Les États-Unis et le terrorisme en Amérique latine Table ronde informative tenue aux studios de la télévision cubaine, le 3 juin 2002, « Année des héros prisonniers de l’empire »

 

(Version sténographique - Conseil d’État)

 

Randy Alonso.- Bonsoir, chers téléspectateurs et auditeurs.

 

Des décennies durant, l’Amérique latine a été la cible des politiques agressives, terroristes et contre-insurrectionnelles des gouvernements des États-Unis qui ont provoqué la mort de centaines de milliers de Latino-Américains et eu un énorme impact social dans les pays de la région.

 

Participent à cette table ronde Arleen Rodríguez Derivet, éditeur de la revue Tricontinental ; Rogelio Polanco, directeur du journal Juventud Rebelde ; Lázaro Barredo, journaliste de Trabajadores ; Manuel Hevia, directeur du Centre de recherches historiques de la sûreté de l’État ; Nidia Díaz, journaliste de Granma et chef de sa section internationale et José Luis Méndez, chercheur du Centre de recherches historiques de la sûreté de l’État.

 

Des compañeros du ministère public de la République, de la Brigade spéciale nationale et des Comités spécial et national de l’Union des jeunes communistes nous accompagnent aussi en tant qu’invités.

 

Dans le discours prononcé à Sancti Spíritus, le commandant en chef a dit que le peuple cubain tout entier se chargerait de donner une réponse à monsieur Bush.

 

Ce samedi, plus de 400 000 habitants d’Holguín, de Las Tunas et de Granma ont, faisant fi aux pluies, donné une réponse énergique au président nord-américain.

 

Arleen Rodríguez nous apportera des détails relatifs à ce meeting historique tenu sur la place Mayor General Calixto García de la province d’Holguín.

 

Arleen Rodríguez.- Bonsoir.

 


Ce discours, prononcé au milieu d’une forte tempête, sera rappelé pendant très longtemps, et ce en raison de la réponse énergique apportée par les habitants du nord-est de l’île qui, comme l’a rappelé Fidel, appartenaient avant le triomphe de la Révolution aux couches les plus humbles et les plus marginalisées du pays et de la leçon d’histoire donnée par un homme qui, encore enfant, a été frappé par l’inégalité qui l’entourait, en dépit du fait d’appartenir à une classe sociale privilégiée à l’époque.

 

Dans le cadre de ce meeting formidable auquel ont pris la parole un grand nombre de gens modestes, Fidel a démasqué les mensonges proférés par le président nord-américain le 20 mai dernier et rappelé la situation qui prévalait dans cette région dans les années 40 et 50.

 

J’ai vraiment apprécié l’analyse faite par Fidel à propos de l’histoire de Cuba à cette époque-là.  Comme Fidel lui-même l’a reconnu, son père était le propriétaire de 10 000 hectares de terres, autrement dit un latifundium, petit par rapport aux propriétés des sociétés nord-américaines, alors que le peuple cubain n’avait rien, car il avait été dépossédé de tout bien. Il ne faut pas oublier que le discours de monsieur Bush insiste sur la nécessité de permettre au peuple cubain d’accéder à la propriété privée, alors que le peuple cubain a été privé de ses propriétés qui, finalement, sont tombées entre les mains des sociétés nord-américaines et des compagnies transnationales et des groupes oligarchiques de la bourgeoisie nationale cubaine dont ceux qui ont accompagné Bush le 20 mai à Miami.

 

Fidel a rappelé qu’avant 1959, le seul droit à la propriété reconnue à Cuba était celui des puissantes sociétés étrangères et de leurs alliés de l’oligarchie nationale ; que les grandes usines, les services publics vitaux, les banques, les hôpitaux et les écoles appartenaient à une minorité privilégiée.

 

Il a ensuite fait allusion à l’œuvre de la Révolution qui dépasse de loin ce qu’on a fait avant le triomphe de la Révolution, aussi bien pendant la période coloniale qu’à l’étape capitaliste.

 

Comme nous l’avons rappelé à une table ronde, des centaines de milliers de familles paysannes ont eu accès à la terre après le triomphe de la Révolution.

 

Les paysans sont devenus les propriétaires des terres qu’ils travaillaient sans payer même pas des impôts, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays latino-américains.

 

La plupart des Cubains sont les propriétaires de leur logement et celui qui ne l’est pas encore a la possibilité de l’être moyennant le paiement d’une somme modeste proportionnel à ses revenus.  Personne ne craint d’être expulsé par un propriétaire, ce qui était monnaie courante avant le triomphe de la Révolution.

 

Comme l’a dit Fidel, il a fallu regagner les montagnes pour défendre les conquêtes des martyrs cubains.  Aucun révolutionnaire occupant un poste de direction, aucun leader de la Révolution cubaine, ne possède des comptes dans une banque à l’étranger ou à Cuba.  À ce sujet, Fidel a dit : « Aucun leader révolutionnaire cubain n’a un seul dollar déposé en banque, ni des comptes personnels en devises que ce soit à Cuba ou à l’étranger, ni des comptes ouverts au nom d’hommes de paille.  Aucun d’entre eux ne peut être soudoyé.  Les centaines d’entreprises étrangères opérant en Cuba en sont conscientes. Aucun d’entre eux n’est milliardaire comme monsieur le président des États-Unis dont les honoraires touchés en un mois - et ici nous avons appris quelque chose qu’on ignorait - « doublent à peu près ceux touchés en un an par tous les membres du Conseil d=État et du Conseil des ministres de Cuba ensemble. »

 

Il a aussi attiré l’attention sur les amis néolibéraux du président Bush.  Et nous savons qu’il faisait allusion aux présidents de cette démocratie en vogue en Amérique latine qui se remplissent les poches et qui sont les champions de la malversation et du vol.  Voilà comment Fidel les caractérisait : « Les rares présidents qui ne détournent pas de fonds du Trésor public volent de la plus-value aux pauvres et aux affamés et tuent chaque année des centaines de milliers d’enfants latino-américains. »

 

La vérité qu’on a prétendu nier et que l’on n’a pu escamoter est visible partout, à savoir que des présidents qui ont bradé les trésors publics de leurs pays, qui sont dénoncés partout parce que corrompus et pour avoir dissipé le patrimoine et dont les peuples sont aujourd’hui pratiquement plongés dans la famine généralisée, le chômage, etc. sont présentés dans les revues de mode comme des personnages importants et fameux qui partagent aussi bien avec le président des États-Unis qu’avec les principales revues du cœur qui parcourent le monde.

 

Les droits et les conquêtes remportés en 1959 ne doivent jamais être oubliés, car nous savons tous que dans les provinces d’Holguín, de Las Tunas et de Granma la mortalité infantile était de l’ordre de plus de 100 décès pour mille naissances vivantes, contre 5,9 à l’heure actuelle, soit un taux inférieur à celui des États‑Unis.  Dans ces territoires, l’espérance de vie est passée de 57 à 76 ans et le nombre de médecins, de 344 à 10 334.

 

Les établissements de santé sont passés de 46 à 4 006, soit cent fois de plus qu’avant le triomphe de la Révolution.

 

Le nombre de lits d’hôpitaux et de maîtres s’est multiplié.  La région compte aujourd’hui 12 facultés universitaires, contre zéro avant 1959.  Le taux d’analphabétisme est passé de 40 à 0,2%.

 

Ce discours doit être analysé et rappelé car il montre la réponse du peuple à l’appel de la Révolution, un peuple qui défend ses conquêtes.  Sous une pluie torrentielle, le peuple a démenti tous les mensonges dits par le président Bush le 20 mai à Miami.

 

Le discours de Sancti Spíritus est un message qui montre au peuple nord-américain ce que signifie Cuba.  Celui d’Holguín prouve que le peuple cubain est prêt à défendre au prix de sa vie les conquêtes de la Révolution qui ne sont que le fruit d’une œuvre sociale juste, ce que monsieur Bush aspire à changer.  Cet homme prétend que Cuba devienne un autre pays latino-américain où le nombre d’affamés ne cesse pas d’augmenter, que Cuba soit une autre Argentine, pays riche autrefois qui grossit aujourd’hui les rangs du tiers monde.

 

Randy Alonso.- Ce meeting nous a impressionné tous.  Lorsque les habitants de ces trois provinces arboraient les drapeaux, la place de la Révolution Calixto García ressemblait à une mer de drapeaux.  En dépit de la pluie, les participants - qui n’avaient pratiquement pas d’ombrelles - ont suivi attentivement les paroles de Fidel.

 

Arleen Rodríguez.- Selon les estimations, plus de 400 000 personnes y étaient rassemblées.  Plus de 300 000 personnes se sont réunies à Sancti Spíritus, mais ce sont là des chiffres conservateurs, car on a l’impression qu’il y en avait plus.  Mais on pouvait aussi apercevoir l’enthousiasme et la joie de partager ce discours avec le leader de la Révolution.

 

Dans un premier temps, Fidel a rappelé les différences qui existent entre un homme comme Roosevelt à une époque où la menace du nazisme et du fascisme planait sur le monde, et le style de fanfaron de l’actuel président des États-Unis.  Il rappelait aussi la différence entre un pays qui faisait face à l’époque à certains dangers et un pays qui impose aujourd’hui une hégémonie unipolaire.

 

Ce discours est une belle leçon d’histoire.

 

Randy Alonso.- À mon avis, c’était l’un des combats les plus extraordinaires livrés dans le cadre de la bataille d’idées, à un moment où la patrie est en danger, où le président des États-Unis, monsieur W - comme l’a baptisé notre commandant en chef - a proféré des mensonges et des menaces à l’égard de notre pays.  C’était une réponse du peuple cubain prêt à lutter non seulement avec des fusils, mais surtout avec des idées.  Merci, Arleen.

 

Dans ses discours du 20 mai, le président Bush a signalé qu’un seul pays du continent n’étais pas démocratique.

