Allocution prononcé par Fidel Castro Ruz, président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres de la République de Cuba, au meeting de solidarité avec Cuba effectué à l'église de Riverside (Harlem), à New York, le 8 septembre 2000.

Chères soeurs et chers frères du Comité d'accueil;

Chères soeurs et chers frères présents dans cette église;

Chères soeurs et chers frères réunis dans la salle attenante;

Chères soeurs et chers frères qui m'écoutez dans la rue, parce que vous n'avez pas pu entrer,

Vous avez été extrêmement généreux et aimables avec moi.

Quand les orateurs qui m'ont précédé répondaient aux questions que vous posiez au sujet de nos efforts en faveur de nos enfants et de tout notre peuple, ainsi que des efforts que nous avons consentis pour d'autres enfants et d'autres peuples de différentes régions du monde - des choses dont nous nous ne souvenons jamais et que nous n'avons pas à mentionner - une idée m'est venue à l'esprit. Je me suis dit : "Quelle terrible violation des droits de l'homme commettons-nous là !" (Applaudissements et exclamations) Pensant à l'argument qu'escriment ceux qui prétendent justifier par là un blocus et une guerre économique de plus de quarante ans contre notre pays.

Quand vous chantiez Happy Birthday, je me suis souvenu de bien des choses et j'ai pensé qu'il aurait peut-être mieux valu chanter : Happy good luck, Fidel.

Si j'ai atteint l'âge que j'ai, c'est sans doute par miracle (applaudissements et exclamations), et non parce que j'ai combattu quelques années contre la tyrannie dans mon pays et que j'ai participé à différentes actions de guerre, mais à cause de tout ce qui est arrivé ensuite après la victoire de la Révolution. A bon entendeur, salut (applaudissements). Et vous n'êtes pas seulement de bons entendeurs, mais encore de très nobles et de très intelligents entendeurs.

En venant ici, je me souvenais de mes quatre visites aux Nations Unies. La première fois, on m'a expulsé d'un hôtel aux abords du siège. Et je me suis retrouvé devant l'alternative suivante : soit camper dans la cour des Nations Unies - et ça ne me semblait pas quelque chose de très difficile en tant que guérillo frais débarqué des montagnes (applaudissements) ou aller à Harlem, dont l'un des hôtels m'avait invité (applaudissements). Et j'ai choisi tout de suite : "Je vais à Harlem, où se trouvent mes meilleur amis" (applaudissements et exclamations).

[On lui crie du public : "Ma maison est la tienne !" (Applaudissements.)]

Merci beaucoup. C'est ce que me disaient bien des riches qui vivaient dans des demeures luxueuses tout au début de la Révolution. Ils accrochaient des écriteaux de ce genre au dehors. Mais quand nous avons commencé à faire quelque chose pour les pauvres, ils les ont retirés pour toujours (applaudissements). Mais je perçois chez toi la générosité des petites gens.

Quand je suis revenu en 1979, je ne me rappelle plus très bien ce que j'ai fait, tout ce que je sais, c'est que j'ai parlé au nom de tous les pays pauvres du monde. La troisième fois, je suis allé de nouveau à Harlem, et pas seulement à Harlem, mais aussi au Bronx (applaudissements), comme vous l'avez rappelé ce soir.

Cette fois-ci, j'ai l'honneur d'être invité ici, qu'on appelle Riverside. C'est bien, ça, n'est-ce pas ? (On lui dit : Oui.) Mais je ne suis pas seulement "au bord du fleuve", (rires), je suis aussi au beau milieu d'un fleuve, le fleuve de la plus saine et de la plus noble amitié (applaudissements).

Vous comprenez bien que ce n'est pas facile pour moi de venir à New York, et ce ne sont pas les preuves qui manquent. Et ce voyage-ci n'était pas plus facile que les autres, et beaucoup de nos compatriotes étaient inquiets. Nous vivons une période spéciale - et je ne parle pas de la Période spéciale que nous avons instauré à Cuba à cause du double blocus auquel nous sommes soumis - je parle de la période spéciale que représentent les élections présidentielles d'ici (applaudissements), sans parler des nombreuses menaces de toute sorte, entre autres m'assassiner ou m'envoyer dans une prison nord-américaine.

Mais il s'agissait d'une réunion très importante. On l'a baptisée le Sommet du millénaire, mais nous commençons en fait un millénaire bien incertain. Bien mieux, ceux d'entre nous qui considérons que le XXe siècle conclut le 31 décembre, nous pouvons dire que l'humanité est sur le point d'entrer dans le XXIe siècle dans des conditions extrêmements dures et extrêmement inquiétantes. Je ne pouvais absolument pas ne pas venir ici, et je me suis senti très heureux, croyez-moi, quand j'ai pris l'avion au terme de démarches très compliquées pour obtenir un visa.

Le compañero Alarcón, vous le savez, est venu avec nous (applaudissements et exclamations). Il devait assister à une conférence des présidents d'assemblée nationale ou de parlement de tous les pays du monde, il avait demandé un visa au moins un mois à l'avance, qui lui a été refusé, et on ne lui en délivré un - car il venait dans la délégation cubaine au Sommet - en même temps que la mienne à peine vingt-quatre ou quarante-huit heures avant. Je dois d'ailleurs reconnaître que j'ai été très bien traité à tout moment, et que le personnel de sécurité nord-américain l'a fait avec amabilité et avec une grande efficacité, et je dois le reconnaître (applaudissements).

Chacun avait cinq minutes de temps de parole au Sommet. C'est vraiment très peu pour les problèmes encyclopédiques, ou plutôt pour la liste encyclopédique de problèmes à aborder, mais j'ai fait l'effort et mon discours a duré sept minutes et trois secondes (applaudissements), et j'ai été de ceux qui ont parlé le moins longtemps.

C'est avec cet entraînement que je viens ici ce soir (exclamations), mais je sais que vous me concédez plus de sept minutes trois secondes (applaudissements et exclamations).

J'ai mis un mouchoir sur des petites ampoules qui indiquaient le temps de parole, et pour deux raisons : la première, en guise de protestation contre le fait qu'on soumette des chefs d'État ou de gouvernement à cette torture d'une ampoule jaune et ensuite d'une ampoule rouge qui s'allume pour vous avertir que vos cinq minutes sont passées - ce n'est pas grave, mais c'est humiliant - et la seconde, parce que je pense que la tribune des Nations Unies ne doit pas se convertir en des feux de signalisation (rires et applaudissements). Bien entendu, avec tant d'orateurs, il faut réduire le temps de parole pour ne pas créer tant de problèmes à la ville de New York et avoir une réunion qui dure une semaine ou quinze jours, mais nous ne sommes pas des gosses de la maternelle et chacun peut se limiter soi-même et être bref.

J'ai participé à de nombreuses réunions importantes avec des temps de parole très limités. Certains, avec ou sans feux de signalisation, parlent bien plus longtemps que prévu. Je tâche chaque fois de m'ajuster à la limite, car le pire châtiment de celui qui s'étend trop, c'est l'inquiétude de tous les autres qui attendent leur tour, si bien que, même si votre discours est très bon, les gens vous critiquent. Ce n'est pas de la bonne politique de s'étendre trop à ce genre de réunion. Et ici, bien que nous soyons pas aux Nations Unies, j'ai bien l'intention de me borner aux questions essentielles.

Je vous disais que c'était à mon avis une réunion très importante. Pourquoi
ça ? Parce que le monde souffre une situation vraiment catastrophique. N'allez pas croire les experts qui feignent l'optimisme, ou ceux qui ignorent ce qu'il se passe dans le monde. Je possède des données irréfutables sur la situation du tiers monde, des pays d'où proviennent beaucoup d'entre vous, ou des pays que beaucoup de Nord-Américains connaissent et ont visités, des pays où vivent les trois quarts de l'humanité. J'ai apporté quelques documents avec moi, et j'ai sélectionné certaines de ces données.

Par exemple, le revenu par habitant dans plus de cent pays est inférieur à celui d'il y a quinze ans.

Le tiers monde compte 1,3 milliard de pauvres. Soit 1 habitant sur 3.

Plus de 820 millions de personnes ont faim dans le monde, dont 790 dans le tiers monde.

Plus de 840 millions d'adultes sont analphabètes, l'immense majorité dans le tiers monde.

Un habitant du tiers monde vivra en moyenne dix-huit ans de moins qu'un du monde industriel. Ainsi, l'espérance de vie en Afrique subsaharienne est seulement de 48 ans, soit trente de moins que dans les pays développés. On calcule que 654 millions de personnes du Sud ne dépasseront pas les quarante ans, soit un âge qui est presque la moitié du mien.

La quasi-totalité des décès en couches, soit 99,5 p. 100, surviennent dans le tiers monde. Alors que ce risque n'est que 1 pour 1 400 accouchements en Europe, il se monte à 1 pour 6 en Afrique. Et je parle de risque. Les décès réels sont inférieurs, bien entendu, mais il n'en reste pas moins que le nombre de décès d'Africaines pour 10 000 accouchements est au moins le centuple de celui des Européennes.

Plus de 11 millions de garçons et filles de moins de cinq ans meurent tous les ans dans le tiers monde de maladies dont la plupart peuvent être prévenues, autrement plus de 30 000 par jour, 21 par minute. Presque mille depuis que notre réunion a commencé il y a trois quarts d'heure.

Dans le tiers monde, 64 enfants pour 1 000 nés vivants meurent dans l'année.

Deux enfants du tiers monde sur cinq souffrent d'un retard de la croissance, et 1 sur 3 ne fait pas le poids requis pour son âge.

J'ai parlé de 64 décès pour 1 000 naissances vivantes, comme moyenne du tiers monde, qui comprend Cuba dont le taux de mortalité infantile est inférieur à 7, mais vous avez de nombreux pays africains où le taux de décès dans les cinq premières années est de 200.

D'autres questions sont terriblement dures sur le plan moral.

Deux millions de fillettes sont contraintes à la prostitution.

Environ 250 millions d'enfants de moins de quinze ans sont contraints de travailler pour survivre.

Dix des onze infections par le virus du sida qui surviennent chaque minute s'enregistrent en Afrique subsaharienne, qui compte plus de 25 millions de sidéens.

Entre temps, le monde dépense chaque année 800 milliards de dollars en armements, 400 milliards en drogues et un billion en publicité.

La dette extérieure du tiers monde se montait fin 1998 à 2,4 billions de dollars, soit quatre fois plus qu'en 1982, voilà à peine dix-huit ans. De 1982 à 1998, ces pays du tiers monde ont payé plus de 3,4 billions de dollars au titre du service de la dette, soit presque un billion de plus que le montant actuel du principal qui, loin de décroître, a augmenté de 45 p. 100 en seize ans.

Malgré le discours néolibéral sur les chances qu'offre l'ouverture commerciale, les pays sous-développés, qui comptent 85 p. 100 de la population mondiale, ne fournissaient en 1998 que 34,6 p. 100 des exportations totales, autrement dit une proportion inférieure à 1953, alors que leur population a plus que doublé.

Si l'aide publique au développement représentait 0,33 p.100 du Produit national brut des pays développés en 1992, il n'en représente plus que 0,23 p. 100 en 1998, six ans plus tard, ce qui est très loin de l'objectif du 0.7 p. 100 fixé par les Nations Unies. Bref, le monde riche est de plus en plus riche et pourtant son apport au développement de cette immense partie pauvre de l'humanité ne cesse de diminuer d'année en année. La solidarité et le sens des responsabilités se rétrécissent chaque année.

Or, en revanche, le volume de transaction de devises à l'échelle mondiale se monte à environ 1,5 billion de dollars par jour. Ce qui n'inclut pas les opérations de ce qu'on appelle les dérivés financiers, qui représentent une somme à peu près égale. Autrement dit, les opérations spéculatives se montent à un total de 3 billions de dollars par jour. Si l'on taxait ces opérations spéculatives d'un impôt de 1 p. 100, ça suffirait largement à assurer le développement durable, donc la protection de la nature et de l'environnement, des pays censément en développement. Je dis "censément", parce qu'ils marchent en fait sur la route d'un sous-développement croissant et visible, parce que la différence ne cesse de se creuser entre les pays pauvres et les pays riches, de la même manière que le fossé se creuse entre riches et pauvres au sein des pays eux-mêmes.

Je pourrais vous demander par exemple : vous tous, avec les épargnes plus ou moins grosses que vous pouvez avoir dans les banques, pouvez-vous atteindre tous ensemble le millième de ce que possède l'homme le plus riche du monde, qui est d'ailleurs un de vos compatriotes ?

J'ai parlé de billions de dollars par jour dans des opérations spéculatives. De trois billions ! Qu'est-ce que ça a à voir avec le commerce mondial ? Celui-ci se monte à seulement 6,5 billions par an, ce qui veut dire que les opérations spéculatives réalisées tous les deux jours ouvrables dans ces fameuses bourses équivalent aux opérations du commerce mondial en un an.

Quand les bourses de valeurs ont vu le jour, on ne connaissait pas ce phénomène qui est quelque chose d'absolument nouveau. La spéculation par laquelle l'argent cherche l'argent n'a strictement rien à voir avec la création de biens matériels ou de services. Or, ce phénomène croît à des niveaux absurdes depuis trente ans. Peut-on appeller économie ce jeu de hasard délirant ? La vraie économie, faite pour satisfaire les besoins vitaux de l'homme, peut-elle le supporter ?

