en dévaluant son taux de change, tandis que le dollar de Hong Kong est soumis à de sévères pressions. L'Amérique latine est au bord du précipice... Même des économies développées, comme la Grande-Bretagne et le Canada, ralentissent. Et Wall Street a chuté brusquement par rapport à son plafond. De fait, la chute du cours des actions a provoqué un manque à gagner de presque 4 billions de dollars dans la richesse financière mondiale, soit l'équivalent du PIB japonais, durant les deux derniers mois.»

Autrement dit, rien qu'en deux mois, la richesse financière mondiale, du fait de la chute des actions, a diminué de presque 4 millions de millions. Cette richesse mondiale, mesurée selon la valeur des actions, fluctue, mais la tendance à la baisse s'est manifestée fortement. Ecoutez bien : 4 millions de millions, ce qui ferait en français 4 billions de dollars, mais je dis 4 million de millions pour que ce soit compréhensible dans toutes les langues. En combien de temps ? En deux mois.

Quand avons-nous parlé de cette perspective ? Le 19 mai. Nous le disions depuis bien avant, mais nous ne l'avions jamais fait devant un organisme international, en présence de ministres de l'Économie ou du Commerce de tous les pays membres de l'OMC. Mais l'euphorie régnait à l'époque. Maintenant, il ne s'agit plus seulement de ce que j'ai dit, moi. Les plus prestigieux défenseurs du système l'affirment aussi..

The Economist poursuit : «Le taux de croissance moyenne de la production mondiale a été de 4 p. 100 en 1996 et 1997, mais la banque nord-américaine J-P Morgan, prévoit une croissance de seulement 1,5 p. 100 cette année-ci et de 1,7 p. 100 la suivante... Si ces prédictions sont correctes, il s'agirait du même taux de croissance biennal qu'en 1981-1982, autrement dit la pire "récession" de l'économie mondiale depuis les années 30... L'implosion de la Russie a provoqué une nouvelle étape dans la crise des marchés émergents. Son économie ne représentant que 2 p. 100 de la production mondiale, l'impact direct en sera faible sur le commerce et la production mondiaux. Mais les effets indirects - à travers les marchés des produits de base, la confiance des investisseurs, le coût du capital - s'avèrent bien plus forts. Arrivant au sommet d'autres troubles financier, le triste état de la Russie pourrait être la goutte d'eau qui fait déborder le vase. L'épidémie s'étend loin et en profondeur : à l'Europe de l'Est, à l'Afrique du Sud et à l'Amérique latine. Le Venezuela risque de se voir bientôt contraint de dévaluer sa monnaie. L'économie du Brésil ne se trouve pas dans une passe aussi difficile que celle de la Russie, mais on y retrouve quelques vilaines ressemblances, dont la moindre n'est pas un fort déficit budgétaire (7 p. 100 du PIB). Le Brésil a souffert une grave saignée de capitaux ces dernières semaines... Les cours des produits de base industriels se trouvent à leur plus bas niveau en termes réels depuis les années 30...»

Ces produits de base si souvent mentionnés sont les exportations fondamentales des pays du tiers monde, bien que certains pays développés en exportent quelques-uns, comme des minerais déterminés.

«... ce qui a touché sévèrement leurs producteurs, non plus seulement en Amérique latine et en Afrique, mais même en Australie et au Canada. »

Bref, les conditions se réunissent.

«La baudruche se dégonfle. La retombée la plus alarmante du dernier tourbillon russe est peut-être l'effondrement de Wall Street et d'autres marchés développés. Malgré sa reprise du milieu de la semaine, l'indice du Dow Jones industriel - c'est un indice permettant de mesurer la santé de la bourse de New York - reste toujours 17 p. 100 en-dessous de son plafond, balayant ainsi tous les gains de l'année... Mais le plus grand risque que court l'économie nord-américaine n'est pas un ralentissement des exportations, mais une nouvelle grande chute de sa bourse... Il est improbable que l'on tombe de nouveau dans une dépression du style des années 30, quand le PIB des Etats-Unis avait chuté de 30 p. 100 en trois ans. Il existe beaucoup de ressemblances entre aujourd'hui et la fin des années 20, telles que la chute des cours des produits de base et une bourse surévaluée.»

L'article explique ensuite les différences entre les deux époques, le fait, par exemple, que les pays utilisaient l'étalon-or et qu'il était plus difficile d'assouplir la politique monétaire, un argument que le journaliste met dans la bouche d'un économiste connu : «Ceci limita la capacité des gouvernements d'assouplir leur politique monétaire lorsque leurs économies souffrirent une récession après le krach de Wall Street en 1929. Ensuite, les gouvernements doublèrent leur erreur de rareté de l'argent par des politiques fiscales restrictives, même en pleine dépression. Au lieu de permettre que les impôts baissent automatiquement à mesure que les revenus diminuaient, les Nord-Américains les augmentèrent en 1932 pour équilibrer le budget. De nos jours, les gouvernements ont non seulement une meilleure compréhension de la macro-économie, mais maintenant que les dépenses publiques représentent une part bien plus élevée du PIB, ils sont mieux en mesure de stabiliser la demande. La troisième différence entre aujourd'hui et les années 30 c’est qu'il n'existait pas d'organisations globales comme le G-7 ou le FMI pour superviser l'économie mondiale. Le FMI vit le jour en 1944 sur les instance des Nord-Américains pour contrecarrer tout effondrement futur de l'économie mondiale, avec, pour mission, de stimuler la coopération économique mondiale et de fournir une aide financière provisoire aux pays ayant des problèmes de balances des paiements.»

En fait, aujourd'hui, tout le monde est pratiquement soulevé contre le Fonds monétaire international qu'on commence à accuser de tous les désastres qui surviennent. Il faut voir la quantité d'articles que publient toutes ces revues spécialisées et qui constituent presque le nec plus ultra en questions économiques. D'autres, qui ne sont pas de la même ligne, sont encore plus critiques.

Je vous ai lu des paragraphes d'une revue qui serait bien la dernière à dire des choses dont on pourrait supposer qu'elles soient anticapitalistes. Ainsi, dans le dernier argument, elle énumère certains prétendus avantages actuels par rapport à1929. Je vois les leaders du système en train d'inventer des choses pour éviter le pire. Comme nous l’avons dit à des amis, ces gens-là sont horrifiés et tremblent que la crise passe de la Russie au Brésil, et du Brésil au reste de l'Amérique latine.

Ils analysent les conditions du Brésil, caractérisé par un déficit budgétaire élevé, un déficit tout aussi élevé du compte courant, et une monnaie surévaluée, selon eux.

Nous avons eu l'occasion de visiter le Brésil et de converser longuement avec le président de cet énorme pays sur toutes ces questions. Et notre échange d'impressions a été très intéressant. Je ne commets aucune indiscrétion si je commente que le Brésil me semble faire de grands efforts pour éviter la crise, et adopte des mesures draconiennes pour tenter de prévenir et d'éviter une dénouement économique défavorable.

Qu'a donc fait le gouvernement pour empêcher la fuite soudaine des capitaux, éviter la dévaluation de la monnaie et préserver ses réserves ? Eh bien, élever considérablement les taux d'intérêt. Qui sont actuellement à presque 50%. Alors, le déposant fait ses calculs : avec un taux d'intérêt pareil, mieux vaut laisser l'argent dans le pays et obtenir de gros bénéfices plutôt que de le placer dans un autre pays. Un taux d'intérêt annuel de 50% signifie un profit considérable pour les investisseurs, mais aussi un coût élevé pour l'économie du pays, le capital d'exploitation et les investissements nationaux.

Le président m'a expliqué que, même dans l'agriculture, le taux d'intérêt était différencié, autour de 8 ou 9% et qu'on la maintenait plus bas pour la protéger en quelque sorte. Le pays protège aussi autant que faire se peut les industries travaillant pour l'exportation, parce qu'avec un taux d'intérêt aussi élevé dont l'objectif est de protéger le pays des assauts des spéculateurs, aucune industrie n'est compétitive dans le monde. Il m'a aussi expliqué que le gouvernement maintenait en revanche les taux élevées pour les productions non indispensables et plutôt somptuaires. Il m'a expliqué longuement ses points de vue et nous avons pu échanger des opinions. Le gouvernement a pris de nouvelles mesures ces derniers jours, des mesures dures pour réduire le déficit budgétaire, à la veille des élections qui se réaliseront dans quelques jours.

Evidemment, les Etats-Unis sont très inquiets devant le risque que la crise s'étende au Brésil. Et c'est un avantage pour les Brésiliens, et pour les Sud-Américains en général, parce que les Etats-Unis y voient presque la dernière tranchée, après que toutes les autres sont tombés, et parce qu'une crise au Brésil aurait de graves conséquences pour toute l'Amérique latine.