 

Il s’est référé aux démocraties représentatives latino‑américaines, mais il a passé sous silence les interventions de son gouvernement visant à étouffer l’indépendance, la souveraineté, la démocratie et toute tentative de lutte des forces de gauche pour donner un monde meilleur aux peuples de la région.

 

Lázaro Barredo nous parlera de l’histoire interventionniste des États-Unis dans la région, notamment pendant les années 60 et 70.

 

Lázaro Barredo.- Notre sous-continent a été victime d’un nombre si élevé d’interventions nord-américaines - selon des estimations, plus de 200 interventions, la plupart d’entre elles dans notre région - qu’un homme politique a résumé l’histoire de son pays en une sentence fataliste : « Si loin de Dieu et si près des États-Unis. »

 

Au XXe siècle, notre région a été victime de plus de 40 interventions des troupes armées des États-Unis.  Pendant le XIXe siècle, les États-Unis avaient un souci majeur, à savoir occuper et civiliser l’Ouest, résoudre les problèmes internes et s’abstenir de participer directement à des conflits avec les grandes puissances.  L’intervention de Cuba, vers la fin de ce siècle-là, marque le début d’une politique expansionniste, politique qui résume la doctrine Monroe, la doctrine du destin manifeste.

 

Il s’agit d’une politique interventionniste permanente - je répète, plus de 40 interventions au XXe siècle - mise en pratique non seulement dans les pays les plus proches, mais aussi dans certaines régions de l’Amérique du Sud, et à propos desquelles on a entendu parler de la mission « civilisatrice » des États-Unis.

 

En 1905, par exemple, lors de l’intervention en République dominicaine pour contrôler les douanes de ce pays, le président Theodore Roosevelt qui avait été chef de la police de New York - cela pourrait peut-être expliquer son comportement - écrit au secrétaire à la Marine : « Quant à Saint-Domingue, demandez à l’amiral Branford de réprimer toute révolution.  J’ai l’intention de maintenir le status quo dans l’île jusqu’à ce que le Sénat adopte une décision sur le Traité et déclare tout mouvement révolutionnaire comme une tentative de bouleverser le modus vivendi

 

La première intervention du XXe siècle à Cuba a lieu une année plus tard, le 14 septembre.  La veille, le président Roosevelt écrit à son ami Henry White.

 

Randy Alonso.- Nous parlons de Teddy Roosevelt.

 

Lázaro Barredo.- Oui, le cousin éloigné de Franklin Delano Roosevelt, président aussi des États-Unis vers la moitié du XXe siècle.

 

Randy Alonso.- C’est-à-dire celui dont parle Fidel dans son discours.

 

Lázaro Barredo.- Oui.

 

C’est lui, Teddy Roosevelt, celui qui dirige une partie des forces expéditionnaires des troupes interventionnistes lors du débarquement à Santiago de Cuba.

 

Le président Teddy Roosevelt écrit à son ami Henry White : « En ce moment précis - c’est-à-dire le 13 septembre 1906 -, cette petite et infernale République de Cuba me rend tellement enragé que je voudrais rayer son peuple de la carte. »

 

Ce sont ces éléments-là qui caractérisent la politique interventionniste des États-Unis pendant presque tout le XXe siècle.  En quelques années, le gardien de la paix et de la démocratie intervient à huit reprises au Honduras ; à plusieurs reprises à Cuba et au Panama ; en République dominicaine et dans un grand nombre de pays.  Cet effort interventionniste devient plus intense à partir du triomphe de la Révolution cubaine en 1959.

 

À mon avis, les calculs faits en 1958 par les États-Unis pour essayer d’empêcher le triomphe révolutionnaire n’ont pas été exacts.  Ils pensaient qu’ils pouvaient contrôler la situation, mais ça a raté parce qu’ils ont rencontré un sentiment national très fort.  Depuis, les États-Unis ont été contraints de changer leur stratégie et de modifier l’idée de la défense continentale.  Ils ont exhorté les pays latino-américains à assumer leur sécurité interne, ce qui entraîne des coups d’État, le plan Condor et toute une série de faits qui donnent lieu à un état de fascisme dans la région.

 

C’est l’exemple de Cuba celui qui fait changer la politique nord-américaine.  Les premiers pas visant à isoler Cuba, à l’expulser de l’OEA et de toutes les institutions et à faire en sorte que tous les pays de la région, à l’exception honorable du Mexique, rompent leurs relations avec Cuba, ont été faits en 1962.  L’objectif est atteint.  Un événement sui generis qui explique le rôle interventionniste des États-Unis pendant ce siècle a lieu en 1965.  Le président démocratiquement élu de la République dominicaine, Juan Bosch, est victime d’un coup d’État.  Une faction progressiste et nationaliste des forces armées, dirigée par le colonel Francisco Caamaño, chasse du pouvoir les putschistes et tente de rétablir le gouvernement légitimement constitué.  C’est à ce moment-là qu’a lieu, sous divers prétextes et avec le soutien de l’OEA, une intervention sanglante.

 

Randy Alonso.- Sous un prétexte passe-partout, celui de protéger les ressortissants nord-américains résidant en République dominicaine.

 

Lázaro Barredo.- C’est le même prétexte allégué pour détruire la petite île antillaise de la Grenade de 110 000 habitants, à savoir protéger la vie des étudiants résidant tout près de l’aéroport que construisaient des travailleurs cubains.  Les États-Unis, qui rentraient du Liban où ils avaient souffert un dur coup, tirent profit de la situation de ce pays et de l’assassinat de Maurice Bishop pour envahir la Grenade en 1983.

 

Randy Alonso.- L’intervention en République dominicaine, qui est le prélude d’autres putschs qui se produiraient par la suite dans notre région, caractérise l’attitude qu’assumeraient les États-Unis devant ces situations.  Un cas similaire a pu être apprécié récemment au Venezuela.

 

Signalons d’ailleurs que les États-Unis ont, comme ils l’ont fait par la suite, manipulé l’Organisation des États américains, et ce en dépit de l’indignation qu’a soulevée cette intervention, du pillage de plusieurs ambassades latino‑américaines et des protestations qui ont eu lieu dans plusieurs régions du sous-continent.  Ils ont cherché le soutien de quatre gouvernements fantoches, de quatre dictatures, à savoir celle du Brésil, celle de Somoza au Nicaragua, celle de Stroessner au Paraguay et celle du Honduras.  L’intervention en République dominicaine représente tout un symbole.  Lyndon Johnson a dit avec perte et fracas : « J’ai compris qu’on avait pas de temps pour consulter ou attendre.  Les nations américaines ne peuvent et ne doivent pas permettre l’instauration d’un autre gouvernement communiste dans l’hémisphère occidental. »  Et l’on parlait d’un gouvernement qui n’avait rien à voir avec le communisme.  Juan Bosch était une figure très connue en République dominicaine et respectée dans notre sous-continent.  Juan Bosch, qui avait adopté une position de respect et d’amitié envers Cuba, a été renversé.  Les États-Unis ont appuyé cette action et assassiné Caamaño et ses partisans.

 

Lázaro Barredo.- On reparlera de l’OEA, des coups d’État et de la Révolution lorsqu’on analysera l’essor qu’a connu la contre‑insurrection pendant les années 60 et une bonne partie des années 70.  Cela nous aidera à comprendre pourquoi le processus cubain est devenu un cauchemar pour les États-Unis. La vie et l’histoire ont prouvé que la superpuissance ne peut permettre qu’un processus semblable au processus indépendantiste entrepris par Cuba le 1er janvier 1959 coexiste dans le sous-continent.  Ce n’est pas par hasard que selon le programme de Santa Fe 1, autrement dit le programme de la droite nord-américaine, Cuba est obligé de payer le prix de son attitude, ce qui n’est qu’un délire.

 

Citons d’ailleurs l’intervention du Panama en 1989.  Saisissant des prétextes rebattus, les États-Unis ont essayé de ruiner les accords Carter-Torrijos de 1977.  En réalité, les États-Unis, qui ne pouvaient plus refuser de respecter leurs engagements, ne voulaient pas quitter la région.  En même temps, ils cherchaient à freiner les aspirations nationalistes panaméennes, d’où la fameuse opération Cause juste de décembre 1989 qui a entraîné l’intervention nord‑américaine au Panama. Ils ont atteint leur objectif, à savoir modifier les accords et disposer d’un instrument semblable à l’amendement Platt, ce qui leur permettrait d’intervenir dans la zone au cas où ils considéreraient que leurs intérêts de sécurité étaient menacés.

 

Randy Alonso.- Merci, Lázaro.

 

Cependant, l’intervention militaire n’a pas été le seul moyen utilisé par les gouvernants de Washington pour imposer leur volonté et leurs desseins dans notre sous-continent.  Dans les années 60 et 70, les États-Unis ont fait appel à l’instauration de dictatures militaires dans notre région, notamment au sud du sous-continent.  Nidia Díaz nous offrira quelques commentaires à ce sujet.

 

Nidia Díaz.- Comme Lázaro l’a déjà dit, les gouvernements nord‑américains font preuve d’une vocation innée pour intervenir, donner des coups d’État et pratiquer le terrorisme d’État.  Les années 70 en Amérique du Sud constituent l’expression parfaite de cette vocation néfaste qui a conduit à l’instauration des dictatures les plus sanglantes connues jusqu’à ce moment-là dans notre sous‑continent.

 

Notre peuple garde la mémoire du coup d’État donné par Hugo Bánzer en Bolivie en 1971 et celui donné par Pinochet au gouvernement de l’Unité populaire au Chili en 1973.  Cette même année, Juan María Bordaberry a fermé le Parlement uruguayen et instauré une dictature dans ce pays.

