Posisition de Cuba sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) exposée par Osvaldo Martínez, docteur en sciences économiques et directeur du Centre de recherche sur l'économie mondiale (le 20 avril 2001)

Après que notre peuple a vu ces images qui prouvent dans la pratique les principes démocratiques les plus purs de la répression policière contre ceux qu'on appelle avec mépris les « mondialiphobes » parce qu'ils s'opposent justement à la mondialisation néolibérale et aux politiques néolibérales, je crois qu'il est bon de commencer par rappeler que notre José Martí s'était opposé, au siècle dernier, à un projet d'intégration nord-américain entre les Etats-Unis et l'Amérique latine. L'impérialisme nord-américain était alors tout jeune. Et Martí avait été chargé, à la Conférence monétaire des républiques américaines, en 1890, de contrer ce projet impérialiste, et il avait écrit des pages vraiment extraordinaires qui semblent avoir été rédigées parfois en vue de ce projet impérialiste actuel de la ZLEA.

Martí avait écrit : « Il faut chercher les raisons occultes à toute invitation entre les peuples. » Il parlait de l'invitation faite alors par le tout jeune impérialisme nord-américain aux peuples d'Amérique à s'intégrer dans une union monétaire.

Comme l'impérialisme actuel n'est plus tout jeune, mais au contraire bien mûr, je crois que les raisons de la ZLEA ne sont pas si occultes et qu'il est assez facile de les déchiffrer.

Les USA veulent donc créer une Zone de libre-échange entre leur économie - la plus riche et la plus puissante de la planète - et les économies latino-américaines et caribéennes, sous-développées, endettées, dispersées, dont les Produit internes bruts mis ensemble sont presque dix fois inférieurs à celui des Etats-Unis. On peut dire dans une première approche qu'il s'agit ni plus ni moins que d'un projet d'intégration entre le requin et les sardines.

Le fond même de la ZLEA, ce ne sont pas les choix latino-américains ou caribéens, ni les prétendus avantages de l'intégration économique, mais, en fait, les visées de domination stratégique des USA sur la région face à la concurrence d'autres rivaux du monde développé, sans oublier que les faiblesses latino-américaines jouent aussi un rôle ici.

Il est facile de se rendre compte que l'Amérique latine engage les négociations de la ZLEA dans des conditions très spéciales de faiblesse, de pauvreté, de crise économique, sociale et politique, de manque de cohésion interne alors qu'elle prétend concerter l'accord de plus grande portée historique qu'elle ait jamais concerté avec les USA, qui risque d'hypothéquer totalement son avenir et celui de ses peuples.

Cette faiblesse latino-américaine, on peut la concrétiser en deux aspects fondamentaux : 1) la pratique quasi généralisée et dogmatique de la politique néolibérale; 2) la crise économique et sociale que cette politique néolibérale a provoquée en Amérique latine après vingt ans d'application.

Premier point. C'est parce que la politique néolibérale est quasi généralisée en Amérique latine que le projet de la ZLEA devient possible, car il y a coïncidence de politique entre le dominateur, les USA, et les dominés. Bien entendu, la ZLEA mis en pratique renforcerait le néolibéalisme et aggraverait la dépendance de l'Amérique latine.

Cette dépendance et cette faiblesse touchent deux manières de pratiquer et de comprendre l'intégration économique.

Si, voilà vingt ans, l'Amérique latine concevait l'intégration économique avant tout comme une manière de défendre et de protéger ses marchés intérieurs, comme la création d'une zone de préférence dans ce but, surtout vis-à-vis des capitaux nord-américains plus efficaces et plus puissants, de nos jours, l'adoption dogmatique du néolibéralisme a fait passer au premier plan non plus la défense des marchés intérieurs et la création d'un espace préférentiel pour les Latino-Américains, mais l'insertion dans les courants de commerce et de capitaux du monde, soit, dans la pratique, l'abandon de la protection des marchés intérieurs.

Le second aspect qui traduit cette position de faiblesse concerne l'approche de quelque chose de fondamental dans toute tentative d'intégration économique : les niveaux de développement différents entre les pays.

Qui est absolument vital, car il s'agit d'une part de l'économie la plus développée du monde et un ensemble d'économies à différents degrés de sous-développement, depuis le Brésil jusqu'à Haïti, la Bolivie, le Honduras, des économies extrêmement faibles, voire des économies insulaires extrêmement réduites comme celles des Caraïbes anglophone.