Que se passerait-il alors à la bourse de New York ? Eh bien, ce serait leur tour, leur heure. Il faut supposer que, du point de vue stratégique, ils vont tenter de défendre l'Amérique du Sud et chercher un peu d'argent pour soutenir ses finances. Le Fonds monétaire international, lui, n'a pas de fonds.

Il doit encore régler les problèmes du Sud-Est asiatique. Quant à la Russie, personne ne sait comment ça va s'arranger. Je calcule que la Russie doit avoir besoin de cent milliards de dollars, alors que le Congrès des Etats-Unis s'oppose même à ce que le Fonds lui fournisse à peine 22 milliards. Or, 22 milliards pour la Russie, c'est une goutte d'eau dans le désert. Il est donc probable que les Etats-Unis vont se retrancher en Amérique du Sud, pour leurs propres intérêts, pas pour l'Amérique du Sud, parce que, sans ça, les retombées de la crise toucheraient de nouveau le Mexique, alors les bourses latino-américaines sont toutes à la moitié de ce qu'elles avaient atteint. Je ne crois pas d'ailleurs que cela exerce un effet si catastrophique dans la région, parce que ce sont des bourses plutôt petites, qui n'ont pas le poids énormes des bourses nord-américaines.

C'est fou ce que les actions peuvent valoir aux Etats-Unis, ou plutôt ce qu'elles valaient, parce qu'elles ont diminué, selon la revue, de 17% par rapport au maximum qu'elles avaient atteint. La revue dit aussi, bien entendu, qu'une nouvelle baisse de 15 ou 20% auraient des conséquences terribles.

En tout cas, les actionnaires des bourses nord-américaines ont gagné en quatre ans 9 billions de dollars. Vous imaginez un peu ce chiffre ! Oui, voilà jusqu'où se sont accrues les richesses des actionnaires. En 1929, seuls 5 p. 100 ou moins des Nord-Américains possédaient des actions. En revanche, toutes les caisses d'assurance, toutes les caisses de sécurité sociale, toutes les épargnes des couches moyennes, et même de beaucoup de travailleurs qui ont placé leur argent dans les caisses d'assurance, accumulent d'énormes quantités d'argent qui ont été investi dans une bonne part dans ces actions.

Tout ceci a augmenté les dépenses : plus les gens s'enrichissaient par suite de la hausse de leurs actions, et plus ils dépensaient. C'est un cercle qu'ils appellent un cercle vertueux, mais qui commence à se transformer en un cercle vicieux. Et pourquoi vertueux ? Parce que tous ces actionnaires, en multipliant artificiellement leurs richesses en même temps que leurs dépenses, en achetant toujours plus dans le pays et à l'étranger, en faisant des investissements de toute sorte et partout, donnaient une impulsion à la production et aux services, contribuaient par là à diminuer le chômage et augmentaient le Produit intérieur brut. Il existe d'autres mécanismes, mais je vais tenter de les détailler.

L'essentiel, c'est qu'en ayant plus d'argent, ils achètent comme des dingues. Celui qui a une voiture le change pour une nouvelle, et si l'antérieur valait 15 000 dollars, il en achète une de 20 000, et l'autre achète un yacht, etc. Ils dépensent de tout et achètent de tout.Comme le marché interne se monte à 270 millions de personnes, le poids des 50 p. 100 d'actionnaires en bourse a beaucoup d'incidence sur la demande de productions et de services.

La balance des paiements, ça n'a jamais été un problème pour les Etats-Unis qui paient en bons du Trésor. C'est le seul pays au monde qui peut s'offrir le luxe d'enregistrer un déficit commercial de 100 ou 200 milliards de dollars et d'acheter toutes les matières premières, tout ce dont il a besoin, le seul au monde, parce que, entre autres choses, l'étalon-or a disparu et que les billets de ce pays et ses bons du Trésor sont devenus les monnaies et les valeurs de réserves.

À l'époque de l'étalon-or, quiconque avait des dollars pouvait réclamer l'or qu'ils valaient, et certains le faisaient. Mais comme, pendant la guerre du Viet Nam, les Etats-Unis ont perdu les deux tiers de l'or qu'ils avaient accumulé après la seconde guerre mondiale, ils ont décidé de supprimer l'étalon-or, autrement dit le droit des possesseurs de dollars de réclamer l'or correspondant, sinon ils se seraient retrouvés sans une once d'or. Mais le monde n'a pas eu d'autre solution que de continuer d'utiliser ces billets comme instrument de change universel et monnaie de réserve.

Par ailleurs, beaucoup de gens déposaient leur argent dans des banques nord-américaines. Ce sont les Japonais qui ont placé le plus d'argent ou acheté le plus de bons du Trésor qui portent un taux d'intérêt donné. Quand la panique se répand et que les actionnaires prennent peur, ils vendent leurs actions, mais pas pour acheter de l'or. Non, pour acheter des bons du Trésor nord-américains qui ont maintenu traditionnellement leur valeur. Les USA se sont arrangés pour la maintenir, à partir des gros avantages qu'ils avaient acquis pendant les deux guerres mondiales de ce siècle d'où ils sont sortis fantastiquement enrichis chaque fois, en s'y engageant à la fin, sans jamais souffrir le moindre dégât matériel, accumulant des richesses énormes et enregistrant un développement économique considérable.

À la fin de la seconde guerre mondiale, les USA étaient le seul pays industriel resté intact : le Japon n'existait plus, l'URSS était détruite, l'Angleterre, la France, l'Allemagne, tous les autres pays étaient ruinés, et il n'est plus resté qu'un seul pays industriel et riche, ou alors peut-être la Suède, parce que même la Norvège avait connu une guerre destructrice. Les USA avaient pratiquement accaparé tout l'or du monde et la monnaie qu'ils frappaient circulaient dans l'univers comme contrepartie de l'or. Et ils pouvaient frapper monnaie tout le temps qu'ils auraient de l'or. Mais ils ont suspendu unilatéralement cette conversion en or, et ça a été assurément un vol, une escroquerie !

Et aussitôt, la valeur de l'or a augmenté. Les USA le maintenaient jusque-là à une valeur inférieure d'une manière fictive : quand le cours de l'or allait baisser, ils achetaient; quand il allait monter, ils vendaient l'or de leurs énormes réserves pour le maintenir à environ 35 dollars l'once. Quand ils ont supprimé la conversion et que les cours du pétrole ont flambé, l'once a valu jusqu'à plus de 400 dollars. Comme il leur restait encore pour 10 milliards d'or, la valeur en a au moins décuplé. Après, comme il n'existait plus d'étalon-or, les limites ont volé en éclats. Tout ce qu'ils faisaient, c'était imprimer des bons du Trésor à un taux d'intérêt déterminé pendant tant d'années, et la tradition s'est maintenue qu'ils constituaient la valeur la plus sûre sur le marché. C'est là que se réfugient les investisseurs qui vendent leurs actions aux époques d'incertitude et de panique, qui vendent, mais pas pour acheter des actions ailleurs : pour acheter des bons du Trésor. Et voilà les USA disposent de tout l'argent qu'ils veulent pour éponger n'importe quel déficit budgétaire ou de la balance des paiements.

Plus maintenant. Non, maintenant, avec les progrès économiques qu'ils ont fait de cette manière, ils sont parvenus à équilibrer grosso modo le budget, mais pas la balance commerciale dont le déficit ne cesse de s'alourdir. Ils doivent remettre des sommes énormes pour payer ce qu'ils importent, bien supérieur à ce qu'ils exportent. Voilà donc le mécanisme.

Les détenteurs d'actions ont donc gagné neuf billions de dollars et les ont dépensés à mesure qu'ils les gagnaient et que leurs valeurs augmentaient. En effet, si vous avez des actions pour cent mille dollars et qu'elles en valent presque d'un coup deux cents, vous vous dites : à quoi bon épargner ? Je vais acheter tout ce qu'il me chante. Et vous finissez par acheter un yacht, voire un avion. Tout ceci a stimulé, comme je l'ai dit, la croissance de l'économie, la création d'emplois. Tout allait sur des roulettes. C'est leur bénéfice exclusif, leur privilège exclusif. Voilà pourquoi ils ont acheté allez savoir quoi ? Le monde entier, sans doute !

