Tribune ouverte de la jeunesse et des étudiants organisée le 23 avril 2000 sous forme de table ronde d'information, apportant des analyses profondes et critiques sur les principaux gouvernements responsables de la résolution anticubaine présentée à la Commission des droits de l'homme à Genève, et sur leurs complices

 

Carmen Rosa Báez. Bonjour, chers téléspectateurs. La tribune ouverte de la jeunesse et des étudiants se constitue, ici, dans le studio no 11 de l'Institut cubain de radio et de télévision, en table ronde, comme cela a été annoncé avant-hier.

Y participent en ce dimanche après-midi Reinaldo Taladrid et Eduardo Dimas, journalistes de la télévision cubaine; Nidia Díaz, Arsenio Rodríguez et Pedro de la Hoz, du journal Granma; Lázaro Barredo, du journal Trabajadores; Marina Menéndez et Rogelio Polanco, journaliste et directeur respectivement de Juventud Rebelde.

Hier, nous avons vraiment vécu un samedi « saint ». Toute notre population a eu dès le petit jour le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux. Très discrets et très dignes, mais aussi très fiers, nous avons commencé à nous dire les uns aux autres, chez nous, à l'arrêt du bus, dans la rue : « Félicitations », « Quel soulagement ! », « Tu connais la nouvelle ? », « Comment l'as-tu appris ? » Et ce, durant toute la journée. Dans l'après-midi, les commentaires ont commencé à tourner autour d'une photo sur laquelle apparaissait une famille réunie qui résumait aussi la victoire. Et chacun de commenter comment il avait appris au petit matin la grande nouvelle : Elián avait retrouvé son papa ! Et dans l'après-midi, au cours de la tribune ouverte organisée à la sucrerie Australie, une partie de notre jeunesse et Fidel ont réfléchi sur cette question.

Je tiens à rappeler une phrase très importante qu'a dite Fidel hier : c'était une journée de trêve, peut-être la seule en quarante et un ans, avec les Etats-Unis.

Mais comme c'était hier, nous repartons aujourd'hui au combat, parce que nous savons très bien que l'enlèvement d'un enfant peut se transformer en l'enlèvement de toute une famille si les décisions correspondantes ne sont pas prises le plus tôt possible. Là-bas, en effet, la mafia et la famille éloignée de Miami commencent déjà à la harceler et poursuivent leur campagne pour empêcher qu’Elián ne se réunisse avec le reste de sa famille : ses grand-parents et sa grande famille, qui est le peuple cubain. Reste à voir quand se produira la solution finale.

 Nous poursuivons le combat parce que les causes de cette situation-là et de situations similaires n'ont pas disparu et parce que, comme l'a dit Fidel hier, une des choses qui ont le plus enhardi la mafia et la famille éloignée de Miami, c'est la résolution adoptée contre Cuba à la Commission des droits de l'homme à Genève, et parce que, toujours selon Fidel, les hypocrites et les laquais, en votant contre Cuba, ont mis en danger la vie de l'enfant. Et c'est là quelque chose que notre peuple n'est pas prêt d'oublier.

Si nous sommes ici de nouveau, c'est parce que nous n'avons pas épuisé tous les arguments prouvant qui sont ceux qui ont voté contre notre pays. Et voilà pourquoi je veux rappeler le vote de cette résolution présentée par la République tchèque contre Cuba. Le groupe de l'Europe de l'Ouest, vous le savez, a voté en bloc la résolution tchèque : l'Allemagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni, plus le Canada et les USA. Pour l'Europe de l'Est : la République tchèque, bien entendu, qui l'a présentée de pair avec la Pologne, la Lettonie et la Roumanie. La Russie a voté contre.

Si j'ai voulu rappeler ce vote, c'est parce que la première partie de la table ronde a été consacrée à la position européenne en soi. Je crois donc qu'il serait bon, maintenant, d'analyser concrètement chacun de ces pays. Cette position de l'Europe contre Cuba a-t-elle à voir seulement avec leur vision des droits de l'homme ici ou alors existe-t-il d'autres choses dont nous pourrions parler ?

Je voudrais donc demander à Lázaro Barredo qui s'est consacré pendant un certain temps à l'Assemblée nationale à analyser la position des pays européens vis-à-vis de Cuba de nous aider à entrer en matière.

Lázaro Barredo. En fait, le pharisaïsme de l'Europe envers Cuba est assez répugnant. Sa politique envers notre pays est dénuée de morale, de principes : c'est une politique soumise, dépourvue d'indépendance. En fait, elle est à la botte des Etats-Unis : je peux même dire sans exagération que cette politique ne se définit pas dans les capitales européennes, mais à Washington, au département d'Etat. Et je vais le prouver.

Quand le Congrès nord-américain a adopté l'amendement Mack au début des années 90, puis l'amendement Torricelli en 1992 - deux sénateurs bien connus de notre peuple et vendus à la mafia de Miami - qu'est-ce qu'ont dit les Européens ? Eh bien, ils ont dit très clairement : nous n'accepterons pas l'extraterritorialité.

Et pourtant, la vie a prouvé que les gouvernements européens ont été les complices de la guerre économique criminelle que les Etats-Unis ont imposée à notre pays dès les premiers jours de 1959, non seulement parce qu'ils n'ont jamais assis ce gouvernement au banc des accusés à Genève - là-même où ils ont assis Cuba

 - mais encore parce qu'ils ont admis que les filiales nord-américaines sur leurs territoires cessent, sous les pressions et les menaces de représailles de Washington - de faire du commerce avec nous, juste au moment où l'Union soviétique et le socialisme en Europe étaient partis en capilotade, où notre pays avait vu disparaître en quelque mois à peine ses marchés traditionnels et où le gouvernement nord-américain, agissant en opportuniste, avait cru le moment venu de nous porter le coup de grâce et nous contraindre à la reddition par la faim et les maladies.

Eh bien, oui, l'Europe a été complice de cette politique-là, si bien que Cuba a perdu, presque du jour au lendemain, son commerce d'aliments et de médicaments d'environ 800 millions de dollars qu'elle soutenait avec les filiales nord-américaines. Du jour au lendemain, quasiment ! En même temps que l'effondrement de l'Union soviétique. Au moment où notre pays a reçu ce coup terrible, l'Europe a été complice des Etats-Unis.

Après, nous avons eu droit à la loi Helms-Burton. Qu'est-ce qu'ont fait les Européens ? Avant, ils avaient juré leurs grands dieux qu'ils n'accepteraient pas les lois extraterritoriales et qu'ils défendraient les intérêts de leurs hommes d'affaires et de leurs citoyens. Vous ne trouverez pas un seul dirigeant politique européen, gouvernemental ou parlementaire - leurs déclarations sont faciles à retrouver dans la presse - qui n'ait pas affirmé son opposition à cette loi infâme. Et cela semblait vrai, assurément, parce que des lois antidotes avaient été votées en riposte à la loi Helms-Burton. Cuba avait aussi voté sa loi sur les investissements étrangers, avait approuvé sa politique d'ouverture aux capitaux étrangers, et l'Europe avait commencé à signer avec nous des accords de promotion et de protection de ces investissements avec l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la France et la Grèce.

Et ça semblait vrai, apparemment, que ces gouvernements refusaient l'extraterritorialité, parce que quand Clinton a entériné la loi le 12 mars 1996, l'Europe a aussitôt présenté une demande devant la cour de l'Organisation mondiale du commerce. Et il semblait bien que l'Europe allait s'opposer pour de bon cette fois-ci à cette agression criminelle contre notre pays, à cette loi Helms-Burton.

Que s'est-il passé pourtant ? Eh bien, on a eu droit à des conversations secrètes! C'était là un exercice antidémocratique si scandaleux que jusqu'au Parlement européen a dû en discuter et protester. Des conversations secrètes entre qui et qui ? Entre le commissaire européen chargé du commerce extérieur, un britannique anobli, sir Leon Brittan, et un envoyé spécial de Clinton, Stuart Eizenstat, l'homme qui avait négocié la question des nationalisations survenues dans les pays d'Europe de l'Est et qui était assez branché sur l'Europe à ce moment-là pour cette raison. Donc, ces deux bonshommes commencent en catimini, apparemment sans la moindre consultation avec les gouvernements et les parlements de l'Union européenne, à négocier et à parvenir à un accord devenu ensuite, à peine un mois après l'entrée en vigueur de la loi Helms-Burton, la première Entente entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

En quoi consistait cet accord ? Eh bien, l'Europe ôtait sa plainte devant le tribunal de l'OMC et acceptait de négocier en secret avec les USA, dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Accord multilatéral d'investissement (AMI) qui comprenait, entre autres, un certain nombre de normes relatives aux biens nationalisés. Au fond, l'Europe entérinait par là le principe contenu dans la loi Helms-Burton consistant à punir les investisseurs. Les USA, pour leur part, s'engageaient à suspendre les procès engagés aux termes du chapitre III de la loi Helms-Burton, tandis que Clinton, qui avait perdu aux mains du Congrès toutes ses prérogatives en matière de politique cubaine - pour la première fois en deux cents ans - s'engageait, pour favoriser cette Entente, à chercher une solution en ce qui concernait le chapitre IV, autrement dit les punitions infligées aux investisseurs étrangers « trafiquant » avec d'anciens biens nord-américains dans notre pays., à leur famille et à leurs enfants.

Ça, en théorie. Parce que, comme l'Europe avait cédé sans complexe, les Etats-Unis ont continué de tourner le couteau dans la plaie pour voir si les chairs étaient molles ou dures, comme disait Martí, et quand ils se sont rendus compte que la chair était molle, eh bien, ils ont continué de tenter de faire plier l'Europe. Et ils ont envoyé Eizenstat en Europe pour négocier avec les gouvernements européens et les joindre à leur croisade anticubaine, sous prétexte d'améliorer la démocratie à Cuba.

Et tout ceci est si immoral que, de mon point de vue, au fameux volet II de la loi Torricelli, il faudrait ajouter un volet II européen, parce que, de fait, à partir de ce moment l'Europe a fait sienne la politique nord-américaine de détruire la Révolution.

Rogelio Polanco. Il serait bon, Lázaro, de rappeler ici quels sont les pays membres de l'Union européenne qui ont voté contre Cuba. Des 15 membres, sept font partie de la Commission des droits de l'homme : l'Allemagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni. Alors, oui, je suis d'accord avec toi qu'à l'immoralité de l'Entente avec les USA, il faut ajouter celle qu'ils viennent de commettre en utilisant contre Cuba le thème des droits de l'homme.

Carmen Rosa Báez. Je crois que ça dit bien quels étaient les vrais mobiles de l'Europe quand elle s'est prononcée contre la loi Helms-Burton : ce n'était pas tant la conscience que cela allait contre la souveraineté de Cuba, contre notre peuple, que le fait de savoir que ses propres intérêts étaient en jeu.

Polanco, je crois qu'il serait bon de parler aussi de la « position commune européenne ». On en parle de temps à autre, mais il faudrait préciser exactement de quoi il s'agit.

Rogelio Polanco. Cette « position commune » dont tu parles fait partie des nombreuses tentatives réalisées par l'Union européenne ces dernières années pour conditionner ses relations économiques avec Cuba à des exigences inacceptables de nature politique et fondées sur l'ingérence.

C'est fin 1996 - alors que, il est bon de le rappeler, le blocus économique s'était intensifié et que la loi Helms-Burton avait été adoptée - que les membres de l'Union européenne sont parvenus à un consensus qu'ils ont appelé « position commune » et qui n'était rien d'autre qu'une recette unifiée pour traiter avec Cuba : autrement dit, utiliser la signature éventuelle d'un accord-cadre de coopération avec notre pays pour nous imposer des exigences en matière de droits de l'homme. Voyez un peu le toupet ! Ceux qui nous accusent à Genève nous disent aussi : Si tu ne respectes ce que je décrète que sont les droits de l'homme et la démocratie, pas de coopération économique possible.