Voilà vingt ans, l'intégration latino-américaine estimait nécessaire d'accorder un traitement préférentiel aux pays de moindre développement. Aujourd'hui, l'adoption du néolibéralisme lui a substitué le concept de réciprocité au nom de laquelle les pays doivent mener uniquement la même politique néolibérale, la seule différence admise étant celle de délais légèrement différents entre eux. Par exemple, le Honduras ou la Bolivie mettrait deux ans de plus à faire ce qu'ont fait les Etats-Unis et le Canada, ce qui est parfaitement absurde.

L'autre grande faiblesse latino-américaine actuelle, c'est la crise économique et sociale que vit la région, provoquée par deux décennies d'application zélée de la politique néolibérale qu'on prétend renforcer maintenant par la ZLEA. Je voudrais en rappeler les aspects fondamentaux.

On a enregistré ces deux dernières décennies une croissance insuffisante. Ainsi, dans les années 90, elle a été, dans le meilleur des cas, la moitié du minimum que la Commission économique pour l'Amérique latine, des Nations Unies, a jugé indispensable pour pouvoir commencer à réduire l'écart entre développement et sous-développement et donc la pauvreté dans la région.

Cette croissance anémique a été d'une très faible qualité et s'est fondée sur des facteurs très faibles qui tendent tous, en plus, à s'épuiser rapidement.

En tout premier lieu, les privatisations. Nous avons parlé à d'autres tables rondes télévisées de la vague de privatisation qui s'est abattue sur l'Amérique latine, de la façon dont on a privatisé des entreprises, depuis les postes, les parkings, les routes, jusqu'aux cimetières. Cette privatisation débridée a assuré certainement une entrée de capitaux aux gouvernements, en échange, bien entendu, de la souveraineté nationale, mais cette façon de faire entrer des capitaux s'épuise de plus en plus, tout simplement parce qu'il ne reste plus grand-chose à privatiser en Amérique latine et que le développement ne peut donc plus reposer sur ce facteur.

En second lieu, l'entrée de capitaux, une autre des panacées de développement néolibérales. Cette entrée de capitaux, s'il est vrai qu'elle a enregistré certains chiffres sur lesquelles la propagande néolibérale attire l'attention, perd beaucoup de ses charmes quand on constate qu'au moins le tiers ne sont que des capitaux allouettes, des capitaux spéculatifs à court terme qui entrent et sortent à toute vitesse et constituent des facteurs de déstabilisation, qui ont agi de la sorte à chaque crise financière régionale dans les années 90. De plus, s'il est vrai que ces capitaux étrangers entrent, il n'en reste pas moins qu'ils font des profits, ce qui explique pourquoi le déficit de compte courant dans la balance de paiements des pays latino-américains est provoqué avant tout par ces bénéfices que les possesseurs de ces capitaux étrangers rapatrient dans leur pays d'origine. Si bien que l'entrée des capitaux est largement annulée.

En troisième lieu, l'endettement qui a été à la base de cette croissance. En 1985, la dette de l'Amérique latine s'élevait à 300 milliards de dollars. Elle est aujourd'hui de 750 milliards. Mais, rien que de 1992 à 1999, la région a déboursé, rien qu'au titre du service de la dette, 913 milliards de dollars. Cette dette hypothèque aujourd'hui 56 p. 100 des recettes d'exportations de biens et services de la région. Bref, celle-ci doit payer toujours plus pour voir la dette gonfler toujours plus.

À mon avis, ce qui reflète le mieux cette situation de faiblesse et cette crise dans laquelle la région engage des négociations capitales avec les USA, c'est le fait que certains gouvernements sont en train de recourir à une solution désespérée : la « dollarisation » de l'économie, autrement dit la cession d'un point de souveraineté élémentaire, qui est de gérer sa propre monnaie nationale, d'avoir sa propre politique monétaire. L'adoption directe du dollar des Etats-Unis est une variante de nécolonialisme telle qu'on a du mal à imaginer un assujettissement et une dépendance plus graves.