 

En 1976, la mort de Domingo Perón et l’instabilité politique en Argentine ont frayé la voie à l’une des dictatures les plus sanguinaires de notre sous-continent, à savoir celle de l’Argentine.  Ces dictatures comptaient sur le soutien des États-Unis.  Vers la fin des années 60 et le début des années 70, le Département d’État lui-même a confié deux missions à ses ambassades de la région, à savoir provoquer la déstabilisation politique des gouvernements sud‑américains et chercher des putschistes éventuels.

 

En quoi consistait cela ?  Hé bien, notre peuple a pu tout récemment constater le fonctionnement de ce mécanisme au Venezuela.  On paie les services de journalistes disposés à fausser ouvertement la vérité ; on achète et finance des médias pour créer un climat d’instabilité et diffuser des calomnies et des mensonges sur un gouvernement national et on cherche des putschistes.

 

Carmona, par exemple, n’est qu’un homme d’affaires choisi par l’ambassade nord-américaine et par les cercles de la droite nord-américaine au Venezuela, utilisé dans le coup d’État contre Hugo Chávez.  Autrement dit, ce sont les mêmes méthodes employées dans les années 70.

 

Bien entendu, certaines conditions ont favorisé les coups d’État des années 70.

 

Tout d’abord, la politique de guerre froide qui, dans le contexte global, engendrait un anticommunisme presque pathologique dans certains secteurs de la population, notamment latino-américains.

 

Il y avait d’autre part l’exemple de la Révolution cubaine que les États-Unis voulaient décidément extirper à jamais.  La Révolution cubaine, encore sur pied dans les années 70, qui avait garanti la justice sociale au peuple cubain, était une exemple à imiter par les pays de notre région.

 

À cela est venu s’ajouter une profonde crise économique liée ni plus ni moins qu’aux difficultés que rencontrait le capitalisme mondial pour réinvestir la plus-value.  Il fallait donc une politique économique capable de mettre un terme de façon violente et agressive aux politiques de l’État bienfaiteur qui dominait alors la région et d’autres coins de la planète.  Pour y parvenir, les dictatures s’avéraient indispensables.

 

Par conséquent, les dictatures latino-américaines, appuyées par les États-Unis, avaient pour but d’éliminer l’exemple de la Révolution cubaine, de maintenir vivant l’anticommunisme, de lutter contre les idées révolutionnaires, progressistes et nationalistes et, notamment, de développer la politique néolibérale, qui était la réponse à la crise économique que traversait le capitalisme au début de cette décennie.

 

Qu’est-ce que ces dictatures nous ont laissé ?  Plus de 50 000 assassinés, plus de 400 000 personnes emprisonnées, plus de 30 000 personnes portées disparues précisément en Argentine et, ce qui est encore plus triste, 3 000 enfants assassinés.

 

Telle est la vocation des États-Unis, une vocation encore vivante qui cherche à empêcher l’épanouissement dans les nations meurtries d’Amérique de gouvernements démocratiques, à vocation nationale, susceptibles d’apporter la justice sociale, même s’il ne s’agit pas de gouvernements socialistes ou communistes.

 

Randy Alonso.- La mise en place de dictatures en Amérique latine fait partie de la politique des États-Unis à l’égard de notre sous-continent, dont le point culminant a été le Plan de contre-insurrection ou de défense de la sécurité nationale des États-Unis.  Pour les Nord-Américains, la phrase « l’Amérique pour les Américains » était encore en vigueur dans les années 60 et 70.

 

Je cède la parole à Lázaro Barredo.

 

Lázaro Barredo.- Le triomphe de la Révolution cubaine à eu un grand impact sur l’Amérique latine et traumatisé les gouvernements nord-américains.

 

Depuis, une forte effervescence sociale a vu le jour en Amérique latine.  La région connaissait déjà les fléaux de la pauvreté et de la marginalisation sociale.  Face aux problèmes politiques, économiques et sociaux, plusieurs gouvernants ont adopté une politique nationaliste sur le plan économique.  Les dirigeants nord-américains se sont servis de ces éléments pour faire croire que le communisme pouvait s’emparer de la région.

 

Ce dont on se sert c’est de la peur du communisme et de la Révolution cubaine.  C’est alors que le président John F. Kennedy lance l’idée d’une politique d’assistance à l’Amérique latine, ce qui donnera lieu par la suite à la dénommée Alliance pour le progrès, instrument de lutte contre la Révolution cubaine.  En vertu de cette alliance, les pays latino‑américains verraient s’allouer 20 milliards de dollars, chiffre colossal à l’époque.  Ce rêve n’a été jamais réalisé.

 

Cette lutte contre le communisme était associée à une action coordonnée entre le Pentagone et les armées latino‑américaines dans le combat contre l’insurrection.  On a constaté un changement d’approche du point de vue stratégique et militaire en ce qui concerne l’insurrection en Amérique latine.  C’est à ce moment-là que l’OEA devient l’instrument utilisé par les États-Unis pour isoler Cuba, le point culminant étant l’expulsion de Cuba de cette organisation en 1962.

 

C’est aussi en 1962 que l’Opération Mangouste bat son plein. Depuis, la politique stratégique des États-Unis à l’égard de Cuba n’a pas beaucoup changé.  Cette opération, déjouée au lendemain de la crise des Fusées, a permis aux États-Unis de compter sur des milliers d’agents entraînés dans la réalisation d’activités de renseignements spécialisés.  Le gouvernement des États-Unis a donc décidé d’utiliser ces agents pour s’infiltrer dans des organes de sûreté, policiers et politiques de certains pays latino‑américains.

 

En 1961, une junte militaire s’empare du pouvoir en El Salvador.  Un autre putsch renverse par la suite le président Ydígoras Fuentes.

 

En octobre 1963, le président hondurien Villegas, accusé de mollasserie face à la subversion communiste, est renversé.  Le coup d’État contre le président Joao Goulart au Brésil marque une nouvelle étape de putschs en Amérique du Sud.  À preuve, celui de l’armée bolivienne en 1964 ; celui des militaires péruviens en 1962 ; celui contre le président équatorien Otto Arosemena en juillet 1963 et celui du général Onganía en Argentine, en 1966.

 

L’état de choses régnant en Amérique latine pendant les années 60 et 70 est le fruit de la politique militaire et de la connivence entre le Pentagone et les armées latino‑américaines. Pour comprendre l’Opération Condor, il faut rappeler qu’en 1965 la CIA a mené au Chili l’Opération Camelot, dont le but était d’identifier toutes les tendances des classes politiques.  Cette opération a dû être atténuée en raison des protestations des classes politiques devant cette ingérence éhontée.  Le mouvement des Tupamaros, en Uruguay, l’armée révolutionnaire du peuple en Argentine, les Montoneros (péronistes de gauche), la guérilla du Che en Bolivie, le coup d’État d’Hugo Bánzer en Bolivie, au terme d’un affrontement sanglant avec les populistes de gauche dirigés par le général Juan Torres, autant d’événements qui ont lieu pendant cette période et qui conduisent à la répression et à la torture.

 

Le notoire tortionnaire Dan Mitreoni est une figure clé dans la lutte contre-insurrectionnelle.  Mitreoni, agent policier entraîné par les services nord-américains avait d’abord été envoyé au Brésil, puis en Uruguay, où il a essayé de nouvelles méthodes de torture à même de rivaliser avec les nazis.  Dan Mitreoni a popularisé une sentence parmi les forces de sécurité uruguayennes, ce qui vous donnera une idée de la nature de cet individu et de la politique qu’il représentait : « La douleur exacte, au lieu exact, dans la dose exacte pour obtenir l’effet escompté. »

 

Randy Alonso.- Merci, Lázaro.

 

Un exemple des traces laissées par ces politiques nord‑américaines de terreur et d’agression, de lutte contre toute tentative des peuples de défendre leur souveraineté, leur intégrité et leurs droits en est la dictature militaire en Argentine.

 

Je passe la parole à Arleen Rodríguez qui nous parlera des conséquences de la dictature militaire en Argentine.

 

Arleen Rodríguez.- Merci, Randy.  Avant d’aborder la question du coup d’État donné le 24 mars 1966, je voudrais signaler que la situation que vit aujourd’hui l’Argentine est le fruit de l’œuvre impérialiste.

 

Bien avant l’instauration de dictatures et les interventions en Amérique latine, Cuba a fait office de cobaye.  Notre pays a été victime d’un coup d’État, du terrorisme d’État, de la disparition et de l’assassinat de jeunes, d’un profond processus de privatisation et d’un néolibéralisme naissant.  Selon Regino Botti, un expert déjà décédé, le caractère sauvage du processus d’instauration du néolibéralisme primitif à Cuba a entraîné une révolution radicale comme la Révolution cubaine, seul instrument capable d’y porter remède.

 

Je dis ceci parce que les États-Unis allèguent que le communisme cubain et l’exemple de la Révolution cubaine avaient fait tache d’huile dans le sous-continent.  Ils ont essayé toutes ces méthodes à Cuba lorsque la Révolution cubaine n’existait pas encore.  Sans la Révolution, le nombre de morts et de personnes portées disparues aurait dépassé celui enregistré en Argentine et Cuba serait aussi pauvre qu’Haïti.

 

Au moment du coup d’État en Argentine, en mars 1976, les États‑Unis comptaient déjà sur l’expérience du Chili.  De l’avis de certains experts, dont le politologue nord-américain Petras, le Chili avait appris à Washington que le terrorisme d’État était le seul moyen d’imposer son hégémonie dans la région.  Rappelons les conditions existant en Argentine : Perón était mort, María Estela Martínez occupait la présidence, la corruption était généralisée, le gouvernement était inefficace, les fameux escadrons de la mort et la Triple A (Alliance anticommuniste argentine) commençaient à faire des leurs.  Cuba, pour sa part, comptait un BRAC (Bureau de répression des activités communistes), prélude d’autres organes qui seraient essayés par la suite en Amérique latine.