La position commune de l'Union européenne envers Cuba était inacceptable dans son ensemble, bien entendu, parce que sa philosophie était celle de l'ingérence. D'entrée, Cuba l'a refusée parce qu'elle méconnaissait la légitimité de notre système de gouvernement, parce qu'elle était sélective, discriminatoire et tentant de nous imposer de conditions et de nous appliquer des modèles que nous ne pouvions accepter. C'était un obstacle qui ne contribuait pas, tant s'en faut, à des relations normales avec l'Europe et avec l'Union européenne en particulier. Son objectif de stimuler une démocratie pluraliste et le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales coïncidait avec les visées ouvertes des Etats-Unis à ce moment-là, si bien que cette position commune rendait encore plus difficile l'éventualité que le gouvernement nord-américain rectifie sa posture agressive contre Cuba, dans la mesure où il recevait le coup d'épaule collectif de l'Union européenne, sans que celle-ci ne formule en contrepartie la moindre exigence de levée du blocus économique et de cessation de la guerre économique contre notre pays, une guerre économique qui en fin de compte conditionne et entrave dans une grande mesure le développement de nos relations avec des pays tiers.

Cet accord-cadre de coopération entre l'Union européenne et Cuba avait commencé à se négocier au milieu des années 90, à la demande de celle-ci, dans la mesure où Cuba était alors et reste le seul pays latino-américain à ne pas compter sur un accord de ce genre. C'était là aussi une situation discriminatoire. Ces années-là, nous avons reçu la visite de Manuel Marín, le commissaire européen qui prônait l'approbation rapide de l'accord à condition que nous acceptions les exigences humiliantes bien connues que nous avons catégoriquement repoussées.

Quand l'Union européenne a compris qu'il n'y aurait pas d'arrangement qui impliquerait la perte de notre souveraineté, alors la signature n'a cessé d'être ajournée et encore ajournée. Soit dit en passant, le personnage amoral qui avait cherché à exercer des pressions sur Cuba a fait partie des membres de la Commission européenne accusés plus tard par le Parlement européen de corruption. Voyez un peu la morale de ces gens-là pour exiger des choses de Cuba !

Alors, nous pouvons nous poser quelques questions. Quelle morale peuvent avoir ces sept membres de l'Union européenne : l'Allemagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni, pour condamner Cuba au sujet des droits de l'homme alors qu'ils violent le droit souverain de notre pays de décider de l'organisation de la société ? Quelle commission des droits de l'homme les condamnera, eux ? Jusqu'à quand durera cette arrogance de l'Europe de prétendre donner des leçons aux autres peuples ? Pourquoi ce traitement discriminatoire envers Cuba ? Pourquoi l'Europe ne peut-elle pas nous parler sur un pied d'égalité ? Quel droit a-t-elle de nous lésiner sa coopération économique ? Jusqu'à quand continuera-t-elle d'agir en métropole ? Quand comprendra-t-elle que Cuba se ne vend pas, que nous n'acceptons pas de chantage ? Pourquoi ne l'accuse-t-on pas, elle, de manipuler les droits de l'homme et de les utiliser comme une forme d'ingérence politique ? Pourquoi condamner un pays du tiers monde comme Cuba, pauvre et en butte à un blocus, qui a plus fait par sa coopération désintéressée et vraiment solidaire avec le reste du monde que tout autre pays ? Jusqu'à quand l'Europe va-t-elle continuer de se plier aux Etats-Unis, même contre ses propres intérêts politiques et économiques, et de faire position commune avec eux, qui tentent de nous détruire ?

Carmen Rosa Báez. Merci beaucoup, Polanco. Pendant la première partie de notre table ronde, nous parlions à tout bout de champ du miroir que ces gens-là tendent à l'Indien non pour que celui-ci se voit tel qu'il est, mais tels que sont ceux qui viennent le conquérir. Les années s'écoulent, les siècles s'écoulent, et on constate cette même rigidité de la pensée colonialiste européenne. Lázaro, tu n'avais pas conclu sur la question de l' « Entente ».

Lázaro Barredo. Je me réjouis de ce que tu viens de dire, et de ce que Rogelio a dit. En effet, l'Europe est arrogante envers Cuba et les pays du tiers monde, mais jamais avec les Etats-Unis. C'est très clair. Le plus paradoxal dans tout ça, c'est qu'elle nous regarde comme des inférieurs, et qu'à leur tour les Etats-Unis les considèrent et les traitent comme des inférieurs. Et c'est bien là où la position de l'Union européenne devient immorale.

La preuve, c'est qu'après la première Entente et la position commune, la Maison-Blanche s'était engagée - en fait, l'Europe avait tout accepté au départ en échange de rien - à régler ces problèmes devant le Congrès. Et l'extrême-droite qui y règne s'est moquée éperdument de l'Europe parce qu'elle a continué d'adopter de nouvelles mesures et de nouvelles lois extraterritoriales. Bref, des gifles sous les yeux de l'opinion publique mondiale, l'humiliation ! Par exemple, la loi D'Amato-Kennedy, dont je vais parler ensuite et qui montre bien comment l'Europe, cette Europe arrogante magouille et agit sans la moindre dignité dans des situations de ce genre.

Plus tard, les Européens - bien que la Maison-Blanche se soit engagée devant eux sans tenir sa parole - acceptent de négocier une seconde Entente avec les Etats-Unis, et Brittan et Eizenstat se réunissent de nouveau en secret pour négocier celle-ci qui entre en vigueur en mai 1998.

Je crois qu'il vaut la peine de dire combien l'attitude européenne a été encore plus honteuse avec cette nouvelle Entente, parce qu'elle accepte de contester la légitimité de la loi de la réforme agraire et la loi des nationalisations décidées par Cuba au début de la Révolution. Et je dis que c'est encore plus honteux, parce que s'il y a des gens qui savent très bien quelle a été la philosophie politique de Cuba dans cette question des nationalisations, ce sont bien les Européens, parce que, s'il est vrai qu'un certain nombre de leurs ressortissants ont vu leurs biens nationalisés, il n'empêche qu'ils ont été les premiers à être indemnisés. Cuba a indemnisé les ressortissants de pays tiers, sauf ceux des Etats-Unis dont le gouvernement a refusé les modalités d’indemnisation que proposait Cuba, puis a recouru au blocus, à la guerre économique, à toutes ces lois extraterritoriales. En revanche, les Français, les Espagnols, les Anglais et tous les autres ont été dûment indemnisés à la suite des négociations menées entre leurs gouvernements et le nôtre.

Il y a quelque chose d'encore plus sinistre dans cette nouvelle Entente : l'Europe se joint aux Etats-Unis pour exhorter les institutions financières internationales - alors que les crédits sont vitaux pour notre développement - à décourager les investissements à Cuba ! Et ce, juste au moment où Cuba, qui traverse la situation difficile que l'on connaît, s'est ouverte aux investissements étrangers, où elle a promulgué une série de réformes économiques en ce sens ! Alors, n'est-ce pas un crime et de quel droit l'Europe ose-t-elle parler des droits de l'homme quand elle est capable de se joindre aux USA pour décourager les investissements étrangers ?

D'un côté, de nombreux gouvernements européens font des exercices de rhétorique contre le blocus yankee pour ne pas se mettre à dos l'opinion publique de leur pays qui condamne cette mesure, et, de l'autre, ils négocient des mesures aussi concrètes que celle-ci qui contredisent totalement cette politique.

J'ai parlé avant de magouille. C'est bien le mot. Parce que l'Europe a accepté une loi comme la loi Helms-Burton, qui est foncièrement extraterritoriale, pour éviter temporairement les sanctions contre les investisseurs européens dans le pétrole libyen et iranien qu'avait décrétées une autre loi extraterritoriale nord-américaine, la loi D'Amato-Kennedy. Et Fidel a dénoncé cette magouille le lendemain même à la séance d'ouverture de l'Organisation mondiale du commerce, à Genève. Qu'a-t-il dit aux chefs d'Etats européens présents dans la salle ? « Le monde a bien des raisons de se sentir humilié et inquiet, et l'Organisation mondiale du commerce doit arrêter le génocide. Le différend entre les Etats-Unis et l'Union européenne au sujet de la loi Helms-Burton ne peut se régler sur le dos de Cuba. Ce serait un déshonneur inimaginable pour l'Europe. Or, les nouvelles annoncées hier à Londres sont confuses, contradictoires, menaçantes pour de nombreux pays et pas du tout morales. »

Le pire de tout, c'est la manière dont l'Europe s'est laissée humilier non seulement par la droite nord-américaine, mais aussi par la mafia cubano-américaine de Miami. La législatrice républicaine d'origine cubaine, Ileana Ros-Lehtinen, a dit par exemple, d'un ton menaçant, des choses de ce genre : « Pour que le Congrès soutienne Clinton, nous devons écouter de l'Union européenne qu'elle va interdire et pénaliser les investisseurs. » Et l'Europe a fini par se rendre.

Je voudrais vous livrer la réaction d'un dirigeant du Parlement européen, membre d'un parti de droite, qui est allé aux USA discuter avec Helms, avec Burton et d'autres membres du Congrès, dont les trois d'origine cubaine, Lincoln Díaz-Balart, Ileana Ros-Lehtinen et Bob Menéndez : eh bien, cet homme a été si choqué par les positions si rétrogrades de ces gens-là qu'il a avoué que, pour la première fois de sa vie, il s'était senti à gauche de quelqu'un !

Pour conclure, je veux vous présenter la preuve de l'hypocrisie de l'Europe à notre égard. J'ai entre les mains - des amis nous l'ont fait parvenir - ce qu'on appelle un non paper, autrement dit un document officieux, et qui contient les directives que le département d'Etat a fait parvenir à l'Union européenne, après la signature de la première Entente le 11 avril 1997, au sujet de la façon dont ses ambassades doivent oeuvrer dans notre pays :

Les Etats-Unis proposent à leurs alliés européens d'examiner les options
suivantes :

Que les USA et l'Union européenne travaillent de concert, conformément à l'Entente, pour encourager les pays latino-américains à faire en sorte de promouvoir la démocratie à Cuba, soit en conditionnant l'amélioration des relations à des changements fondamentaux, d'une façon similaire à la position commune, soit en menant d'autres actions. Les Etats-Unis et l'Union européenne peuvent s'adresser de concert à des pays latino-américains, ou alors l'Union européenne et ses Etats membres peuvent le faire de façon bilatérale, selon ce qu'il sera le plus efficace.

Les Etats membres de l'Union européenne peuvent intensifier leurs contacts avec les activistes des droits de l'homme à Cuba [comme l'ont fait les
Tchèques] et leur offrir un soutien adéquat. On pourrait envisager de nommer à La Havane des fonctionnaires des droits de l'homme. L'Union européenne peut exercer des pressions sur le gouvernement cubain pour qu'il légalise les organisations indépendantes et celles des droits de l'homme. Elle peut exhorter le gouvernement cubain à réformer le code pénal et à en retirer les clauses visant à intimider les activistes des droits de l'homme.

Les Etats-Unis et l'Union européenne peuvent travailler discrètement et séparément pour promouvoir les affaires à Cuba, mais non dans des biens confisqués, ou envisager d'y participer, mais en insistant sur de meilleures pratiques commerciales, notamment en ce qui concerne l'embauche et le paiement des travailleurs.