Voilà pourquoi, aussi, les Européens veulent s'intégrer pour survivre, veulent avoir une monnaie forte pour qu'on ne leur tende plus ce genre de traquenard et pour qu'une partie des réserves des banques centrales soit aussi constituée d'euros. Et il est bon pour le monde qu'il existe une autre monnaie, et fasse le ciel qu'il en apparaisse d'autres, deux ou trois de plus, fortes, pour éviter la dépendance du dollar dans laquelle vit le monde en tant que principale et quasi unique monnaie de réserve. Les Nord-Américains impriment leurs papiers, achètent des choses, et une partie importante de ces papiers, d'autres pays les gardent dans leurs réserves.

Bref, ils ont vécu une situation terriblement privilégiée, les actions ont multiplié leur valeur grâce au soutien total d'une économie qui croissait à un rythme soutenu pendant un période de temps relativement prolongée, avec un chômage en baisse, un taux d'inflation - l'autre ennemi qu'ils craignent comme le diable - n'augmentait pas, au contraire, parce que les prix des produits du Japon, de la Malaisie, de la Corée du Sud, de la Thaïlande et de tous ces pays avaient diminué en même temps que la dévaluation de leur monnaie, ce qui contribuait à maintenir le taux d'inflation à des niveaux réduits. Mais la lampe d'Aladin commence à perdre son pouvoir magique de faire des prodiges.

La grande discussion sur les taux d'intérêt de la Banque de réserve fédérale des Etats-Unis - je vous ai dit ce que cela signifiait pour le Brésil - reflète de profondes contradictions : s'ils haussent les taux d'intérêt, ils aggravent la situation de toutes les monnaies affaiblies et des économies du Sud-Est asiatique, du Japon, de la Russie, et aggravent les risques pour le Brésil, l'Amérique du Sud et les autres pays.

Qu'est-ce que tout le monde leur demande à présent ? «Dites donc, baissez vos taux d'intérêt, s'il vous plaît, baissez-les.» Eux tentent de gérer la situation du mieux possible, parce que s'ils les diminuent trop, alors tout le monde va à commencer à emprunter pour pouvoir acheter et dépenser, et à emprunter pour investir, ce qui peut provoquer un excès de circulation monétaire et donc déclencher aussitôt une poussée inflationniste.

Je vous ai dit ce que faisaient les Brésiliens avec le taux d'intérêt pour éviter la fuite des capitaux et préserver leurs réserves. Mais ils ne peuvent pas maintenir ce taux de 50% très longtemps, malgré les exceptions que je vous ai mentionnées dans l'agriculture et les branches d'exportation, parce que le capital d'exploitation des autres industries et services doit payer ce même taux, et quelle industrie peut donc faire assez de profits pour payer un taux pareil ? Cela paralyse donc l'économie. Et les prêts coûtent bien plus cher. Pour le moment, ils évitent la panique, une fuite de capitaux, ils évitent que tout le monde change sa monnaie nationale en dollars - puisque le change est libre, que vous pouvez changer votre argent et le sortir du pays - mais ce mécanisme est de toute façon une arme à double tranchant qui paralyse le développement et provoque une situation intenable. Ils ne peuvent donc pas le maintenir très longtemps. Ces mécanismes leur ont servi tout simplement, à ce jour, que le pays ne se retrouve sans une devise en réserve.

En août et durant les premiers jours de septembre, le Brésil a perdu de 10 à 15 milliards de ses réserves - je ne me rappelle plus très bien - des réserves qu'il avait accumulées non sans sacrifices, et en partie en privatisant des entreprises. Ainsi, celle de la société de téléphone leur a rapporté 18 milliards, une forte entrée qui s'est pourtant perdu en quelques jours devant cette nécessité de défendre la monnaie des spéculateurs. Ils ont dû adopter de nouvelles mesures, des mesures dures. Les Brésiliens se battent, défendent leur monnaie, mais ils vont sûrement avoir besoin de contributions extérieures. De combien. On ne sait pas trop.

Le Mexique, on lui avait offert - être le proche voisin des Etats-Unis était un avantage en l'occurrence - jusqu'à 50 milliards. Quand la crise a touché le Sud-Est asiatique et la Corée du Sud, leurs organismes financiers préférés se sont retrouvés sans fonds et ils tremblent devant cet incendie qui gagne.

Je crois qu'ils vont faire un effort. On voit clairement qu'une des bonnes tranchées d'où on peut se défendre, c'est l'Amérique latine, afin que les flammes ne gagnent pas leur propre prairie.

Contrairement à celles d'Amérique latine, la bourse nord-américaine constituent une poids économique énorme en raison des sommes énormes qui y sont investies. Je vous ai déjà qu'elles avaient gagné neuf billions de dollars ces quatre dernières années, même s'il leur faut maintenant commencer à compter en moins.

L'article dont je vous ai lu des extraits indique que le monde boursier avait perdu au total presque quatre billions rien qu'en deux mois, et une partie de cette perte a correspondu aux Etats-Unis où la valeur moyenne des actions a diminué de 17 p. 100 par rapport au plafond. Vous comprenez ?

Excusez-moi d'entrer dans les détails, mais je m'efforce de vous expliquer pour que vous compreniez comment fonctionnent ces mécanismes et comment peut se produire l'effondrement.

Ils jouent donc aux pompiers. La Russie... Je crois qu'ils ont renoncé à éteindre l'incendie de Russie, qui est sérieux et grave pour ses implications, jusque sur le plan politique. Je crois qu'ils vont se retrancher en Amérique latine, pour éviter qu'il ne se produise au Brésil et en Amérique du Sud un désastre comme au Sud-Est asiatique. Parce que, dans ce cas, les flammèches les brûleraient inexorablement, c'est certain, et on pourrait voir se répéter la crise de 1982 ou, pire encore, celle de 1929, ou pis encore, malgré leur Fonds monétaire, leur Banque mondiale et tous les trucs qu'ils ont inventés.

À vrai dire, la crise de 1929 a été une grande expérience. La récession a duré dix ans, le Produit intérieur brut a chuté de 30 p. 100, le chômage était énorme. On aurait dit que c'était la fin du capitalisme. Roosevelt est arrivé, avec une autre formule, et ils ont eu un mal de chien à le sauver en dix ans. Mais ça risque d'être pire maintenant, parce que l'économie est mondialisée.

Ils doivent penser sérieusement aux conséquences qu'aurait une crise aux Etats-Unis pour ces 50 p. 100 de Nord-Américains dont l'argent de la sécurité sociale et les épargnes sont placés dans des actions si celles-ci chutaient en valeur de la moitié ou du tiers.

Ça n'était jamais arrivé. Lors de la grande crise de 1929, le nombre de citoyens actionnaires était très réduit. Et pourtant les effets en ont été désastreux. Qu'en adviendrait-il aujourd'hui que la moitié des habitants de ce pays, les plus riches, ont investi leurs ressources dans des actions boursières ? Bien entendu, celui qui vit sous les ponts n'a pas d'actions en bourse (rires). Il s'agit des grandes transnationales, des gros industriels, des couches moyennes, de nombreuses professions libérales, les ouvriers aux plus gros salaires. Quiconque possède un petit quelque chose et voit que les actions boursières ne cessent de monter - et c'est bien là le danger - le place en bourse, et cela provoque ces problème typiques d'une société capitaliste, typiques de l'économie de marché. Personne ne réglemente rien à rien.

Un tas de gens affirment l'utilité que l'Etat régule ça en quelque sorte, ou régule les opérations, les capitaux qui se placent à court terme et qui repartent, mais ça, c'est contre le néolibéralisme, ça irait justement contre tout ce qu'ils font et qu'ils prônent. Pourtant, un mouvement toujours plus fort se dessine en faveur d'un certain nombre de réglementations qui interdirait aux capitaux à court terme et à l'ensemble du capital financier de jouir d'une liberté absolue, comme maintenant.

Prenez le premier ministre de Malaisie, qui nous a rendu visite, lui aussi. Il s'inquiète depuis longtemps de tout ceci, il vient d'instaurer le contrôle des changes, il a pris une série de mesures et il se retranche sur ses positions, défendant l'économie de son pays, qui a pourtant reçu un coup destructeur. Il m'a affirmé que le pays pouvait perdre en deux semaines la richesse et le travail accumulés en quarante ans !

Voilà à quoi sont exposés tous les pays. Aucun n'est à l'abri. Et voilà pourquoi l'Europe s'unit. Aucun pays européen n'échappe à lui tout seul au pouvoir énorme qu'ont accumulé les Etats-Unis. Les Européens cherchent à former un marché intérieur de centaines de millions de personnes. Les Etats-Unis en possèdent un d'au moins 270 millions. Les quinze pays européens s'unissent pour atteindre un marché de trois cent millions et quelque, de quatre cent millions. Ils aspirent même à plus à l'avenir pour échapper au monstre, même si celui-ci est, on peut presque le dire, touché à mort. Il s'agit d'un système intenable qui est au bord de la crise, comme je vous l'ai expliqué.