Mais si la crise économique offre un panorama pareil, sa traduction sociale n'a rien à lui envier. Si en 1980, quand le néolibéralisme commençait à peine, 39 p. 100 des Latino-Américains étaient pauvres selon les Nations Unies, ils sont maintenant 44 p. 100, soit, en termes absolus, 224 millions de personnes, dont 90 millions sont des indigents, situés à l'extrême limite de la pauvreté. Notre ministre des Relations extérieures nous a dit que les statistiques se situent toujours en deçà de la réalité, mais elles viennent en tout cas des Nations Unies.

Les deux décennies de néolibéralisme ont abouti en Amérique latine à la distribution du revenu la plus inégale, la plus inéquitable et la plus injuste au monde : 20 p. 100 les plus riches de la population touchent un revenu dix-neuf fois plus élevé que 20 p. 100 les plus pauvres.

Selon ces mêmes statistiques édulcorées, le chômage touche 9 p. 100 de la population latino-américaine. Mais il faut dire que 85 p. 100 des emplois se trouvent dans le secteur informel ou non structuré, qui se caractérise par des salaires extrêmement bas, une carence de droits du travail, pas de retraite. Autrement dit, ces travailleurs-là sont à la merci de l'employeur.

La mortalité infantile dans la région se monte en moyenne à 35 décès pour 1 000 naissances vivantes dans la première année, ce qui est une honte.

Question analphabétisme, 13 p. 100 de la population est illettrée, plus de cent soixante-dix ans après que la plupart des pays de la région ont arraché leur indépendance aux métropoles coloniales. Seul un élève sur trois entre dans le secondaire.

Le taux d'homicides, qui reflète la pauvreté et la violence extrême, se monte à 300 par million d'habitants, le double de la moyenne mondiale.

Telle est la situation de l'Amérique latine à la veille des négociations de la ZLEA.

Que y recherchent donc les Etats-Unis?

En premier lieu, consolider leur domination sur l'Amérique latine et les Caraïbes, la région où ils ont toujours exercé, par tradition historique, et continuent d'exercer un plus grand contrôle économique et politique, et la renforcer dans le cadre de la lutte entre les grands centres de pouvoir mondiaux qui réalisent aujourd'hui une espèce de régionalisation du pouvoir économique.

Les Etats-Unis font surtout face à la concurrence de l'Europe et du Japon. L'union européenne, on le sait, a progressé dans son intégration. Mais ce n'est pas tout : elle a découvert une autre zone exploitable, une nouvelle périphérie sous-développée exploitable, autrement dit les anciens pays socialistes, dont certains ou beaucoup votent avec enthousiasme à ses côtés les résolutions anticubaines. Oui, c'est bel et bien une nouvelle périphérie exploitable pour l'Europe.

Le Japon, de son côté, dispose de son aire d'influence en Asie où son économie pèse lourd.

Par conséquent, « régionaliser » l'Amérique latine sous leur domination et sous leur commandement, c’est pour les États-Unis une façon de faire face à cette concurrence entre les grands centres de pouvoir économique, c'est resserrer leur contrôle sur elle dans la lutte pour des marchés ou des investissements, pour le placement de capitaux spéculatifs, pour l'accès à des ressources naturelles, surtout les ressources énergétiques et fondamentalement le pétrole, pour l'accès à l'eau potable, qui est une des grandes convoitises nord-américaines; pour l'accès à la riche biodiversité régionale. Bref, c'est exclure les Européens et les Japonais de la concurrence dans cette partie du monde.

La ZLEA vise donc à devenir un espace de libre-circulation de capitaux et de marchandises nord-américains, depuis le Canada jusqu'à l'extrémité sud du continent, dans des conditions préférentielles face aux Européens et aux Japonais.

Le second objectif que visent les Etats-Unis, c'est miner et paralyser l'intégration économique latino-américaine qui avance malgré ses déficiences et ses limitations, et dont le MERCOSUR est le principal exemple. Celui-ci, malgré ses limitations, a tenté d'avancer et même de créer un espace préférentiel pour ses membres face aux capitaux étrangers. L'objectif des USA est donc de liquider le MERCOSUR, de liquider toute tentative d'intégration latino-américaine autochtone, de liquider la Communauté andine, de liquider le Marché commun centraméricain, de liquider la Communauté des Caraïbes. Bref, d'imposer une intégration à la mesure de leurs propres intérêts.