L'argent ne s'utilise plus désormais, pour l'essentiel, à la production de biens. Non, il s'emploie dans des monnaies, des actions, des dérivés financiers, dans une quête désespérée de l'argent, avec le recours aux programmes informatiques et aux ordinateurs les plus perfectionnés, et non plus, comme cela s'était passé à présent dans l'histoire, par des procès de production. Voilà ce que nous a apporté la si fameuse mondialisation néolibérale dont on nous fait tant l'article !

Les pays développés contrôlent 97 p. 100 de tous les brevets du monde parce que, bien entendu, ils ont monopolisé les meilleurs cerveaux que produit la planète. Les pays développés ont dérobé ces quarante dernières années à l'Amérique latine et aux Caraïbes un million de spécialistes - je répète ce chiffre : un million de spécialistes ! - dont la formation aurait coûté aux Etats-Unis 200 milliards de dollars. Ainsi, les pays pauvres fournissent les meilleurs fruits de leurs universités aux pays développés.

Tenez, - et j'en ai parlé à une des tables rondes du Sommet du millénaire : ces dix dernières années, les Etats-Unis ont récupéré 19 des 22 Prix Nobel de physique; pareil pour les prix de médecine et d'autres branches scientifiques. On considère de nos jours les connaissances comme le facteur le plus important du développement, mais les pays du tiers monde se voient constamment privés de leurs meilleurs talents.

Une dernière donnée, de celles que j'ai amenées : à peine 1 p. 100 des 56 milliards de dollars investis chaque année dans la recherche médicale se consacre à la pneunomie, aux maladies diarrhéiques, à la tuberculose et au paludisme, quatre des principaux fléaux du monde sous-développé.

Les médicaments les plus perfectionnés permettant aux personnes frappées par la tragédie du sida de survivre quelques années de plus coûtent 10 000 dollars dans les pays industriels. Leur prix de vente, je veux dire, parce que leur prix de revient n'est qu'à peine de mille dollars.

Nous sommes bien au courant de la tragégie que souffre le monde, parce que l'un de nos principes les plus sacrés est la solidarité (applaudissements).

Ceux qui ne croient pas en l'homme, en son potentiel de sentiments nobles, en sa capacité de bonté et d'altruisme, ne pourront jamais comprendre que nous souffrions de la mort ou de la souffrance - on ne peut parler seulement de ceux qui meurent - non seulement d'un enfant cubain, mais encore que nous nous inquiétons d'un enfant haitien, guatémaltèque, dominicain, portoricain, africain, ou de n'importe quel pays du monde (applaudissements). On ne pourra jamais dire que l'espèce humaine a atteint son niveau de conscience le plus élevé tant que chaque peuple ne sera pas capable de souffrir comme siennes les douleurs d'autres peuples du monde.

Je vais même plus loin : l'humanité atteindra son maximum de conscience et de qualités potentielles quand la mort de l'enfant de n'importe quelle famille fera aussi mal à une personne que celle de son propre enfant ou de tout parent proche (applaudissements).

Je sais que beaucoup d'entre vous - peut-être l'immense majorité - sont chrétiens et que nous sommes dans une église. Eh bien, c'est justement ça que prêchait le Christ, et c'est justement ça, pour nous, l'amour du prochain (applaudissements). Et ça explique les efforts que Cuba a faits pour d'autres pays dans la mesure de ses forces. Vous en avez signalé certaines au début du meeting.

On peut résumer ces sentiments de solidarité dans un chiffre : environ un demi-million de nos compatriotes ont accompli des missions internationalistes dans de nombreux pays de diverses parties du monde, surtout en Afrique (applaudissements), comme médecins, comme enseignants, comme techniciens, comme travailleurs ou comme soldats (applaudissements).

Quand tout le monde investissait dans l'Afrique du Sud du racisme et du fascsme et faisait du commerce avec elle, des dizaines de milliers de soldats bénévoles cubains faisaient face à ses troupes (applaudissements).

Tout le monde parle maintenant, tout content, de la préservation de l'indépendance de l'Angola, toujours soumis, néanmoins, à une guerre civile dure par la faute de ceux qui ont équipé les bandes armées pendant des années et des années, entre autre le gouvernement de l'apartheid et d'autres autorités que je ne mentionnerai pas nommément par respect pour l'endroit où je me trouve (applaudissements).

Ce demi-million de volontaires qui ont accompli leur mission gratuitement n'est pas allé investir dans le pétrole, dans les mines de diamant, dans les minérais, ni dans aucune richesse de ce pays (applaudissements).

Cuba ne possède pas un seul centime d'investissement dans les pays où nos combattants internationalistes ont accompli des missions (applaudissements). Pas un dollar de capital, pasi un mètre carré de terre (applaudissements).

Amilcar Cabral, ce grand dirigeant africain (applaudissements), a dit un jour des mots prophétiques qui constituent un honneur inoubliable pour nous : " Quand les combattants cubains rentreront, ils n'emporteront que les restes de leurs compagnons morts au combat" (applaudissements prolongés).

Personne n'a imposé un blocus au régime ignominieux de l'apartheid, personne ne lui a livré une guerre économique. Pas de loi Torricelli, pas de loi Helms-Burton pour le régime fasciste et raciste ! Toutes ces lois, toutes ces mesures sont en revanche pour le pays solidaire que Cuba a toujours été et qu'elle restera.

Rien qu'en réduisant la mortalité infantile dans notre pays d'environ 60 décès pour 1 000 naissances vivantes dans la première année à moins de 7, nous avons sauvé des centaines de milliers d'enfants; nous avons préservé gratuitement la santé de ces enfants et nous leur avons garanti une espérance de vie de plus de soixante-quinze ans (applaudissements). Bien mieux, nous n'avons pas fait que préserver leur vie : nous leur avons aussi assuré l'éducation gratuite à tous (applaudissements), et pas une éducation égoïste et médiocre, mais une éducation solidaire et de grande qualité.

L'Unesco, une institution des Nations Unies, a effectué une enquête et a constaté que nos enfants possèdent presque deux fois plus de connaissances en moyenne que les autres enfants latino-américains (applaudissements).

Nous avons aussi sauvé la vie de centaines et de centaines de milliers d'enfants en Afrique et ailleurs dans le tiers monde, tout au long de ces années de Révolution, et nous avons soigné des dizaines et des dizaines de millions de personnes. Plus de 25 000 travailleurs de la santé ont participé à ces actions internationalistes (applaudissements). Mais tout ceci, dit-on, constitue une "violation des droits de l'homme" au nom de laquelle nous devons être détruits !

Notre Révolution a son histoire. Je n'aurais pas le moindre droit moral de vous parler ici si la Révolution, en plus de quarante ans, avait assassiné un seul citoyen cubain, s'il avait existé à Cuba un seul escadron de la mort, si une seule personne avait disparu à Cuba. Mieux, si un seul citoyen de notre pays - écoutez bien ! - avait été torturé. Un seul ! Et tout le peuple cubain le sait pertinemment (applaudissements et exclamations), un peuple rebelle, doté d'un sens de la justice très élevé. Il ne nous aurait pardonné aucun des faits que j'ai mentionnés (applaudissements). Et ce peuple a défendu la Révolution pendant plus de quarante ans, et a supporté avec un stoïcisme exemplaire quarante et un ans de blocus de la part des gouvernements du pays le plus puissant du monde dans les domaines politique, économique, technologique et militaire. Et pas un blocus, mais, ces dix dernières années, deux blocus, après la désintégration du camp socialiste et de l'URSS, ce qui nous a laissés sans marché et sans fournisseurs d'aliments, de combustibles, de matières premières et de nombreux autres produits essentiels que nous leur achetions. Car, pour pouvoir payer, il faut pouvoir faire du commerce. Si vous n'achetez rien à un pays, celui-ci n'a pas de quoi vous acheter en retour.

Peut-être l'histoire racontera-t-elle un jour comment Cuba a pu faire le miracle de résister (applaudissements)... En attendant, je puis vous assurer qu'aucun autre pays d'Amérique latine et des Caraïbes n'aurait pu le supporter.

Le pays où nous nous trouvons ici est l'un des rares qui pourraient se fournir à lui-même presque tous les éléments essentiels à la vie. Mais ce n'est pas la situation d'un petit pays isolé, ou d'un pays moyen, ou même d'un grand pays d'Amérique latine. Aucun n'aurait pu supporter ça quinze jours, et nous, nous l'avons supporté dix ans (applaudissements), et voilà maintenant plusieurs années que nous sommes parvenus peu à peu, non seulement à survivre, mais à accroître graduellement notre production économique, bien que nous n'ayons pas encore atteint les indicateurs que nous avions avant le double blocus qui nous a contraint d'instaurer ce que nous avons appelé une Période spéciale.

Je vous dirai seulement la consommation journalière de calories qui se trouvait à 3 000 est tombée à 1 800 presque du jour au lendemain. Nous sommes remontés maintenant à environ 2 400.

Mais ça ne nous empêche pourtant pas de faire ce que nous avons fait. Ces dix dernières années, nous avons formé 30 000 médecins, parce que nous n'avons pas fermé la moindre polyclinique, la moindre école, la moindre salle de classe (applaudissements).

Nous n'avons jamais utilisé dans notre pays ces thérapies de choc qui conduisent à fermer les hôpitaux, les écoles, à supprimer la sécurité sociale et les ressources vitales dont ont besoin les personnes aux revenus bas. Nous avons supporté le coup, et nous n'avons pas utilisé une seule de ces mesures, et celles que nous avons appliquées pour faire face à une situation aussi difficile ont été discutées avec tout le peuple, et pas seulement à notre Assemblée populaire. Car nous avons une Assemblée nationale, ce que beaucoup de gens semblent ignorer. Et nous somme fiers de notre esprit démocratique, parce que ce sont les habitants du quartier qui présentent leurs candidats au cours de réunions publiques, les candidats comme délégués de circonscription élus ensuite au suffrage universel et secret. Ce n'est pas le parti qui présente les candidats. Ce sont les habitants du quartier qui le font librement - pas moins de deux et pas plus de huit - et qui élisent ensuite les délégués en fonction de leurs mérites et de leurs capacités.

Ces délégués de circonscription constituent ensuite les assemblées municipales, et celles-ci, qui proviennent donc de la base, présentent les candidats à l'assemblée provinciale et les députés à l'Assemblée nationale, qui sont élus au suffrage direct et secret et doivent obtenir la moitié plus une des voix.

Ainsi donc, presque la moitié de notre Assemblée nationale - dont font partie Alarcón et certains membres de notre délégation que j'aperçois d'ici - est constituée de ces délégués de circonscription qui ont été, comme je l'ai expliqué, d'abord proposés et élus par la population, sans la moindre intervention du parti, dont la seule mission est de garantir le respect des normes constitutionnelles et de nos lois électorales.

Personne ne doit dépenser un seul centime. Pas un seul (applaudissements). Les candidats de la circonscription font campagne ensemble, tout comme les candidats à l'Assemblée nationale proposés dans chaque commune, dont le nombre varie en fonction de la grandeur de celle-ci, mais qui doivent être au moins deux. Voilà la méthode que nous avons mise au point pour garantir la démocratie.

Je vous disais donc que quand nous avons dû adopter des mesures pour faire face à la situation difficile de la Période spéciale, elles ont toutes été discutées d'abord à la base, avec les travailleurs, les paysans, les étudiants et les autres organisations de masse, au cours de milliers de réunions, et ensuite à l'Assemblée nationale. Une fois analysées par les députés, elles ont été de nouveau discutées à la base pour être adoptées définitivement par l'Assemblée nationale.

Ces mesures protégeaient tout le monde, garantissaient la sécurité de tout le monde. Entre autres, elles taxaient les boissons alcooliques, les cigarettes et tous les articles de consommation somptuaires. Nous n'avons jamais touché aux médicaments, aux aliments ou à d'autres choses vitales pour la population. Et pourtant, nous avons pu continuer de garantir un litre de lait quotidien à chaque enfant jusqu'à sept ans (applaudissements). Et savez-vous à quel prix ? À 1,5 centime de dollar au change officiel.

Le rationnement existe toujours, et il continuera d'exister pour une série d'aliments. Mais une livre de riz, qui coûte de douze à quinze centimes de dollars sur le marché mondial, sans compter les frais de transport extérieurs, - parce que nous ne pouvons pas l'acheter à l'endroit le plus proche - et sans compter les frais de transports intérieurs, la distribution et tout le reste, est vendue à la population à un peu moins de 1,5 centime de dollar, et la livre de haricots, à 1,5 (applaudissements).

Dans notre pays, la plupart des habitants ne paient pas un sou de loyer (applaudissements) parce que, grâce aux lois révolutionnaires, plus de 85 p. 100 sont propriétaires de leur logement et ne paient pas non plus d'impôt à ce titre. Pour le reste des logements, situés à des endroits éloignés qui sont indispensables pour l'industrie ou les services, les locataires paient un loyer très modeste ou sont usufruitiers. Et voilà pourquoi quand certains disent que les Cubains gagnent en moyenne de quinze à vingt dollars par mois, je réponds : oui, mais ils n'ont pas à débourser tant pour le logement, comme à New York, et tant pour l'éducation, et tant pour les soins de santé, et tant pour d'autres services. Ça ne veut pas dire que nous ne soyons pas pauvres ou que nous n'ayons pas de besoins, ça veut dire que nous avons distribué la pauvreté ou les ressources de la façon la plus juste possible (applaudissements).