Les ambassades de l'Union européenne à La Havane pourraient commencer à inviter régulièrement les dissidents aux réunions du groupe de travail pour les droits de l'homme afin de les stimuler à réaliser des rapports, des supervisions et des formulations d'objectifs.

Pour compléter ce programme de réunions régulières avec les dissidents à La Havane, des membres des gouvernements des pays de l'Union européenne pourraient envisager d'inviter périodiquement les dissidents cubains à se rendre à Bruxelles et dans d'autres capitales européennes pour promouvoir des échanges d'idées directs.

L'Union européenne devra insister devant le gouvernement cubain qu'elle espère que celui-ci délivrera des autorisations de départ à ces invités. Nous espérerions aussi que les visiteurs de haut rang de l'Union européenne se rendant à Cuba, dont les ambassadeurs non résidents, aient en priorité des réunions publiques avec les dissidents et réclament à Castro des réformes.

Voilà le comportement infâme de l'Europe, son style mafieux, son attitude méprisable contre notre pays.

Carmen Rosa Báez. Nous nous efforçons de connaître la position de l'Europe, et de l'Union européenne en particulier, envers notre pays. Mais cette attitude-là n'est pas seulement contre nous, elle concerne sur le plan économique de nombreux pays du tiers monde. Nous avons parlé d'Indiens. Ce qui nous amène inévitablement au thème de la colonisation, puis de la néocolonisation, et donc, à celui des métropoles, sans lequel on ne comprendrait pas une partie importante des tenant et des aboutissants.

Nous allons donc sortir de Cuba et faire comme nos diplomates à la Commission des droits de l'homme, qui ne parlent pas seulement au nom de notre pays, mais au nom du tiers monde. Il serait bien que Dimas, Marina, Nidia, qui abordent ces questions dans leurs articles - et Marina le fait aussi à la radio - nous parlentun peu d'espérance de vie, de droit au développement, et de la façon dont le pays de l'Union européenne qui ont voté contre Cuba participent ou non au développement de ces nations du tiers monde.

Qui ouvre le feu ?

Marina Menéndez. Je suis d'accord avec toi. Et nous en revenons toujours à la même question : qui les juge, eux ? De quel droit moral ceux qui causent des morts - non plus les centaines de morts dont parlait Taladrid l'autre jour, à coups de balles de caoutchouc, de matraques en plastique, à coups de répression policière - mais bel et bien les centaines de milliers dans le tiers monde, osent-ils condamner Cuba au nom des droits de l'homme ?

Je veux parler concrètement du Groupe des Sept, des pays les plus riches du monde : les Etats-Unis, le Canada, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et le Japon. Ce sont eux les responsables. Qui a imposé et qui maintient cet ordre économique et financier international injuste qui cause ces morts, cet ordre qui aggrave toujours plus les clivages entre riches et pauvres, qui plonge toujours plus les pauvres dans un état de simple survie, sans parler des dommages que souffre la planète et dont nous pouvons parler ensuite. Qu'en penses-tu, Dimas ?

Eduardo Dimas. Ce qui me frappe, moi, c'est cette tendance à séparer les droits de l'homme des problèmes économiques. Evidemment, ça va comme un gant aux intérêts du monde capitaliste développé, à ce Groupe des Sept, aux centres de pouvoir économique mondial, parce que, en fait, le système économique mondial s'est constitué en fonction de leurs intérêts égoïstes, injustes, inéquitables. Et dans leurs analyses, dans leur propagande, ces pays ne tiennent pas compte des droits économiques, des droits sociaux, des droits culturels des peuples. Et ils s'accrochent - tout en les violant constamment dans la pratique - aux seuls droits politiques et civils.

Lázaro m'a raconté quelque chose qui prouve l'injustice de l'ordre économique qu'ils ont implanté. Un Nord-Américain consomme tous les ans dix fois plus qu'un Mexicain, trente-six fois plus qu'un Bangladeshi. Si tout le monde consommait autant qu'un Nord-Américain ou qu'un habitant des principaux pays du Groupe des Sept, il nous faudrait trois planètes Terre pour satisfaire les besoins de tous les êtres humains. Et nous n'en avons qu'une, que nous sommes en train de détruire, soit dit en passant. Pour que les riches vivent dans l'opulence et les pauvres vivent comme vivent beaucoup d'entre eux, dans la pauvreté la plus absolue, il faut un monde comme celui que reflètent les chiffres que je vais donner.

 Les 20 p. 100 les plus riches de la planète, autrement dit ceux qui vivent dans le monde développé, consomment 45 p. 100 de toute la viande et de tout le poisson consommés dans le monde, mais les 20 p. 100 les plus pauvres n'en consomment que 4 p. 100. Les 20 p. 100 les plus riches consomment 58 p. 100 de l'énergie mondiale, mais les 20 p. 100 les plus pauvres, même pas 5 p. 100. Pour assurer les soins de santé de toutes les mères du tiers monde, il suffirait de 12 milliards de dollars par an. Or, les Etats-Unis et l'Europe, ces fameux défenseurs des droits de l'homme, en dépensent 17 milliards par an en aliments pour animaux domestiques, les chats, les chiens, qui semblent avoir dans ces pays-là plus de valeur que les êtres humains. Pour assurer l'enseignement primaire à tous les enfants du tiers monde - et ce sont des plans dont on ne cesse de parler année après année en réunions, en congrès, et on parle d'alphabétisation, et quand tu regarde de près, il ne se passe rien, le nombre d'analphabètes augmente dans le monde.

Carmen Rosa Báez. Pardonne-moi de t'interrompre, Dimas, mais nous avons des images sur l'écran...

Eduardo Dimas. Oui, ce sont des images récentes de la famine dans la Corne de l'Afrique.

Carmen Rosa Báez. C'est ce que j'allais dire. Ne croyez pas que ce sont des vues de plusieurs années en arrière. Non, ce sont des choses qui se passent en ce moment même en Afrique. Pas des images d'archives. Des images de l'an 2000.

Eduardo Dimas. En ce moment même, dans la Corne de l'Afrique, autrement dit l'Ethiopie, l'Erythrée, Djibouti, douze millions de personnes risquent de mourir de faim, et l'aide qu'elles reçoivent- qui devrait provenir censément des pays riches - n'est pas suffisante.

Carmen Rosa Báez. Pardonne mon interruption, mais les chiffres que tu donnais étaient très intéressants. Ça nous aide à comprendre.

Eduardo Dimas. Donc, pour envoyer tous les enfants du tiers monde à l'école primaire, il suffirait de six milliards de dollars par an de plus. Les Nord-Américains en dépensent huit milliards tous les ans en produits de beauté. Pour annuler la dette extérieure des pays du tiers monde, il suffirait de juste quarante jours du Produit intérieur brut des pays du Groupe des Sept.

Alors, oui, pour que les riches vivent dans l'opulence, il faut forcément qu'il y ait des choses comme celles que nous voyons sur l'écran. Ce qui donne une idée de l'égoïsme, de l'injustice de ce monde. Et ça nous explique aussi pourquoi les riches ne veulent pas lier droits de l'homme et économie. Vous en avez la preuve sous les yeux.

Marina Menéndez. Dimas a parlé de l'Aide publique au développement. Les pays les plus riches s'étaient engagés à quelque chose de vraiment minime, autrement dit destiner 0,7 p. 100 de leur Produit intérieur brut à l'aide aux pays les plus pauvres. Eh bien, même cet engagement dérisoire, ils ne l'ont pas tenu ! En 1998, ils lui ont destiné à peine 0,23 p. 100. Et aux meilleurs moments, entre 1979 et 1988, ce n'avait été que 0,34 p. 100. Indépendamment du fait que cela ne règle absolument rien. Parce que je crois que ce que l'ordre imposé par les pays riches interdit aux pays pauvres, c'est justement ça : le droit au développement !

Les vues que nous voyons sur l'écran sont d'aujourd'hui, c'est vrai, mais elles ne sont pas nouvelles, hélas, parce que l'histoire ne l'est pas. C'est l'histoire d'un passé colonial. N'oublions pas que les bases du capitalisme ont reposé sur le fonctionnement du système colonial, et que, à tous ces gens morts de faim, de maladies que l'on peut prévenir - ce qui est le plus douloureux - il faut ajouter les morts qu'ont laissés les guerres de libération dans les colonies. Souvenons-nous de ce qu'a fait la France dans ses colonies, ou le Portugal dans les siennes, au Mozambique et en Angola, par exemple.

En somme, ce qui a changé, ce sont les méthodes. Il s'agit maintenant d'un système néolibéral imposé par ces mêmes pays qui leur permet non seulement de garantir la dépendance économique des pays pauvres, mais encore de les assujettir et de la rendre plus dépendants sur le plan politique. Je veux parler de questions telles que la conditionnalité imposée à chaque prêt - des prêts qui vont en fait endetter encore plus les pauvres, dont la dette se monte maintenant à 2,5 billions de dollars - et aussi de la mise en vigueur d'autres concepts relativement nouveaux et qui violent le droit international, comme la fameuse « gouvernance » ou bon gouvernement - quelque chose de très à la mode - ou la transparence, qui ne sont que des excuses pour continuer d'imposer aux gouvernements et aux peuples des modèles politiques qui ne sont peut-être pas ceux qui leur conviennent ni ceux qu'ils ont choisis.

Alors, oui, on peut se poser de nouveau la question :qui donc nous juge, et avec quelle morale et de quel droit ?

Eduardo Dimas. Je voudrais signaler aussi la fameuse libéralisation du commerce selon laquelle toutes les nations ont les mêmes chances. Quelle égalité de chances peuvent avoir, par exemple, deux nations comme l'Ouganda et l'Allemagne? Ou le Mozambique et la France ? Et on pourrait donner des dizaines d'exemples. L'égalité des chances, dans ces circonstances, c'est de la blague !

En Afrique, 91 enfants sur 1 000 nés vivants meurent dans l'année, et 172 garçons et 154 filles dans les cinq premières années de vie. L'espérance de vie y est de 49 ans pour les hommes et de 51 pour les femmes, contre 69 et 77 en Europe. Soit dit en passant, les Européens ont une espérance de vie inférieure aux Cubains, parce que la nôtre est de 74 ans. Cinq ans de plus !

Lázaro Barredo. Je crois qu'elle est de 75.

Eduardo Dimas. Tant mieux, comme ça je vivrai un an de plus ! En Afrique, 940 femmes sur 100 000 meurent en couches, contre seulement 59 en Europe. Cinq millions d'Africains sont morts de maladies infectieuses et parasitaires, dont la tuberculose, et en Europe, vingt fois moins. Dans le tiers monde, 48 millions de personnes meurent chaque année de maladies évitables. La différence de revenus entre le cinquième de la population mondiale le plus riche et le cinquième le plus pauvre était de 74 à 1 en 1997. 98 p. 100 des enfants de moins de cinq ans qui meurent dans le monde proviennent de pays sous-développés. On compte aujourd'hui dans le tiers monde 900 millions d'affamés, 1,5 milliard de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté.

N'est-ce pas là un génocide économique ? Et ce génocide, quelle commission des droits de l'homme va en débattre et le condamner ?

Carmen Rosa Báez. Ces questions s'ajoutent à celles que nous avons posées à notre table ronde sur l'OTAN.

Eduardo Dimas. Je disais tantôt qu'il nous faudrait trois planètes. Et celle-ci est en train de se détruire sur l'autel de la consommation du premier monde, car il est vrai que l'environnement souffre terriblement à cause de la déprédation que cause ce premier monde.