Si nous voulons avoir une image très révélatrice de ce que peut représenter la ZLEA pour l'Amérique latine, une fois entrée en vigueur, il suffit de se regarder dans le miroir que nous tend l'économie mexicaine. Rappelons que le Mexique est uni depuis 1994 aux Etats-Unis et au Canada par l'Accord de libre-échange d'Amérique du Nord(ALENA), qui n'est rien d'autre, tout compte fait, qu'une la ZLEA en plus petit, car il répond à la même philosophie, à la même conception néolibérale, et qu'il intègre deux économies développées et une économie sous-développée et pauvre.

Que s'est-il passé au Mexique durant ces six ans, ou presque sept, d'application de l'ALENA ? Si l'on passe sur les forts investissements de capitaux, qui sont l'aspect emblématique et censément modernisateur que présente la propagande favorable à la politique néolibérale et a l'Accord, on constate que le Mexique a souffert une détérioration de sa base économique nationale et un recul social évident.

Ainsi, pour prendre des exemples très concrets, l'économie mexicaine avait enregistré dans les années 70, sans ALENA et sans néolibéralisme, une croissance annuelle d'environ 6,6 p. 100, mais de seulement 3,1 p. 100, soit moins de la moitié, dans les années 90, ALENA et néolibéralisme à l'appui.

La croissance par habitant avait été de 3,4 p. 100 en moyenne dans les années 70, mais n'est plus que de 1,3 p. 100 dans les années 90, ALENA et néolibéralisme à l'appui. Bref, on ne voit nulle part cette croissance merveilleuse due à l'ALENA, bien au contraire!

Quel impact cela a-t-il eu sur les travailleurs mexicains ? Le travail informel ou non structuré que j'ai mentionné, dans des conditions précaires, sans aucun droit pour les travailleurs, sans droit de grève, sans retraite, sans congés payés, sans même un contrat signé avec l'employeur, ce travail informel, dont l'exemple le plus éloquent sont les avaleurs de feu qui tentent tristement de gagner quelques centimes à un coin de rue, concerne aujourd'hui environ la moitié des travailleurs mexicains, soit quelques vingt millions de personnes. Ce ne sont pas des chiffres que j'invente, ils proviennent de sources mexicaines ou d'organismes internationaux.

Passons maintenant à l'entrée de capitaux étrangers, cette autre merveille de l'ALENA. Elle a été élevée, assurément. De 36 378 000 000 de dollars de 1998 à 2000. Oui mais le déficit de compte courant durant cette même période - autrement dit, dans une bonne mesure, ce que ces investisseurs étrangers rapatrient, en particulier vers les maisons-mères nord-américaines - a été de 48 699 000 000 de dollars. Autrement dit, en chiffres ronds, il en est entré 36 milliards et il en est ressorti 48 !

Passons à la dette extérieure mexicaine. Fin 2000, elle était de 163 200 000 000 de dollars, plus du double de 1982, quand c'est justement par l'économie mexicaine qu'avait éclaté cette crise de la dette extérieure qui avait fait et qui continue de faire histoire en Amérique latine.

L'ALENA a signifié une dépendance et une concentration accrues des relations économiques mexicaines avec les USA.

Avant l'ALENA, les relations économiques mexicaines étaient relativement plus diversifiées, moins dépendantes. Depuis l'ALENA, le Mexique importe pour 74 p. 100 des Etats-Unis et y exporte pour 89 p. 100. Bref, une concentration vraiment absorbante des rapports économiques mexicaines envers l'économie nord-américaine.

Ces exportations, qui font aussi partie des grands thèmes de propagande néolibérale, ont augmenté, assurément. Mais qui donc exportent ? Essentiellement, environ trois cents sociétés, dont la plupart sont des filiales de transnationales nord-américaines; si on ajoute à cela les maquiladoras ou ateliers de sous-traitance, qui font surtout des activités d'assemblage, autrement dit qui importent quasiment tout le matériel pour l'assembler ensuite, en exploitant une main-d’œuvre mexicaine qui est quinze fois meilleur marché que la main-d’œuvre nord-américaine, rien qu'en traversant la frontière, on constate que ces deux facteurs assurent 96 p. 100 des exportations mexicaines, et que les 4 p. 100 restants sont disséminés entre deux millions de petites entreprises que la politique néolibérale maintient constamment, bien entendu, sous la menace de l'absorption ou de la ruine.