Deux ou trois exemples de plus. Pour assister à un match de baseball important... A Baltimore, que je sache, l'entrée coûte en moyenne dix-neuf dollars; à un Cubain, au taux de change, elle lui coûte 0,05 dollar. Une entrée au cinéma ou au théâtre, qui vaut à New York de six à huit dollars, coûte 0,05 dollar à un Cubain. Visiter un musée - les entrées payantes, je veux dire, parce que les enfants ne paient pas, par exemple - coûte 0,05 dollar. Voilà pourquoi nous avons pu supporter les conditions les plus dures, malgré la crise, malgré qu'il nous manque encore bien des choses.

Les prix des médicaments essentiels n'ont pas changé depuis 1959, autrement dit depuis plus de quarante ans (applaudissements), et ces prix avaient d'ailleurs été déjà réduits de moitié, parce que c'est une des premières choses qu'a faites la Révolution. Et si vous êtes hospitalisés, alors les médicaments sont absolument gratuits (applaudissements). Et si vous avez besoin d'une greffe du coeur, d'une greffe du foie ou d'un autre organe, ou d'une opération ou d'un traitement coûteux, vous ne déboursez pas un centime !

C'est ce que la Révolution a fait pour le peuple qui a engendré l'héroïsme avec lequel il a résisté à une épreuve aussi colossale que plus de quarante ans de blocus, dont les dix derniers ont revêtu les caractéristiques que je vous ai expliquées. Une épreuve jamais infligée à aucun autre pays. Il n'est donc pas étonnant que les autorités nord-américaines elles-mêmes reconnaissent que les jeunes Cubains qui émigrent aux Etats-Unis sont ceux qui jouissent de la meilleure santé parmi tous les immigrants d'Amérique latine et des Caraïbes, et du meilleur niveau de connaissances (applaudissements).

C'est parce que vous avez été si fermement solidaires avec notre patrie face à tant de calomnies et de mensonges que je me sens le devoir de vous expliquer toutes ces choses, sans rien arranger à la vérité.

En tout cas, notre esprit internationaliste n'a pas diminué durant cette Période spéciale. Même s'il est vrai que nous avons dû réduire le nombre de bourses que nous accordions à des élèves étrangers, qui se montaient à 24 000 dans les années 80. Nous étions le pays au monde qui recevait le plus de boursiers par habitant, sans que cela leur coûte un centime (applaudissements). Des dizaines de milliers de spécialistes et de techniciens africains ont fait leurs études à Cuba. Ils venaient d'autres continents, c'est vrai, mais si je signale l'Afrique en particulier, c'est parce qu'ils provenaient surtout de ce continent le plus pauvre. Durant ces dix dernières années, nous avons dû réduire ces quantités. Ainsi que nos programmes d'aide médicale.

Et pourtant, je peux vous dire avec satisfaction que nous avons aujourd'hui plus de médecins et de travailleurs de la santé prêtant des services gratuits dans le tiers monde qu'à aucune autre étape antérieure (applaudissements).

Juste quelques mots à ce sujet. Le cyclone Georges - je ne comprends pas qu'on l'ait baptisé du prénom de celui qui a été l'architecte de l'indépendance des Etats-Unis et son premier président - avait fait d'énormes dégâts et tué beaucoup de gens, et c'est alors que nous avons offert à Haïti, le pays le plus pauvre de ce continent, les médecins dont il aurait besoin (applaudissements). Et quand le cyclone Mitch a causé à son tour, quelques semaines après, de terribles dommages en Amérique centrale, - avec des pluies torrentielles provoquées par le changement climatique et par la coupe sombre des forêts en vue d'exporter le bois dans les pays les plus riches - nous avons fait la même offre et nous avons même dépêché aussitôt des centaines de médecins. C'est après que nous avons proposé à ces pays de développer des plans de santé intégraux.

Il ne s'agissait pas d'envoyer un certain nombre de médecins, de fournir une aide pendant quinze ou vingt jours après le cyclone, et de repartir ensuite, sans plus. Il est vrai que ce cyclone a tué, selon les chiffres les plus élevés mentionnés à l'époque, plus de trente mille personnes. Mais les chiffres réels - parce que les personnes portées disparues au départ ont été retrouvées ensuite ailleurs - ont dû être de quinze mille morts. Mais des maladies qu'on pourrait parfaitement prévenir tuent tous les ans en Amérique centrale plus de quarante mille enfants - sans compter les adultes. Autrement dit, vous avez un cyclone silencieux et permanent bien plus terrible que Mitch, qui tue trois fois plus d'enfants que lui et dont personne ne parle jamais.

Les pays en question ont accepté notre offre, surtout ceux qui ont fait preuve d'indépendance, parce que certains autres, on leur a interdit de dire oui. Et ces programmes se poursuivent de nos jours. Ainsi Cuba a envoyé dans un de ces pays environ 450 médecins et travailleurs de la santé - parce qu'il faut inclure des techniciens pour les équipements et des infirmières spécialisées - aux endroits les plus reculés, sans électricité, au milieu des serpents et des moustiques...

Donc, ces programmes se poursuivent et s'amplifient. Nous ne fournissons pas les médicaments, parce que nous ne les avons pas; ce sont les gouvernements qui s'en chargent, et des organisations non gouvernementales. En tout cas, les services de nos médecins sont totalement gratuits (applaudissements).

En Haïti, plusieurs centaines de nos médecins - à peu près autant que dans le pays dont j'ai déjà parlé - soignent plus de quatre millions de personnes, tandis qu'un groupe de spécialistes dans le principal hôpital du pays et dans certains autres où ils manquaient, soigent ceux qui ont besoin et qui viennent de n'importe quel endroit du pays. Ils ont sauvé bien des vies.

Ce n'est pas si difficile que ça de sauver des vies, si vous recourez tout simplement aux vaccins, qui coûtent quelques centimes, et si vous appliquez des politiques de santé qui permettent de soigner de nombreuses personnes et donc de leur sauver la vie pour des dépenses minimes. Des millions d'enfants meurent dans le tiers monde faute, justement, de ces quelques centimes !

Nous avons donc offert environ deux mille médecins rien qu'à l'Amérique centrale, et à Haïti, tous ceux dont il aurait besoin. Mais ce n'est pas tout. Utilisant une grande école militaire, car nous avons aussi réduit les dépenses dans ce domaine, nous avons créé une école de médecine qui a accueilli un millier de jeunes Centraméricains de famille modeste et provenant d'endroits reculés (applaudissements). Ils y font d'abord une espèce de propédeutique pour niveler les connaissances, et deux ans d'études de sciences de base. Ils font ensuite quatre ans d'études dans les vingt facultés de médecine que nous possédons et qui peuvent recevoir, en plus des facultés de sciences de base, presque quarante mille élèves.

À un moment donné, six mille jeunes Cubains entraient tous les ans dans ces facultés de médecine. Ensuite, logiquement, il a fallu réduire ces chiffres. Mais nous avions largement les capacités suffisantes. Maintenant, ces facultés ne forment pas seulement des médecins et des dentistes, mais aussi des licenciés en soins infirmiers et des techniciens de niveau supérieur.

Pour en revenir à cette école dont je vous parlais, elle compte actuellement plus de trois mille élèves. Mais dans quelques mois, au début du nouveau cours - parce que certains pays latino-américains terminent l'enseignement secondaire à la fin de l'année et d'autres au début de l'été - de nouveaux élèves viendront suivre le cours de propédeutique. Donc, en mars prochain, avec ces mille sept cents nouveaux élèves, l'école en comptera environ cinq mille au total (applaudissements).

Bref, dans trois ans, cette école comptera plus de huit mille élèves en provenance d'Amérique latine, qui ne déboursent pas un sou et qui reçoivent même une alimentation meilleure que celle des quarante mille étudiants cubains qui sont boursiers. Elle compte aussi quatre-vingts élèves de Guinée équatoriale, qui est un pays hispanophone.

Cette école s'appelle Ecole latino-américaine de sciences médicales. Mais le programme correspondant s'étend à toutes les facultés de médecine du pays.

Il faut aussi que je vous dise que Santiago de Cuba a accueilli plus de deux cents Haïtiens, qui ont fait leur propédeutique et qui ont commencé maintenant le cours normal. D'excellents élèves. Nous en recevrons quatre-vingts par an. À quoi il faut ajouter les élèves anglophones des Antilles qui étudient à Cienfuegos. Autrement dit, Cuba doit accueillir pour le moment - sans exagérer - un peu plus de quatre mille élèves de médecine d'Amérique latine et des Caraïbes. Et sous peu, elle en accueillera dix mille (applaudissements). Voilà donc ce que peut faire notre pays malgré le blocus, absolument gratis, offrant des conditions adéquates d'alimentation et de vie, avec tout ce qu'il faut en matière de laboratoires, de livres de texte, de vêtements, de transport à partir de l'école, et du reste.

Nous avons ouvert les inscriptions à tous les élèves d'Amérique latine comme une forme d'union, de fraternité, d'échange culturel. Chaque pays en effet a organisé ses groupes culturels. Les élèves obtiennent ainsi de grandes connaissances sur les autres pays. Mais l'essentiel est surtout de créer une nouvelle conception, une nouvelle doctrine du rôle du médecin dans la société. Les capitales et les grandes villes latino-américaines disposent en effet de médecins en nombre plus que suffisant, mais qui n'ont pas été formés dans ce que doit être le devoir du médecin (applaudissements). Ce n'est pas tant le nombre d'élèves de ce programme qui importe que les idées qui le régissent.

Eh bien, vous n'avez pas idée de la passion avec laquelle ces jeunes étudient, de leur application, plus même que nos propres élèves à nous qui sont habitués à recevoir toutes ces possibilités aussi naturellement qu'ils voient le soleil se lever tous les jours. Mais ces jeunes latino-américains proviennent d'endroits très pauvres, et faire des études de médecine était un rêve pour eux. Ils obtiennent d'excellents résultats. Quels médecins magnifiques va former cette école ! Vrai, nous nous sentons récompensés de nos efforts en voyant les résultats.

Et que faisons-nous en Afrique ? Impossible de faire venir à Cuba des dizaines de milliers d'Africains. L'Afrique subsaharienne aurait besoin de 160 000 médecins, à raison de 1 pour 4 000 habitants; et de 596 000 à raison de 1 pour 1 000 habitants. Le taux de Cuba est de 1 pour 168, et nous formons deux mille médecins par an. Comment l'Afrique subsaharienne pourrait-elle former ce personnel ? Nos Programmes de santé intégraux pour cette partie de l'Afrique - et c'est là la solution que nous proposons - nous permettent de disposer de trois mille médecins cubains, dont la première mission, à peine arrivent-ils dans un pays, est de créer une faculté de médecine si elle n'existe pas (applaudissements), en commançant un cours de propédeutique de six mois pour bacheliers. Nous venons de le faire en Gambie, où il y a cent cinquante-huit médecins cubains (applaudissements). Les autorités nous en ont demandé quatre-vingt-dix de plus et nous avons accepté. C'est en Gambie, qui compte 30 médecins gambiens pour 1 200 000 habitants, que nous avons débuté nos programme de santé intégraux pour l'Afrique.

Le second pays a été la Guinée équatoriale, où il y a plus d'une centaine de médecins cubains qui ont ouvert là aussi une faculté de médecine.

Nous avions aussi créé, voilà bien des années, une école de médecine en Guinée-Bissau, mais elle a été détruite à la suite de la récente guerre civile qui a donné lieu à une intervention étrangère. Comme elle n'a toujours pas été reconstruite, les autorités nous ont demandé de recevoir les élèves des cinquième et sixième années, ce que nous avons accepté tout de suite (applaudissements). Mais comme la reconstruction de l'école a pris du retard, elles nous ont demandé voilà quelques semaines à peine de recevoir tous les autres élèves des quatre premières années, ce que nous avons accepté. Ainsi, tous ces jeunes pourront poursuivre leurs études.

Voilà les grandes lignes du programme. Il faut former des centaines de milliers de médecins africains, mais personne ne s'en occupe. Vous avez une partie du monde riche qui ne s'intéresse qu'au pétrole, aux diamants, aux minerais, aux forêts, au gaz, à la main-d'oeuvre bon marché, et à rien d'autre. Si bien que la situation de ce continent est pire qu'à l'époque coloniale, bien pire ! La population s'est multipliée. Oui, la situation est terrible.

On a parlé hier du sida aux Nations Unies. C'est un chapitre à part. Si vous me le permettez, je vous en parle ensuite (applaudissements).

Pourquoi me suis-je appesanti un peu sur cette question de la médecine ? Je vais vous expliquer. Nous avons concédé des bourses d'études universitaires dans n'importe quelle branche aux élèves caribéens. Les pays anglophones des Caraïbes sont nombreux, mais leur population totale est faible. Mais j'ai découvert tout récemment quelque chose qui m'a laissé fort surpris, à l'occasion de la visite de plusieurs représentants et sénateurs du groupe noir au Congrès nord-américain. Si j'en parle, et c'est la première fois que je le fais en public, c'est parce qu'ils ont parlé eux-mêmes à la presse. Donc, un législateur du Mississippi à qui je parlais de ces programmes de santé m'a dit : "Savez-vous qu'il y a de nombreux endroits de mon district où il n'y a pas un seul médecin...?" Je n’en revenais pas! Et je lui ai répondu : "C'est maintenant que je me rends compte que vous êtes le tiers monde des Etats-Unis !" (Applaudissements et exclamations.) Et je lui ai dit : "Eh ! bien, nous sommes prêts à vous envoyer des médecins gratis, comme nous le faisons pour d'autres pays du tiers monde."