Nidia Díaz. Avant d'aborder ce thème, je crois qu'il serait bon de rappeler quelque chose que personne ne pourrait contester de nos jours : que, selon Marx, le capital est arrivé au monde suant le sang et la boue par tous les pores. Personne ne pourrait contester cette sage affirmation de Marx s'il a un tant soit peu de conscience.

À ce que disait Dimas au sujet de l'ordre économique mondial, il faut donc ajouter l'écocide commis contre notre planète. Les principaux pays industriels, ceux qui nous ont accusés devant la Commission des droits de l'homme, sont les principaux émetteurs de dioxyde de carbone qui empoisonne l'atmosphère, qui pollue la planète et qui a même modifié le rythme de la nature. Il faut dire toutefois que certains efforts se font pour tenter d'arrêter cette dégradation de l'environnement, de freiner les conséquences de ces gaz à effet de serre émis en premier lieu par les pays industriels.

Eh bien, malgré ça, les pays riches, industriels, ceux du premier monde, suivant une politique égoïste, hypocrite et insensible, sont en train de convertir ces efforts mondiaux en une affaire juteuse. Je vais juste vous donner l'exemple des accords de Kyoto. Beaucoup de téléspectateurs se rappelleront du sommet sur l'environnement qui s'est tenu dans cette ville japonaise pour tenter d'arrêter l'émission dans l'air de gaz à effet de serre : chaque pays s'est vu assigneér un quota d'émission qu'il ne peut dépasser, de tant de tonnes de gaz. Eh bien, les lois offrent toujours des échappatoires. Je vais vous expliquer : l'Allemagne, la France, l'Italie, etc., ont donc un quota, mais les pays du tiers monde aussi. Le hic, c'est que ces derniers consomment une partie minime de leur quota parce qu'ils ne sont pas assez industrialisés pour émettre tant de gaz. Alors, que font les pays riches ? Eh bien, moi, l'Allemagne, ou alors l'Italie, ou la France, ou les Etats-Unis, qui suis une société de consommation, je consomme mon quota, bien entendu, et je respecte donc les accords de Kyoto, oui, mais après, pour pouvoir consommer plus, j'achète leurs quotas aux pays du tiers monde - je ne dirais pas de nom - qui n'ont pas la capacité industrielle de consommer la leur toute entière... Voyez un peu ça. Si bien que, loin de diminuer, les émissions de gaz à effet de serre augmentent, parce que les pays riches les émettent à la place des pays qui ne les émettraient pas. Et personne ne viole les accords. Quelle hypocrisie !

Ce que nous voyons à la télévision ne vient pas du fait qu'il fait plus chaud en Afrique que dans le reste du monde, mais du fait que ces gaz à effet de serre ont bouleversé l'environnement. Rappelez-vous les pluies torrentielles qui se sont abattues voilà quelques semaines au Venezuela, des pluies sans précédent dans l'histoire de ce pays. Voyez ce qu'il se passe dans la Corne de l'Afrique et ailleurs. Cette pratique d'acheter les quotas des pays du tiers assignés justement en vue de contrôler les émissions de gaz à effet de serre est illégale, et pourtant les pays riches, les pays industriels la présentent comme une façon d'aider le tiers monde. Et ce sont les pays qui ont pointé un index accusateur contre Cuba qui suivent cette politique hypocrite d'empoisonnement de l'atmosphère, qui perturbent l'équilibre écologique, qui empêchent l'humanité de vivre sur une planète saine. Parce que notre planète ne l'est pas, parce qu'elle est en butte à toujours plus de catastrophes naturelles aux conséquences incalculables et qui aggravent la situation sociale déjà précaire du tiers monde. C'est là un écocide, certes, mais c'est aussi une violation flagrante des droits de l'homme. Une violation qu'il faudrait ajouter à la liste des responsabilités des pays développés : la destruction de notre planète. Or, nous n'avons que celle-ci et nous n'avons qu'une seule vie.

Reynaldo Taladrid. Je voudrais ajouter quelque chose. Quand on a parlé de développement, d'aide au développement, de pauvreté, je me suis souvenu de quelque chose que j'ai lue récemment. Nous avons parlé d'organismes internationaux. Eh bien, les Nations Unies ont ce qu'on appelle leur Programme pour le développement, ou PNUD, créé pour l'essentiel afin de combattre la pauvreté qui empêche le développement des pays du tiers monde. Marina a parlé de la réduction de l'Aide publique au développement, de ce 0,7 p. 100 demandé aux pays riches qui n'ont jamais apporté plus de 0,3 ou 0,2 p. 100.

Ceci se reflète aussi sur les organismes de l'ONU. Voilà cinq ans, le PNUD, qui est censé promouvoir des projets de développement au profit des économies du tiers monde, disposait d'un budget de 1,2 milliard de dollars. Il n'en a plus aujourd'hui que 680 millions.

Le PNUD avait toujours été dirigé par un Nord-Américain. Maintenant, on a désigné un Anglais, peut-être comme un prix de consolation. Mais d'où vient cet Anglais ? Suivez la piste : de la Banque mondiale. Peut-être est-ce qu'il avait l'aval suffisant pour diriger le PNUD...

Bien, et que fait cet homme ? Il se dit : « J'ai besoin de plus d'argent pour revenir aux niveaux d'avant. Et pour en avoir plus, je dois faire plaisir aux riches qui tiennent les cordons de la bourse. Et pour ça, je vais faire des projets qui plaisent aux riches. » Voilà ce qu'il s'est dit, ou ce qu'on lui a dit de dire, on ne sait jamais... Qu'est-ce qu'il plaît aux riches, ou au Groupe des Sept, ou aux suspects habituels quand quelque chose va mal sur notre planète, comme vous voudrez les appeler... Oui, qu'est-ce qu'il plaît aux riches ?

Eh bien, deux types de projets : 1) de gouvernance; 2) de conseil politique. Voilà le plus gros pourcentage de projets de développement que présente actuellement le PNUD. Dont le sigle contient le mot « développement » ! Gouvernance et conseil politique !

Que dit cet Anglais - qui aspire peut-être aussi au titre de lord ou de sir, comme l'autre, Brittan ? Eh bien, il affirme que la cause de la pauvreté et de tous les problèmes du tiers monde, c'est qu'il y a tant de corruption dans ces pays-là qu'ils volent les ressources allouées au développement. D'abord, la cause de la pauvreté n'est pas la corruption. Les causes de la pauvreté, on les a dites ici : le désordre économique international, l'échange inégal, l'exploitation dont nous avons été victimes pendant des siècles, la dette extérieure. Voilà les causes réelles de la pauvreté. Pas la corruption.

Et là, on constate deux choses : d'abord, une tentative de convertir les Nations Unies en une espèce de Sénat validant ce que fait l'Empire romain actuel; ensuite, une forme très subtile de s'imposer au tiers monde : vous avez un pays du tiers monde qui a besoin de ces projets, qui a des problèmes financiers, le projet commence et on lui expédie un conseiller politique. Avant, ça se faisait autrement. Maintenant, on vous expédie quelqu'un qui a la haute main sur tout, et nous savons tous à quels intérêts il répond, ce qu'il va suggérer et proposer.

Je voulais faire cette réflexion à propos de cette histoire du développement, de la pauvreté, des Nations Unies et des suspects habituels qui sont derrière tout ça.

Mais je voudrais aussi insister sur le problème de la corruption, de la pauvreté et des riches. Je ne vais pas en discuter ici. Nous savons que la corruption existe dans le tiers monde, mais pas seulement là : dans le premier monde aussi. Mais je vois là au fond un problème aussi de racisme. Parce qu'il faudrait voir qui a inventé la corruption d'abord et l'a apportée au tiers monde. Quand les Espagnols sont arrivés ici, il y avait pas mal de criminels sur leurs caravelles, des gens sortis de prison. Je ne sais pas le chiffre exact, mais je suis convaincu que plus de la moitié étaient des repris de justice. Les Mayas, les Aztèques, les Incas et ceux qui étaient arrivés ici depuis l'Orénoque avaient une autre forme d'organisation sociale qui n'avait pas encore dérivé dans des prisons, des criminels, la corruption et d'autres choses de ce genre. Ils en étaient à un autre stade. Faut voir, donc, qui a apporté la corruption. En Afrique, il faudrait voir toute la corruption que les Anglais, les Hollandais et les autres ont amenée.

Mais venons-en à l'actualité. J'ai au moins cinq exemples de la façon dont les choses se passent avec ces projets d'aide au développement, leur politisation, les tentatives de violer ou de limiter la souveraineté nationale, ou de placer des conseillers politiques. Je ne donnerai qu'un seul exemple, véridique, sans mentionner le pays d'accueil, qui bénéficie d'un projet de coopération du Canada.

Le Canada, qui n'a pas eu de colonies, a toujours été très attiré par l'aimant qu'il a au Sud et suit la même voie. Donc, le Canada octroie 500 000 dollars au pays en question qui, très intelligemment, dit qu'il a besoin d'informatique, de technologie de pointe, etc. Le hic, c'est que les Canadiens du projet en question volent en première, descendent dans des hôtels cinq étoiles, et pas dans des chambres, non, mais dans des suites, touchent une « indemnité journalière de subsistance » très élevée - je ne vais pas dire tout ce qui se passe avec les fameuses indemnités journalières de subsistance du système des Nations Unies... Donc, ils se rendent dans le pays, font une étude, rentrent chez eux, reviennent avec un rapport et le projet commence... Oui, mais quand le projet commence, 200 000 dollars sont déjà partis en, mettons, « frais opérationnelles » : billets d'avion, logements, indemnités journalières. Il ne reste qu'un peu plus de la moitié des fonds. Mais ce n'est pas tout. Parce que si nous parlons de corruption, alors, il faut bien reconnaître que ces gens-là, qui nous donnent des leçons de morale et de droits de l'homme, sont des maîtres en la matière. Bref, un des membres du projets suggère aux fonctionnaires du pays bénéficiaire qu'un de ses amis est le patron d'une société d'informatique qui vend des ordinateurs de très bonne qualité. Bien entendu, le type qui propose touche une commission, n'est-ce pas ?, puisqu'il introduit son ami dans l'affaire. Voilà pourquoi je dis que toutes ces conceptions, en plus de limiter la souveraineté, sont entachées de racisme et de corruption.

Carmen Rosa Baez. Tâchons de clore ce chapitre.

Marina Menéndez. Je n'ose pas faire un contrepoint avec Taladrid au sujet du racisme, mais je tiens cependant à signaler que cette transparence qu'on

exige des pays, on la trouve pas dans les organismes internationaux qui n'offrent aucune garantie de fair play. C'est là le piège qu'on tend aux pauvres. Nous n'avons pas parlé du FMI et de la Banque mondiale. Mais si des choses comme ça se passent au PNUD qui est censément un organisme des Nations Unies pour le développement, que pourrions-nous dire de ces deux autres organismes par lesquels les pays riches exercent des pressions sur les pauvres et les dominent. Tu parlais des éternels suspects.

Reynaldo Taladrid. Je veux préciser que l'exemple que j'ai donné est un projet bilatéral, qu'il n'est pas du PNUD.

Carmen Rosa Báez. Dont acte.

Marina Menéndez. Au FMI, par exemple, la moitié des votes correspondent aux pays riches, au Groupe des Sept. Et les USA ont d'ailleurs dans la pratique un droit de veto sur n'importe quelle décision. Je crois que ça corrobore ta thèse : faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. Ou la loi du plus fort.