Ces gens-là ont encore de l'espoir, il leur reste une marge de manoeuvre, et, depuis la crise de 1929, ils ont inventé des formules pour éviter que quelque chose de semblable ne se répète. Celle de 1982 n'a pas été si sérieuse, mais celle qui arrive, à partir des prémisses que je vous ai dites, risque d'être bien pire. Et puis, en plus, ils sont désunis aux Etats-Unis. Le gouvernement a des conseillers et agit un peu plus habilement, défendant les intérêts économiques de l'empire, mais les autres lui font la guerre, se fondant sur la majorité qu'ils détiennent à la Chambre et au Sénat, et ils ont refusé de voter le fast-track qui permettrait au gouvernement de hâter la signature d'accords amarrant les pays latino-américains et caribéens aux intérêts de l'empire. Les autres refusent aussi de grossir un peu les fonds du Fonds monétaire. Mais même s'ils lui fournissaient les 15 ou 18 milliards qu'il réclamait pour le Fonds monétaire - je crois qu'ils avaient déjà accepté trois milliards - ce serait une gorgée d'eau avec laquelle il ne pourrait même pas supposer sauver la Russie. Le mieux à faire pour le gouvernement nord-américain est donc de se retrancher dans la dernière tranchée qu'il lui reste : l'Amérique du Sud. Mais, même retranché, il se peut que les problèmes continuent de s'accumuler et de s'aggraver, parce qu'il s'agit d'un mal congénital du système.

Je n'ai pas fini, il me reste un petit quelque chose. Si vous avez la patience... Oui, ça m'a pris du temps, mais ça en vaut la peine. Vous voulez savoir comment va notre amie la Russie ? Ça vous intéresse ? (Cris de : «Oui !») Parfait, alors, je vais vous lire quelques paragraphes d'articles de cette même presse spécialisée en questions économiques, toujours de la revue que j'ai mentionnée.

Celui-ci s'intitule : «La Russie dévaluée». Rappelez-vous que ce sont ces mêmes observateurs qui applaudissaient et applaudissaient encore, de la pérestroïka au néolibéralisme, les privatisations et l'économie de marché comme le grand miracle qui allait améliorer l'économie et la vie dans ce pays-là où, comme vous le savez et comme le savent encore mieux ceux qui y ont fait des études, avec un rouble, vous preniez le petit déjeuner, vous déjeuniez et vous dîniez, et il vous restait encore quelque chose. Avec un rouble ! Après, on est passé à 6 000 roubles le dollar. Un peu après, pour faciliter les choses, ils avaient supprimé les trois zéros et établi un nouveau rouble, à 6 par dollar. Mais ce nouveau rouble s'est dévalué une fois de plus, et il vaut maintenant 18. En plus, la parité change tous les jours. Les gens ont perdu leur argent à deux reprises. Lors de la première grande dévaluation, tous les épargnants dans une banque ou ailleurs ont perdu leur argent, parce que si votre rouble se dévalue soudain ou peu à peu de six mille fois, si vous aviez par exemple 6 000 roubles, qui équivalaient à peu près à 6 000 dollars en pouvoir d'achat, vous vous retrouvez au bout du compte avec un seul dollar !

Quelle différence avec ce que nous avons fait à Cuba au début de la Révolution au moment du changement de monnaie ! On n'a pas touché à l'argent des banques, en aucun cas. Et tout récemment, quand on a pris un train de mesures pour réduire l'excès de monnaie en circulation, on n'a pas touché non plus à l'argent placé dans les banques. On a respecté l'argent de tous ceux qui avaient eu confiance dans la banque et y avait gardé son argent - certains un peu, d'autres un peu plus et d'autres encore beaucoup, et certains même sur des comptes séparés, sait-on jamais, compte tenu d'expériences antérieures. Tout le monde a conservé son argent, même ceux qui en avaient accumulé pas mal. Bien entendu, parmi ces derniers, il y a des gens honnêtes et sérieuses. Je connais des paysans très travailleurs, très sérieux, qui, sans recourir au marché agricole ni à rien de tout ça, accumulent trois cent, quatre cent o cinq cent mille pesos, grâce aux cours de la pomme de terre et d'autres produits, et parce qu'ils ont de très forts rendements. Cinq cents tonnes de pommes de terre, ça leur fait de 40 000 à 50 000 pesos par an, qu'ils économisaient. Certains ont placé leur argent à la banque. D'autres l'ont gagné, vous le savez, soit en vendant très cher soit en recourant au système D.

Que s'est-il passé à Cuba avec tant d'argent en circulation, quand a commencé la période spéciale ? Nous en avons discuté à l'Assemblée nationale, nous en avons discuté partout, mais nous n'avons pas touché à l'argent des banques et nous n'avons pas changé la monnaie. On a maintenu les prix des articles correspondant au carnet de rationnement - même si leur quantité a diminué, malheureusement - à leurs niveaux habituels, et même subventionnés, en pesos. On continue d'aller au cinéma et à bien des endroits de distraction en payant en pesos. Les médicaments, les matériaux de construction, la facture d'électricité, celle de téléphone, le loyer, les activités sportives, et bien d'autres activités et services continuent de se payer en pesos. D'autres services vitaux et importants n'exigent même pas de pesos, puisqu'ils sont absolument gratuits. Les mesures ont été prises en pensant à la population et sa monnaie nationale continue d'avoir la même valeur dans ce domaine.

En ce qui concerne le dollar, il est arrivé à un moment donné à équivaloir à 150 pesos. Grâce aux mesures adoptées par la Révolution dans tous les domaines, aux mesures dont nous avons parlé ici et dont certaines nous ont apporté les problèmes que nous avons analysés ici, et grâce aussi au fait que l'économie a enregistré une certaine relance qui n'est pas encore suffisante pour nous permettre de récupérer les niveaux de 1989 - et il s'en faudra encore de pas mal de temps pour y arriver, parce que nous ne disposons plus du combustible, de l'acier, du bois, des matières premières et de toutes les ressources que nous fournissait la Russie et qu'elle possède si abondamment - nous avons obtenu un résultat incroyable : le peso s'est réévalué par rapport au dollar, au point qu'il est passé de 150 à 19, 20, 21, 22 ou 23 aux bureaux de change ! Nous n'avons pas touché au pesos et les gens ont continué de faire confiance aux banques, parce que c'est là que leur argent est le plus en sûreté.

Et voilà comment s'est réévalué le peso - et donc les pesos de tous ceux qui en possédaient à la banque ou chez eux. Les bureaux de change gagnent un petit quelque chose, ils contrôlent, ils régulent; si la demande du dollar augmente beaucoup, ils en élèvent le prix. Ils font donc un peu de bénéfices, précisément ceux qui allaient aux mains des spéculateurs qui changeaient des dollars et des pesos. Ces bénéfices vont à l'Etat, ce n'est pas beaucoup, n'allez pas croire, mais ils permettent de résoudre certains problèmes et certains besoins. Savez-vous à quoi sont alloués les bénéfices que font les bureaux de change ? Ils sont remis en leur totalité au ministère du Commerce intérieur qui les consacrent à l'achat de produits déterminés ou de matières premières pour les produire dans le pays, et dont beaucoup sont vendus sur les marchés parallèles. Oui, ils sont cher, nous le savons, mais cela lui permet de satisfaire quelques besoins et cela permet aussi de recueillir l'argent en circulation pour maintenir le meilleur équilibre possible entre les prix et les salaires, entre les pesos et les dollars. Bref, ces bureaux de change assurent un bénéfice supplémentaire au pays. On peut en dire ce qu'on dit des banques : elles ne perdent jamais.

Mais si nous commençons à lâcher de l'argent dans la rue, ce sera de nouveau le malheur. Si nous dévaluons le peso, nous dévaluons les salaires. Même celui qui gagne deux cents pesos par mois, mettons, s'il a besoin un jour d'un dollar pour acheter dans un magasin en devises, il peut l'acheter pour vingt pesos, ça lui est donc toujours possible, mais si le dollar passe à cinquante ou cent pesos, il ne pourra plus le faire. Le pays a revalorisé le peso, sa monnaie nationale, ce qui n'est arrivé nulle part ailleurs, et uniquement grâce aux mesures que nous avons appliquées, grâce à notre système socialiste, sous un blocus rigoureux et en pleine période spéciale.