Oui, une vraie découverte. Vous n'arrêtez pas d'entendre parler de la richesse des Etats-Unis, de leur produit intérieur brut qui dépasse huit billions de dollars, etc., etc., et vous vous retrouvez tout d'un coup devant un illustre membre de la Chambre qui vous dit qu'il manque des médecins dans son district ! C'est pour ça que je lui ai répondu : "Nous pouvons vous les envoyer." Et j'ai ajouté aussitôt en me souvenant des écoles : "Bien mieux, nous sommes prêts à octroyer un certain nombre de bourse d'études à des jeunes pauvres de votre district qui ne peuvent pas payer les deux cent mille dollars que coûtent des études supérieures dans votre pays." (Applaudissements et exclamations.) De retour chez eux, ces représentants noirs ont parlé de cette question. Ils nous ont dit qu'ils étaient en train d'analyser cette question des bourses, parce qu'il existe toujours un problème de compatibilité entre le système de formation professionnelle de chaque pays.

Je vous assure que nos médecins reçoivent une excellente formation. Dès la première année, ils entrent en contact avec les médecins de la communauté et les polycliniques, et pendant six ans, ils font non seulement des études théoriques auprès d'excellents professeurs et avec les moyens techniques nécessaires, mais aussi des études pratiques, en contact constant avec les établissements hospitaliers. Nos vingt facultés - en fait, il y en a vingt-deux, mais deux se consacrent aux sciences de base - ont été construites aux abords des principaux hôpitaux dans chaque province, et c'est là qu'ils font la résidence et se spécialisent. Ils n'ont pas besoin de venir à la capitale pour ça.

Le représentant noir dont je vous ai parlé m'a commenté que la situation de son district se répétait pour d'autres minorités, et il m'a parlé des Chicanos, des Indiens dans les réserves et d'autres endroits du pays, et pas seulement d'immigrants latino-américains ou d'ailleurs, mais même de citoyens nés aux Etats-Unis. Je lui ai dit : "Votre pays est énorme, et nous ne pourrions pas y faire ce que nous faisons dans d'autres. Je ne sais pas à combien se monte votre tiers monde, mais j'imagine qu'il doit tourner autour de trente à quarante millions." (Applaudissements.)

Nous disposons de médecins pour une bonne quantité de millions, mais je n'ai pas osé lui en proposer plus, parce que nous avons pris de nombreux engagements ailleurs. Et je lui ai dit : "Ça ne va pas régler votre grand problème, mais je suis sûr que si vous avez besoin de médecins et que vous demandez des visas pour faire venir des médecins cubains, vos autorités ne pourraient pas vous les refuser. Sinon, comment pourraient-elles justifier les milliers de médecins qu'elles nous ont volés au début de la Révolution ?" Oui, elles nous ont volé 3 000 médecins des 6 000 que comptait Cuba alors, - la moitié ! - et plus de la moitié de nos professeurs universitaires. Et c'est avec les trois mille médecins patriotes qui sont restés (applaudissements) que nous avons organisé nos plans et que nous avons relevé le défi. Aujourd'hui, nous en avons 67 500 (applaudissements). Plus de vingt fois la quantité qu'on nous a volée dans les premières années. C'est le fruit de l'effort et de la volonte de faire les choses (applaudissements).

Mais à quoi assistons-nous actuellement ? Eh bien, à une politique visant à promouvoir la désertion de nos médecins en mission internationaliste. Un simple exemple. Nous avons envoyé cent huit médecins au Zimbabwe qui travaillent dans des hôpitaux provinciaux, parce que le pays n'en a pas assez. Car, bien entendu, la Rhodésie de l'apartheid ne formait pas de médecins noirs, et le Zimbabwe indépendant compte encore, après plus de vingt années d'indépendance, beaucoup d'hôpitaux sans médecins. Bref, il existe maintenant dans presque toutes les provinces une équipe de huit à dix médecins cubains, des spécialistes en médecine générale intégrale, des chirurgiens, des orthopédistes, des anesthésistes, des radiologues et des techniciens de maintenance des appareils (applaudissements).

Alors, voilà quelques semaines, deux de ces cent huit médecins, bien évidemment attirés par la société de consommation - ce n'est pas pour rien qu'on dépense un billion de dollars par an pour en faire l'article ! - ont déserté. Ça arrive de temps à autre. Mais je peux vous dire, en tout bien tout honneur, que de tous les médecins participant à ces Programmes de santé intégraux, seulement 1,6 p. 100 ont déserté - même si c'est douloureux (applaudissements).

Et ces deux-là se sont rendus rien moins qu'au bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés ! Aussitôt, les individus qui ont fait des pieds et des mains au Congrès pour retenir le petit Elián aux Etats-Unis ont demandé aux autorités la délivrance de visas. Personne n'a fait cas des enfants, des malades abandonnés, des personnes que soignaient ces deux médecins et des vies qu'ils sauvaient. L'important, c'était la publicitié : Nous avons pêché deux médecins cubains ! Et la mafia cubano-américaine - car c'est ainsi que nous appelons cette prétendue Fondation, qui n'est rien d'autre qu'une organisation terroriste (applaudissements et exclamations) - a fait pareil. Et elle fait la même sale besogne au Guatemala, au Honduras, au Bélize, en Haïti, au Guyana, au Paraguay, bref dans les treize pays où se réalisent aujourd'hui ces programmes qui s'étendront, si je calcule bien, à une trentaine ou une quarantaine de pays, surtout d'Afrique.

Quelle façon de voler des cerveaux ! Voilà pourquoi je disais à ce représentant nord-américain : "Comme pourrait-on vous refuser les visas que vous demandez, au nom de quels arguments, de quel droit, si les autres font des choses pareilles ?" Ou alors devrions-nous, pour envoyer ces médecins aux Etats-Unis, recourir à la Loi d'ajustement cubain ? Une loi que nous appelons assassine à cause des milliers de morts qu'elle provoque, à partir d'un privilège concédé à aucun autre Latino-Américain ni à aucun autre citoyen du monde, d'un privilège concédé uniquement aux Cubains, pour promouvoir la déstabilisation et le désordre, et pour fabriquer la matière première qui servira de propagande contre Cuba.

Bien entendu, c'est une manière de parler, nous ne ferions pas ce genre de choses. Mais j'ai l'espoir que si les législateurs noirs ou d'autres minorités de Latinos ou de la population autochtone demandaient l'envoi d'un groupe de médecins cubains qui ne coûteraient pas un sou au contribuable ou au trésor nord-américain, le gouvernement des Etats-Unis ne leur refuseraient pas les visas. Sinon, ce ne serait pas logique.

Bien entendu, les législateurs discutent de la compatibilité des études. Je suis absolument convaincu que si nos médecins devaient passer un examen rigoureux, ils réussiraient sans problème devant n'importe quel jury juste et accompliraient leur mission avec honneur.

Mais c'est plus simple pour eux d'envoyer des jeunes faire des études de médecine à Cuba, et ils y pensent. En tout cas, nous, nous sommes prêts à accueillir deux cent cinquante élèves par an provenant du tiers monde nord-américain (applaudissements). Ils apprendraient en plus l'espagnol et entreraient en relation avec des jeunes de tout le continent, auxquels ils transmettraient ce qu'ils savent des Etats-Unis et de la culture nord-américaine, tout en apprenant à connaître la leur.

J'ai parlé de deux cent cinquante bourses. Mais pour le cours de propédeutique qui débute en mars, nous pouvons en offrir cinq cents, pour inclure d'autres minorités. Ce n'est pas nous qui ferions la sélection, bien entendu, mais les représentants qui souhaitent aider des modestes jeunes de leur juridiction à faire des études de médecine, à la seule condition qu'ils s'engagent ensuite à exercer dans leur communuté d'origine (applaudissements).

J'ai encore quelques petites choses à ajouter, et je vous parlerai à la fin - ne vous impatientez pas - du petit Elián et ensuite je conclurai. Laissez-moi voir l'heure (il consulte sa montre). Nous sommes là depuis un bon bout de temps déjà, et j'espère que ça ne se prolongera pas trop.

Je vous disais donc que la situation sanitaire en Afrique était désastreuse, mais que le plus terrible est un nouveau fléau qui menace - et je pèse bien mes mots -d'annihiler des nations entières de ce continent. Pire encore, qui menace d'annihiler la population entière de l'Afrique subsaharienne, qui compte 596 millions d'habitants.

Je parle tout à fait sérieusement, après mûre réflexion. Je ne veux pas être alarmiste, mais il y a certain nombre de chiffres que je sais par coeur. Le monde compte actuellement 35 millions de sidéens, dont 25 millions sont Africains. Ces données proviennent de différente sources, mais surtout de mes conversations avec le responsable du programme des Nations Unies pour le sida. Un peu plus de deux millions de sidéens africains meurent tous les ans, des jeunes pour la plupart, bien entendu, des femmes à l'âge nubile. Pour 2 décès, on compte 5 séropositifs. Le nombre de décès se monte à 19 millions de personnes, qui ont laissé 12 millions d'orphelins, et on calcule que le chiffre se montera à 49 millions dans dix ans.

Et on est loin de mettre un vaccin au point.

Je me pose la question : comment un pays pauvre du tiers monde peut-il se développer quand 30 p. 100 parfois de sa population est séropositive et manque de médecins, de médicaments et d'infrastructures ? Comment s'occuper de 42 millions d'orphelins ? Et le plus terrible, c'est que, des 19 millions de décès, un grand nombre sont des enfants qui ont été infestés à leur conception même et des mamans. Comment peut-on les alimenter, quand on sait la quantité de personnes souffrant de dénutrition dans beaucoup de ces pays, quand on sait la faim qui y existe ?

Une réunion s'est tenue voilà quelques semaines à Durban, en Afrique du Sud, entre des représentants africains et des représentants de pays industriels. Et ces derniers ont dit qu'il fallait un effort pour faire face au problème, qui était terrible. Et je me suis dit : Ces gens-là viennent de découvrir le sida en Afrique. En tout cas, c'est ce qu'il semblait ! On y a parlé de mesures à prendre, de ce qu'il fallait faire avec les compagnies productrices de médicaments pour réduire les coûts, des petits sommes d'argent à donner... On a parlé d'un milliard, d'un milliard et quelque. Parfait. Or, si on réduisait à mille dollars le prix d'un traitement pour enrayer la maladie qui en coûte actuellement dix mille, il faudrait 25 milliards de dollars par an. Si on le réduisait à cinq mille, alors, il en faudrait 125 milliards, et au coût du traitement actuel, il en faudrait 250 milliards.

Reste à voir combien d'argent on donnera, et combien de temps on mettra pour appliquer un programme, combien de millions de personnes vont s'infester, combien de millions vont mourir et de combien de millions la quantité d'orphelins va augmenter.

Je vous assure que la coopération des pays industriels permettrait de résoudre un problème fondamental, que plusieurs représentants africains ont soulevé à cette réunion : "A quoi bon, si nous n'avons pas d'infrastructures pour utiliser ces médicaments ?" Le traitement est constitué d'un certain nombre de comprimés à prendre à telle heure, dans des conditions données. Ce n'est pas un comprimé d'aspirine que vous avalez quand vous avez mal à la tête. J'ai beaucoup pensé à ça.

De nombreux représentants africains ont pris la parole, hier, à la table ronde, et ont parlé du sida. Alors, me souvenant de Durban, j'ai dit : "Si les pays industrialisés fournissent l'argent pour les médicaments, notre pays, fort de l'expérience acquise par des dizaines de milliers de médecins dans le ties monde, peut organiser cette infrastructure en un an." (Applaudissements.) Et qu'on n'aille pas parler de questions politiques, parce que nos médecins ont des instructions rigoureuses de s'en tenir par-dessus tout à une règle : Ne jamais parler de politique, de religion et de philosophie. Et ils s'en tiennent à cette règle. S'il y a un pasteur protestant dans le coin, eh bien , ils travaillent avec lui. Le pasteur ne souhaite pas la mort de ses ouailles, et il coopère, et il peut beaucoup aider à ce genre de programmes en persuadant les gens d'adapter telle ou telle mesure. Et les médecins peuvent travailler tout aussi bien avec un chef religieux musulman ou avec le chef spirituel d'une religion africaine, ou avec un prêtre catholique. Personne ne souhaite que les enfants meurent. Qui pourrait s'opposer à ça ?

Si cette épidémie terrible continue de progresser, les Africains ne pourront plus travailler, ne pourront produire d'aliments, et les quelques lits d'hôpitaux dont ils disposent ne suffiront plus, parce que le sida entraîne d'autres maladies terribles.

À cette calamité sanitaire, il faut ajouter des centaines de millions de paludéens, nouveaux ou récidivistes, dont un million meurent tous les ans, et le décès annuel de trois millions de tuberculeux, car la tuberculose est incontestablement en rapport avec la dénutrition et le VIH. Rappelez-vous : seul 1 p. 100 des dépenses de recherche médicale dans le monde concerne les maladies tropicales.