Par exemple, l'industrie textile mexicaine a augmenté sensiblement ses exportations aux USA, mais 71 p. 100 des entreprises du secteur sont des sociétés nord-américaines qui ont déplacé les entreprises mexicaines.

En ce qui concerne les exportations industrielles, des économistes mexicains calculent que chaque dollar exporté aux USA ne contient que 18 centimes de composantes nationales. Voila encore une autre merveille des investissements nord-américains au Mexique ! Mais dans le cas des ateliers de sous-traitance qui ont proliféré à la frontière et même dans l'arrière-pays, alors il ne s'agit plus que de 2 centimes. Le principal attrait des maquiladoras pour les Etats-Unis, c'est que le salaire y est quinze fois inférieur.

Prenons un autre exemple très significatif : le camionnage, qui a été libéralisé du jour au lendemain dans le cadre de l'ALENA. Une libéralisation qui a pris quarante ans dans l'intégration européenne et quinze ans aux Etats-Unis mêmes. Résultat de cette libéralisation ? 50 p. 100 des camions mexicains sont refusés au Texas; 42 p. 100 en Arizona, et 28 p. 100 en Californie.

Le secteur agricole mexicain est en pleine catastrophe, parce qu'en entrant en contact avec son homologue nord-américaine et avec les exportations agricoles nord-américaines, il s'est heurté au système de subventions de toutes sortes le plus sophistiqué qui existe au monde et aussi, bien entendu, avec l'économie techniquement la plus avancée du monde en matière agricole.

Quels en ont été les résultats pour le riz, par exemple, dont le Mexique était un gros producteur ? Les importations nord-américaines représentent d'ores et déjà plus de la moitié de la consommation nationale mexicaine..

Le Mexique exportait des pommes de terre. Eh bien, celles-ci ont été bloquées à leur entrée aux USA sous prétexte de problèmes phytosanitaires, qui sont des barrières qui servent à interdire l'entrée des produits, et les pommes de terre nord-américaines ont envahi le marché mexicain.

Le Mexique était un exportateur de coton traditionnel. Il en est maintenant un des plus gros importateurs !

Résultat : la surface arable a diminué au Mexique, et six millions de travailleurs agricoles produisant autrefois ces produits importés maintenant des USA cherchent du travail sans en trouver ou alors sont contraints de traverser la frontière, de franchir ce mur « démocratique » qui devise les deux pays, de risquer la mort, pour tenter de trouver du travail ailleurs.

Résultat : selon des économistes mexicains, 47 p. 100 de la population vit dans la pauvreté et 19 p. 100 dans l'indigence.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, la valeur du panier de la ménagère a augmenté de 560 p. 100, mais le salaire réel de seulement 135 p. 100, soit cinq fois moins.

Sous le gouvernement Zedillo, le pouvoir d'achat du salaire minimum a diminué de 48 p. 100, et plus de la moitié des salariés touchent aujourd'hui en termes réels moins de la moitié de ce qu'ils touchaient voilà dix ans.

Voilà le visage triste et laid de l'intégration selon les principes néolibéraux, selon ces mêmes principes que la ZLEA propose à l'Amérique latine, qui ferait bien de se regarder dans ce miroir.

Pour conclure, je voudrais brièvement commenter certaines des positions adoptées par les USA dans ces négociations. Ces positions apparaissent sur l'Internet pour chaque point de l'ordre du jour, elles ont été publiées par les Etats-Unis mêmes.

Tout d'abord, le traitement préférentiel aux pays de moindre développement, un point clef dans une intégration entre le requin et les sardines. Eh bien, le requin estime tout simplement qu'il n'y a pas lieu de l'accorder aux sardines : celles-ci doivent nager dans les eaux néolibérales, qui sont les seules possibles. Tout ce qu'on leur permet, c'est d'arriver un tout petit peu plus tard que le requin. Autrement dit, s'il faut abaisser les tarifs douaniers de 20 p. 100, alors, que des économies aussi « développées » que la Bolivie, le Honduras, les petites îles des Caraïbes, Haïti, etc., le fassent un ou deux ans après que les USA ou le Canada. Quelle « générosité », n'est-ce pas ! Car l'important, c'est le principe de la réciprocité, qui n'est rien d'autre que l'égalité formelle entre des parties absolument inégales.