 

On a dit à l’époque que la junte militaire, dirigée par Videla, se proposait d’imposer l’ordre.  En réalité, cet ordre a laissé plus de 30 000 personnes portées disparues et 368 camps de concentration où des milliers de personnes ont été torturées et assassinées.  On connaît aujourd’hui les méthodes utilisées, comme celle de lancer les prisonniers dans la mer.  Ces prisonniers figuraient par la suite dans la liste des personnes portées disparues.

 

Outre la panique et le terrorisme d’État, un nouveau terme voit le jour, qualifié par d’aucuns de terrible, à savoir celui des personnes portées disparues.  Nombreuses sont les personnes qui souffrent encore aujourd’hui en Argentine le trauma de n’avoir pu jamais enterrer leurs morts, de ne pas savoir où elles sont mortes.  Il y a aussi l’histoire terrible des enfants qui ont été arrachés du ventre de leur mère ou qui ont vécu en captivité, car leurs parents avaient été assassinés.  Ces enfants, qui avaient été adoptés par les assassins de leurs parents, ont découvert au fil des ans qu’ils avaient été élevés par les assassins de leurs parents.

 

Plus de 100 journalistes ont été assassinés ou portés disparus en Argentine.  La censure était totale.  Le terme « personne portée disparue » ne pouvait être publié dans la presse.  L’exil connaît alors un grand essor.  Les émigrés se rendaient notamment en Europe.  Mais on peut aussi parler d’un exil interne, autrement dit le silence qui s’est emparé d’une population terrorisée.

 

Des mouvements de protestation voient le jour.  Les mères de Plaza de Mayo qui cherchaient désespérément leurs fils, qui frappaient à des portes qui ne s’ouvraient pas comme celle de l’Église, commencent à être appelées les « folles de Mayo ». Les mères de Plaza de Mayo faisaient le tour de la Plaza deux par deux, car les militaires leur avaient dit que les groupes de plus de trois personnes étaient interdits.  Ces dictatures ont été applaudies et protégées par les gouvernements nord‑américains de l’époque.

 

De l’avis d’importants observateurs du monde entier, cette dictature, qui a à son actif plus de 30 000 morts et personnes portées disparues, a détruit le tissu social argentin, assassiné des milliers de collaborateurs et dirigeants populaires, miné à jamais une grande partie de la résistance - pratiquement toute la gauche a été rayée de la carte, assassinée, portée disparue - et laissé des vestiges visibles aujourd’hui dans le panorama politique argentin.

 

Selon Petras, l’état de terreur semé par la junte militaire argentine a logiquement fait place à la prétendue démocratie pour aboutir finalement à la recolonisation.  À quoi vient s’ajouter le plan de dollarisation de l’économie, la vente du patrimoine public argentin aux grandes sociétés transnationales, notamment nord‑américaines, et l’assujettissement total aux formules des organismes financiers internationaux.

 

Dans ce processus, la bourgeoisie argentine participe aussi à la destruction des bases populaires et du pouvoir des travailleurs, alors que l’économie néolibérale argentine commence à se développer.

 

Selon Petras, le coup d’État de mars 1976 a conduit à la transformation du péronisme, mouvement national qui répondait aux besoins et aux demandes nationaux, en un nouveau parti néolibéral.  Il ne faut pas oublier la domestication de la pensée intellectuelle moyennant la répression.  Certains intellectuels révolutionnaires réussissent à survivre, alors que d’autres sont éliminés.  Tel est le cas de Rodolfo Walsh, le journaliste et intellectuel argentin qui a laissé une œuvre de dénonciations et qui a été assassiné impudemment dès qu’il a rendu publique une lettre ouverte à la junte militaire.

 

Ce putsch a jeté à terre tous les mythes concernant la possibilité de développement indépendant d’un pays latino‑américain, à preuve le cas de l’Argentine, l’un des pays les plus riches du sous-continent, qui affiche un taux de chômage égal ou supérieur à 20% et où la famine frappe pratiquement 50% de la population.  L’Argentine traverse une situation de désespoir et d’impasse.  Nombreux sont ceux qui pensent, comme Jorge Venten, que la seule issue serait une véritable révolution interne.

 

Le régime de terreur imposé, bénit, encouragé et développé par les États-Unis - à preuve les écoles des Amériques, les maîtres de la torture et Dan Mitreoni en Uruguay - n’a réglé aucun des grands problèmes auxquels se heurtait l’Amérique latine.  Bien au contraire, ce régime les a aggravés et a fait des pays latino-américains des otages de la politique transnationale, de la politique du Fonds monétaire et de la politique économique des États-Unis.  Ces pays sont contrôlés par l’empire et leur seule issue serait une révolution sociale.

 

Il reste à savoir si le tissu social détruit par les coups d’État peut être reconstitué.  Toujours est-il que les peuples continuent de lutter pour changer l’état de choses et que les États-Unis n’ont pu jamais régler cette question par la voie de la terreur imposée aux pays du cône sud et de l’Amérique centrale.

 

Randy Alonso.- La disparition de 30 000 personnes en Argentine a laissé une trace profonde dans ce pays et marqué à jamais une génération d’Argentins.  Ce pays, où le modèle néolibéral a fait long feu, rappelle encore aujourd’hui la séparation des parents et des fils, la perte d’un si grand nombre de personnes et les méthodes criminelles utilisées dont la pratique de laisser tomber des personnes vivantes dans la mer depuis des hélicoptères.

 

Arleen Rodríguez.- N’oublions pas les décharges électriques.

 

Il faut signaler que les jeunes figuraient parmi les principales victimes des dictatures latino-américaines, d’où la radicalisation des mères et des fils, des héritiers de ces événements.  La réalité c’est que les dictatures ont détruit toute une génération de jeunes latino-américains, une génération consciente des problèmes de leurs pays.

 

À l’occasion de l’anniversaire des mères de Plaza de Mayo, Hebe de Bonafini se demandait pourquoi ces jeunes étaient devenus des ennemis du pouvoir.  Hé bien, ces jeunes essayaient de changer l’état de choses en Argentine, dont l’économie, à partir de l’arrivée des militaires au pouvoir, se voulait très efficace.  En fait, cette situation a conduit à la destruction actuelle de l’économie argentine.  Ces jeunes étaient conscients de la recrudescence de la pauvreté, de la marginalisation et de l’exemple de Cuba qui construisait une société juste et différente.  Mais ils ni luttaient dans les rues ni faisaient partie des mouvements guérilleros.  Les personnes assassinées et portées disparues en Amérique latine et, notamment en Argentine, n’aspiraient qu’à changer l’état de choses, mais par des moyens pacifiques.  Les gens appartenant à notre génération sont marqués par les assassinats et les disparitions.

 

Lázaro Barredo.- C’est alors qu’on voit naître les escadrons de la mort.

 

Randy Alonso.- Ces escadrons subsistent encore de nos jours. La dictature argentine a été la plus sanguinaire de l’Amérique du Sud.  Son antécédent a été la dictature militaire instaurée au Chili au lendemain du coup d’État contre le président constitutionnellement élu, Salvador Allende.

 

Nidia Díaz va nous donner ses impressions sur cette dictature.

 

Nidia Díaz.- Les services de renseignements nord‑américains se sont servis de l’Opération Camelot pour connaître les préférences politiques et les aspirations de la société chilienne.

 

Selon des données des services de renseignements et du Département d’État, réunies en 1969, un candidat de gauche gagnerait les élections présidentielles au Chili en 1970.  Compte tenu de la situation existant au Chili et des alliances nouées par la gauche, les États-Unis étaient convaincus qu’il fallait empêcher le triomphe de ce qu’ils appelaient le communisme au Chili.

 

Par conséquent, le Département d’État, la CIA et le Pentagone ont abouti en 1969 à la conclusion qu’il fallait empêcher à tout prix qu’un représentant, qu’un candidat de gauche, en l’occurrence Salvador Allende, puisse assumer la présidence. Le Département d’État pariait sur Jorge Alessandri.  Cependant, la vie leur a montré qu’ils avaient tort.  Allende a gagné les élections le 4 septembre avec 37% de voix, suivi d’Alessandri avec 35% et autres.

 

En 1969, quatre généraux nord-américains ont invité quatre homologues chiliens à déjeuner aux alentours de Washington pour passer en revue la situation politique au Chili.  À l’heure du dessert, ils leur ont demandé leur avis sur l’éventuelle réaction de l’armée chilienne au cas où un candidat de gauche, en l’occurrence Salvador Allende, membre de l’Unité populaire, gagnerait les élections.

 

Carlos Toro, l’un des hauts officiers chiliens qui étaient alors à Washington, leur a répondu : « En une demi heure, La Moneda sera prise et s’il faut l’incendier, nous n’y hésiterons pas. »  C’était une prémonition de ce général de l’aviation chilienne, car c’est précisément ça ce qui s’est passé trois ans plus tard avec la participation non seulement des militaires nord-américains, mais aussi des pilotes des États‑Unis qui avaient reçu en 1973 des visas d’entrée au Chili pour y réaliser des manœuvres d’aviation, entre autres.

 

Randy Alonso.- On dit que le 11 septembre, le jour du putsch, il y avait, curieusement, comme cela s’est passé maintenant au Venezuela, des navires de la marine yankee qui participaient censément aux manœuvres navales Unitas face aux côtes chiliennes.  C’est-à-dire, toutes les conditions étaient créées pour accueillir le putsch du 11 septembre.

 

Nidia Díaz.- Le 10 septembre, par le plus grand des hasards, l’ambassadeur des États-Unis se rend à Washington d’où il rentre au pays avec les instructions finales pour renverser le président Allende.

 

Il faut rappeler les plans du Département d’État nord‑américain visant à créer ce processus de déstabilisation interne, en l’occurrence au Chili, qui conduirait au coup, un coup qui, pour certains secteurs de la population chilienne, serait en quelque sorte compréhensible, vu la nécessité d’arrêter cet état d’instabilité, cet état de pénuries, car le marché interne chilien était désapprovisionné.