Une fois installée, l'infrastructure pourrait prêter d'autres services médicaux, et pas seulement la lutte contre le sida. Si vous disposez des médicaments et des vaccins requis, vous pouvez prévenir ou soigner d'autres maladies qui causent de nombreux victimes, et ce sans beaucoup de frais. Cuba pourrait envoyer une centaine de médecins au minimum dans chaque pays de l'Afrique subsaharienne où les besoins sont les plus grands.

Ces médecins organiseraient l'infrastructure, dirigeraient, formeraient des jeunes. Si on leur confie de jeunes auxiliaires d'une quinzaine d'années, ayant terminé les études primaires, ils peuvent, avec les livres de texte correspondants, les convertir en infirmiers en deux fois moins de temps que dans une école classique; s'il faut former des spécialistes en orthopédie, en chirurgie ou dans d'autres branches, ils peuvent le faire en deux fois moins de temps que dans une résidence en hôpital. Ces médecins pourraient donc faire bien autre chose que créer simplement une infrastructure : former des dizaines de milliers de personnels qualifiés. Et en plus, créer des facultés de médecine là où elles n'existent pas. Cuba ne se ferait pas payer un centime pour ces services, et n'attendrait pas des années pour les mettre en oeuvre (applaudissements).

On nous dira qu'il n'y a pas d'argent. On pourrait en tirer un peu de celui qui se dépense en publicité, qui pousse à la consommation non seulement dans les sociétés développées, mais même dans des pays sous-développés où des milliards de personnes ne peuvent jouir pratiquement d'aucune consommation, et en tirer aussi un peu des dépenses militaires qui se montent à 800 milliards de dollars (applaudissements).

On pourrait aussi émettre des bons pour que de nombreuses personnes nobles dans le monde mais qui ne connaissent pas cette situation en achètent et contribuent ainsi à ces dépenses. Mieux encore : un petit impôt de rien du tout sur les opérations spéculatives, et ça y est, vous avez de l'argent à revendre non seulement pour ça, mais aussi, pratiquement, pour développer le tiers monde. Ça saute aux yeux.

Pourquoi ne le fait-on pas ? Pourquoi parle-t-on des droits de l'homme tout en permettant que ces calamités continuent de se produire dans le monde ? Qui sont les responsables de la mort, tous les ans, de dizaines de millions de personnes qui pourraient se sauver, entre autres des enfants - dont plus de onze millions meurent - des adolescents, des jeunes et des adultes, qui meurent aussi faute d'assistance médicale, ou qui meurent d'une maladie non soignée à temps, ou d'une malformation qu'on aurait pu arranger, ou qu'on pourrait sauver par une simple opération chirurgicale ou orthopédique en cas d'accident ? Allez savoir combien de personnes meurent alors qu'on pourrait les sauver, ou à combien de personnes d'âge avancé on pourrait prolonger la vie ?

Un quinquagénaire souhaiterait pouvoir vivre dix ans, ou vingt ans ou trente ans de plus. Un septuagénaire aimerait vivre cinq, ou huit, ou dix ans de plus. Les gens de mon âge, puisque vous avez rappelé que j'en avais soixante-quatorze, souhaiteraient vivre quatre ou cinq ans de plus, et même dix de plus, pour voir comment le monde évolue et si certaines des prédictions s'accomplissent.

Moi, personnellement, j'aimerais pouvoir profiter un peu plus de l'expérience que j'ai acquise durant tant d'années de lutte au service du peuple (applaudissements). Mes adversaires parlent de "Castro au gouvernement depuis tant et tant d'années", de "la dictature de Castro", de "la tyrannie de Castro", de "Castro qui est au pouvoir et qui ne veut pas le laisser", et je ne sais combien d'autres choses... Le pouvoir, si ce n'est pas pour en faire quelque chose, pour faire du bien, ne sert absolument à rien, et je serai bien fou de le vouloir (applaudissements).

D'ailleurs, comme je l'ai expliqué à bien des visiteurs, je détiens bien peu de pouvoirs constitutionnels et légaux, un minimum. Je ne nomme même pas les ambassadeurs. Partout dans le monde, le président du pays nomme les ambassadeurs, les ministres. Pas moi : ni les ministres ni aucun fonctionnaire à un poste de l'Etat. Les ambassadeurs sont proposés par une commission qui analyse les cadres et les soumettent au Conseil d'Etat, qui comprend trente et une personnes. À la fin, il m'incombe de signer la décision.

Pareil pour les grâces ou les commutation de peine en cas de peine capitale : ce sont les trente et un membres du Conseil d'Etat qui en décident.

Et d'ailleurs, peu m'importe. Un gouvernant ou un dirigeant n'a pas besoin de poste : tout ce qu'il lui faut, c'est de l'autorité morale, un pouvoir moral (applaudissements).

En quarante et un ans, les seuls désordres publics à La Havane ont éclaté près du port. Au moment de la "crise des balseros". La radio ennemie avait annoncé que des bateaux arrivaient des Etats-Unis pour recueillir des immigrants. Tout le monde savait que nous ne leur tirerions pas dessus et que nous ne tenterions jamais d'arraisonner des bateaux avec des gens à bord. Parce que nous l'avions interdit. En effet, quand les vedettes rapides en provenance des Etats-Unis avaient commencé à s'approcher pour des opérations de contrebande de personnes, l'une d'elle s'était située près de la côte, à l'est de La Havane, et le personnel de surveillance, surpris devant ce fait inusité, lui avait donné l'ordre de stopper et avait tiré. Il y avait eu quelques blessés, et peut-être un mort, je ne sais pas. Une autre fois, un tracteur qui tirait une remorque avec des gens dedans pour gagner la côte avait tenté d'écraser un policier qui lui avait dit de stopper et d'autres qui l'accompagnaient avaient tiré, et là encore il y avait eu des blessés. Ça faisait deux fois. À un autre moment, un bateau qui transportait du sable avait été détournée avec des gens à bord - tout ces faits stimulés par la Loi d'ajustement - une vedette de patrouille avait fait quelques tirs sans atteindre personne, heureusement. Devant tous ces faits, les garde-frontières et toutes les autorités avaient reçu des instructions de ne pas tirer sur des bateaux avec des personnes à bord, de ne pas tenter de les arraisonner, même s'ils étaient au milieu de la baie de La Havane. À ce moment-là, mêmes les vedettes de Regla - dont beaucoup de vous savent qu'elles font la navette entre cette localité et la Vieille-Havane, faisaient l'objet de piraterie. Quelqu'un montait à bord avec un revolver, il avait des complices à bord, ils mettaient le pilote hors d'état de nuire et partaient. Personne ne les touchait.

Quant au fameux incident dont on parle tant au sujet du remorqueur 13 Mars, nous avons reconstitué l'histoire dans tous ses détails parce que nous avons ordonné de faire une enquête minutieuse. Des délinquants sont arrivés à l'endroit où les remorqueurs du port étaient accostés, sont montés à bord de l'un d'eux, ont neutralisé les gardiens, ont détruit les communications et sont partis avec. Trois travailleurs sont montés à bord d'un second remorqueur, et trois ou quatre autres - je ne me rappelle plus très bien - à bord d'un troisième, de nuit, sans rien dire à personne, et sont partis à la poursuite du premier pour tenter de l'intercepter. Personne ne savait rien, car plusieurs heures s'étaient écoulées depuis le vol du premier remoqueur. Dès que les autorités pertinentes l'ont appris, elles ont donné l'ordre aux garde-côtes de prendre la route qu'ils suivaient pour éviter un incident et faire rentrer aussitôt les deux remorqueurs. C'était au petit matin, la mer était agitée, avec des vagues. Avant l'arrivée du garde-côtes, un des remorqueurs poursuivants avait heurté la poupe du remorqueur piraté qui avait coulé. L'équipage s'était alors efforcé de sauver plusieurs des naufragés, sans disposer toutefois des moyens adéquats et craignant aussi d'être piratés à leur tour. Heureusement, le garde-côtes est arrivé sur les lieux et son équipage, malgré les condtions difficiles et en pleine nuit, est parvenu à sauver vingt-cinq personnes, soit presque la moitié des passagers, parce qu'il disposait de bouées, de cordes et d'autre moyens de sauvetage. Voilà exactement ce qu'il s'est passé. Mais nos ennemis ont aussitôt inventé une histoire et répandu une légende cinique sur cet incident.

Je vous assure que je n'exagère pas et que je n'invente rien. J'aurais tout à fait honte de tenter de justifier quelque chose qui serait infâme. Nous n'avons jamais suivi cette ligne de conduite. Il doit y avoir encore aux Etats-Unis bon nombre de mille deux cents prisonniers que nous avons capturés à Playa Girón. Aucun d'eux ne peut dire qu'il a reçu un coup de crosse, bien que les envahisseurs aient tué plus de cent compagnons et blessé des centaines de personnes. J'étais sur place, personne ne me l'a raconté, et j'ai participé moi-même à la capture de ces prisonniers. Je suis même passé devant une escouade d'envahisseurs armés camouflés derrière des mangroves qui m'ont vu à quelques mètres et n'ont pas osé tirer.

À certains moments d'une bataille, l'adversaire perd le moral et plus personne ne tire. Ceux de cette escouade, pendant le procès, ont allégué de ce mérite, autrement dit que j'étais passé devant eux alors qu'ils avaient des armes automatiques et qu'il ne m'avait pas tiré dessus. Bien le merci, bien entendu. Je n'aurais pas eu l'occasion de fêter mes soixante-quatorze ans, et je leur en sais donc gré (applaudissements). Mais aucun d'eux ne peut dire qu'il a été maltraité, alors qu'ils avaient envahi notre terre armés et envoyés par une puissance étrangère.

Si ça s'était passé à l'envers, vous savez très bien qu'ils auraient été condamnés au moins à la prison à vie. Et ici, quand vous êtes condamnés à perpétuité, on ne vous libère pas facilement après, comme on a pu le constater avec ces Portoricains qui étaient emprisonnés ici depuis bien des années et qui ont été libérés récemment et qui ont dû souffrir bien longtemps avant de voir le fruit d'une longue lutte solidaire. Je ne sais pas combien de temps exactement ils sont restés en prison, peut-être quelqu'un de vous le sait-il (on lui dit : vingt ans).

Soeurs et frères, je peux vous assurer que quand nous condamnons à Cuba certains de ces mercenaires payés de l'étranger pour réaliser des actions subversives, il ne sont pas en prison depuis trois mois que les pétitions, les pressions et les lettres pleuvent de partout, en vertu d'un mécanisme bien huilé d'avance, pour que nous les relaxions. Je ne sais combien de contre-révolutionnaire punis à juste titre nous avons remis en liberté, parce que la lutte dure depuis longtemps !

Au début de la Révolution, il y avait au moins trois cents organisations contre-révolutionnaires qui réalisaient des actions terroristes, et quand nous avons capturé ces mille deux cents mercenaires à Playa Girón, ils n'ont même pas fait deux ans de prison. Nous avons proposé à ceux qui les avaient envoyés : Si vous payez une indemnisation en médicaments et en aliments pour les enfants, nous les remettons tous en liberté. Ensuite, certains d'entre eux ont commis des crimes, ont tué des compagnons à nous à la suite d'attentats à la bombe. Si nous les avions incarcérés trente ans, nous aurions sauvé la vie de bien de nos compagnons, mais ce risque n'a pas influé. Et c'est comme ça qu'un beau jour un bateau chargé de "héros" est arrivé aux Etats-Unis sans ennuis. On leur a remis un drapeau - je crois que c'est le président de l'époque qui le leur a remis, à moins que ce ne soit l'inverse, pour qu'ils la fassent flotter un jour dans une Cuba libre. En fait, ces gens-là n'avaient même pas sauver le moindre petit fanion, ni aucune arme, ni rien de tout ça. Ça fait bien des années de ça.

J'ai parlé ensuite avec un certain nombre de gens qui avaient participé à cette expédition, et ils avaient changé d'avis. C'étaient des gens différents. L'homme peut changer.

Si je vous ai signalé l'exemple de Playa Girón, c'est parce qu'il démontre la continuité de la politique que nous avons suivie depuis la guerre dans la Sierra Maestra. Au cours des premiers combats, les soldats ennemis luttaient jusqu'à la dernière balle parce qu'ils croyaient que nous allions les tuer. Après, ça a changé. Nous avons fait des milliers de prisonniers pendant la guerre. Nous soignions les blessés à eux avant les nôtres. Nous n'avons jamais fusillé un prisonnier, ni même frappé l'un d'eux. La Croix-Rouge internationale en est témoin, elle possède les listes et les dossiers des centaines de prisonniers que nous avons capturés pendant la dernière offensive de Batista contre notre premier Front à l'été 1958. Et là, n'importe qui peut vérifier si nous avons frappé ou fusillé un seul prisonnier.