En revanche, là-bas, en Russie, celui qui avait 6 000 roubles s'est retrouvé en possession d'un seul dollar ! Maintenant, avec le nouveau rouble, celui qui en avait 10 000 - et certains gagnent ça en trente secondes - ou, mettons, 6 000, possédait l'équivalent de 1 000 dollars. Si le rouble passe à 12, il n'en a plus que 500; à 18, seulement 300 et quelque; à 20, son taux actuel, voire plus, il ne lui reste plus de 300 dollars ou moins. En quelques jours, le travailleur perd les économies qu'il avait faites à partir de son salaire, si tant est qu'on le lui paye. Les nouveaux riches, bien entendu, ne souffrent absolument de rien : ils ont placé leur argent en sûreté à l'étranger, converti en dollars et en résidences de luxe.

J'allais donc vous lire un paragraphe d'un article publié fin août. Rappelez-vous que l'autre article indiquait que la récente crise financière russe avait marqué un tournant dans la crise qui menace sérieusement l'économie mondiale. C'était la thèse que soutenait la revue. En Russie, l'Etat a été confisqué par ces messieurs en qui l'Occident avait toute confiance, par ceux qui appliquaient les recettes de l'Occident, qui privatisaient tout. Et c'était alors : «Quel bonheur pour l'Occident ! » «Quelle merveille !» «Comme il va se développer, ce pays !» «Que de juteux investissements n'allons-nous pas y faire !» Et l'Occident lui a fourni des prêts pour des dizaines et des dizaines de milliards de dollars.

Mais, compte tenu de la baisse de production, la Russie a lancé sur le marché tout le nickel qu'elle avait accumulé - nous savons bien, nous, ce que ça nous a coûté ! - et les quais de Rotterdam étaient bourrés de nickel. Elle a fait pareil avec le cuivre et le autres minerais possibles, et ceci a beaucoup à voir avec les fameux produits de base. Voilà pourquoi l'article disait que, même si la Russie ne pèse que 2 p. 100 dans l'économie mondiale, elle restait toujours un gros producteur de nickel et d'autres matières premières de toute sorte. Le problème, c'est que comme elle ne pouvait utiliser tous ce produits parce que sa production avait baissé de plus de la moitié par rapport à 1989-1990, elle les a lancés sur le marché international.

La revue indique qu'une aggravation de la catastrophe économique contraindrait la Russie à lancer sur les marchés tout ce qu'il lui resterait de produits de base, ce qui en réduirait encore plus les cours, et c'est là, selon elle, un des facteurs qui augmenteraient les risques d'une grande récession. Les deux facteurs étaient, selon la revue, et je vous les répète : la chute des cours des produits de base et la surévaluation des actions boursières aux Etats-Unis.

Voilà pourquoi elle assure que même si Russie ne pèse que 2 p. 100 dans l'économie mondiale, elle influe beaucoup - et sans analyser d'autres dangers plus inquiétants, plus graves, en se bornant aux problèmes économiques. En tout cas, la Russie est en pleine catastrophe, elle n'a pas d'argent, elle n'a plus de réserves, parce que tous les citoyens se sont précipités pour changer leurs roubles contre des dollars et les autorités ont été forcées d'instaurer le contrôle de changes. Et ça, c'est une violation sacrilège de toutes les règles du Fonds monétaire, avec laquelle la Russie avait négocié un prêt d'environ 22 milliards de dollars, avec le soutien de l'Occident et des Etats-Unis, mais sous des conditions et des règles strictes.

Ça alors, instaurer le contrôle des changes, c'est le comble ! C'est un sacrilège ! De plus, la Russie a suspendu le paiement de sa dette. Second sacrilège ! Comment le Fonds monétaire, la Banque mondiale peuvent-ils accepter ça, à plus forte raison les Etats-Unis qui en sont les maîtres puisqu'ils représentent 17 p. 100 du capital du Fonds monétaire et autant de la Banque mondiale, ce qui leur donne le pouvoir de veto, - il leur suffirait de 15 p. 100 - et qu'ils peuvent donc interdire tout accord. La Réserve fédérale, le Trésor nord-américain, le FMI et la Banque mondiale se sont donc réunis pour décider d'une action. Comme ils étaient effrayés de ce qui se passait en Russie, ils ont accepté de lui prêter 22 milliards, mais ce pays est dans une si mauvaise passe qu'il a dû suspendre le paiement de sa dette, instaurer le contrôle des changes et envisager même de frapper la monnaie pour payer les salaires.

Les magasins ont commencé à entrer en rupture de stocks. Mais avant ça, tout le monde s'était précipité dans les banques pour changer ses roubles en dollars, si bien que les réserves, qui étaient assez maigres, 14 ou 15 milliards, se sont mises à fondre et il a fallu instaurer le contrôle des changes.

Résumé : quand tout le monde se met à changer les roubles pour les dollars, les autorités doivent suspendre ce genre d'opération, et suspendent aussi le paiement de la dette extérieure, car les devises n'y suffisaient plus et qu'il fallait les conserver. Tout ce qu'elles ont fait est en totale contradiction avec les conditions et les normes des institutions qui avaient décidé de fournir 22 milliards. Et ces Occidentaux sont si bêtes qu'ils sont bien capables de ne pas les lui fournir, ce qui aurait des conséquences encore pires, pas seulement économiques, mais politiques, et même du domaine de la sécurité. Mais il semblerait, comme je vous l'ai dit, qu'ils ont renoncé à sauver tout ça parce qu'ils ne savent que faire. En tout cas, ils continuent de mettre le couteau sous la gorge de la Russie : ils ne lâcheront le prêt que si elle applique strictement toutes leur méthodes classiques : conversion libre, paiement de la dette, encaissement des impôts, etc., etc., etc.

Là-bas, plus de la moitié des impôts n'est pas encaissée, et les grandes sociétés des multimillionnaires qui ont confisqué l'Etat avec le soutien de l'Occident ne paient pas d'impôts, elles ont acheté les principaux médias, les principales chaînes de radio et de télévision.

Voyez un peu la grande liberté de la presse qu'a obtenue l'Occident ! Et quelle est la liberté qu'il défend ! Le peuple a perdu les médias, maintenant aux mains des grands groupes de multimillionnaires qui ont confisqué l'Etat. Ils se sont emparés de grandes entreprises de pétrole, de gaz, de tout ce qui s'exportait, des industries fondamentales, ils ont acheté les médias les plus puissants, tel groupe possède telle chaîne, tel autre groupe, telle autre - on connaît les noms. N'importe qui peut faire un article pour expliquer tout ça mieux, avec plus de temps et plus en détail. Oui, une grande part des médias les plus importants sont entre leurs mains. Ce sont eux qui commandent, un point c'est tout : on ne publie que ce qu'ils veulent et rien d'autre, ils sont propriétaires des principales branches de l'industrie, propriétaires des médias et aussi propriétaires des banques.

L'affaire des banques a été si florissante qu'ils sont arrivés à en créer quatre mille. Et qu'est-ce qu'ont fait la plupart d'entre elles, où les Russes sont allés gentiment garder leurs économies ? Un grand nombre de banques se sont déclarés en banqueroute et ont tout bonnement volé l'argent des déposants, en toute impunité : ils ont changé ces dépôts pour des dollars qu'ils ont ensuite emportés. Bref, bien des Russes ont été escroqués par nombre de ces banques aux mains de la maffia. L'économie de marché dans toute sa pureté !

Ces maffias sont le fruit de toutes ces réformes que les Occidentaux vantent tant, défendent tant et glorifient tant, même s'ils ne veulent plus y investir, parce que les maffias se sont emparées de tout. J'espère que cela ne vous arrivera jamais dans les comités, que nous ne ferons jamais les sottises qui facilitent ce genre de choses. Nous luttons contre ceux qui volent dans les maisons et les magasins. Parfait ! Mais là-bas, ils ont volé la richesse de l'Etat socialiste, ils ont inventé différents mécanismes pour le faire - je ne vais pas les expliquer ici. Ils ont même distribué des bons, des bons qui se sont dévalués aussitôt, alors ils les ont rachetés et ils ont obtenu la possession des entreprises. Quelque chose de très démocratique. Ils ont distribué, c'est vrai, une partie des bons aux travailleurs, des bons qui ont très vite cessé de valoir un centime, qui se sont dévalués, alors les autres sont arrivés, les ont rachetés et ils sont maintenant les maîtres des grandes banques, des grandes entreprises, de tout ça. Et sans payer le moindre impôt !