 

Les Cubains se souviennent fort bien des mois qui ont précédé le putsch du 11 septembre 1973, période pendant laquelle des groupes établis à l’ambassade des États-Unis ont réussi, grâce au soutien des secteurs de la droite chilienne, à déstabiliser ce pays.

 

Le journal El mercurio - on avait déjà parlé du rôle joué par ce type de presse avant le putsch - a contribué à inculquer la peur à l’instabilité existant dans le pays parmi d’importants secteurs de la population, dont la classe moyenne, les femmes et les immigrants.  Cette politique de déstabilisation n’a pas cessé de s’amplifier, ce qui a conduit, par exemple, à la grève des camionneurs.

 

On a pu démontrer que le Département d’État avait financé la grève des camionneurs.  Aussi bien les camionneurs qui se mettaient en grève que ceux qui ne le faisaient pas étaient remboursés.  La différence était payée au syndicat de transporteurs, de sorte que cette bureaucratie syndicale corrompue tirait aussi profit de la politique de déstabilisation.

 

Le peuple cubain connaît fort bien le cas chilien car il a partagé la cause du président Allende et la solidarité avec le peuple chilien.  Des militaires patriotes chiliens ont dû abandonner leurs postes en août.  Tel est le cas du général Prats qui a été substitué le 23 août par Pinochet - on connaît fort bien la raison.  Le 9 septembre, lors d’une allocution adressée à l’opinion publique chilienne, le président Allende lui-même annonce que les réserves de céréales ne pouvaient couvrir que les besoins de trois mois, c’est-à-dire que le marché interne chilien avait été désapprovisionné pour déstabiliser le pays.

 

On assiste par la suite au bombardement de La Moneda, à l’avancée des chars vers le palais présidentiel et au putsch fasciste du 11 septembre et aux suites de répression et de terrorisme d’État, à la transformation du stade national, au surgissement de la caravane de la mort chargée de réprimer, d’arrêter et d’assassiner tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, avaient été liés au gouvernement de l’Unité populaire, voire ceux qui n’étaient que des proches lointains des protagonistes.  Selon la Commission de la vérité, plus de 3 000 personnes ont été portées disparues, alors que le nombre de personnes assassinées n’a pas encore été déterminé.

 

Nous rappelons les mains de Víctor Jara, un grand nombre d’épisodes et la solidarité du peuple cubain envers nos frères chiliens avant, pendant et après le putsch.  Rappelons que lors du triomphe de l’Unité populaire, les manchettes des organes de presse liés à la droite nord‑américaine et à la droite nationale latino-américaine signalaient : « Le communisme a triomphé au Chili », « le Chili, un autre Cuba. »  Voilà comment les organes de presse ont contribué à la campagne contre le gouvernement démocratique et constitutionnel de Salvador Allende.

 

Cette même histoire se répète aujourd’hui au Venezuela et elle continuera de se répéter car - à preuve, les documents de la CIA, du Pentagone et de la Maison-Blanche - la politique hégémonique et unipolaire du gouvernement des États-Unis ne permettra jamais le surgissement d’un autre Cuba en Amérique latine ou ailleurs.

 

Randy Alonso.- L’administration nord-américaine avait expressément ordonné à la CIA d’agir immédiatement au Chili, d’organiser tous les plans nécessaires et de payer n’importe quelle somme d’argent pour renverser Salvador Allende.

 

Pendant la dictature, la CIA a soutenu pleinement la politique fasciste et terroriste de Pinochet qui a aussi bénéficié du soutien des services spéciaux israéliens.  Cette politique de terreur a aussi regagné l’arrière-pays.  Pinochet a imposé le modèle économique néolibéral, modèle à suivre en Amérique latine.  Selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, les milliers de morts et de torturés par la dictature de Pinochet étaient dénommés des excès, alors que l’une des sociétés les plus inégalitaires de la planète était dénommée Miracle chilien.

 

Selon Galeano : « Au début de 1998, le journal libéral The New York Times fêtait le vingt-cinquième anniversaire du coup d’État grâce auquel le Chili est passé de république bananière à étoile économique de l’Amérique latine.  En dépit de ses excès, le modèle Pinochet se répandait comme panacée universelle. »

 

Nidia Díaz.- Il ne faut pas oublier que le Département d’État, qui avait orienté, pendant les années 60, à ses ambassades d’œuvrer en faveur de la déstabilisation des pays latino‑américains, est allé encore plus loin dans le cas du Chili.

 

Le Conseil de sécurité nationale des États-Unis a créé un groupe spécial dirigé par Henry Kissinger, chargé de renverser Allende et de déstabiliser le pays.  On a attaché une grande importance au cas du Chili.

 

Randy Alonso.- Kissinger est le représentant classique de l’interventionnisme nord-américain en Amérique latine pendant les années 60 et 70.

 

Le Chili et l’Argentine, exemples classiques de l’instauration de la terreur en tant que politique en Amérique latine, n’ont pas été les seuls pays à subir l’intervention des États-Unis. D’autres pays du cône sud ont vécu aussi des dictatures militaires où la terreur était monnaie courante et où un grand nombre de Latino-Américains ont trouvé la mort, ont été incarcérés ou subi des traumas qui persistent encore aujourd’hui.

 

Je cède maintenant la parole à Rogelio Polanco.

 

Rogelio Polanco.- Il y a certes d’autres pays où l’on constate une constante.  Il s’agissait d’une intervention éhontée et ouverte des États-Unis en vue d’imposer des régimes favorables à la politique extérieure nord‑américaine.

 

Il faut dire que cette action a compté sur le consentement, la complicité, l’assistance et le financement des États‑Unis.  Il y a aussi le cas du Paraguay, l’une des dictatures les plus sanguinaires et les plus longues de l’Amérique latine, la dictature de Stroessner de 1956 à 1989, comparables seulement avec celle de Trujillo en République dominicaine, avec les Duvalier en Haïti et les Somoza au Nicaragua, imposées aussi pendant des décennies.

 

En 1979, la Chambre des représentants des États-Unis entamait ce rituel de la discussion du sujet des droits de l’homme.  Cette même année, elle convoquait une audience au sein du sous‑comité des organisations internationales sur les droits de l’homme et la politique extérieure des États‑Unis pour analyser le cas du Paraguay.  Nous savons qu’il s’agissait d’une dictature qui a provoqué la mort et la disparition d’un grand nombre de Paraguayens.  C’est alors que le secrétaire adjoint à l’état des États‑Unis, Warren Christopher, a affirmé que la question des droits de l’homme en Amérique latine marchait sur des roulettes.

 

Même au Paraguay ?, lui a-t-on demandé.  « La situation existant au Paraguay - a déclaré Christopher – s’est améliorée. Il existe une tendance favorable.  Bref, il a été décidé de consentir de nouveaux prêts nord‑américains au Paraguay. »  Il s’agit-là d’une autre constante, les dictatures militaires établies en Amérique latine ont, pendant cette période, compté non seulement sur l’assistance des États‑Unis, mais encore sur le financement et la présence des sociétés transnationales nord-américaines qui ont bénéficié de toutes sortes d’avantages dans ces pays.

 

Randy Alonso.- Ni le blocus, ni des mesures économiques n’y ont été imposés.

 

Rogelio Polanco.- Exact.

 

Randy Alonso.- Bien au contraire, ces dictatures ont bénéficié de financement, d’aide et de prêts accordés par des organismes internationaux.

 

Rogelio Polanco.- Pendant ces années, tous les marchés et toutes les entreprises ont ouvert les portes au capital transnational nord-américain.

 

L’Uruguay, par exemple, a souffert une dictature qui a duré douze ans, de 1973 à 1985.  Le 27 juin 1973, le président Bordaberry et les forces armées ont donné un putsch moyennant la dissolution du Parlement et la constitution d’un gouvernement civico-militaire.  Il y a des preuves qui révèlent la participation de la CIA et du gouvernement nord‑américain en Uruguay.

 

On dit que plus de 100 000 personnes ont été interrogées et torturées, que 500 000 Uruguayens ont été forcés d’émigrer, qu’un sur six habitants a dû quitter le pays, qu’il y a eu des centres de torture et des châtiments dénommés, par exemple, Enfer ou Enfer vert, où l’on appliquait les tortures les plus cruelles apprises dans les écoles des Amériques par des professeurs nord-américains.

 

Il faut aussi signaler que les États-Unis ont favorisé une fraude électorale.  Je voudrais lier cette information aux événements survenus à l’époque au Brésil.

 

En 1964, les militaires ont donné un coup d’État et établi un gouvernement dirigé par le général Castillo Branco.

 

Le 31 mars 1964, les forces armées ont renversé le président Goulart, après quoi elles se sont emparées du pouvoir.

 

Qu’a dit alors le président Johnson ?  Le 2 avril, deux jours après le coup, il a adressé ces meilleurs vœux aux militaires, signalé que le peuple américain avait suivi avec inquiétude les difficultés politiques que traversait cette grande nation, qu’il admirait la volonté de la communauté brésilienne de surmonter ces difficultés dans le cadre de la démocratie constitutionnelle.

 

Les « convictions démocratiques » des militaires brésiliens se sont traduites dans la répression exercée jusqu’en 1983 contre le mouvement et les partis antidictatoriaux.

 

Je vais faire maintenant allusion au rapport existant entre le Brésil et l’Uruguay.  Ces faits viennent d’être connus il y a à peine quelques semaines, car on sait que les États‑Unis cachent des documents pour empêcher que le monde et l’histoire puissent connaître leurs responsabilités dans la tragédie qu’a vécue l’Amérique latine.

 

Des documents déclassés de l’Administration des archives nationaux ont été publiés au début du mois de mai.  L’un de ces documents, publié par l’agence AP, dit comme suit : « Selon des documents émis par les gouvernements nord‑américains de l’époque, le gouvernement dictatorial du Brésil, instauré voilà trente ans, était le meilleur allié des États-Unis dans la lutte contre le communisme en Amérique du Sud – l’histoire s’est chargée de le démontrer ‑, et ce à tel point qu’il a empêché une victoire électorale de la gauche en Uruguay. »  Cette alliance a été opportunément dénoncée par les partis uruguayens.