C'étaient nos adversaires qui nous fournissaient les armes. Ils venaient d'autres provinces, et quand ils se voyaient perdus, ils ne luttaient plus jusqu'au bout, comme au début. Ou plutôt, ils luttaient en règle générale, ils opposaient une forte résistance, mais quand ils se voyaient perdus, ils se rendaient. Certains se sont même rendus à trois reprises. Pourquoi ? Parce que nous suivions une politique avec l'ennemi, de la même manière que nous avions une politique envers la population. Eux, quand ils arrivaient, ils tuaient des civils, ils mettaient le feu à des logements, ils volaient tout, ils ne payaient rien. Et nous, quand nous arrivions, nous payions tout ce que nous achetions. S'il n'y avait personne, nous laissions l'argent chez un voisin ou ailleurs. Et tout le temps que la guerre a duré, sur le Premier Front de la Sierra Maestra d'où sont issues toutes les autres colonnes, nous avons suivi la même doctrine de guerre, la même doctrine politique, et je ne me souviens d'aucun cas de combattant qui ait manqué de respect envers la mère ou la fille dans une famille paysanne.

Quand nous avons débarqué, nous avons été dispersés par une attaque. Et c'est à partir de sept hommes armés que nous avons gagné la guerre en moins de vingt-quatre mois, en luttant contre des forces qui comptaient quatre-vingt mille hommes entre les soldats, la marine et la police. Et nous avons vaincu avec l'aide du peuple. Pourquoi ? Parce que nous défendions une cause juste, en premier lieu (applaudissements), et ensuite, parce que nous avions une politique envers les paysans et envers le peuple en général, mais aussi une politique envers l'adversaire. Sans cette politique-là, notre victoire n'aurait pas été possible, ni en deux ans ni en trente ans, à supposer que nous ayons fait les autres choses à peu près bien.

Ces traditions se sont conservées jusqu'à nos jours. Vous pouvez interroger les Sud-Africains qui ont été prisonniers de nos troupes pour voir si quelqu'un les a frappés, si un seul a été fusillé. Parce que notre politique de guerre, nous l'avons propagée et transmise à tous ceux avec lesquels nous coopérions. Je n'en dis pas plus, parce qu'il y a beaucoup d'endroits ou les combattants s'entretuent. C'est comme ça.

Quant à nous, pendant notre guerre et pendant nos missions internationalistes, nous n'avons frappé ni fusillé un seul prisonnier. Et il existe des témoins vivants de tout ce que je vous dis. Et ça, bien entendu, ça vous donne de l'autorité et du moral.

J'en reviens maintenant aux désordres qui sont produits à La Havane, le 5 août 1994. Même la police était surprise. Ce n'était jamais arrivé dans notre pays. Des groupes de civils, qui se montaient à plusieurs centaines de personnes, avaient commencé à briser des vitrines et des vitres de maison à coups de pierres, et les gens étaient à moitié déconcertés. Quand j'ai appris la nouvelle en me rendant à mon bureau, on me dit ce qu'il se passe. Et je dis : que la police ne bouge pas. J'ai alerté mon escorte, neuf hommes qui étaient avec moi, j'avais demandé trois jeeps, parce que je voulais m'y rendre dans une jeep, et non dans une voiture blindée ou de sécurité. Les jeeps sont donc arrivées. Il y avait là les neuf hommes de mon escorte, un compagnon qui est ici, qui travaillait alors avec moi et que vous connaissez, Felipe Pérez Roque, notre brillant ministre des Relations extérieures (applaudissements), et le compagnon Lage, qui nous a rejoint en chemin. Au total, douze personnes.

Nous nous sommes rendus à l'endroit des tumultes. L'escorte avait reçu des instructions formelles de ne pas utiliser ses armes. Nous sommes donc arrivés, je suis descendu, j'ai commencé à avancer, et la population a aussitôt réagi. Les troubles ont cessé en quelques minutes, et même ceux qui lançaient des pierres ont été pris par la contagion. Nous sommes descendus en masse jusqu'à l'avenue du front de mer et nous sommes revenus à pied par le même chemin. Voilà le style de la Révolution, maintenant et toujours (applaudissements).

On n'a jamais vu dans notre pays un seul camion-pompe en train de lancer des jets d'eau contre les gens, on n'a jamais vu de ces policiers qui portent des espèces de scaphandres qui les font ressembler à des gens venus d'une autre planète, qui portent je ne sais combien de trucs sur eux, pour réprimer des manifestants et utilisant des méthodes brutales ! Ça n'est jamais arrivé dans notre pays. Nous payons n'importe quoi à la personne qui pourrait montrer une seule photo de ce genre.

Dans les premières années de la Révolution, il y avait trois cents organisations contre-révolutionnaires, des bandes armées dans tout le pays, des milliers de gens en prison. Et quand j'allais en visite à l'île des Pins, qui est maintenant l'île de la Jeunesse, j'allais voir ces prisonniers qui travaillaient dans les champs et qui portaient des machettes, des haches, des choses de ce genre, et ils n'ont jamais tenté de m'attaquer !

J'ai eu aussi plusieurs réunions avec les prisonniers de Playa Girón, je suis même allé les voir en prison quand ils ont été condamnés. Aucun d'eux n'a fait preuve d'irrespect !

Nul ne sait ce que vaut la morale et une ligne de conduite digne. C'est la force la plus puissante que vous puissiez avoir (applaudissements).

Je vous ai parlé des voyages, des menaces qui pèsent sur moi. Je vous ai même dit que j'aimerais pouvoir vivre quelques années de plus, mais je peux vous assurer aussi en tout honnêteté que je ne changerai pas un seul principe, que je n'accepterai pas un seul déshonneur, pas une seule menace en échange de la vie (applaudissements).

Voilà pourquoi je vous ai dit que je m'étais senti content quand j'ai commencé mon voyage vers votre pays, ou plutôt vers New York, parce que je n'ai pas de visa pour visiter tout le pays. Rien que New York, et pas plus de quarante kilomètres autour. Pas un millimètre de plus. Et ma satisfaction naissait du mépris que je pouvais afficher vis-à-vis de cette pluie de menaces contre moi et de mon envie de vous rencontrer.

Ces éléments-là que je vous apporte vous seront peut-être utiles à des gens comme vous qui avez été si courageux et si solidaires.

Je vous ai parlé des graves problèmes sociaux du tiers monde. Mais il y a aussi de graves problèmes sociaux dans un pays aussi riche que celui-ci, le plus riche du monde. Et je veux en signaler certains.

Trente-six millions de personnes y vivent en-dessous du seuil de pauvreté, soit 14 p. 100 de la population, autrement dit deux fois que la moyenne des autres pays développés, deux fois plus que l'Europe ou le Japon.

Quarante-trois millions de personnes n'ont pas d'assurance-santé, et trente autres millions ont une couverture médicale si maigre qu'elle est pratiquement inexistante.

On y compte 30 millions d'analphabètes et 30 autres millions d'analphabètes fonctionnels. Ce ne sont pas des inventions de Cuba, mais des chiffres officiels d'organismes internationaux.

Parmi les Noirs, le taux de pauvreté se monte à 29 p. 100, alors que la moyenne générale est de 14 p. 100, soit plus du double. Et chez les enfants, ce taux s'élève à 40 p. 100. Et dépasse 50 p. 100 dans certaines villes et régions rurales des Etats-Unis.

Bref, malgré l'expansion économique, le taux de pauvreté dans la société nord-américaine dépasse de deux à trois fois celui de l'Europe de l'Ouest. 22 p. 100 des enfants nord-américains vivent dans la pauvreté. Ce sont des chiffres officiels.

Seuls 45 p. 100 des travailleurs du privé ont la sécurité sociale.

On estime que 13 p. 100 de la population nord-américaine ne dépassera pas soixante ans.

À travail égal, les femmes gagnent 73 p. 100 de moins que les hommes et constituent 70 p. 100 des travailleurs à mi-temps, ce qui ne leur donne droit à aucun avantage social.

De 1981 à 1995, 85 p. 100 des nouveaux travailleurs ayant plus d'un emploi étaient des femmes.

Le un pour cent de la population la plus riche qui possédait 20 p. 100 des biens en 1975 en possède maintenant 36 p. 100. L'écart se creuse.

Des 3 600 condamnés à la peine capitale qui peuplent les couloirs de la mort des prisons nord-américaines, il n'y a pas un seul millionnaire, pas un seul membre de la classe moyenne haute. On pourrait se demander pourquoi. Vous pouvez sans doute répondre mieux que moi. Je n'accuse personne, je dis ce qui se passe.

Il semble qu'il faille atteindre la catégorie de millionnaire pour acquérir la décence et le discipline nécessaires pour ne jamais être condamné à une peine de ce genre.

J'ai d'autres chiffres qui sont un peu durs, mais je dois les donner.

Dans toute l'histoire des Etats-Unis, on ne connaît pas un seul cas d'un Blanc exécuté pour avoir violé une Noire (applaudissements).

Pourtant, tant que le viol a été passible de la peine capitale, des 455 personnes exécutées à ce titre, 405 étaient Noirs, soit 9 sur 10.

Dans l'Etat de Pennsylvanie, par exemple, où l'indépendance a été proclamée en 1776, alors que les Afroaméricains ne représentent que 9 p. 100 de la population, ils constituent pourtant 62 p. 100 des condamnés à mort, soit sept fois plus.

Un autre détail. Plus de 90 p. 100 des 3 600 condamnés à mort ont été victimes dans leur enfance de violences physiques ou sexuelles.

Selon une étude récente d'une organisation non gouvernementale, les Noirs ont treize fois plus de possibilités d'être condamnés à de longues peines de prison que les Blancs en cas de problèmes de drogue, alors que les trafiquants blancs sont cinq fois plus nombreux que les trafiquants noirs.

Plus de 60 p. 100 des femmes emprisonnées aux Etats-Unis sont des Afroaméricaines ou des Latinas.

Peut-être que nous sommes tous des criminels-nés, nous les Latino-Américains, ou tous les Afroaméricains, ou ceux des autres ethnies, et que nous commettons pratiquement tous les délits.

Je ne défends pas le crime, tant s'en faut. Je ne suis pas non plus en mesure de savoir dans tous les détails comment se déroule les procédures et ce qu'il se passe d'ordinaire. Je me demande simplement pourquoi, je me demande simplement si nous sommes génétiquement des criminels, auquel cas peu importerait que disparaisse toute l'Afrique subsaharienne, tous les Indiens, les métis et les Blancs d'Amérique latine, et tous les habitants des Caraïbes, y compris, nous, les Cubains. C'est une question qu'on est en droit au moins de se poser. J'ai déjà vécu soixante-quatorze ans, comme vous l'avez rappelé, et j'ai connu bien des gens dans ma vie.

Je suis né à la campagne, j'étais fils d'un gros propriétaire terrien. Mon père avait d'abord été un paysan pauvre d'origine espagnole. Il était d'abord allé à Cuba comme soldat recruté lors de la dernière guerre d'Indépendance, sans avoir jamais été à l'école. À la fin de cette guerre de 1895-1898, il a été rapatrié en Espagne. Il est retourné à Cuba motu proprio. Il y a travaillé; au fil des années il a fini par réunir des terres et diriger une centaine de travailleurs agricoles immigrants comme lui ou cubains. C'était l'époque où l'United Fruit Company, pour développer ses plantations de canne à sucre dans la néocolonie instaurée à Cuba, coupait et brûlait les forêts d'essences précieuse, celles qui avaient servi à construire le fameux palais de l'Escurial et même le navire de guerre le plus gros de l'époque de l'amiral Nelson, coulé à la bataille de Trafalgar. Ces bois avaient un prestige spécial, et mon père a participé à ces coupes de bois et d'essences précieuses avec ces hommes qu'il avait recrutés. Qui pourrait lui en faire reproche ?

En tout cas, il a réuni de l'argent et il a acheté peu à peu des terres, de nombreuses terres, au point qu'il a fini par en posséder neuf cents hectares à lui et plus de dix mille à bail. C'est dans ce grand domaine que je suis né et que j'ai grandi. J'ai été, et c'est une chance, fils de propriétaire terrien, et non petit-fils, et je n'ai donc pas pu acquérir une culture et une mentalité de la classe riche. Être révolutionnaire n'implique aucun mérite, ça dépend de nombreux facteurs. Ainsi, tous mes amis étaient des enfants et des adolescents pauvres de mon âge. J'ai connu les baraquements des environs, aussi bien sur les terres de ma famille que dans les énormes plantations de grandes sociétés nord-américaines, où vivaient de nombreux émigrés haïtiens. Leurs conditions de vie et de travail étaient pires que celles des esclaves, bien que l'esclavage ait censé avoir été aboli à Cuba en 1886. Ce n'est pas ça qui m'a fait révolutionnaire, mais ça m'a aidé à comprendre plus tard les réalités et les injustices sociales du pays où j'étais né.

Je vais ajouter quelque chose aux réflexions que j'étais en train de faire. Vous avez mentionné voilà quelques minutes le nom d'un Afroaméricain récemment exécuté. Vous savez que notre peuple a condamné avec la plus grande énergie l'assassinat légal de Shaka Sankofa pour un crime qu'il n'a pas commis (applaudissements), malgré les protestations unanimes de l'opinion publique mondiale et même de beaucoup de gouvernements.