Qu'ont-ils fait de cet argent ? Ah, ça, les Occidentaux n'en parlent pas, ou presque pas, ou ne le mentionnent pas. Parfois, ils retrouvent un peu de dignité et lâchent un petit entrefilet sur la question. Eh bien, sachez que depuis l'instauration du fameux petit modèle, il s'est enfui de Russie entre 200 et 500 milliards de dollars. Oui, il faut le savoir. Avec le change libre, tous ceux qui avaient de quoi changer l'ont fait. Comme la situation était incertaine, ils ont changé leur argent et l'ont expédié partout, dans les pays scandinaves, dans toute l'Europe. Rien qu'en Espagne, les riches Russes possèdent 60 000 logements, et ils ont aussi dans le Sud de la France, en Autriche, dans toute l'Europe, dans les pays scandinaves. A Chypre, un tout petit pays, ils possèdent un tas de banques et de choses, car ils sont experts et savent comment confisquer les biens de l'Etat et garder l'argent à l'étranger.

Oui, un minimum de 200 milliards et un maximum de 500. Disons alors entre 250 et 300 milliards. Quel pays résiste à ça ? Comment allez-vous payer les professeurs, les médecins, les scientifiques, les travailleurs, l'armée, les servants de l'artillerie, les pilotes ? Même ceux qui font le tour de la Terre dans l'espace n'ont plus de budget de la fusée qui doit aller les chercher !

Les servants des missiles stratégiques, là-bas à Krasnoyarsk, ça fait cinq mois qu'ils ne touchent plus leurs salaires, au point qu'un général de ceux qui ont combattu en Afghanistan et dont on ignore encore les idées, parce que c'est un mystère, mais dont on voit clairement qu'il aspire à la présidence, qui a remporté les élections à Krasnoyarsk, parce que les gens sont désespérés - c'est lui qui a fit la paix en Tchetchénie - a, quelques jours après avoir pris possession de son poste de gouverneur, écrit au premier ministre antérieur pour lui demander de faire passer sous sa juridiction les fusées stratégiques de Krasnoyarsk parce qu'il pouvait au moins fournir des vêtements et des aliments à ces gens-là.

Voyez un peu l'ordre, la discipline qu'il reste en Russie, quand le gouverneur de Krasnoyarsk demande au gouvernement qu'on fasse passer sous sa juridiction les fusées stratégiques installées dans sa région. Une région convertie en une grande puissance nucléaire ! Et leurs servants qui ne touchent pas un sou ! C'est vraiment la dernière chose que peut faire un gouvernement : cesser de payer les servants des fusées stratégiques, quelque chose de terriblement risqué. Mais cela vous donne une idée de la situation qui règne.

L'armée, c'est un tas de mois qu'elle ne touche plus de soldes. La seule à continuer de la toucher, et bien élevée d'ailleurs, c'est une division d'élite du ministère de l'Intérieur, qui est de réserve du gouvernement. L'armée normale, elle, ne touche pas sa solde. Le nouveau premier ministre, qui était l'ancien ministre des Affaires étrangères, la première chose qu'il a faite, c'est avoir une réunion avec tous les militaires et donner l'ordre qu'on paie l'armée.

Payer, c'est bien beau, mais avec quel argent ? Alors, ils se sont dits : «Imprimons des billets.» Et ça, ça a déclenché la troisième grande bagarre avec tous ces organismes internationaux. Imprimer de l'argent ! «Non, ça ne va pas, la tête ! Comment ça, imprimer de l'argent ! Vous n'y pensez pas !»

Alors, on a exigé à la Russie de réduire son budget. Oui, mais ce budget, vous ne pouvez pas rogner davantage sur lui. Qu'est-ce qu'ils veulent donc, ces gens des organismes internationaux ? Que les servants des fusées stratégiques ne touchent pas leur solde pendant une année ! Jusqu'à quand ? Et les mineurs du charbon, et les autres, jusqu'à quand ? Alors qu'ils sont en train de bloquer les trains sur la voie trans-sibérienne ! Et comment ?

Une tâche très difficile attend le nouveau gouvernement. Le nouveau premier ministre est sans aucun doute quelqu'un de sérieux, de compétent, mais il se trouve face à un problème quasiment impossible.

Certains ont parlé de rationnement, d'autres, de renoncer à tous ces fonds, à toutes ces promesses qui ne vont rien résoudre. Il s'est créé une situation de peur partout, parce que personne ne sait ce qui peut se passer dans ce pays dans de telles circonstances. En tout cas, la Russie ne peut s'acquitter des conditions qu'exige le Fonds monétaire pour lui fournir les 22 milliards promis. Elle ne peut pas, c'est impossible.

Quiconque a encore un rouble court à la banque pour le changer contre un dollar. Mais, comme je vous le disais, l'Occident en souffle un mot à ce sujet. Dans ces articles-ci, on ne dit pas un mot des centaines de milliards de dollars qui se sont enfuis du pays grâce à ces mécanismes qui ont détruit l'économie. La population russe diminue, la situation est catastrophique, l'argent ne sert plus à rien, des localités entières vivent entièrement du troc : ceux qui produisent du charbon l'échangent - car l'hiver approche, en plus - contre les produits des travailleurs de la campagne. Ce qui fonctionne en Russie, plutôt que l'argent, c'est le troc de marchandises.

Comment le nouveau gouvernement, indépendamment de la capacité, du sérieux d'un homme, peut-il trouver une issue à cette situation ? Le premier ministre est l'ancien ministre des Affaires étrangères, il a visité notre pays, et c'est quelqu'un de très respecté là-bas. Mais que peut-il faire ? Accepte-t-il les conditions du Fonds monétaire ? A qui va-t-il encaisser les impôts, comment les gens vont-ils les payer, comment va-t-il rogner sur les budget qui sont déjà dérisoires ? Comment ? Comment va-t-il payer tous ces gens-là ? Vaut-il implanter le rationnement ? Ce serait le plus logique, bien entendu, et le plus juste qu'il pourrait faire. Ça rendrait le pays plus fort. Je ne lui recommande rien, je ne me mêle pas de ça, j'analyse simplement la situation.

Ah oui, sur la route qui vient d'Europe de l'Ouest, la route de Smolensk, une caravane interminable de camions apportait des marchandises occidentales, tandis que les industries légère et alimentaires étaient totalement paralysées. Maintenant qu'il n'y a plus d'argent, fini la caravane, fini l'arrivée des produits occidentaux !

Je vous disais donc que les gens se précipitaient dans les banques pour changer leurs roubles contre des dollars, mais que, quand les autorités ont établi le contrôle des changes, ces même gens se sont alors précipités dans les magasins pour acheter tout ce qu'il y avait d'articles, sans limites et tant qu'il y restait. Les possesseurs d'échoppes ont dû gagner pas mal d'argent, car ils ont sûrement augmenté les prix, d'autant que la caravane s'était tarie, et les magasins sont restés vides. Comment le gouvernement va-t-il arranger une situation pareille ? Peut-il échapper au rationnement, même s'il reçoit les fonds promis ? Oui, mais, à supposer qu'il les reçoivent, il ne peut même pas battre monnaie, il ne peut rien faire de tout ça, il doit payer les dettes et il doit réduire les budgets.

Ces gens-là ont mis le gouvernement dans une passe très difficile, terriblement difficile. Telle est la situation que traverse la Russie actuellement, et elle est entre l'enclume et le marteau. Si seulement le marteau retombait à côté, ou du moins frappait au bras, par exemple, mais pas au coeur ! En tout cas, il est entre l'enclume et le marteau. Je n'arrête pas de lire tous les jours des informations à ce sujet.

Est-ce que j'invente tout ça ? Non, je n'invente rien, et je vais vous le prouver. Voilà ce que dit en gros l'article dont j'ai parlé en abordant cette question.

«La semaine n'a pas été bonne pour la Russie. Le train de mesures soumis lundi dernier aux requins de la finance met fin, pour le moment du moins, à la moindre perspective de réformes économiques futures.» Comme vous le voyez, on continue de parler de nouvelles réformes économiques, autrement dit d'une nouvelle dose de poison comme médicament. «Il peut aussi marquer le début d'une dégénération politique qui verrait le pays déraper vers le nationalisme, vers l'autocratie ou quelque chose de plus sinistre. Il envoie aussi à la poubelle la dernière vantardise des réformateurs gouvernementaux bien mal en point, quand ils affirmaient que leur politique avait au moins stabilisé la monnaie et consolidé les prix.»

«...Rappelons que ces mesures ont été adoptées seulement quatre semaines après que le FMI et d'autres bailleurs de fonds étrangers avaient accordé un prêt de soutien de 23 milliards de dollars à l'économie russe, et trois jours à peine après que M. Yeltsine s'est engagé à ne pas dévaluer et que ses ministres ont déclaré que toutes les dettes seraient honorées. Qu'est-ce qui a cafouillé ?

«On pourrait répondre brièvement qu'une bonne partie du prêt n'a pas servi à garantir les dépôts des épargnants méritants, ni même à payer les pensions de petits vieux appauvris ou les salaires des mineurs toujours en souffrance.»