 

Lors d’un entretien organisé à la résidence présidentielle à Cayo Vizcaíno, Floride, le 29 décembre 1971, le président Richard Nixon a dit au chancelier allemand Willy Brandt : « Le Brésil est le contrepoids parfait. »

 

Six jours avant, Nixon avait confié au premier ministre des Bermudas, Edward Heath, que l’opposition des États-Unis au florissant mouvement de gauche était soutenue par le Brésil. « Le Brésil est, en fin de comptes, la clé de l’avenir », a signalé Nixon.

 

Selon la dépêche d’AP, les commentaires avancés par Nixon sont parsemés dans 110 000 pages de documents présidentiels concernant notamment la sécurité nationale, rendus publics cette semaine.

 

« Le Brésil de l’époque était gouverné par Garrastazú Médici, un général imposé par l’appareil militaire.  Son gouvernement se caractérisait par une répression politique et une censure sévères.  Or les entreprises contrôlées par l’État ont enregistré un taux de croissance annuelle de 12%, ce qui était un mérite aux yeux de Washington. »

 

La dépêche ajoute que les États-Unis et le Brésil s’opposaient et continueraient de s’opposer à Castro - voilà les propos de Nixon à l’époque – jusqu’à ce que celui-ci décide de ne plus déranger ses voisins latino‑américains.

 

Nixon a dit que le Brésil était un contrepoids mais que son gouvernement ne s’adaptait pas au modèle de démocratie des États-Unis.  Et d’ajouter : « Le leader brésilien a veillé au bien-être du Brésil.  À moins qu’il n’adopte pas une politique contraire à nos intérêts, nous accepterons tout ce qu’il fasse. Les Brésiliens nous ont aidé à truquer les élections en Uruguay. »

Ces déclarations montrent clairement l’ingérence des États‑Unis et le soutien accordé à plusieurs dictatures latino‑américaines, en particulier à celles du cône sud.

 

Randy Alonso.- Merci, Polanco.

 

Dans son discours, Bush a voulu donner des leçons de démocratie à notre peuple, mais il n’a dit un traître mot ni sur les dictatures militaires intronisées dans la région avec le soutien et le financement des États-Unis, ni sur les activités réalisées par ces dictatures pendant cette période, ce qui est connu sous le nom de « Internationale de la terreur » en Amérique latine, autrement dit le plan Condor qui fait encore aujourd’hui l’objet de recherches de la part de journalistes et de chercheurs.

 

Je passe la parole à Nidia Díaz.

 

Nidia Díaz.- Le plan Condor des années 70 n’était que la concertation et la coopération entre les services de renseignements des dictatures militaires sud-américaines pour persécuter, assassiner et faire disparaître leurs adversaires, dénommés hier et aujourd’hui des terroristes, à savoir les communistes, les socialistes, les révolutionnaires, les guérilleros, les citoyens probes qui s’opposaient aux dictatures militaires.

 

Le plan Condor remonte à l’année 1974.  En février de cette année, le colonel Manuel Contreras assume la direction d’un nouvel organisme créé au Chili, à savoir la Direction nationale de renseignements.

 

Contreras, assassin de la dictature chilienne, émule de Pinochet, a ourdi ce plan dont l’objectif était de conjuguer des efforts pour qu’aucun opposant des dictatures ne puisse échapper.  Y ont participé le Paraguay, l’Argentine, la Bolivie, l’Uruguay, le Brésil et, en 1978, le Pérou et l’Équateur.

 

Le plan Condor a donné lieu à la caravane de la mort qui commence ses activités au Chili, comme l’a rappelé le compañero Hevia, pour conclure finalement à Washington avec la mort de Letelier.  Cette caravane s’étend à d’autres pays, voire aux États-Unis.

 

Le plan Condor a établi une classification par pays, à savoir Condor I, Condor II et ainsi de suite, ce qui ne faisait pas plaisir aux États-Unis, au Pentagone et au Département d’État, de peur de ne pouvoir identifier les uns des autres.

 

Dire Condor I équivalait à dire le Chili, Pinochet et Manuel Contreras.  En novembre 1975, Contreras invite le chef des services de renseignements et de hauts officiers des états‑majors du Paraguay, de l’Argentine, de l’Uruguay, de la Bolivie et du Brésil, à se réunir à Santiago de Chili, tous frais payés par la dictature de Pinochet, dans le cadre de la Première Réunion de travail des services de renseignements nationaux.  C’est sous ce nom euphémique qu’on a tramé tous ces assassinats meurtriers des années 70.

 

La réunion d’où est né le plan Condor s’est tenue du 25 novembre au 1er décembre 1975.  Selon des documents déclassés de la CIA et du Département d’État, la CIA a distribué, en mars 1976, à ses stations basées en Amérique latine un document où l’on pouvait lire : « Le colonel Manuel Contreras, chef de la DINA, a mis en route un programme de collaboration entre les services de renseignements de différents pays sud-américains, auquel il a donné le nom de plan Condor. »

 

Le 18 août 1976 – c’est-à-dire un mois avant l’assassinat d’Orlando Letelier à Washington -, le Département d’État émet un document où l’on signale que l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger et d’autres officiers du même département avaient entendu des « rumeurs » selon lesquelles l’Opération Condor prévoyait l’assassinat d’adversaires politiques et de figures marquantes, aussi bien à l’intérieur des frontières nationales que dans des pays sud‑américains ou à l’étranger.

 

En septembre 1976, dans un document du Pentagone récemment remis en circulation, on peut lire : « Condor est le code d’une opération de persécution de partisans de la gauche, de communistes et de marxistes dans le cône Sud.  Les services de renseignements de ces pays ont établi des liens de coopération afin d’éliminer les marxistes de leurs territoires.  Le Chili est le centre de ces activités. »

 

Ce même document du Département d’État fait allusion à une dépêche, adressée en 1978 par l’ambassadeur des États-Unis au Paraguay, Robert White, au Département d’État.  On y peut lire que le chef d’état-major du dictateur paraguayen Alfredo Stroessner lui avait commenté que les installations nord‑américaines dans la zone du canal étaient utilisées pour coordonner les activités des officiers qui participaient à l’Opération Condor, une opération qui comptait sur tout le soutien logistique nécessaire, à savoir visas, documents faux et permis d’entrée et de sortie à ou de n’importe quel pays.

 

Randy Alonso.- Persécution partout.

 

Nidia Díaz.- Cette opération a provoqué la mort de plus de 50 000 personnes, l’arrestation de plus de 30 000 personnes et l’exil d’un nombre encore non précis de personnes.  On peut cependant se demander aujourd’hui :

 

Est-ce que cette opération a pris fin avec la disparition des dictatures militaires ?

 

N’existe-t-il pas, par hasard, une autre opération semblable, sous un autre nom, dans le cadre de la soi-disant lutte contre le terrorisme ?  Dans cette lutte, l’empereur des États‑Unis lui-même somme les pays à être avec eux ou contre eux.

 

Les lois terroristes en cours d’adoption au Royaume-Uni, en France, aux États‑Unis et dans divers pays qui soutiennent cette politique de sale guerre - parce qu’il s’agit d’une guerre sans nom et sans visage - ne constituent-elles pas par hasard une prolongation de l’Opération Condor, connue et permise par les États-Unis ?  Car les dictatures latino‑américaines ne pouvaient faire que ce que voulaient les États‑Unis.  Cette Opération Condor, au nom de laquelle on a tué en masse nos peuples latino-américains, a eu lieu sous la protection, la connaissance et le soutien des États‑Unis.  La lutte actuelle n’est que la suite de cette opération.  Les soi‑disant terroristes sont ceux qui s’opposent à la globalisation, dont les marginalisés argentins, brésiliens, uruguayens, bref, tous ceux qui sont aujourd’hui victimes non pas des dictatures militaires mais de la politique néolibérale instaurée dans les années 70 et 80.  Ce sujet pourra faire l’objet de discussions dans une autre table ronde.

 

Randy Alonso.- Eduardo Galeano a résumé ce qu’il pensait du plan Condor.  À ce sujet, il a dit que « des militaires et des policiers se déplaçaient dans l’ensemble de la région en toute liberté, c’est‑à‑dire qu’il n’y avait pas de frontières pour eux.  Ce marché commun latino‑américain, celui de la mort, a été le seul marché commun qui a fonctionné efficacement dans nos pays. »

 

« Voilà à peine vingt ans, on pouvait enlever des gens n’importe où, indépendamment de la nationalité des kidnappeurs et des enlevés et l’on savait qui on torturait et exterminait mais sans regarder où. »

 

« Cela explique par exemple pourquoi la ville de Buenos Aires a été l’abattoir non seulement de milliers d’Argentins mais aussi de nombre d’exilés latino‑américains, comme le général chilien Carlos Prats, ministre sous le gouvernement d’Allende ; le général Juan José Torres, ancien président bolivien et le parlementaire uruguayen Celmar Miquelini et Héctor Gutiérrez Ruiz ; nombreux ont été les ressortissants espagnols et italiens ainsi que certains citoyens français, suédois, suisses et d’autres pays qui y sont morts, et ce comme résultat de l’Opération Condor, autorisée et encouragée par les États-Unis. Selon des informations récemment révélées, une personnalité très connue des gouvernements nord-américains, qui a même reçu le prix Nobel de la paix, après avoir assassiné tant de Vietnamiens, a joué un rôle très important dans cette opération, à savoir Henry Kissinger.

 

Écoutons les commentaires d’Arleen Rodríguez à ce sujet.

 

Arleen Rodríguez.- Merci, Randy.

 

En dépit des dénonciations et des querelles interposées, Kissinger ne dit rien et le Département d’État le protège.

