MESSAGE À LA XIè CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR

LE COMMERCE ET LE DÉVELOPPEMENT

La CNUCED, organisation créée il y a quarante ans, était une noble tentative du monde sous-développé pour instaurer au sein des Nations unies, moyennant un commerce international rationnel et juste, un instrument qui satisferait les aspirations de progrès et de développement. À l’époque les expectatives étaient nombreuses, dans la croyance naïve que les anciennes métropoles avaient pris conscience du devoir et du besoin de partager cet objectif.

Raoul Prebisch fut l’inspirateur principal de cette idée. Il avait analysé le phénomène de l’échange inégal comme une des grandes tragédies qu’entravait le développement économique des peuples du tiers monde. Voilà une de ses plus importantes contributions à la culture économique de notre époque. En reconnaissance à ses qualités relevantes, il fut élu le premier Secrétaire général de cette institution des Nations unies sur le Commerce et le Développement.

Aujourd’hui le terrible fléaux de l’échange inégal est à peine mentionné dans les discours et les conférences.

Le commerce international n’a pas été un instrument pour le développement des pays pauvres, bien qu’ils constituent l’immense majorité de l’humanité.

Pour quatre-vingt six d’entre eux, les produits de base représentent plus de la moitié de leurs recettes d’exportation. Le pouvoir d’achat de ces produits, sauf le pétrole, est à présent moins du tiers de ce qu’il était au moment de la création de la CNUCED.

Bien que les chiffres se répètent et sont parfois ennuyeux, souvent nous n’avons pas d’autre choix que d’utiliser ce langage éloquent et irremplaçable.

On a promis aux pays pauvres une aide au développement et que l’abîme entre riches et pauvres se réduirait petit à petit, l’on leur a même promis que l’aide monterait à 0,7 p. 100 du dit PIB des pays économiquement développés. Si tel aurait été le cas, celle-ci serait actuellement d’environ 175 milliards de dollars par an.

Les pays du tiers monde ont reçu 54 milliards de dollars en 2003 en Aide publique au développement . Cette même année, les pays pauvres ont payé aux riches 436 milliards de dollars au titre du service de la dette. Les Etats Unis, - le plus riche -, c’est le moins qui a respecter l’engagement, puisqu’il n’a destiné que 0,1 p. 100 de son PIB à cette aide. Nous n’en tenons pas compte des sommes énormes qui leurs ont été arrachées comme conséquence de l’échange inégal.

En plus, les pays riches dépensent chaque année plus de 300 milliards de dollars pour des subventions afin d’empêcher l’accès des exportations des pays pauvres à leurs marchés.

Par ailleurs, il est presque impossible d’évaluer les dommages provoqués à ces pays par le type de relations commerciales qui, à travers les démarches sinueuses de l’OMC et les traités de libre commerce, sont imposées aux pays pauvres, incapables de rivaliser avec la technologie sophistiquée, le monopole quasiment total de la propriété intellectuelle et les ressources financières colossales des pays riches.

À ces formes de pillages viennent s’ajouter d’autres : l’exploitation grossière de la main d’oeuvre bon marché avec les maquilas, qui s’installent et partent à la vitesse de la lumière, la spéculation des monnaies au rythme de millions des millions de dollars par jour, le commerce d’armes, l’appropriation des biens du patrimoine national, l’invasion culturelle et biens d’autres actions de pillage et de vol impossible de citer. Il est reste à étudier, car nous ne le trouvons pas dans la littérature classique économique, le plus brutal transfert de ressources financières des pays pauvres aux pays riches : la fuite de capital, caractéristique obligatoire de l’ordre économique imposé.

L’argent du monde entier fuit vers les Etats Unis pour se protéger de l’instabilité monétaire et de la fièvre spéculative qu’engendre le propre ordre économique. Sans ce cadeau que les Etats Unis reçoivent du reste du monde, notamment des pays pauvres, l’actuelle administration ne pourrait soutenir les déficits fiscaux et commerciaux qui ensemble sont de l’ordre de non moins d’un million de millions de dollars en 2004.

Oserait-on nier les conséquences sociales et humaines de la mondialisation néolibérale imposée au monde ?

Comment les leaders de l’impérialisme et ceux qui partagent avec lui le pillage du monde, peuvent-ils parler de droits de l’homme, ni mentionner les termes liberté et démocratie dans un monde si brutalement exploité ?

Ce qui est pratiqué contre l’humanité est un crime permanent de génocide. Chaque année meurent - par manque d’aliments, de soins médicaux et faute de médicaments- autant d’enfants, de mères, d’adolescents et de jeunes et adultes que l’on pourrait sauver ; que ceux qui sont morts pendant n’importe lesquelles des deux guerres mondiales. Cette situation se répète tous les jours, à tout moment, sans qu’aucun des grands leaders du monde développé et riche en ait consacré un traître mot.

Est-ce que cette situation pourrait-elle demeurer ainsi indéfiniment ? Absolument pas et ce par des raisons objectives.