Ensuite, les subventions et les mesures antidumping. Les USA veulent axer les négociations de la ZLEA uniquement sur la réduction des tarifs douaniers, des obstacles tarifaires, mais l'on sait que les principaux instruments de discrimination commerciale nord-américaine contre l'Amérique latine ne sont pas les obstacles tarifaires, mais les obstacles non tarifaires !

Quels sont donc les obstacles non tarifaires ? Il s'agit d'une gamme énorme qui va depuis des mesures censément de protection de l'environnement jusqu'à des exigences portant, par exemple, sur des étiquetages spéciaux qui excluent de fait les produits latino-américains du marché nord-américain, ou jusqu'à la Section 301 de la loi de commerce des USA, ou plutôt d'une partie de cette Section connue comme la Super-301, qui est de fait « super » par la quantité de mesures, de barrières d'exclusion et de discrimination qu'elle contient et qui va même à exclure des prétendus avantages du commerce avec les USA les pays qui ne respectent pas les normes nord-américaines en matière de droits de l'homme ou de démocratie !

Quelques mots sur les investissements de capitaux. En fait, la ZLEA ne présente pas tant pour les USA un intérêt commercial - même s'il existe - qu'un gros intérêt en matière d'investissement de capitaux. Autrement dit, disposer d’une grande zone géographique où le capital nord-américain peut se placer et se déplacer à sa guise.

Quelles sont les deux positions de base des USA dans ce domaine ? D'abord, que les capitaux nord-américains doivent bénéficier du traitement national. Qu'est-ce à dire ? Par exemple, que la Bolivie doit accorder aux capitaux nord-américains les mêmes avantages qu'aux capitaux boliviens ou aux autres capitaux latino-américains. Ensuite, les USA donnent une définition ambiguë, imprécise et, j'oserais dire, malintentionnée du concept d'investissement, en y incluant non seulement les éléments classiques - placements dans une société, création réelle d'actifs, etc.- mais encore des choses qui vont depuis des dettes qui seraient considérées comme des investissements et qui leur permettraient de demander des garanties spéciales même pour la dette du secteur privé contractée par des capitaux ou des prêteurs nord-américains. Cette définition permettrait aussi de considérer comme des investissements les placements spéculatifs de capitaux volatiles à long terme qui devraient donc bénéficier du traitement national et éviter toute réglementation.

Enfin, les achats du secteur public. Les USA prétendent tout simplement ligoter nos gouvernements de sorte que le secteur public, l'Etat, ne puisse même pas faire les achats nécessaires à l'intérêt social, au développement. Les USA affirment sans ambages que les achats du secteur public doivent éviter les monopoles officiels et doivent préférer « les entreprises ayant la plus grande expérience et le plus gros volume d'affaires », ce qui revient à dire que le secteur public latino-américain devra faire tous ses achats, bien entendu, auprès d'entreprises nord-américaines

Le 16 avril dernier, Fidel Castro a affirmé : « …nous savons que l'Amérique latine et les Antilles peuvent bien être dévorées, mais qu'elles ne pourront pas être digérées. Tôt ou tard, d'une façon ou d'une autre, tel le personnage biblique, elles ressortiront du ventre de la baleine. Et le peuple cubain les attendra à l’extérieur, car il y a beau temps qu'il a appris à nager en eau trouble et il sait que, tant que leurs conditions de vie ne s'amélioreront pas radicalement, les peuples du tiers monde deviendront de plus en plus ingouvernables et forceront les solutions nécessaires. »

Pour conclure, je voudrais de nouveau rappeler ce qu'a écrit Martí dans ses pages éclairante au sujet de la Conférence monétaire des républiques d'Amérique, en 1890. Il dit aux peuples hispano-américains - autrement dit, on pourrait dire de nos jours : latino-américains et caribéens - quelque chose auquel nous pourrions souscrire de nos jours et répéter aux pays qui tentent aujourd'hui d'entrer dans la ZLEA : « Se montrer accommodant jusqu'à la faiblesse ne serait pas la meilleure manière d'échapper aux dangers auxquelles le renom de faiblesse nous expose dans le commerce face à un peuple en plein essor et débordant. La sagesse n'est pas de confirmer le renom de faiblesse, mais de profiter de l'occasion pour se montrer énergique sans danger. Et en matière de danger, le moins dangereux, quand on choisit l'heure propice et qu'on l'utilise avec mesure, c'est d'être énergique. »