 

Kissinger, qui a aujourd’hui 78 ans, a été conseiller de sécurité nationale de Nixon entre 1969 et 1973 et secrétaire d’État de Nixon et de Ford entre 1973 et 1977.

 

Aujourd’hui, il est un personnage qui étale le prix Nobel de la paix, peut-être le prix de la paix le plus éhonté qu’on ait jamais décerné.  Cet homme est accusé d’être l’auteur intellectuel et le promoteur de crimes au Vietnam, au Laos, au Cambodge, au Timor oriental, au Chili et en Argentine.

 

On a même dit qu’il a activement participé au génocide contre le peuple vietnamien.  Les armes utilisées contre ce peuple frère ont causé plus de quatre millions de morts.

 

On dit aujourd’hui que Kissinger était le principal responsable de la politique de l’époque, mais il faut rappeler qu’aucune personnalité politique ou militaire qui a dirigé cette guerre n’a jamais été jugée pour avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité.

 

Parmi ceux qui ont porté plainte contre Kissinger, secrétaire d’État de l’époque, citons Rigoberta Menchú, car on considère qu’il était impliqué directement dans le génocide commis contre le peuple guatémaltèque, dont la famille elle-même de Rigoberta a été victime.

 

Kissinger est l’une des figures qui, grâce à la presse, jouissent d’un grand prestige académique, ce qui n’est pas du tout vrai.  On dit que Kissinger perçoit des sommes milliardaires au titre des conférences et des causeries de politique internationale données partout dans le monde, bien que les options fassent de plus en plus défaut.

 

L’an dernier, par exemple, il a dû quitter en toute hâte la France car on l’appelait à déclarer en tant que témoin, même pas comme inculpé ; on dit que, du jour au lendemain, il a disparu de l’hôtel où il était logé, lorsqu’un avocat français, qui enquêtait sur la mort de ressortissants français au Chili, l’a appelé à déclarer.

 

L’un des livres les plus vendus aujourd’hui est celui écrit par le journaliste anglais Christopher Jenkins, à savoir Le procès d’Henry Kissinger, où l’on peut lire le fameux dialogue soutenu le 8 juin 1976 entre Kissinger et Pinochet.  Ce dialogue a été aussi publié par la presse alternative.

 

On ignore pourquoi Kissinger a décidé en 1976 de garder à la bibliothèque du Congrès les transcriptions des conversations téléphoniques qu’il a eues à l’époque où il était secrétaire d’État, à condition qu’elles ne fussent rendues publiques que cinq ans après sa mort.  Ces 10 000 documents ont finalement été envoyés au Congrès des États-Unis.

 

Dans le dialogue susmentionné, Kissinger qualifie Pinochet de victime des groupes de gauche du monde entier.  Kissinger fait des vœux pour la réussite de Pinochet et fait état de la volonté de lui offrir une aide économique, militaire et de tout genre.  C’était l’époque où les dictateurs recevaient de l’aide et pouvaient acheter des avions en échange d’un geste en matière de droits de l’homme.

 

Kissinger est économiquement lié à l’ITT, l’une des sociétés qui a activement participé au renversement d’Allende, ainsi qu’à l’entreprise Lockheed Martin, responsable de la vente d’avions au Chili.

 

Lors de cette conversation, Pinochet se plaint du rôle joué par Orlando Letelier à Washington où il dénonçait devant le Congrès les atrocités commises au Chili.  Curieusement, Letelier est assassiné quelques mois plus tard à Washington par des personnages liés à Kissinger pendant son mandat ténébreux en tant que secrétaire d’État.

 

Dans cette conversation, Kissinger avoue qu’il est le promoteur de l’idée de tenir au Chili la conférence de l’OEA, un événement qui contribuerait à rehausser l’image publique et le prestige du Chili.  Pinochet demande aussi la permission de Washington pour entreprendre une action contre le Pérou qui, à leur avis, était influencé par Cuba.  À ce moment-là, Pinochet déclare : « Si l’on peut prouver l’influence de Cuba, nous sommes prêts à intervenir. »

 

Kissinger s’est arrogé le droit de ne répondre ni aux questionnaires qu’on lui a adressés par écrit, ni aux plaintes portées contre lui.  L’année dernière, Kissinger a été mis en accusation à plusieurs reprises.  Le 29 mai 2001, Kissinger est appelé à déclarer par le juge Roger Leroy, mais il quitte en toute hâte la France.

 

Une plainte a été déposée contre Kissinger à Buenos Aires le 1er juin 2001 pour dénoncer sa participation à l’opération Condor et la disparition de personnes en Argentine.

 

Le 31 juillet 2001, le juge chilien Juan Guzmán cite Kissinger à déclarer en tant que témoin dans l’enquête sur l’exécution du ressortissant nord-américain Charles Horman, en septembre 1973. Aucune réponse n’a été donnée.

 

Le juge argentin Rodolfo Canicobas qui enquête sur l’opération Condor a demandé à Kissinger d’émettre son avis sur l’opération Condor et sur les faits dénoncés dans l’instruction.  Aucune réponse.

 

Les victimes de la Fondation Rigoberta Menchú et de l'Association américaine des juristes figurent aussi parmi ceux qui demandent des comptes à Kissinger, conseiller d’environ trente sociétés transnationales, dont l’ITT et Lockheed Martin, entre autres.

 

On se demande pourquoi Kissinger reste, au bout de tant d’années, impuni et pourquoi des gens comme Pinochet comparaissent en justice sans qu’aucune mesure ne soit prise. À mon avis, Kissinger est devenu une célébrité grâce aux éloges faits par des journalistes comme Oriana Falachi dont l’attitude devant certains événements prouve sa vocation fasciste.  Le prix Nobel de la paix a été décerné à Kissinger, un homme qui a à son actif un gros dossier de crimes.  À mon avis, Kissinger est le fils conducteur entre les crimes contre l’humanité commis notamment en Amérique latine et le gouvernement des États-Unis.  Cette figure tellement associée aux crimes commis en Amérique latine refuse de déclarer parce qu’elle jouit de la protection du Département d’État.

 

 

 

Randy Alonso.- Les criminels de cette époque-là et ceux d’aujourd’hui sont du même acabit.  Ceux qui rencontrent aujourd’hui les terroristes sont les continuateurs de ceux qui ont rencontré les pires terroristes de l’Amérique latine, ceux qui les ont financés et soutenus et qui sont responsables non seulement des morts de ce sous-continent, mais aussi des millions de personnes mortes pendant la guerre du Vietnam.

 

Mais d’où viennent ces tueurs à gages, ces criminels qui ont imposé la terreur en Amérique latine et qui ont laissé des dizaines de milliers de morts et de personnes portées disparues au sud de notre sous-continent pendant les années 60 et 70 ? Où ont-ils appris les méthodes de torture ?  Ni moins ni plus qu’à l’école des assassins, la dénommée école des Amériques.  Je passe la parole à Rogelio Polanco.

 

Rogelio Polanco.- Comme on le sait, les militaires nord‑américains ont été leurs professeurs.  On compte de plus en plus de preuves attestant de la participation de cette académie d’assassins à la formation des principaux dictateurs latino-américains.  L’école des Amériques est née à Fort Amador dans la zone du canal de Panama, en 1946.  Dans un premier temps, elle a accueilli la division terrestre du centre d’entraînement latino‑américain.  Ensuite, elle a été transférée au Fort Gulick, où elle a été baptisée École des Caraïbes de l’armée des États-Unis.  Elle commence à gagner un certain renom à partir de 1961 lorsque le président John F. Kennedy a précisé sa mission : « Préparer les forces armées pour combattre la menace communiste et aider à contrecarrer la croissante influence cubaine et soviétique dans la formation de groupes guérilleros. »  Bref, il s’agissait de la contre‑insurrection, un terme qui a permis de justifier l’instauration de dictatures militaires en Amérique latine pendant les années 60, 70 et 80.

 

C’est en 1963 qu’elle reçoit le nom actuel, à savoir School of Americas.  En 1984, elle a été définitivement transférée à Fort Benning, Georgia.  Pendant toute cette période, nombreuses organisations basées aux États-Unis ont dénoncé les violations des droits de l’homme et les actions antidémocratiques et répressives encouragées par cette académie.

 

Le Latinoamerican Working Group a dénoncé l’existence de six manuels de 1 169 pages, dénommés manuels de la guerre froide, contenant des instructions spécialisées pour pratiquer l’espionnage et le chantage, s’infiltrer dans les organisations civiles, confondre l’insurrection armée et l’opposition légitime, neutraliser - voilà le terme utilisé - les opposants, arrêter illégalement et opérer en  marge de la loi et des systèmes démocratiques.  Les manuels correspondant à la période 1982-1991 ont fait l’objet d’enquêtes par le Pentagone.  Leur contenu, qui date des années 60, constitue le dénommé Projet X du Programme d’assistance d’aide extérieure en matière de renseignements de l’armée des États-Unis.  Le Pentagone a décidé, une fois l’enquête conclue, qu’aucun responsable ne pouvait être identifié, étant donné que ceux qui avaient utilisé les manuels ne savaient pas que ceci allait à l’encontre des intérêts défendus par leur pays.

 

Les stratégies de contrôle proposées par ces manuels sont similaires à celles avancées par d’autres manuels de la CIA qui acceptent spécifiquement les dites techniques de torture, semblables à celles utilisées par la suite dans des pays comme l’Argentine, le Brésil, le Chili et l’Uruguay.

 

Ces manuels recommandent à l’armée de dresser des listes noires des personnes dont la capture ou l’arrêt revêtent une grande importance pour les forces armées et de neutraliser les membres des partis de l’opposition.  Selon ces manuels, qui apprennent à violer les droits de l’homme, les insurgés n’ont, à l’égard de la Convention de Genève, aucun droit en tant que prisonniers de guerre.