J'ai demandé pas mal d'informations, des données, des détails à ce sujet. J'ai même consulté des plans, des croquis de l'endroit où se sont produits les faits dont on l'accusait. Le fait que le seul témoin qui a dit l'avoir reconnu, la nuit, se trouvait à une certaine distance, et l'a juste entrevu d'un seul coup d'oeil - autrement dit quelque chose que même la caméra la plus sensible n'aurait pas pu enregistrer - et d'autres facteurs m'ont conduit à la conviction qu'il était innocent. Je ne le dis pas parce que quelqu'un d'autre l'a affirmé, mais parce que j'ai analysé tous les faits et que je me suis convaincu (applaudissements). J'ai même analysé son origine sociale, la marginalisation dans laquelle il a grandi, les premiers problèmes qu'il a eus avec la justice. Et j'en ai parlé à notre peuple comme un exemple des vrais facteurs qui contribuent à ce qu'un jeune, Noir, Blanc ou d'une autre ethnie, commette un délit. Je suis aussi avocat. Je m'y connais un peu en droit. Je me suis défendu moi-même quand on m'a jugé lors de l'attaque de la caserne Moncada. J'ai dû le faire plus d'une fois après que je sois devenu avocat. Je n'avais presque pas d'autre client (rires). Et si je n'étais pas arrivé à cette conviction, j'agirais comme un vulgaire démagogue de vous avoir dit ça (applaudissements).

Nous avons organisé dans notre pays une table ronde télévisée à laquelle ont participé des personnalités étrangères, dont j'aperçois une d'ici.

Je sais aussi que vous êtes lancés depuis longtemps dans une autre lutte très juste, une lutte que notre peuple soutient aussi à fond : la libération du journaliste Mumia Abu-Jamal (exclamations et applaudissements prolongés), condamné à mort et dont la peine injuste a soulevé un mouvement d'opinion gigantesque dans le monde entier.

Si on va plus loin et qu'on analyse les faits historiques pour savoir quel est ce Blanc exécuté pour viol - contre neuf Afroaméricains, je le rappelle - quels sont ces cinquante Blancs exécutés au total, on retrouve toujours, indépendamment d'autres facteurs, la marginalisation sociale. Et dans le cas des Afroaméricains, il faut ajouter à la marginalisation sociale la discrimination raciale. Et vous avez ainsi des dizaines de millions de personnes victimes d'une horrible injustice, même si elles ne sont pas condamnés à la peine capitale ou à l'incarcération, parce qu'elles naissent vouées à l'humiliation tous les jours de leur vie.

Je suis plus ou moins Blanc. Plus ou moins, parce qu'il n'existe pas d'ethnie pure. Je me rappelle avoir visité les Etats-Unis en 1948, en noviembre. Je me rappelle le mois parce que ça a coïncidé avec l'époque où, contre tous les pronostics, Truman avait remporté les élections. J'étais allé à Harvard parce que je voulais faire des études d'économie. J'avais déjà des idées révolutionnaires, mais je voulais me doter de meilleures connaissances. Ensuite, je suis rentré de New York à bord d'une voiture bon marché qui avait dû me coûter deux ou trois cents dollars, ce genre de voiture qu'on vous vend quasiment au prix de la ferraille, pour prendre le ferry en Floride et rentrer à Cuba. J'ai donc dû m'arrêter plusieurs fois en chemin pour manger quelque chose ou acheter quelque chose. J'ai pu constater à plus d'une reprise le mépris avec lequel on me traitait tout simplement parce que parlais une autre langue ou parce que j'étais Latino-Américain. J'ai senti la discrimination, non seulement contre ceux qui appartenaient à une autre ethnie, mais aussi contre les gens d'une autre nationalité, d'une langue différente.

Ensuite, je suis revenu juste quelques jours aux Etats-Unis, à la fin de 1955, je crois. Je vivais alors au Mexique, je préparais le retour à Cuba. Je suis venu ici à New York et à d'autres endroits, pour rencontrer les rares émigrants cubains qui vivaient aux Etats-Unis, parce que la Loi d'ajustement cubain n'existait pas à l'époque - personne ne pouvait entrer sur une vedette ou un radeau - et il n'existait pratiquement pas de Cubains illégaux. En fait, c'est la Révolution qui a ouvert les portes des Etats-Unis à des centaines de milliers de personnes qui voulaient émigrer et n'avaient aucun espoir de pouvoir le faire. Ceux qui haïssent tant Cuba, la Révolution, et moi en particulier, je pourrais leur rappeler de remercier de temps à autre la Révolution, parce que sans elle, il n'y aurait pas beaucoup de Cubains millionnaires (applaudissements), sans elle il n'y aurait cette prétendue Fondation national cubano-américaine (sifflements), sans elle un certain nombre de Cubains ne seraient pas aujourd'hui membres du Congrès et ne pourraient pas promouvoir la moindre loi, ne seraient pas si convoités dans les campagnes électorales, on ne les satisferait pas autant chaque fois qu'ils demandent quelque chose, bien que la plupart de ces gens-là ne votent pas, parce que, compte tenu des privilèges qu'on leur concède, il leur convenait plus de rester Cubains que de devenir citoyens nord-américains.

Ce que je viens de dire, je peux le prouver d'une manière irréfutable. Un jour, j'ai demandé les statistiques pour savoir, par exemple, combien de permis de résidence les Etats-Unis avaient octroyés dans les trente années ayant précédé la Révolution. Des quantités insignifiantes dans les années 30 et 40, et à peine deux à trois mille de 1950 à 1959.

Bref, je le répète, c'est la Révolution qui a ouvert les portes des USA à des centaines de milliers de personnes qui voulaient émigrer et qui n'avaient aucun espoir de le faire.

Dans les premiers jours de 1959, on le sait, un grand nombre de criminels de guerre, de concussionnaires et de complices de Batista, qui avaient assassiné des milliers de Cubains et mis le pays à sac, se sont réfugiés aux Etats-Unis. Ensuite, les premières lois révolutionnaires, la récupération des biens mal acquis, la baisse des tarifs des services essentiels, la réintégration des ouvriers injustement licenciés sous la tyrannie, les réformes urbaine et agraire, et d'autres mesures de justice sociale élémentaire, ont terrorisé les secteurs les plus riches de notre société qui se sont mis à leur tour à émigrer aux Etats-Unis.

Dès les premiers jours de la Révolution, les Etats-Unis ont commencé à délivrer des visas, surtout aux personnes des classes haute et moyenne, aux médecins et aux autres professions libérales, aux professeurs universitaries, aux enseignants, aux techniciens et aux travailleurs qualifiés, dont beaucoup avaient toujours rêvé d'émigrer. Nous avons pu constater presque tout de suite l'hostilité contre la Révolution et l'intention de nous priver de nos personnels qualifiés, et c'est ce vol de cerveaux qui a stimulé la Révolution à entreprendre presque aussitôt ses grands efforts d'éducation. Les autorités nord-américaines avaient aussi besoin d'anciens officiers de Batista et de jeunes pour pouvoir constituer la brigade mercenaire d'attaque, mais c'était là un plan que personne ne connaissait encore. En tout cas, les départs légaux aux Etats-Unis ont toujours été autorisés, et les vols se sont même maintenus pendant les journées de Playa Girón. Ce sont les USA qui les ont suspendus soudainement après la crise d'Octobre. Les vols et la délivrance de visas. Si bien que des dizaines de milliers de familles se sont retrouvées séparées. Mais, même avant la Loi d'ajustement cubain, en 1966, les autorités nord-américaines accueillaient tout Cubain qui arrivait par ses propres moyens ou en détournant un bateau ou un avion.

Après l'épisode de Camarioca, 360 000 Cubains sont partis librement, d'une façon tout à fait légale, sûre, sans la moindre victime. Entre eux, en plus des proches de ceux qui viviaient déjà aux Etats-Unis, un grand nombre de membre des professions libérales et de professeurs qui pouvaient y gagner dix fois plus qu'à Cuba, des ouvriers qualifiés et des techniciens d'industries importantes. Il s'agissait bel et bien d'émigrants économiques. Et pourtant, on les a tous affublés du qualificatif de "réfugiés politiques" ou d'"exilés". Si on appliquait ce concept à tous les Mexicains ou aux autres Latino-Américains qui émigrent aux Etats-Unis, il y aurait maintenant de douze à quinze millions de réfugiés politiques mexicains (applaudissements), un million de réfugiés politiques haïtiens, un million de réfugiés politiques dominicains, des centaines de milliers de réfugiés politiques centraméricains, et allez savoir combien de Portoricains (applaudissements). Mais les Portoricains sont des patriotes qui aiment leur pays. Pourquoi partent-ils aux Etats-Unis. Pour des raisons économiques. Ils sont presque aussi nombreux ici que dans leur île. Ils peuvent se réunir à un million de personnes à New York, et nous les avons vus cette année-ci défendre la juste cause de Vieques (applaudissements).

Sur ce point, nous avons organisé une table ronde télévisée avec des personnalités étrangères d'un grand prestige. Je dois vous dire que ces tables rondes sont télévisées par satellite et notre télévision les transmet aussi par l'Internet, avec une traduction en anglais, bien entendu, qui est la langue la plus parlée au monde. Malheureusement, il ne doit y avoir que 1 p. 100 d'Africains à avoir accès à l'Internet, et il faut s'adresser à eux par radio. C'est pareil pour l'Amérique latine.

Sur cette question de la communication et de la collaboration avec les pays du tiers monde, je tiens à vous dire que nous avons mis au point une méthode pour apprendre à lire et à écrire par radio. Cette idée nous est venue quand j'ai demandé au président nigérien, en visite à Cuba, le taux d'analphabétisme dans son pays. Réponse: 87 p. 100, et une couverture scolaire de seulement 17 p. 100. Nous fêtons l'entrée dans le prochain siècle et le prochain millénaire. Dites-moi un peu à quel siècle du troisième millénaire le Niger, qui est aussi peuplé que Cuba, aura éliminé l'analphabétisme ?

Je pensais alors que notre pays, avec ses onze millions d'habitants, autant que le Niger, donc, comptait 250 000 instituteurs et professeurs. Le taux par habitant le plus élevé du monde, pareil que pour les médecins. Quand vous connaissez ce taux d'analphabétisme au Niger et quand vous savez que la mortalité infantile jusqu'à cinq ans est de 200 pour 1 000 naissances vivantes, soit vingt-cinq fois plus qu'à Cuba, vous ne pouvez pas ne pas vous poser la question : quand, quand, quand ? Je demande donc au président nigérien : Les gens ont-ils la radio ? Il me répond : Oui, presque toutes les familles l'ont. Je redemande : Comment ça, s'ils n'ont pas l'électricité ? Il me dit : Oui, parce qu'il existe un appareil japonais, qui coûte tant, et qui fournit de l'électricté pour la radio.

Alors, j'ai suggéré à un groupe de pédagogues cubains d'étudier la possibilité d'apprendre à lire et à écrire par radio, l'idée de base étant de mettre au point un petit manuel qui, à partir d'images d'animaux, de plantes et d'objets usuels, permettrait d'identifier les lettres de l'alphabet et d'élaborer des syllabes, des mots, des phrases, et d'introduire des concepts. Le tout, sous la direction de maîtres spécialisés. Nos pédagogues ont mis au point en trois mois une méthode qui a été testée en créole en Haïti auprès de trois cents analphabètes, et qui a donné des résultts vraiment prometteurs. Elle va bientôt être testée auprès de trois mille personnes. Un cours d'alphabétisation télévisé serait plus simple, mais la plupart des analphabètes du monde n'ont pas accès à la télévision. Nos spécialistes en pédagogie qui ont élaboré la méthode, et qui ont dirigé et suivi l'expérimentation, sont étonnés. Cette méthode est déjà au point en créole, donc, mais aussi en français et en portugais.

Cuba peut donc prêter une autre forme de coopération au tiers monde, pour apprendre à lire et à écrire à des centaines de millions de personnes à un coût vraiment dérisoire (applaudissements). Qu'on arrête donc de parler des huit cent millions d'analphabètes adultes, alors que rien qu'en utilisant la radio, qui n'est pas l'Internet ni la télévison, loin de là, on peut parfaitement les alphabétiser !

Nul ne sait à quel point quelqu'un qui ne sait pas lire ni écrire se sent humilié. Je me souviens beaucoup de ma mère et de mon père qui savaient à peine lire et écrire, et je suis témoins de leurs souffrances. Je le sais. Et ça explique la soif de connaissances que je constate dans notre peuple. Même après avoir terminé le premier cycle ou le deuxième cycle du second degré, ils ont une soif insatiable d'apprendre plus. C'est là quelque chose que nous avons découvert et c'est pour ça que nous avons préparé des programmes - j'espère que vous pourrez les connaître un jour - qui sont tout simplement étonnants, en quête d'une culture générale et intégrale massive. Nous allons même donner des cours de langue.

Je vais même vous dire autre chose. La bataille pour le retour d'Elián a permis de révéler au plein jour, au grand étonnement de tous, le talent de nos enfants. Et alors, à la rentrée scolaire, l'Etat a dépensé 4,6 millions de dollars pour équiper chaque école d'un téléviseur couleur 20 pouces pour cent élèves du primaire et du secondaire, qui se montent à 2,4 millions (applaudissements), et 1,5 million de dollars pour acheter 15 000 magnétoscopes. De sorte que les médias viennent maintenant soutenir à fond, dans notre système scolaire, le travail de nos plus de deux cent cinquante mille instituteurs et professeurs.