L’humanité, après des dizaines de milliers d’années, a atteint à cette minute et presque subitement, - dont le chiffre a plus que doublé, étant donné le rythme accéléré des derniers quarante cinq ans - les 6,350 milliards d’habitants. Ils doivent être habillés, chaussés, nourris, logés et éduqués. Ils seront presque inévitablement 10 milliards dans cinquante ans à peine. Pour cette datte on n’aura plus les réserves de combustible prouvées ou prouvables que la planète a mis 300 millions d’années à créer. Elles auraient été émises à l’atmosphère, versées dans les eaux et les sols accompagnées d’autres produits chimiques polluants.

Le système impérialiste qui règne aujourd’hui, vers lequel la société capitaliste développée a inévitablement évoluée, a atteint un niveau économique global et néolibéral si impitoyablement irrationnel et injuste, qu’il s’avère insoutenable et contre lequel les peuples vont se révolter, ils ont déjà commencé à le faire. Ceux qui affirment que cela est le fruit des partis, des idéologies ou des agents subversifs et des déstabilisateurs cubains ou vénézuéliens sont vraiment des imbéciles.

Cette évolution a entraîné, d’une manière également inévitable dans les bases et normes qui régulent le système régnant, les soi-disant sociétés de consommation. Celles-ci, avec ses tendances gaspilleuses et irresponsables ont empoisonnés les esprits de nombreuses personnes à travers le monde, qui plongées dans l’ignorance politique et économique généralisée sont manipulées par la publicité commerciale et politique des médias fabuleux que les sciences ont crées.

Ces conditions n’ont pas été les plus favorables pour l’apparition et l’épanouissement dans les pays riches et puissants, des leaders compétents et responsables, dotés des connaissances et des principes politiques et éthiques que ce monde extrêmement complexe demande. On n’en peut pas les responsabiliser, car ils sont eux mêmes résultat et à la fois instrument aveugle de cette évolution. Est-ce qu’ils seront en capacité de gérer avec responsabilité les situations politiques extrêmement compliquées qu’apparaissent de plus en plus dans le monde ?

Il y aura bientôt soixante ans de l’explosion de la première bombe atomique à Hiroshima. À présent, dans le monde prolifèrent de milliers de ces armes, dix fois plus puissantes et précises. On en produit toujours et se perfectionnent. On envisage même dans le espace des bases de projectiles nucléaires. De nouveaux systèmes d’armes meurtrières et sophistiquées voient le jour.

Pour la première fois dans l’histoire l’homme aurait crée le potentiel technique pour son autodestruction totale. Par contre, il n’a pas été en capacité de créer le minimum de garanties pour la sécurité et l’intégrité de tous les pays sur le même pied d’égalité. On conçoit et même l’on applique des théories relatives au recours préventif ou par surprise des armes plus sophistiquées « à n’importe quel obscur coin du monde » , « en soixante pays ou plus », qui pâlissent devant la barbarie proclamée pendant les jours ténébreux du nazisme. Nous avons déjà été témoins de guerres de conquêtes et des méthodes sadiques de torture qui nous rapportent les images diffusées pendant les dernières journées de la Deuxième Guerre Mondiale.

Le prestige des Nations unies est en train d’être miné jusqu’aux assises. Loin d’être améliorée et démocratisée, l’Institution est devenue un instrument que la toute puissance et ses alliés prétendent utiliser uniquement pour masquer ses aventures de guerres et des crimes effroyables contre les droits les plus chers des peuples.

Il ne s’agit pas de fantaisies ni des fruits de l’imagination. Nous sommes devant un fait réel : deux grands dangers mortels pour la propre survie de l’espèce ont surgi en à peine un demi siècle. Celui découlant du développement technique des armes et celui qui vient de la destruction systématique et accélérée des conditions naturelles pour la vie de la planète.

Face à la disjonctive vers laquelle elle a été entraînée par le système, il n’y a pas d’alternative pour l’humanité : la situation actuelle du monde change, ou la espèce courre le risque réel d’extinction. Pour comprendre cela il ne faut pas être scientifique ou expert en mathématiques, il suffit de l’arithmétique qu’on apprend aux enfants au primaire.

Les peuples seront impossibles à gouverner. Il n’y a pas de méthodes répressives, de tortures, de disparitions physiques ni d’assassinats en masse qui puissent l’empêcher. Et dans la lutte pour la survie, pour celle de ses enfants et des enfants de ses enfants, seront non seulement les affamés du tiers monde ; mais aussi toutes les personnes conscientes du monde riche, des travailleurs manuels ou des intellectuels.

De cette crise inévitable, plus tôt que tard, surgiront des penseurs, des guides, des organisations sociales et politiques les plus diverses qui déploieront de gros efforts pour préserver l’espèce. Tous les cours d’eau s’uniront vers une seule direction pour effacer les obstacles.

Semons des idées et toutes les armes créées par cette civilisation barbare seront de trop. Semons des idées et nous pourrons éviter la destruction irrémédiable de notre environnement naturel de vie.

L’on pourrait se demander, s’il n’est pas trop tard. Je suis optimiste et je répondrai que non, et je partage l’espoir qu’un monde meilleur est possible.

Fidel Castro Ruz

Président du Conseil d’État de la République de Cuba

La Havane, le 13 juin 2004