Carmen Rosa Báez. Je retrace la ligne de conduite de notre table ronde pour ne pas en perdre le fil. Nous tâchons d'analyser les pays d'Europe de l'Ouest qui ont voté contre Cuba, ainsi que ceux d'Europe de l'Est. Et si nous parlons de ces différentes organismes internationaux, c'est parce que ces pays riches y jouent un rôle essentiel et les dominent à leur guise. Il nous faut donc combiner les analyses : par pays, bien entendu, mais aussi les organismes qu'ils dominent. Il faudrait donc conclure ce thème, parce qu'il reste encore des choses intéressantes à dire.

Nidia Díaz. Alors, il faut dire bien clairement que les principaux violateurs des droits de l'homme sont justement ceux qui ont imposé un nouvel ordre économique international intenable et injuste et qui contrôlent par ailleurs les principaux organismes financiers internationaux. Et ce monde se caractérise par son manque de solidarité, par son individualisme et son égoïsme féroces.

J'aimerais demander à ces pays riches du Groupe des Sept, à tous les gouvernements du premier monde, qui ont voté contre Cuba à cette hypocrite Commission des droits de l'homme : qu'avez-vous fait pour ces couches toujours plus nombreuses de la population mondiale, surtout du tiers monde, qui souffrent de maladies qu'on peut prévenir ou guérir, ou pour les 25 millions de sidéens africains ? Qui de vous a prêté une aide technique spécialisée à ces pays du tiers monde dans des domaines comme l'éducation, la santé, le développement technique, justement ces domaines où le colonialisme, le néocolonialisme, la mondialisation néolibérale de ces dernières années ont laissé de terribles séquelles d'analphabétisme, d'insalubrité, de retard technique ? Qu'ils répondent donc !

 Eh bien, Cuba peut répondre, elle, la Cuba accusée, diffamée parce qu'elle viole censément les droits de l'homme : de 1963 à ce jour, 138 805 Cubains sont allés dans 130 pays du monde prêter une aide spécialisée et technique!

Ceux qui nous accusent, qu'ont-ils fait, eux ? Qu'ont-ils fait, par exemple, dans les cas de catastrophes naturelles, de cyclones, d'inondations, d'éruptions volcaniques, sauf venir quelques jours - à grand renfort de publicité, soit dit en passant - et repartir ensuite. Cuba, en revanche, reste sur place aussi longtemps qu'il le faut, et a même parfois soutenu la reconstruction de ces pays pendant des années et des années.

Oui, qu'est-ce que les colonies et les pays dépendants ont donc obtenu de leurs anciennes métropoles ces années-ci ? Rien, ou presque rien. Je ne veux pas donner de chiffres, mais il saute aux yeux que les acquis de Cuba en matière d'éducation, de santé, en matière social, sont largement supérieurs aux leurs. Alors, oui, de quel droit ces pays riches nous accusent-ils ? D'ailleurs, que savent-ils de Cuba ? Et de ce qu'était Cuba avant ?

Eh bien, nous les Cubains, qui avons fait de l'extraordinaire quelque chose de quotidien, il ne serait pas inutile, avec la modestie qui caractérise notre travail et notre action solidaire dans le monde, que nous donnions quelques chiffres et que nous disions surtout ce qu'a fait la Révolution et qu'est-ce qui nous a permis de fournir cette aide solidaire dans ce monde individualiste et égoïste qui a cours aujourd'hui.

Juste quelques chiffres d'avant et d'après la Révolution. En 1958, l'espérance de vie était de 61 ans. Elle est aujourd'hui de 75. La sécurité sociale concernait 53 p. 100 de la population; elle touche aujourd'hui tous les Cubains. Le taux d'analphabétisme était de 23,6 p. 100 avant la Révolution; il n'était plus en 1981 - voyez un peu ces années-lumière ! - que de 1,9 p. 100. La scolarisation moyenne de la population, qui était de deux années en 1958, est de neuf années en 2000, soit le premier cycle du second degré. Cuba comptait en 1958 1 médecin pour 1 076 habitants; aujourd'hui, 1 pour 172.

Comment peut-on accuser Cuba ? Il me semble que l'Europe, qui s'est accoutumée ces dernières années à l'obéissance, devrait, avant d'émettre son vote contre le peuple cubain, contre la Révolution cubaine, connaître ces réalités-ci d'un peuple vraiment indépendant.

Carmen Rosa Báez. Je vous propose de passer à un autre thème tout aussi intéressant et dont on ne parle pas tous les jours : la course aux armements. Il y a encore quelques années, on parlait de guerre froide et du danger que la course aux armements pourrait causer à la planète en cas de guerre nucléaire. L'Union soviétique et le camp socialiste ont disparu, et on semble croire que la course aux armements est révolue. Alors, je voudrais que Taladrid nous dise un peu si elle est vraie, cette vision des choses.

Reynaldo Taladrid. Eh bien, non, la course aux armements n'a pas cessé. Et vous savez tout ce qu'on pourrait avec une petite quantité de l'argent qu'on dépense dans le monde en armes.

Mais, au sujet des questions nucléaires, je voudrais aborder un thème spécifique qu'il vaut la peine de mettre à nu, quelque chose de tout à fait illégal, quelque chose qu'on a maintenu en secret, quelque chose qui est, de mon point de vue, une des actions les plus irresponsables des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest ces cinquante dernières années : la création d'une forte puissance nucléaire rien moins que dans une des régions les plus tendues et les plus chaudes du monde, une région où convergent des conflits très graves de toute sorte, historiques, politiques, territoriaux, religieux. Autrement dit, le Proche-Orient. Concrètement, les Etats-Unis et certains de leurs alliés occidentaux ont converti Israël en une forte puissance nucléaire, et si je dis « forte », c'est parce qu'il est la sixième au monde.

Comment en est-on arrivé là ? Je précise d'abord que tout ceci s'est fait dans le plus grand secret, que personne n'en parle et que j'ai dû beaucoup fouiller pour le savoir. Donc, à la fin des années 50, les USA ont fourni son premier réacteur nucléaire à Israël. Plus tard, dans les années 60, Israël a signé un accord secret avec la France, un projet secret qui avait pour nom Dimona. C'est à partir de là que la technologie a commencé à entrer dans ce pays. Je précise que vous pouvez entrer une technologie d'une manière et l'utiliser d'une autre, comme c'est là de la technologie atomique. Je précise pour les spécialistes.

Par ailleurs, les USA fournissent une aide considérable à Israël qui permet à celui-ci soit de fabriquer sa propre technique soit d'acheter des équipements militaires aux sociétés nord-américaines. Pour vous donner une idée, sachez que les USA fournissent à Israël, actuellement, une aide militaire se montant à cinq milliards de dollars par an. Or, c'est un pays qui a des caractéristiques propres, un Etat extrêmement agressif, qui a occupé des territoires de ses voisins, un Etat à forte caractéristique militariste. Et puis, c'est aussi un Etat - puisque nous parlons de droits de l'homme - où la torture était légale voilà encore quelque mois. La torture, bien entendu, c'était contre les Palestiniens.

Voilà donc l'Etat qui, grâce à cette aide et à ses caractéristiques propres, a pu se doter de non moins de trois cents armes nucléaires ! Qui est devenu la sixième puissance nucléaire au monde. Ce n'est pas quelque chose qui commence, détrompez-vous. Mais les trois cents armes atomiques ne sont pas tout. Israël possède aussi assez de missiles, de vecteurs, d'avions et de bombardiers, bref, tous les moyens porteurs, pour pouvoir utiliser concrètement toutes ces armes.

Et quelle est la portée de ces armes ? Eh bien, les missiles israéliens, nommés Jéricho-II, les bombardiers, les avions couvrent non seulement l'ensemble du Et quelle est la portée de ces armes ? Eh bien, les missiles israéliens, nommés Jéricho-II, les bombardiers, les avions couvrent non seulement l'ensemble du

Moyen-Orient, toute cette région pleine de conflits historiques de toutes sortes, mais encore le Nord de l'Afrique et, par-dessus le marché, le sud de l'Europe où il existe aussi des points chauds, tels que la Yougoslavie et la Turquie.

Et tout ceci existe depuis des dizaines d'années. Où il existait aussi les Nations Unies, la Commission des droits de l'homme, la presse, des fonctionnaires, des organisations. Eh bien, personne n'a jamais dénoncé ça dans aucun des pays fournisseurs de cette technologie, personne ne l'a jamais condamné, alors que c'était une politique extrêmement irresponsable sur le plan historique de créer une forte puissance nucléaire dans cette région du monde ! Et qui en sont les auteurs ? Les Etats-Unis, notre principal accusateur, la France... et comme il s'agit d'une action secrète, je ne doute pas qu'un jour ou l'autre on apprenne que d'autres pays ont participé à l'opération.

Mais ce n'est pas tout. Il y a quelque chose d'encore plus répugnant : c'est qu'Israël a servi de tremplin pour convertir à son tour l'Afrique du Sud en une puissance nucléaire. Débutante, heureusement. Et je dis heureusement parce que l'apartheid a été liquidé grâce, dans une bonne mesure, à l'effort de nos troupes, de nos combattants internationalistes. En tout cas, Israël a servi de tremplin.

Avant de poursuivre, je voudrais attirer votre attention sur un point. Regardez un peu quels ont été les deux pays choisis pour en faire des puissances
nucléaires ? Israël, un des pays les plus condamnés pour violation des droits de l'homme, un Etat militariste, expansionniste, etc., et l'Afrique du Sud de l'apartheid, un des régimes les plus répugnants et les plus condamnés de l'histoire ! Je vous laisse juger.

Que s'est-il donc passé en Afrique du Sud ? Tout s'est fait en secret, je le répète, et il n'est donc pas toujours facile de connaître les faits. Heureusement, à un moment donné, le groupe des pays africains à l'ONU a proposé la création d'une commission d'enquête sur la capacité nucléaire de l'Afrique du Sud et cette proposition a été accepté par l'Assemblée générale, avec, bien entendu, le vote contre des suspects habituels, les Etats-Unis et l'Angleterre, et l'abstention des autres pays occidentaux. Et cette commission est parvenue à révéler un certain nombre de choses et a publié un rapport. Ce document-ci que j'ai en main. Que dit-il ?

Qui a fourni cette technologie à l'Afrique du Sud et comment ? 1) la Belgique et le Canada, par le biais d'une société intitulée Space Research Corporation of Belgium and Canada, qui a fabriqué et vendu aux Sud-Africains des projectiles de 155 mm, soutenus par des missiles porteurs d'armes nucléaires. Nous trouvons donc là un de nos accusateurs, le Canada. 2) l'Allemagne, dont des sociétés ont construit deux installations d'enrichissement d'uranium qui sert aux armements nucléaires. De nouveau, un de nos accusateurs : l'Allemagne. 3) les Etats-Unis - ils ne pouvaient manquer à l'appel, bien entendu - ont fourni son premier réacteur nucléaire à l'Afrique du Sud. Si bien que dans les années 80, celle-ci a lancé un missile d'essai à 1 450 km dans l'Atlantique-Sud. Et voilà comment ce pays a commencé de devenir une puissance nucléaire.

Par ailleurs, nous savons tous que Cuba a prêté son aide internationaliste à l'Angola, nous savons tous ce qu'il s'y est passé, que nos troupes ont progressé vers le sud en compagnie des troupes angolaises et que s'est produite la bataille de Cuito Cuanavale, ce moment le plus important et le plus décisif dans la lutte pour en finir avec l'apartheid, ce moment qui a changé le cours de l'histoire en Afrique australe.. Eh bien, au moment de cette bataille, l'Afrique du Sud disposait de sept bombes atomiques, et le plus significatif, c'est que les Etats-Unis le savaient ! Et qu'est-ce qu'ont fait les Etats-Unis ? D'abord, ne rien dire, alors qu'ils le savaient pertinemment. Ensuite, caresser l'espoir - oui, je dis bien : l'espoir - que l'Afrique du Sud les utilise contre les troupes cubaines.