«... Le danger est que cette perte de confiance se maintiendra. Ainsi, le rouble - libéré censément pour flotter, mais de fait pour couler - pourrait tout simplement s'enfoncer en faisant des bulles, les banques pourraient être assiégées par de gros et petits déposants et, si d'autres crédits ne parvenaient pas de l'étranger, le gouvernement pourrait être tenté de recourir à la planche à billets pour satisfaire leurs demandes. Ce serait ouvrir la voie à l'hyper-inflation, dont les Russes ont fait l'expérience pas plus tard qu'en 1992 (l'inflation d'une année à l'autre avait atteint en décembre 2 500%) quand leurs épargnes s'étaient volatilisées.»

Ils ont perdu leur argent à deux reprises.

«Les Russes ont des tas de plaintes à formuler : un gouvernement si incapable de collecter les impôts qu'il ne peut fournir que très peu de services; un système de paiement si coincé que les militaires, les mineurs, les enseignants et un tas d'autres travailleurs ne touchent pas leurs salaires; des conditions de vie déprimantes, même pour ceux qui ont un emploi; des hôpitaux mal équipés; des prisons surpeuplées...»

«Si les prêts reprenaient maintenant, ils ne devraient être consentis que dans les termes les plus sévères - c'est la revue qui exprime ce voeu - en indiquant explicitement les usages de cet argent, par exemple comme caution des petits dépôts dans les banques commerciales. Ces prêts devraient aussi impliquer une supervision rigoureuses des façons dont l'argent serait dépensé, de préférence en désignant des étrangers pour diriger les banques en question - autrement dit la gestion des banques par des étrangers -. Il faudra aussi imposer le même genre de supervision aux services fiscaux et douaniers si l'on veut étayer en quelque sorte la balance des paiements.»

C'est la méthode que les Etats-Unis ont appliquée à Saint-Domingue et en Haïti dans la seconde moitié de ce siècle pour collecter les impôts, autrement dit l'intervention des douanes. Je relis : «Il faudra aussi imposer le même genre de supervision aux services fiscaux et douaniers si l'on veut étayer en quelque sorte la balance des paiements.»

«Et si les Russes disent non ? Ou plutôt, comme de coutume, s'ils disent un oui qui veut dire non ? Alors, l'Ouest devrait dire non à son tour. L'intérêt de l'Ouest est de promouvoir la démocratie et l'économie de marché en Russie, bien qu'il ait bien moins à perdre que les Russes eux-mêmes si ces concepts n'y trouvent pas de racines. Son intérêt est aussi qu'un pays bourré encore d'armes atomiques reste pacifique et non-belligérant. Mais il aurait tort de croire qu'il est en mesure de lui apporter tout cela. En tout cas, ce ne sera certainement pas par la seule aide économique. La triste vérité est que la Russie est vouée par sa propre histoire et par son propre peuple à vivre une période de grave malheur. Tolstoï peut bien avoir écrit que toutes les familles heureuses se ressemblent, il n'en reste pas moins que la famille russe est malheureuse à sa manière. En fin de compte, ce sont les Russes, et non les étrangers, qui mettront un terme à cette période de misère.»

Voyez un peu la façon dont l'Ouest envisage les choses à ce moment de supercrise, sur le point de commettre une folie.

Eh bien, je crois, moi, que les Russes peuvent se sauver, j'en suis même sûr. Mais je ne dirai pas un mot là-dessus, personne ne m'a demandé mon avis et je ne veux prendre aucune responsabilité.

J'ai d'autres articles, mais je ne vous lirai que quelques courtes phrases.

Celui-ci, de la même revue, s'intitule : «Le cauchemar russe», avec le chapeau suivant : «Rien dans les mesures adoptées cette semaine pour faire face au désordre financier russe ne rassure sur l'avenir du pays.»

En voici un autre : «Déviation ou déraillement ?», avec le chapeau suivant : «Une dévaluation bricolée et un défaut de garantie risquent de laisser l'économie russe, qui donne des soubresauts, dans des conditions encore pires.»

Un troisième, intitulé : «Effondrement russe», qui dit des choses un peu blessantes pour le président du pays, et je n'ai pas l'intention d'insulter ou d'offenser qui que ce soit. Je veux simplement vous informer et réfléchir sur ces problèmes.

Encore un, du New York Times, intitulé «Moscou liquide les illusions américaines» et sous-titré : «La question se pose d'ores et déjà : "Qui a perdu la Russie ?"».

Il me semblait utile, même en abusant de vos énergies, de vous exposer ces idées. D'ailleurs, je vous avais averti : «Venez après avoir bien dormi !» (Rires et applaudissements.)

Si j'étais la compagne qui nous a chanté si bellement hier, et si j'avais une bonne voix et si je chantais juste un minimum, je chanterai une parodie d'une chanson que j'ai entendue voilà des années et qui commençait par cette phrase : «Que ces rêves sont loin !» Les vraies paroles disaient : «ces temps-là.» Oui, les rêves de ceux qui se sont fait tant d'illusions, de ceux qui ont recommandé ces recettes néolibérales, de ceux qui ont détruit cet Etat, quelles qu'aient été ses limitations et ses erreurs. Cet Etat, il fallait l'arranger, l'améliorer, mais jamais le détruire ! (Applaudissements.)

Maintenant, l'Ouest s'est emparé de tout, de pétrole de la mer Caspienne, il s'est introduit dans toutes les républiques de l'URSS brisée en miettes, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Azerbaïdjan, dans tous ces pays périphériques; il laissé l'armée russe pratiquement sans armes; de ces avions très modernes qu'ont mis au point les techniciens russes, l'industrie n'a pu en fournir à l'armée même pas vingt, même pas vingt ! L'OTAN d'un côté, l'admission de la Pologne... Lors de la signature des accords concernant le retrait des troupes soviétiques d'Europe de l'Est, l'OTAN ne devait pas s'étendre censément. Or elle l'a fait aussitôt, en Pologne, en République tchèque, en Hongrie, et elle menace maintenant de s'étendre en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, et jusqu'en Ukraine, si elle le peut, quoique je pense qu'à ces moments difficiles, comme la situation de l'Ukraine s'aggrave autant que celle de la Russie, ces deux pays vont mieux s'entendre. Mais, à ce train-là, L'OTAN sera bientôt sous les murailles du Kremlin.

Elle a utilisé une politique basée sur la pire mauvaise foi et sur l'expansion vers l'est. Quel besoin y avait-il de ça? Elle a fait progresser son appareil militaire, là où il existait autrefois une armée qui était sa rivale sur le plan stratégique - mais seulement stratégique - mais qu'elle surpassait par sa supériorité navale et dans d'autres armes, en bâtiments de surface, avec des bases partout dans le monde, favorisant tous ceux qui étaient adversaires de l'URSS pendant la guerre froide... En tout cas, l'URSS avait atteint la parité atomique stratégique avec les USA, et c'était décisif. Et maintenant, la Russie ne peut même pas incorporer vingt avions dans ses forces de l'air, même si elle possède toutes les usines pour les fabriquer en masse ! Elle sera dure l'Histoire quand elle devra juger les coupables de la catastrophe, des humiliations, du mépris et des très graves dangers qui pèsent maintenant sur ce peuple et, avec lui, sur le monde.

Que va-t-il donc se passer dans ce pays-là ? Et si on assiste à une yougoslavisation de la Russie, bourrée d'armes nucléaires ? On en calcule environ 20 000. Ne serait-ce pas une tragédie pour le monde, oui ou non, que ce pays se yougoslavise, se désintègre ? Est-ce concevable ? Quelles conséquences cela aurait-il ?

Nous, du point de vue économique, rien ne peut nous faire perdre le sommeil. Qui est mieux préparé que Cuba pour faire face à n'importe quelle crise économique mondiale ! Elle nous toucherait, bien entendu. Mais s'il faut arrêter les usines de nickel, on les arrêtera; si les cours du sucre continuent de chuter, nous le supporterons, comme nous le faisons depuis déjà un certain temps. On verra bien si la réduction des cours d'autres marchandises que nous importons nous compensera. Nos terres sont aux mains du peuple et ne resteront pas en jachère. Quel pays est mieux organisé et mieux préparé que celui-ci ? Nous souhaitons pas de crise, car cela nous paraît un malheur, une tragédie, qui entraînera des souffrances énormes au monde. Elle peut donc être catastrophique. Quant aux Etats-Unis, ils feraient mieux de bien penser aux conséquences qu'elle pourrait y avoir, ainsi que sur les élections - pas celles qui auront lieu dans quelques jours - mais les prochaines, si les bourses éclatent et si la moitié des Nord-Américains perdent les sommes énormes qu'ils y possèdent en actions.