Je dois aussi vous dire que notre télévision, à partir d'octobre, transmettra de sept à neuf heures du matin un cours de techniques narratives donné par un de nos intellectuels les plus capables, et, à partir du 1er novembre, de sept à huit, un cours de langue espagnole trois fois par semaine. Une bonne partie de notre population ne se souvient plus des règles de grammaire qu'elle a appris voilà bien longtemps. Je dis en blaguant que nous ne parlons plus espagnol, mais patois. Trois fois par semaine en espagnol, et deux par semaine en anglais. Ne soyez pas étonnés : l'anglais est une langue universelle. Des siècles de colonialisme britannique et environ cent ans de - je vais être très raffiné - d'une influence nord-américaine énorme en ont fait une langue universelle. Mais comme il n'existe pas de brevets sur les langues, nous l'utiliserons ! Presque tous les livres scientifiques et littéraires se publient d'abord en anglais. On m'en fait de cadeau de beaucoup, et ils sont en anglais. Nous allons donc répandre le plus massivement possible l'étude de l'anglais, et les cours télévisées sont en préparation. Des milliers de professeurs les suivront, ou les enregistreront et les verront à l'école même, sans avoir à se déplacer.

Aussitôt après, nous allons offrir des cours de français. Nous aspirons à ce que tous nos concitoyens ou l'immense majorité, en tout cas, selon l'âge, connaissent trois langues : l'espagnol, l'anglais et le français (applaudissements), et ce, à un coût minime: l'électricité pour les transmissions et les textes qui seront envoyés à tous ceux qui suivront directement les cours et aux citoyens qui les demandent. Dans ce dernier cas, nous ferions payer les coûts de production et de distribution. Ce sont des cours pour tout le monde et nous allons les stimuler.

Je pense que ce que je vous raconte remplira de satisfaction pratiquement tous nos compatriotes.

J'ai demandé un jour à notre ministre de l'Education : Combien de professeurs d'anglais te manquent-ils dans le secondaire ? Il m'a répondu : Deux mille. Je lui ai dit: Tu en as de trop. N'allez pas croire que nous allons réduire la quantité de professeurs du secondaire ou de licenciés en enseignement primaire. Au contraire. Nous allons les augmenter pour pouvoir réduire la quantité d'élèves par professeur. C'est là notre bataille pour élever la qualité de l'enseignement. Mais nous allons utiliser les médias, la télévision, une télévision sans publicité, au service de l'éducation et d'une culture générale intégrale massive (applaudissements).

Je pense que notre pays est entré dans une nouvelle étape, une étape totalement nouvelle. Je n'en dis pas plus (applaudissements).

Je n'ai pas tenu parole d'être bref (applaudissements). Juste quelques petites minutes de plus.

Je vous avais promis de parler de deux choses. Le petit Elián, d'abord. Eh ! bien, il se porte comme un charme (applaudissements). Vous n'avez pas idée à quel point il est heureux, intelligent, sérieux. C'est quelque chose d'extraordinaire. Il n'a pas été accueilli par des foules, comme nous l'avions promis, seulement par son école et sa famille la plus proche. Aucun des dirigeants du parti et de l'Etat n'était là. La famille est restée six minutes sur l'aéroport pour saluer les gens qui étaient venus et elle a abandonné ensuite l'aéroport avec Elián. L'enfant n'a perdu aucun jour de classe, même pas le jour où il est parti des Etats-Unis. Ici, en deux mois, avec le soutien de sa famille, de son institutrice et de ses petits camarades de classe, il avait fait des progrès extraordinaires. Ensuite, de retour à Cuba, du 29 juin au 28 juillet, il a suivi des cours intensifs, toujours avec ces mêmes petits camarades. Il devait encore apprendre un certain nombre de sons. Il a pu atteindre le niveau de ses camarades et il a pu passer au cours élémenaire 1re année.

Son papa insistait pour que je fasse sa connaissance. Je lui ai dit : J'attendrai la fin du cours. Et je l'ai fait très discrètement.

Le problème, maintenant, c'est que faire pour que cet enfant ait une vie normale, des classes normales. Tout le monde connaît cet enfant. Nous avons pu compter sur le soutien de la population, sur la conspiration de tout un peuple : quand il va à l'école, ne pas le suivre, ne pas crier de slogans, le traiter comme tous les autres enfants. On n'a transmis des images de lui à la télévision que très peu de fois, parce que la population le demande. Mais jamais aucune interview directe de l'enfant, il apparaît avec sa famille, des scènes de ce genre, et toujours très bref. On y veille strictement.

Il a commencé son nouveau cours à la rentrée scolaire, il vit dans la même maison qu'avant, il va à la même école, il a les mêmes institutrices, autrement celle qui a été à Wye Plantation et l'autre qu'on a empêché de venir, car elles assurent un roulement jusqu'au cours moyen première année, et il a aussi les mêmes camarades de classe. Son papa recommence au milieu de ce mois-ci à travailler dans le modeste centre où il était avant, comme il le désire. Tout le monde l'invite, parce que ce n'est pas seulement l'enfant : il a acquis lui aussi dans notre pays un prestige extraordinaire. Il a résisté à tout, même quand on a tenté de l'acheter au prix de son propre enfant et qu'on lui promettait de le lui rendre s'il restait vivre aux Etats-Unis, ou quand on lui promettait des millions. Et il n'a pas hésité une seule seconde (applaudissements). Il me semble que c'est un exemple. Je ne vais pas m'étendre plus, nous vous enverrons des documents là-dessus pour que vous ayez des informations sur l'enfant.

Cet enfant doit recevoir une éducation optimale. À quoi bon avoir tant lutté pour son retour s'il n'est pas vraiment un bon élève et un bon citoyen. Le père et le fils constituent un exemple pour notre peuple et, en quelque chose, un exemple pour bien des millions de personnes dans le monde.

Notre peuple ne cessera jamais de vous remercier de vous être tant inquiétés, de remercier les législateurs qui ont pris la parole ici et d'autres qui se sont tant battus, de remercier le Conseil des Eglises, et les différentes Eglises qui ont défendu en toute honnêteté une cause si juste.

Notre peuple n'oubliera pas non plus tout ce qu'a fait le peuple nord-américain qui a soutenu si massivement les droits légitimes du père et de l'enfant, et ne cessera de l'en remercier (applaudissements). Je me suis dit une fois de plus : Le peuple nord-américain est très idéaliste. Pour qu'il soutienne une cause injuste, il faut d'abord le tromper, lui faire croire, comme pour le Viet Nam et ailleurs, que c'était juste. Dans le cas d'Elián, il a appris la vérité grâce à une série de facteurs, notamment grâce aux médias qui ont diffusé ces vues de quatre cent mille mères cubaines défilant sur l'avenue du front de mer, des centaines de milliers d'enfants défilant aussi, du millon de personnes défilant au même endroit, au cours de cette lutte qui a duré sept mois et qui se poursuit maintenant contre la Loi d'ajustement cubain, à cause des victimes qu'elle provoque, contre la loi Torricelli, contre la loi Helms-Burton, contre le blocus et la guerre économique, bref pour le respect et la paix de notre peuple. Nous l'avons juré à Baraguá, où Antonio Maceo a fait connaître sa protestation historique, et c'est pour ces objectifs que nous nous battons.

Quand le peuple nord-américain a appris la vérité, 80 p. 100 ont soutenu l'enfant et sa famille, et jusqu'à 92 p. 100 chez les Afroaméricains au moment décisif (applaudissements). Et ça, notre peuple ne l'oubliera jamais.

Je ne prétends pas présenter notre patrie comme un modèle parfait d'égalité et de justice. Nous croyions au début qu'en établissant l'égalité la plus totale devant la loi et en ne tolérant absolument aucune manifestation de discrimination sexuelle contre la femme ou raciale contre les minorités ethniques, tous ces phénomènes disparaîtraient de notre société. Nous avons mis du temps à découvrir, je vous le dis, que la marginalité, entre autres la discrimination raciale, ne se supprime pas à coups de loi, ni de dix lois, et nous ne sommes pas parvenus à la supprimer totalement en quarante ans.

Notre justice n'appliquera jamais la loi selon des critères ethniques, mais nous avons découvert que les descendants d'esclaves, ceux qui vivaient dans les baraques de jadis, étaient les plus pauvres et continuaient de vivre, après l'abolition de l'esclavage, aux endroits les plus pauvres.

Il existe des zones marginales, où vivent des centaines de milliers de personnes, pas seulement des Noirs et des métis, mais encore des Blancs. La marginalisation des Blancs vient de la société antérieure. Je vous disais qu'une nouvelle étape a commencé dans notre pays. J'espère pouvoir vous parler un jour de ce que nous faisons et de la façon dont nous allons continuer de le faire.

Nous n'avons pas d'argent pour bâtir des logements pour tous les gens qui continuent de vivre dans des conditions qu'on pourrait dire marginales, mais nous avons bien d'autres idées qui n'attendront pas les calendes grecques et grâce auxquelles notre peuple, uni et absolument juste, fera disparaître jusqu'aux derniers vestiges de marginalisation et de discrimination. Et je suis convaincu que nous y parviendrons, parce que les dirigeants de notre Union des jeunes communistes, de nos étudiants et de notre peuple s'y consacrent aujourd'hui.

Je ne dis rien de plus. Je dis simplement que nous sommes conscients de la marginalisation encore existante dans notre pays, et que nous sommes absolument et résolument décidés à y mettre fin par les méthodes qu'exigent ces phénomènes, afin que notre peuple soit toujours plus uni et égalitaire (applaudissements).

Au nom de ma patrie, je vous promets de vous informer des résultats de nos efforts.

Quand les Nord-Américains sont venus nous rendre visite à Cuba, ils nous ont donné des renseignements sur les deux cas dont j'ai parlé, Sankofa et Mumia, des bonnes informations sur leurs vies et sur l'injustice commise contre eux. Nos tables rondes ont beaucoup contribué à nous faire prendre conscience de la gravité des faits. Il n'est pas honteux d'être pauvre, et on ne peut être honteux de la faute que l'on commet quand on est jeune ou adolescent : la honte, c'est qu'en ce siècle qui commence, avec tous les progrès techniques, alors que l'homme prétend même peupler la planète Mars, il y ait encore des enfants, des adolescents et des citoyens de notre planète à nous qui vivent encore comme des marginaux (applaudissements) et dans bien des pays, non seulement, marginaux, mais discriminés.

C'est tout ce que j'avais à dire. Reste cette petite feuille pour vous expliquer une nouvelle qui est apparue aujourd'hui, et dont le pasteur de l'église a parlé, la considérant comme un signe. Moi, il me semble incroyable que la chose la plus simple du monde puisse se convertir en une grande nouvelle. Je pensais que la grande nouvelle serait ce qu'il se passe dans le monde, les points discutés au Sommet des Nations Unies, ce que nous devons faire pour sauver l'espèce humaine, et pas seulement l'Afrique. Car, au train où vont les choses, ce ne sont pas seulement les Africains qui vont disparaître. Nous allons tous disparaître. Au train où vont les choses, avec ces modèles de consommation qui conduisent à la destruction des moyens de vie naturels, de l'atmosphère, à la rareté et à la pollution de l'eau potable et des océans, au changement climatique, aux catastrophes naturelles, à la pauvreté, aux différences énormes et croissantes entre les pays et au sein des pays, on peut afirmer avec une précision presque mathématique que l'ordre économique et social en place dans le monde est intenable. Alors, vous supposez que ces questions sont vraiment importantes. J'ai donc été surpris de constater que la grande nouvelle du jour, quasiment un scandale, avait été un fait absolument fortuit survenu aux Nations Unies. Si bien que j'ai dû rédiger avant de venir ici une petite note pour éclaircir les faits. Je l'ai intitulé : "Le bonjour à Clinton". Je vous la lis.

"A la fin du déjeuner offert par le secrétaire général des Nations Unies une fois conclue la séance inaugurale du Sommet du millénaire, nous avons tous reçu l'indication de nous rendre dans une pièce voisine pour la photo officielle. Nous nous y sommes donc rendus presque en file indienne, empruntant un passage étroit que laissaient les nombreuses tables. Soudain, à quatre mètres devant moi, j'aperçois Clinton en train de saluer plusieurs chefs d'Etat qui passaient devant lui. Il donnait la main par politesse à chacun d'entre eux. Je ne pouvais pas partir en courant pour éviter de passer par là [bien mieux, je n'avais pas de place pour partir en courant (rires)], et lui non plus. Ç'aurait été de notre part une lâcheté honteuse. J'ai donc continué de suivre les autre. Deux minutes plus tard, je suis arrivé devant lui. Comme tous les autres, je me suis arrêté quelques secondes et, digne et poli, je l'ai salué (applaudissements). Il a fait exactement comme moi, et j'ai suivi mon chemin. Ç'aurait été une extravagance et une impolitesse de faire autre chose. Tout a duré moins de vingt secondes.

"Ce simple détail a vite été connu. De nombreux organes de presse en ont parlé d'un ton aimable. Des dizaines de rumeurs ont aussitôt couru. Des porte-parole de presse officiels pas très bien informés en ont donné des versions différentes.

"La mafia de Miami [je ne parle pas de nombreux bons Cubains de Miami] est devenue hystérique. Selon elle, le président avait commis un grand crime. Le comble du fondamentalisme.

"Pour ma part, je me sens satisfait de mon attitude respectueuse et civilisé devant le président du pays siège du Sommet (applaudissements).

De nouvelles rumeurs, des informations officielles affirment aujourd'hui que je me suis rendu là où se trouvait le président. C'est bien inutile. Tout le monde sait qu'un Cubain digne n'implore jamais un salut ou un honneur.

J'ai terminé. Je vous demande pardon d'avoir été si prolixe.

Je vous remercie (applaudissements).