Fidel a expliqué une fois que, compte tenu des très fortes présomptions de Cuba au sujet de la possession d'armes atomiques par l'Afrique du Sud, les troupes cubano-angolaises avaient adopté des conceptions spéciales, consistant en la création de groupes tactiques puissamment armés de pas plus de mille hommes, appuyés par une force importante de Mig-23 et par mille armes antiaériennes de différents types.

Oui, mais de là à dire que les Etats-Unis misaient sur l'utilisation des armes atomiques par l'Afrique du Sud, il y a un pas difficilement franchissable. On nous accusera d'exagérer. Autre chose est que les Nord-Américains le sachent, autre chose qu'ils aient misé là-dessus ! Alors, comme le doute est humain, je vais vous le prouver. Chester Crocker était toutes ces années-là le sous-secrétaire d'Etat nord-américain aux affaires africaines. Il était donc bien placé pour être informé de tout ce qui se passait en Afrique. Une fois sorti de ce poste, il a écrit un livre où il affirme textuellement : « Si Cuba avait franchi la frontière sud-africaine, il se serait produit une nouvelle Corée, sauf qu'on aurait utilisé des armes très fortes. » Si vous avez encore des doutes, analysez la phrase : d'abord, les USA le savaient pertinemment; ensuite, il découle de cette phrase qu'ils avaient aspiré à ce que l'Afrique du Sud utilise des armes nucléaires contre les troupes cubaines.

Oui, je le répète, c'est une des choses les plus irresponsables que je connaisse de ces derniers temps : qu'un pays qui doit être censément le plus responsable, qui négocie constamment des traités de limitation d'armes nucléaires, qui lance des cris d'alerte au sujet des périls nucléaires, qui affirme que la possession d'armes atomiques fait partie, selon la nouvelle stratégie de l'OTAN, des cas où celle-ci peut intervenir, qu'un pays comme ça, donc, ait misé sur l'utilisation des armes atomiques contre une armée qui était préparée, mais qui n'en possédait pas... Oui, quelle irresponsabilité ! Les armes atomiques n'ont été utilisées que deux fois, par eux précisément, à Hiroshima et à Nagasaki. Et pourtant, ils ont misé sur leur utilisation.

Et puisque nous continuons de parler des droits de l'homme, de respect de la loi, des Nations Unies, etc., je vais évoquer un autre cas. Ces années-là, l'Assemblée générale des Nations Unies avait analysé un projet de résolution contre la coopération militaire et d'autres type de collaboration avec l'Afrique du Sud. Eh bien, les Etats-Unis et l'Angleterre, qui fournissaient en secret cette coopération militaire et autre, ont voté contre, tandis que leurs alliés d'Europe de l'Ouest et le Canada se sont abstenus. Il y a pire encore. Cette même Assemblée générale avait analysé une résolution qui condamnait et interdisait les relations entre l'Afrique du Sud et Israël - à cause de ces contacts nucléaires, etc. - et les Etats-Unis, le Royaume-Uni et tous les autres alliés européens ont voté contre, tout en sachant qu'Israël avait servi de passerelle pour ces transfert direct de technologie qui avait permis à l'Afrique du Sud de fabriquer des armes atomiques.

Finalement, pour ôter tous les doutes, je voudrais signaler l'existence d'un traité international de non-prolifération des armes atomiques. On peut penser ce qu'on veut de ce traité, surtout de son hypocrisie, de ce pharisaïsme des USA et de leurs alliés occidentaux, qui possèdent des armes et veulent en garder le monopole... Toujours est-il qu'il existe et que ces gens l'ont violé pendant des dizaines d'années, et en secret, d'une part en créant une forte puissance nucléaire, Israël, et en contribuant à l'essor d'une autre, l'Afrique du Sud; de l'autre, en manipulant tout cela, notamment les USA, d'une manière si irresponsable.

Alors, comme ça, ils violent des traités, ils votent contre des résolutions qui visaient uniquement à éviter une catastrophe... et il ne se passe rien. Quelle commission des Nations Unies s'en est saisie ? C'est à peine si la presse en a parlé. Qui répond pour ça ? Au cours de ces tables rondes, nous avons parlé de choses sérieuses, nous avons porté des accusations concrètes sur des thèmes concrets : exécutions, prolifération de puissances nucléaires, irresponsabilités, Entente secrète, violations du droit international. Pourtant, personne ne bouge, personne ne répond dans la presse, aucun fonctionnaire, aucun gouvernement.

L'autre jour, on a parlé ici du silence. Le silence est parfois une tactique, le silence s'utilise. Crier n'est pas tout. Accuser n'est pas tout. Parfois on demande aux journalistes de faire silence, de ne rien dire. C'est curieux, tu portes des accusations concrètes, et pas un mot en face. Pourtant, pour des choses insignifiantes, pour des choses préfabriquées, tu le vois parfois leur consacrer despages et des pages entières, des dizaines de dépêches de presse, les satellites se mettent en branle. Et puis, ici, tu fais des accusations très précises, et motus !

Carmen Rosa Baéz. C'est très bien que tu aies dit tout ça, Taladrid. Parce qu'il faut que vous sachiez que nous recevons parfois des réactions directes à ce que nous disons à nos tables rondes, par des dépêches de presse qui informent de ce que nous disons. Et il est vrai que parfois c'est le silence. Mais qui ne dit mot consent, n'est-ce pas ?

Reynaldo Taladrid. En fait, nous défions tous ceux qui doutent de ce que j'ai dit à nous défier, pour ainsi dire, et je leur prouverai qu'il y a bel et bien une Entente secrète, des instructions d'un pays à un autre à travers les ambassades, qu'on a bel et bien fabriqué des puissances nucléaires d'une façon irresponsables dans des régions de conflit, que l'Etat tue sans autre forme de procès, etc. Si on ne nous répond pas, alors il faudrait reconnaître qu'effectivement, qui ne dit mot consent.

Lázaro Barredo. Je voudrais ajouter un post-scriptum. Qu'on te défie ou non, il est un fait qu'on devrait nous donner pas mal d'explications, parce que ce sont des faits concrets, et que les faits, comme on dit aussi, sont têtus.

Carmen Rosa Báez. Nous avons parmi nos invités Iroel Sánchez, président de l'Institut cubain du livre, qui a combattu en Angola et qui pourrait sans doute nous donner son témoignage de ce moment-là, quand l'Afrique du Sud avait des armes nucléaires.

Iroel Sánchez. Il faudrait dire d'abord, pour être fidèle à la vérité, que l'hypocrisie de l'Occident en Afrique, en particulier sa complicité avec le régime de l'apartheid, va au-delà du thème nucléaire. Elle touche aussi les armements classiques et la possibilité qu'a eue l'Afrique du Sud de se rééquiper après sa défaite de 1975-1976 et le coup dur que lui ont assené là les troupes cubaines.

Ainsi, elle a mis au point de nouveaux armements. Comment elle avait été très impressionnée par le missile BM-21, elle en a construit une copie, le Backri, un lance-missile à réaction, avec le soutien matériel et financier de l'Occident. Elle a pu aussi développer d'autres armes assez perfectionnées et acheter par exemple des chasseurs-bombardiers de combat Mirage, qui ne se fabriquent pas dans le tiers monde, ni au Burundi, ni en Malaisie, mais en France, cette France qui vient de voter contre nous à Genève. S'il en fallait des preuves, il suffirait de signaler les Mirage que nos troupes ont descendus, dont le dernier a eu une signification spéciale, parce que ç'a été le dernier avion que nous avons descendu au sud de Menongue, près du fleuve Cuatid. Après ça, les Sud-Africains n'ont plus tenté la moindre sortie aérienne, et ça a été l'antichambre de la défaite qu'ils ont essuyée le 23 mars à Cuito Cuanavale où leurs chars sont tombés dans nos champs de mines, au point que Fidel a pu dire que c'était paradoxal : les chars volaient en l'air et les avions restaient à terre !

Mais le pharisaïsme des puissances occidentales a un fondement historique, parce que ce sont elles qui ont converti en esclaves des millions d'hommes et de femmes pendant des siècles, qui ont organisé le trafic négrier à travers l'Atlantique, qui ont suscité les rivalités tribales entre les peuples de l'endroit pour faire progresser ainsi leurs intérêts colonialistes, qui, en 1885, se sont divisé ce continent à la Conférence de Berlin après avoir tracé des frontières arbitraires qui continuent de nos jours de provoquer encore des problèmes et des conflits ethniques et territoriaux, comme on peut le constater à tout bout de champ. Et c'est aussi l'Occident qui fait du mercenariat une méthode systématique pour s'opposer aux mouvements de libération nationale africains. Il faut dire que les crimes et les violations des droits de l'homme par ces mercenaires pourraient donner lieu à des milliers de résolutions à Genève.

Et l'Occident devrait demander pardon à ces peuples au lieu de fabriquer des calomnies. Dernièrement, on a demandé pardon, et je crois que c'est très juste, au peuple juif pour ce qu'on appelle l'holocauste. Mais on attend toujours les excuses de l'Occident pour l'holocauste dont des millions d'hommes et de femmes de ce continent ont été victimes pendant des siècles, sans parler des mercenaires.

On sait aussi, et les documents en font foi, comment la CIA a fabriqué de toutes pièces ses fantoches, comme Tschombé, Mobutu, Kasavubu, comment elle a planifié l'assassinat du premier ministre congolais, Patrice Lumumba, en 1961, et comment elle a utilisé ensuite les Occidentaux, surtout les Belges, pour freiner l'avancée des patriotes lumumbistes en 1964.

Le 11 août 1964, le Conseil de sécurité national des Etats-Unis - les notes existent - présidé par le président Johnson décidait, en accord avec le premier ministre belge Spaak, d'embaucher des mercenaires européens pour que les Nord-Américains n'apparaissent pas dans l'intervention au Congo-Kinshasa. Les notes apparaissent dans la bibliothèque Lyndon Johson, NCC Meeting File, Box no 1.

Toute ressemblance avec ce qu'ils sont en train de faire avec la République tchèque, qui sont les mercenaires européens de maintenant, n'est pas pure coïncidence, croyez-moi.

Que faisait Cuba en Afrique pendant ces années-là ? Quelques mois après, en janvier 1965, le Che était au Congo-Brazzaville et avait une réunion avec son président, Massemba-Debat, et avec le président du MPLA, Agostinho Neto, et commençait à collaborer avec les mouvements de libération en Afrique noire. Et si je dis Afrique noire, c'est à dessein, parce que, dès 1963, une brigade cubaine de plus de 700 hommes avait été en Algérie pour aider à freiner les visées expansionnistes du Maroc vis-à-vis de la jeune République algérienne qui venait de livrer une guerre de libération qui avait bouleversé le monde. Le Maroc cherchait à s'emparer de territoires riches en gisements minéraux.

Il faudrait aussi rappeler l'intervention de la CIA en Angola en 1975. Nous sommes en train de voir des vues de la participation cubaine à l'époque. La CIA est intervenue par l'intermédiaire des racistes sud-africains, de l'UNITA, du FNLA, de l'armée de Mobutu et de mercenaires, pour empêcher l'indépendance de l'Angola. John Stockwell, qui était l'officier de la CIA responsable de l'opération, a raconté dans son livre, In Search of Ennemies, comment les Etats-Unis, de connivence avec des gouvernements européens, ont organisé l'opération que la participation des internationalistes cubains a fait échouer.