Quand on lit des livres sur la crise de 1929, on apprend que les courtiers se suicidaient, ainsi que de nombreux millionnaires se suicidaient aussi parce qu'ils ne possédaient plus que cent millions. En tout cas, les suicides étaient quotidiens. Or, je l'ai dit, à l'époque seul 5 p. 100 de la population possédaient des actions qui étaient surtout aux mains des sociétés.

Au train où on va, ces choses vont arriver de nouveau, inévitablement. La crise économique est une chose, la yougoslavisation de la Russie en est une autre. Une guerre civile dans ce pays serait quelque chose de très, très sérieux. Et si je devais donner des conseils à mes ennemis, je leur dirais : «Aidez la Russie. Cherchez l'argent où vous pouvez, vendez même si vous voulez ces bons qu'émet votre Trésor ou faites fonctionner la planche à billets. Sauvez ce pays, évitez qu'il ne se désintègre.» Oui, je le leur recommanderais, et je ne leur réclamerais même pas un demi-centime pour le conseil. Je ne le fais pas dans l'intérêt des USA, mais dans celui du monde, et je leur dirais aussi : «Retranchez-vous en plus en Amérique du Sud pour éviter l'expansion de la crise. Aidez les Sud-Américains, aidez-les, parce que, sinon, les flammes arriveront bientôt à votre économie. Comprenez-le.» Et ils doivent bien le comprendre, ils ne peuvent être si myopes, ou si arrogants, ils ne peuvent resserrer l'étau sur les autres jusqu'au bout. Ils ne peuvent pas étrangler la Russie ni permettre que la crise s'étende au Brésil.

J'irais même plus loin : même s'ils le font, ils ne parviendront tout au plus qu'à ajourner la crise pour un temps. Elle se répétera et s'aggravera avec encore plus de force. Il faudrait dynamiter le Fonds monétaire tout entier, l'ensemble du système financier mis en place; il faudrait dynamiter l'ordre économique mondial qu'on nous a imposé, inventer quelque chose qui sauve, si l'on veut, le plus possible du capitalisme. En tout cas, l'ordre actuel est intenable et doit changer. Dans l'immédiat, il faut aller bien plus loin si l'on veut éviter une catastrophe imminente. Toujours plus de gens le réclament. On ne peut continuer d'exiger des gouvernements et des peuples ces règles-là, ces normes-là, ces énormités-là, parce qu'elles sont non-viables des points de vue économique et politique, et insupportables sur le plan humain. Le monde capitaliste développé a forcément un prix à payer, doit se résigner à distribuer un peu des richesses qu'il a entassées au fil des siècles et des techniques qu'il a mises au point. Oui, un peu moins de gaspillage des ressources naturelles, un peu moins de ce luxe insultant et insensé; un peu plus de rationalité, un peu moins d'égoïsme.

Je n'ai rien dit, je veux dire que je n'ai abordé que deux ou trois points, je n'ai même pas mentionné bien d'autres problèmes qui écrasent et menacent notre monde. A quoi bon ? Pour l'instant il faut faire face à la catastrophe économique qui approche. On trouvera des solutions. Ne me demandez pas lesquelles. Je ne suis pas un prophète, comme je l'ai dit au Parlement sud-africain. Je me borne à dire et à répéter, avec la conviction la plus absolue et la plus profonde : c'est des grandes crises qu'on toujours surgi les grande solutions.

Il faudra tout changer, tôt ou tard. Nous ne cherchons pas des intérêts nationaux bornés et mesquins. Il y a belle lurette que nous supportons le pire. Nous avons appris à nous défendre, à lutter, a obtenir bien des choses, même dans les conditions les plus difficiles.

Nous espérons que le monde se sauvera, car il n'a pas d'autre choix. Et que la nature se sauvera, cette nature dont devront vivre les 10 milliards d'êtres humains que nous serons bientôt. Je sais comment pensent désormais de nombreux hommes politiques en ce monde, en Europe, et partout, et beaucoup ont plus envie que nous de dynamiter cet ordre économique mondial qu'on nous a imposé, même s'ils n'ont pas la même liberté que nous pour le dire.

Un bon nombre d'entre nous ont consacré du temps à l'analyse de tout ceci, et nous aurons en janvier une réunion de six cents économistes. Nous avons même invité les journalistes de la revue britannique si souvent mentionnée ce soir et d'autres tout aussi prestigieuses, défenseurs du néolibéralisme, et aussi de ses opposants. Mais personne ne sait ce qu'il va se passer d'ici à janvier. De toute façon, il faut continuer de collecter des informations, suivre les événements. Ici, il y aura des débats, des communications, et bien des gens sont intéressés.

Cuba, je l'ai dit aussi ici, a été désignée comme siège d'une réunion du Groupe de 77, qui rassemble plus de cent vingt pays. Et ces pays vont discuter de tout ceci, qui sont des questions de vie ou de mort pour nos peuples, mais nous pouvons aussi nous demander ce qu'il va se passer d'ici à l'an 2000. Bien des choses peuvent arriver ! Mais, d'abord, il faut bien se préparer à la réunion de janvier, qui va durer cinq jours de travaux intenses, comme à ce Congrès, avec une différence : il y aura trois séances par jour, matin, après-midi et soir. Dans cette même salle. Les participants, invités et économistes, auront un peu plus de confort que vous, parce qu'ils ne seront que six cents et seront installés devant les bureaux, et non derrière, afin qu'ils puissent prendre des notes et bien écouter.

Nous ne voulons pas qu'ils soient trop nombreux, parce que nous ne voulons pas une réunion comme celle de la dette extérieure à laquelle ont participé une foule de personnalités et de secteurs de notre sous-continent. Ç'a été une grande bataille qui n'a pas été inutile, parce qu'elle a contribué à conscientiser et à alléger un peu la situation dramatique des pays endettés.

La situation économique actuelle constitue un grand problème, elle est bien plus sérieuse, bien plus grave. Notre réunion de janvier prend une grande importance des points de vue pratique et théorique.

Nos économistes sont très satisfaits, car ce sont eux qui l'ont convoqué aux côtés de l'Association des économistes latino-américains. Nous leurs avons offert tout notre soutien et toutes les installations. Ce sera une réunion large, un débat profond et libre entre toutes les écoles, les défenseurs de certaines théories et ceux qui pensent différemment. Là oui, on pourra discuter à fond, à partir de communications de personnes éminentes, avec des questions et des réponses. Ce sera une école fantastique pour nos économistes, et ce sera très intéressant pour les hommes politiques et les économistes de nombreux pays.

Elle a été convoquée voilà déjà plusieurs mois, quand on a vu venir ces problèmes. Allons plus loin, avons-nous dit. Et elle est plus d'actualité que jamais, et les gens sont encore plus intéressés. Mais nous ne voulons pas que ce soit une grande foule. Si nous disons oui à tous ceux qui veulent venir, il nous faudrait la place de la Révolution ! Oui, l'intérêt ne cesse de croître pour une question aussi vitale et aussi décisive.

Nous serons bien préparés, du mieux possible. Ici, il faut étudier et apprendre tous les jours.

Nos économistes travaillent dur là-dessus, ainsi que les camarades des secteurs de l'économie, ceux du ministère de l'Économie, des Finances, de la banque, les professeurs universitaires, tout le monde. Il s'est créé, pourrait-on dire, une famille de chercheurs, d'observateurs de la situation.

Pour la réunion du Groupe des 77, nous allons être bien mieux préparés encore, mais il faut suivre de près les événements, bien que certaines des inconnues de l'heure actuelle se lèveront seules. Alors, vous qui aimez, comme tout le monde, les bons films ou les séries intéressantes, suivez cette série-là. Ce serait bien que notre presse puisse vous aider et puisse vous offrir des informations. Et si notre presse ne peut pas, il faudrait, Contino, que les comités et les journalistes aident, et tu les envoies aux comités des documents pour qu'ils soient informés (applaudissements), afin qu'ils sachent bien dans quel cadre stratégique va se dérouler leur lutte dans les prochains mois et dans les prochaines années.

Rien de plus. Juste vous demander pardon pour tout le temps que je vous ai pris (cris de «Non» et applaudissements) et vous remercier de ne pas vous être tous endormis (réactions). Oui, l'un ou l'autre a bien dû somnoler de temps à autre. Même moi, je l'ai fait à une séance. Mais j'étais bien éveillé. Quoique ce ne soit pas impossible ! (Rires.) Je ne critique donc personne pour ça. Et je dis ce que nous devons dire aujourd'hui avec plus de conviction que jamais :

Le socialisme ou la mort !

La patrie ou la mort !

Nous vaincrons ! (Ovation.)