Depuis, plus de trois cent mille combattants cubains ont fait face au régime de l'apartheid là-bas, et, aux côtés des patriotes namibiens et des patriotes angolais, ils lui ont infligé une défaite stratégique. Mais ces trois cent mille Cubains étaient aussi là-bas pour défendre les droits de l'homme de millions d'Africains, hommes et femmes, dont le seul péché est d'avoir une couleur de peaux différente de ceux qui prétendent s'ériger en modèle de conduite et qui ont été les complices de ce régime ignominieux.

Et aujourd'hui, tandis que Cuba envoie des milliers de médecins en Afrique, contribue à la création d'universités pour y former des médecins, les transnationales de ce même Occident soutirent des ressources pour des millions et des millions de dollars sans consacrer un seul centime à la solution des très graves problèmes du continent dont on a évoqué certains ici-même, comme les 23 millions de sidéens condamnés à ne jamais guérir à cause du système dont nous parlons ici.

Je vous propose de voir le meilleur résumé qu'on ait fait de la bataille cubaine pour les droits de l'homme en Afrique, autrement dit la gratitude envers notre peuple du Parlement sud-africain à la visite que Fidel lui a rendue. Je vous remercie.

(Projection du reportage et allocution de Fidel Castro.)

Cuba est une petite île située à côté d'un voisin très puissant. N'empêche que les établissements d'enseignement cubains ont diplômé 26 294 spécialistes et techniciens (applaudissements) et en ont formé 5 850 de différents pays africains (applaudissements). 80 524 coopérants civils cubains, dont 24 714 médecins, dentistes, personnels infirmiers et techniciens de la santé, de pair avec des dizaines de milliers de professeurs, d'instituteurs, d'ingénieurs et d'autres spécialistes et travailleurs qualifiés, ont prêté des services internationalistes en Afrique. Et 381 432 soldats et officiers ont monté la garde ou ont combattu aux côtés de soldats et d'officiers africains sur ce continent-ci pour défendre l'indépendance nationale ou pour repousser l'agression extérieure pendant plus de trente ans. Soit un total de 461 956 personnes en un bref laps historique. Des terres africaines où ils ont travaillé et lutté d'une façon volontaire et désintéressée, ces Cubains n'ont remporté chez eux que les restes de leurs compagnons tombés et l'honneur du devoir rempli.

(Vidéo avec images de la population africaine chantant en l'honneur de Fidel.)

Carmen Rosa Baéz. Je m'émeus chaque fois que je vois ces images, parce que le chant ne s'adresse pas seulement à Fidel, ou plutôt, oui, à Fidel, mais comme symbole d'un peuple qui collabore avec des pays dont nous provenons tous, parce que nous avons tous peu ou prou un peu de ces pays dans le sang. C'est aussi un chant de gratitude de ces peuples aux sacrifices du nôtre. Et ça émeut de voir qu'il s'agit de représentants de ce peuple, avec un chant venant de si profond.

Puisqu'on parle d'Afrique, d'Europe et de racisme, je crois que nous devrions consacrer quelques minutes à ce thème. Deux journalistes pourraient nous aider à connaître un petit peu cette question du racisme en Europe : Pedro de la Hoz et Arsenio.

Pedro de la Hoz. Je crois que ça vaut la peine de le tenter, parce que le racisme et la xénophobie sont des phénomènes très enracinés dans la trame historique des pays qui ont voté contre Cuba à Genève. Les théories les plus ouvertement discriminatoires ont proliféré dans ces pays, depuis l'antisémitisme séculaire jusqu'aux thèses insanes et délirantes de la supériorité ethnique à partir de la couleur de la peau, de la prétendue pureté du sang.

Ces modèles racistes ont d'ailleurs sous-tendu très fort l'idéologie qui a accompagné l'exploitation coloniale en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La mise à sac brutale et prolongée des colonies s'est accompagnée de l'extermination, de l'assujettissement et de la dégradation culturelle des peuples autochtones des territoires colonisés, des actions qu'on a prétendu justifier au nom d'une prétendue supériorité raciale et d'une mission civilisatrice, le fameux fardeau de l'homme blanc, alors que ces théories ne sont défendables ni du point de vue de la science ni de celui de la morale.

Il suffit de rappeler comment, dans notre Amérique, les civilisations qui avaient atteint des niveaux d'organisation, de connaissances et de développement spirituels vraiment très élevés ont été annihilées, désarticulées et soumises par des envahisseurs européens dont le seul avantage était les techniques militaires et le cheval.

Pour ces Européens qui ont apporté de terribles maladies inconnues ici et ayant décimé des populations entières, les autochtones américains n'avaient pas d'âme et n'avaient même pas la condition humaine. Pas plus que ne l'avaient ces Africains arrachés de leurs terres de force pour devenir des esclaves. Et ça me paraît terrible. Quand on lit les chroniques de l'époque, on se rend compte qu'être

Noir, c'était être une bête sauvage. Les négrier les appelaient d'ailleurs des

pièces d'ébène, des sacs de charbon, des termes vraiment répugnants.

On va me dire que je fais de l'histoire ancienne, mais je crois qu'il vaut la peine de le faire pour savoir d'où viennent ces attitude actuelles. Le racisme et la xénophobie ne sont pas de l'histoire ancienne en l'occurrence, ils sont monnaie courante dans les pays qui nous accusent de violer les droits de l'homme, et surtout dans les pays européens. On pourrait penser que ces tendances racistes et xénophobes battent en retraite parce qu'on entend parler de multiculturalisme, d'horizons multiraciaux, et qu'il existe même des formulations politiques et juridiques à ce sujet. Hélas, le racisme et la xénophobie persistent, tout comme persiste ce regard paternaliste par lequel le Nord envisage le Sud et qui implique une perception raciste dans l'organisation mondiale, un regard qui persiste aussi au sein de ces pays où on constate que la discrimination et la xénophobie s'aggravent d'une manière subtile et parfois même pas du tout subtile, parce que ce sont des virus qui ont pénétré très profond dans la trame social de ces sociétés-là.

Bien entendu, ça prendrait des heures d'exposer la liste des actions racistes et xénophobes qui ont eu lieu et continuent d'avoir lieu dans ces pays et dont sont victimes - et je tiens à le préciser - non seulement des citoyens originaires des anciens territoires coloniaux ou des gens qui ont acquis la citoyenneté et provenant d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, mais même des Européens de la seconde ou troisième génération qui n'ont pas la même couleur de peau ou la même origine ethnique.

On pourrait donc se poser une question qui semble couler de source :que font tant et tant d'Africains, d'Asiatiques, de Latino-Américains en Europe si on les discrimine et pourquoi y restent-ils ?

D'abord, ces personnes proviennent de pays mis à sac, de pays sous-développés, de pays pauvres, d'anciennes colonies, et ils voient en Europe, dans les anciennes métropoles, un occasion de survie, une possibilité d'envoyer de l'argent à leurs familles qui sont restées au pays.

Ensuite, l'Europe a attiré beaucoup de ces gens, aussi bien des anciennes générations que ceux qui sont arrivés plus récemment, quand elle a eu besoin d'une main-d'oeuvre bon marché pour faire des travaux que les Européens eux-mêmes ne voulaient pas faire. Et c'est là que se pose un problème : les progrès scientifiques et techniques, les nouvelles ressources technologiques, la brusque élévation de la productivité qu'ont entraînée l'informatique et la robotique ont produit bien entendu du chômage dans ces pays d'Europe qui ont installé des restrictions à l'immigration. D'où le paradoxe : ils ont eu besoin à un moment donné de cette main-d'oeuvre et maintenant ils restreignent l'arrivée d'immigrants. Ce qui crée de très fortes tensions.

Enfin, il ne faut pas oublier les nombreuses personnes déplacées à cause des conflits, en Afrique, en Asie, ou des conflits déclenchés la plupart du temps par les Etats-Unis mais avec le soutien de l'Europe, bien souvent. Et où vont toutes ces personnes déplacées par les guerres ? En Europe, bien entendu.

Enfin, il ne faut pas oublier les nombreuses personnes déplacées à cause des conflits, en Afrique, en Asie, ou des conflits déclenchés la plupart du temps par les Etats-Unis mais avec le soutien de l'Europe, bien souvent. Et où vont toutes ces personnes déplacées par les guerres ? En Europe, bien entendu.

Dans le cas des Latino-Américains, il faut préciser que des milliers d'entre eux se sont installés en Europe dans les années 70 et 80, à l'époque des dictatures militaires soutenues par les USA. De nombreux gouvernements européens, reconnaissons-le, leur ont donné l'asile. Mais on compte encore bien plus de Latino-Américains attirés par une Europe qui ne souffre pas la catastrophe néolibérale autant que leurs pays d'origine et qui y viennent attirés par le mirage des politiques de bien-être social et de solidarité - je dis mirage, parce qu'elles n'y existent plus - dont avaient bénéficié leurs compatriotes des années avant, et qui aspirent à s'intégrer dans les communautés latino-américains qui y existent déjà sur le vieux continent.

En tout cas, j'insiste, les Africains, les Asiatiques et les Latino-Américains sont en butte à des pratiques racistes et xénophobes.

En Grande-Bretagne, par exemple, un des pays qui ont voté contre Cuba à Genève, vous avez le cas de Stephen Lawrence, un Noir agressé sans raison dans le sud de Londres en 1993. Quand la police métropolitaine est arrivée sur les lieux, il avait la gorge ouverte et elle l'a laissée se vider de son sang. Aujourd'hui, on ne sait toujours pas exactement ce qu'il s'est passé et les coupables sont restés impunis. Mais le scandale a été tel que la police londonienne a dû créer une force spéciale pour les crimes racistes et violents qui a pourtant été incapable jusqu'à l'an dernier d'élucider le lynchage d'un musicien d'origine antillaise nommé Michael Menson et de Ricky Reele par de jeunes Blancs aux idées néonazies ou fascistes.

Passons en France, qui a aussi voté contre Cuba. En septembre 1998, des Srilankais qui prétendaient y entrer à titre d'immigrants ont été bâillonnés et tabassées par les autorités migratoires au moment de leur expulsion et ils ont dû porter plainte devant des organismes internationaux, parce que les tribunaux français n'en ont fait aucun cas. Un cas encore plus récent : avril 2000. La télé a montré des vues de manifestations à Lille. Pourquoi ? À cause de l'assassinat d'un Algérien pour des motifs raciaux.

Passons à l'Allemagne qui nous a condamnés elle aussi. J'ai sous les yeux un rapport du Comité contre la torture de l'ONU, de 1999, qui fait état de son inquiétude devant le fait que très peu de dénonciations de mauvais traitements de la police contre des immigrants et des étrangers étaient suivies d'effets. Les autorités allemandes ont fait la sourde oreille à cette décision de l'ONU. Comment oublier, par exemple, le cas de cette famille turque qui a été harcelée et brûlée à Solingen, au début des années 90, le fait le plus infâme et le plus clairement xénophobe contre la population turque si souvent victime d'abus, comme le savent pertinemment les Allemands ?

Tout ceci, est-ce du racisme ou non ? Est-ce que ce sont des pratiques xénophobes ou non ? Je crois qu'il faut en parler, et en parler clair.

Arsenio Rodríguez. Je voudrais ajouter quelques réflexions au sujet de faits qui sont tout récents, au sujet de la répression contre les Noirs, les métis, les gitans, etc. Mais encore plus dangereux que cette répression ouverte, pour ainsi dire, est la conception raciste que nombre de ces gouvernements-là ont au sujet de la majorité de la population mondiale qui vit dans le tiers monde. Pour ces gouvernements qui occultent leurs conceptions raciste sous un discours démagogique, nous, les peuples du tiers monde, nous sommes incapables de nous développer et même de nous gouverner. L'histoire a prouvé que c'est très dangereux. Nous savons que le nazisme est né à partir de ce genre d'idée, et que le nazisme a entraîné les camps de concentration et l'élimination physique de millions de personnes considérées comme inférieures.

Ce sont ces mêmes conceptions racistes qui ont donné lieu - sous les yeux de l'Europe, des Etats-Unis et d'autres nations développées - au système criminel de l'apartheid qui, comme on l'a dit, n'a pas disparu à cause de la bonne foi de ces gouvernements mais pour les raisons qu'on a expliquées ici.

Dans tous ces pays qui ont voté contre Cuba, il existe des groupes néonazis, racistes, xénophobes qui ne sont pas seulement des groupes de voyous et d'inadaptés, mais sont aussi des partis politiques qui, dans quelques pays comme la France, l'Allemagne et l'Italie, ont même obtenu d'excellents résultats électoraux. Pour ne pas aller plus loin, en Autriche, tout récemment, le parti néonazi fait partie de la coalition gouvernemental. Ceci prouve que si les gouvernements de ces pays ne combattent pas ces phénomènes, c'est qu'ils sont d'accord avec eux dans le fond.

L'histoire officielle dans ces pays, hélas, n'explique pas aux nouvelles générations le passé colonial criminel d'exploitation et de pillage de nos nations, la destruction de nos cultures, le massacre de nos aborigènes, parce que, selon cette conception officielle, nous sommes tout bonnement des peuples inférieurs.

La Commission européenne, qui est l'organe exécutif de l'Union européenne, a fait faire une enquête. Résultat, et je cite textuellement : « Plus de 33 p. 100 des

Européens se considèrent racistes ou très racistes. » Ce qui justifie l'inauguration à Vienne, la capitale autrichienne, voilà à peine quelques jours, de

l'Observatoire européen pour le racisme et la xénophobie, que son président, l'Italien Romano Prodi, a qualifié de moyen d'obtenir une information objective et fiable. Je crois que le premier cas que cet Observatoire va analyser est celui de la tentative d'assassinat, à Londres, d'un adolescent noir de dix-sept ans, Christopher Barton, qu'un groupe de Blancs a tenté de brûler quand il rentrait chez lui. Barton n'est pas mort, mais il a été grièvement brûlé.

Voilà quelques exemples concrets de violation des droits de l'homme dans ces nations qui tentent maintenant de nous condamner.

Carmen Rosa Báez. Pedro, j'ai discuté avec toi de certaines expériences que tu as vécues quand tu as couvert des rencontres culturelles en Europe.

Pedro de la Hoz. Juste deux petits exemples. Le premier, en 1993, quand je couvrais une tournée de la chorale Exaudi, une excellent chorale que tout le monde connaît sûrement. Nous venions de Bulgarie et nous sommes entrés en Allemagne par Munich. La chorale était composée de dix homme et de dix femmes. En arrivant, les services d’immigration ont séparé trois Noirs et la seule jeune femme noire de la chorale. Finalement, je suis allé vérifier ce qu'il se passait, et le policier me dit avec un cynisme et une froideur étonnante que comme ils sont Noirs et qu'ils viennent de Bulgarie, il faut les réviser à fond parce que, selon leur expérience, ils peuvent être des trafiquants de drogues, des « mules », comme on dit.

Autre exemple. Madrid, 1997, quand le musicien cubain Harold Gramatges va recevoir le prix Tomás Luis de Victoria. Je suis au restaurant. Deux jeunes femmes noires vont entrer et deux policiers leur demandent leurs papiers puis les laissent partir. Alors, le patron du restaurant dit à la cantonade : Heureusement que c'étaient des touristes. Si c'étaient des Dominicaines, c'étaient sûrement des prostituées, parce que la prostitution est l'industrie nationale de la République dominicaine, son principal produit d'exportation à l'Espagne.

Tout commentaire serait de trop. C'est tout simplement répugnant.

Je voudrais rapidement passer à un autre pays, d'Europe de l'Est, la Bulgarie, qui a voté contre Cuba. Une histoire toute récente. Juin de l'an dernier, à Sruleti. Des dizaines d'agents de police ont fait irruption chez des gitans, ont frappé des femmes et des enfants, un Gitan est sorti en courant et trois policiers lui ont tiré dessus dans le dos. Aucune dénonciation n'a eu d'effet.

Un autre fait. Janvier 1999. Une discothèque de Bucarest. Le patron refuse d'accepter trois jeunes Noirs accompagnés de jeunes Roumaines. Entendant la discussion, une troupe d'ivrognes est sortie et a commencé à tabasser ces trois couples. Mais le plus important, c'est ceci : un vidéaste en train de filmer la scène, la police s'en rend compte et lui demande la cassette pour l'utiliser comme témoignage au cours du procès qui n'a pas encore eu lieu. Mais cet amateur avait fait une copie de la cassette et l'a envoyé à un festival de documentaires, le seul endroit où on a pu voir ces images.

Ces témoignages ne sont que la pointe de l'iceberg des iniquités et des violations des droits de l'homme. Tout ceci prouve que le racisme et la xénophobie sont des questions d'une douloureuse actualité.

Carmen Rosa Báez. Merci beaucoup, Pedro. Lázaro, tu as la parole.

Lázaro Barredo. Ce racisme et cette xénophobie se traduisent même par des manifestations encore plus criminelles et plus sophistiquées aujourd'hui dans cette Europe cultivée qui a voté contre nous.

J'ai publié dans Juventud Rebelde voilà quelque temps un reportage sur ce qu'on appelle les « maisons de gavage ». C'est quelque chose de si sinistre que ça blesse tous les sentiments. Qu'est-ce que sont ces maisons de gavage ? Tout simplement l'une des actions racistes les plus incroyables qu'on puisse imaginer. Dans plusieurs capitales européennes, on sait qu'on séquestre des enfants dans des pays du tiers monde, essentiellement en Thaïlande, en Amérique latine et plus récemment dans des pays européens, surtout pour les yeux. Il s'agit d'enfants abandonnés, des enfants de la rue, appauvris, que des criminels enlèvent et conduisent clandestinement dans les capitales européennes. Ils les soignent, font venir des médecins, les nourrissent, leur rendent la santé, et à partir de là, ils commencent à utiliser ces enfants pour vendre leurs organes. Les yeux, le foie, les reins, ils vendent différentes parties de l'enfant, ils le mutilent pour en faire une épave humaine. Et ceci se passe dans l'Europe cultivée. Une preuve de racisme au bénéfice raciale d'une classe supérieure.

J'ai commencé à apprendre ces choses-là au Sommet mondial sur les droits de l'homme, à Vienne, en 1993, et j'ai continué de suivre ce thème, qui est une action encore bien plus criminelle que ce racisme dont nous parlons.

Carmen Rosa Báez. En préparant cette table ronde, nous voulions que le thème du racisme lui serve de conclusion. Et il nous semble qu'il existe un document qui résume bien ce thème et aussi l'attitude de l'Europe envers les pays du tiers monde. Le Sommet du Sud vient de conclure à La Havane, et Fidel a prononcé une allocution à cette séance finale. Nous allons en voir un extrait. (Vidéo.)

Le monde riche prétend oublier que les causes du sous-développement et de la pauvreté ont été l'esclavage, le colonialisme, l'exploitation brutale et le pillage dont nos pays ont été victimes pendant des siècles. Il nous regarde comme des êtres inférieurs. Il attribue la pauvreté à la prétendue incapacité des Africains, des Asiatiques, des Caribéens et des Latino-Américains, autrement dit des Noirs, des Indiens, des Jaunes et des métis, à se développer, voire à se gouverner. Il parle de nos défauts comme si ce n'était pas lui qui avait inculqué à nos ethnies saines et nobles ses vices de colonisateur ou d'exploiteur.

Le monde riche oublie que quand l'Europe était peuplée de ceux que l'Empire romain considérait comme des barbares, il existait en Chine, en Inde, au Proche-Orient et en Extrême-Orient, au nord et au centre de l'Afrique, des civilisations qui avaient créé ce qu'on connaît aujourd'hui comme les Sept Merveilles du monde et inventé l'écriture bien avant que les Grecs n’aient su lire et qu'Homère n’ait écrit l'Illiade. Sur ce continent-ci, les Mayas et les autres civilisations précolombiennes avaient atteint des connaissances qui étonnent encore le monde.

Je suis fermement convaincu que l'ordre économique imposé par les pays riches n'est pas seulement cruel, injuste, inhumain, opposé au cours inévitable de l'Histoire, mais qu'il est aussi porteur d'une conception raciste du monde, de la même nature que celle qui a inspiré en Europe le nazisme de l’Holocauste et des camps de concentration. Ces derniers revivent aujourd'hui dans ce qu'on appelle des centres de réfugiés où ceux-ci se « concentrent » de fait à cause de la pauvreté, de la faim et de la violence. Une conception raciste de la même nature que celle qui a inspiré en Afrique le système abominable de l'apartheid.

Carmen Rosa Báez. Il me semble que c'est là la dénonciation la plus forte qu'on ait écoutée au Sommet du Sud, et je crois qu'il serait bon de voir la réaction des chefs d'Etat aux paroles de Fidel. (Vidéo.)

Ce n'est ainsi que nous éviterons que le navire dont je parlais dans mon allocution de bienvenue ne heurte l'iceberg et ne sombre, nous emportant tous.

Ce n'est qu'ainsi que nous aurons droit à la vie, et non à la mort.

Je vous remercie. (Applaudissements.)

Carmen Rosa Báez. Voilà le tiers monde. Au cours de ces deux tables rondes, nous avons analysé qui est qui dans le groupe de pays d'Europe de l'Ouest et d’autres Etats qui ont voté contre Cuba à la Commission des droits de l'homme à Genève : l'Allemagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, le Royaume-Uni, plus le Canada et les Etats-Unis. Nous avons parlé de la position de l'OTAN et de l'Europe dans la guerre contre la Yougoslavie, de la position de l’OTAN et de l'Europe au sujet de la souveraineté, du blocus contre l'Iraq et des bombardements que maintiennent les USA et l'Angleterre contre l’Iraq.

Nous avons parlé de l'Europe dedans et dehors au quotidien. Nous avons parlé d'exécutions extrajudiciaires, de racisme, de brutalité policière. Nous avons aussi parlé d'une Europe qui accompagne les USA et se laisse conduire bien souvent dans le cas de Cuba. De la position commune de l'Europe.

Nous avons parlé de l'Europe, de l'OTAN, de la nouvelle conception stratégique, du « deux poids deux mesures » au sujet des armes nucléaires en Israël et en Afrique du Sud. Nous avons parlé de l'Europe et de sa « volonté » d'aider les pays sous-développés, ces pays qu'elle ose condamner à la Commission des droits de l'homme de Genève.

Les pays européens censément civilisés, mais puissants, ont vraiment une politique trop hypocrite, trop immorale, trop pourrie, pour qu'un peuple comme le nôtre aille renoncer à nos convictions devant tant d'arrogance.

Nous clôturons de la sorte une partie de l'analyse du vote réalisé à la Commission des droits de l'homme à Genève.

Nous savons, chers téléspectateurs, que vous êtes anxieux d'avoir des nouvelles d'Elián, de Juan Miguel, de Nercy et d'Hianny. Le journal parlé vous donnera les dernières informations à ce sujet.

Nous continuerons demain notre bataille en table ronde, pour analyser les injustices de notre monde. Nous continuerons la bataille pour le retour de la famille d'Elián et leur rencontre totale ici avec leur famille, et nous continuerons de disséquer ceux qui ont voté contre Cuba à la Commission des droits de l'homme.

Je vous remercie beaucoup.