 

Pour conclure, il faut dire que les États-Unis devraient avoir honte de savoir que les salles de classe de cette école ont accueilli 60 000 militaires, 10 présidents latino‑américains, 38 ministres de la Défense et 71 commandants en chef des forces armées de plusieurs pays de notre sous-continent.  496 soldats accusés par la suite d’avoir commis des délits et des violations des droits de l’homme et certaines figures tristement célèbres comme les généraux putschistes argentins Viola, Videla et Galtieri et les dictateurs Pinochet, Somoza, Hugo Bánzer, Stroessner, Juan Melgar Castro et Policarpio Paz García, tous deux du Honduras, et Carlos Humberto Romero d’El Salvador, ont fait leurs études à l’école des Amériques.  De quel droit peut le président Bush parler de violations des droits de l’homme et de torture à Cuba lorsque son pays accueille ce centre ignoble ?

 

Randy Alonso.- L’école des Amériques est un centre de formation de tortionnaires et d’assassins dans notre sous‑continent, une institution de longue date et aussi d’une longue histoire criminelle.

 

Comme toute politique criminelle contraire aux intérêts des peuples, les politiques nord-américaines mises en pratique au sud de notre sous-continent ont bénéficié du soutien non seulement des bourgeoisies nationales et de l’extrême droite des armées de ces pays, toujours prêts à combattre les mouvements de libération et les forces de gauche de cette région de notre sous‑continent, mais aussi des mercenaires d’origine cubaine, ceux qui s’étaient formés dans les stations de la CIA, ceux qui ont participé à la dénommé Opération Mangouste, à l’Opération Condor et aux actions de contre‑insurrection des États-Unis au sud de notre sous‑continent.

 

Je cède la parole à Manuel Hevia.

 

Manuel Hevia.- Après la victoire remportée à Playa Girón par les forces révolutionnaires, l’administration nord‑américaine a utilisé des centaines de terroristes d’origine cubaine dans ses plans de contre-insurrection dans plusieurs régions du monde.  Ils ont été envoyés comme des mercenaires au Congo, utilisés dans l’agression contre la République dominicaine et le Vietnam.  Un grand nombre de ces mercenaires ont été envoyés à plusieurs pays latino‑américains pour soutenir leur programme de contre‑insurrection qui s’est répandu dans ce sous-continent pendant les années 60 et 70, voire dans les années 80, alors que l’agression terroriste contre notre Révolution ne cessait pas de s’intensifier.

 

Notre centre a caractérisé la trajectoire de certains de ces mercenaires qui ont ensanglanté les terres latino‑américaines. Pour que notre peuple ait une idée plus claire sur le rôle joué par ces tueurs à gages qui se promènent aujourd’hui dans les rues de Miami, citons certains noms.

 

Félix Rodríguez Mendigutía.  Il a participé à la comédie du 20 mai à Miami conjointement avec le président Bush, selon des informations fournies le lendemain par le libelle de Miami.  Recruté par la CIA en 1959, il a participé à des actions diverses contre Cuba en tant que membre des équipes d’infiltration, organisées à l’époque par le gouvernement nord‑américain.

 

En 1963 et 1964, cet individu, devenu un terroriste émérite, participe à des infiltrations dans le territoire cubain, organisées dans une base située au Nicaragua, sous la direction des services spéciaux des États-Unis.

 

En 1967, il est envoyé en tant qu’officier de la CIA en Bolivie par le gouvernement des États-Unis pour y conseiller les forces anti-guérilleras.  Il participe à l’assassinat du commandant Ernesto Guevara et aux dernières interrogatoires que les forces répressives de ce pays lui ont fait subir.

 

Entre 1970 et 1972, il a participé à la guerre du Vietnam en tant que conseiller de lutte contre l’insurrection.  Il a aussi pris part directement à l’arrêt de combattants, aux interrogatoires et à l’assassinat de guérilleros vietnamiens. En reconnaissance du travail accompli, le gouvernement des États-Unis lui a remis plusieurs décorations militaires.

 

Il a travaillé en tant que conseiller opérationnel des forces spéciales des États-Unis et participé au programme de contre‑insurrection dans certains pays latino-américains, dont l’Équateur (1968), le Pérou (1968, 1969 et 1970), l’Argentine (1973 et 1974) et le Nicaragua (1979).  Dans les années 80, il a réalisé de nombreuses activités en Amérique centrale, alors que dans les années 90, il a participé directement à l’organisation d’attentats contre notre commandant en chef.

 

Des liens de gratitude unissent cet élément à son protégé Luis Posada Carriles, à d’autres notoires terroristes et à d’anciens fonctionnaires de l’administration républicaine.

 

Un autre mercenaire, Luis Posada Carriles, entraîné à Fort Benning, s’est chargé, en 1967, d’organiser les organes de répression, d’abord de la dénommée DIGEPOL et, ensuite, de la DISIP, au Venezuela.  Il a accompli diverses missions criminelles dans différents pays de la région pendant les années 60.

 

Manuel Villafaña Martínez, officier de l’armée de la tyrannie de Batista et chef de la force mercenaire lors de l’invasion de Playa Girón, a aussi réalisé différentes activités comme membre des troupes élites, en l’occurrence de la CIA, les dits Commandos mambis qui ont entrepris de nombreuses actions d’infiltration contre Cuba pendant l’Opération Mangouste.  Plus tard, il a suivi, à l’instar des autres terroristes, la même trajectoire mercenaire : en 1966, il se charge, sous le couvert d’une entreprise dénommée Galerías Preciado établie en Colombie, de conseiller les groupes répressifs de ce pays.

 

Angel Moisés Hernández Rojo, agent principal de la CIA, a prêté divers services au Brésil, aussi sous le couvert facilité par les services de renseignements nord-américains.  Rappelons qu’Hernández Rojo, qui faisait office de patron du yacht Esperanza, était l’un des membres du commando terroriste qui a participé à l’attentat raté contre notre commandant en chef, en octobre 1997, à île Margarita.

 

Gustavo Villoldo Sampera.  Terroriste d’origine cubaine entraîné à Fort Benning.  Il a participé à l’assassinat du commandant Ernesto Che Guevara en 1967 en Bolivie, ainsi qu’à d’autres actions de contre-insurrection en Équateur, en compagnie de Félix Rodríguez.

 

Antonio Veciana Blanck.  Connu par ses activités terroristes contre Cuba.  Détaché en Bolivie depuis 1967 par les services spéciaux nord-américains.  Il a participé au plan d’attentat contre le commandant en chef Fidel Castro, organisé lors de sa visite au Chili sur invitation du gouvernement de l’Unité populaire.

 

Ricardo Morales Navarrete.  Entraîné à Fort Jackson.  En 1965, détaché au Congo conjointement avec d’autres terroristes d’origine cubaine.  Entre 1967 et 1968, il participe à des actions terroristes au Venezuela, en compagnie de Posada Carriles.  Agent de la CIA dans divers pays centre-américains.

 

Il convient de signaler que Morales Navarrete a déclaré qu’il avait fourni, à l’époque où il dirigeait la division 51 de la DISIP vénézuélienne, les explosifs utilisés dans l’attentat brutal contre l’avion de Cubana à la Barbade.

 

À partir des années 70, plusieurs terroristes d’origine cubaine ont réalisé des activités criminelles, dont pose de bombes, enlèvements et assassinats, en Amérique latine, dans le cadre de l’Opération Condor.

 

On assiste alors à l’union des corps répressifs des pays gouvernés par les militaires et certains groupes terroristes d’origine cubaine, dont Mouvement nationaliste cubain de Felipe Rivero et Action cubaine d’Orlando Bosch.

 

Pourquoi cette association avec les terroristes cubains ?  Tout simplement parce que cela permettrait aux terroristes cubains de mieux organiser depuis ces pays leurs actions criminelles contre la Révolution cubaine et de recevoir les armes et les explosifs que leur fourniraient ces régimes militaires.  En échange, ils ont mis, à partir de 1974, leurs expériences terroristes acquises aux camps de la Floride pendant leurs actions militaires contre Cuba au service des dictatures militaires.

 

Qui étaient ces terroristes ?  Donnons certains noms : Orlando Bosch Ávila, Felipe Rivero, Ignacio et Guillermo Novo Sampoll, Gaspar Jiménez Escobedo - ces deux derniers sont actuellement emprisonnés au Panama pour l’attentat contre notre commandant en chef lors du Sommet tenu en 2000 dans ce pays - ; Virgilio Paz Romero, José Dionisio Suárez Esquivel, Alvin Ross Díaz, Pablo Sarduí et bien d’autres contre-révolutionnaires.

 

Ces terroristes d’origine cubaine ont pris part à un grand nombre d’actions criminelles, à savoir l’assassinat du général chilien Carlos Prats et son épouse, celui d’Orlando Letelier et de sa collaboratrice nord-américaine Ronnie Moffitt et l’attentat, avec coups et blessures, contre le démocrate‑chrétien Bernardo Leighton et son épouse à Rome.

 

Orlando Bosch a participé aux opérations de la DINA, de Pinochet, avec un passeport officiel chilien portant le nom de Héctor Dabanza Sintolezi.  Au Costa Rica, Bosch a orchestré plusieurs plans d’attentat.

 

Alvin Ross Díaz.  Mercenaire de Playa Girón.  Membre d=Omega-7. Détenu aux États-Unis en 1978 avec les frères Novo Sampoll, accusé de fabriquer des explosifs.  Il a directement participé à l’assassinat de l’ancien ministre chilien des Affaires étrangères, Orlando Letelier, et à l’attentat contre l’ambassadeur cubain à l’ONU, Raúl Roa Kourí, en 1980.

 

Guillermo Novo Sampoll.  Membre de la brigade 2506 et du CORU. En 1980, il a participé à l’attentat contre le ministre nicaraguayen des Affaires étrangères.  Actuellement, il est emprisonné au Panama.

 

Rolando Otero Hernández.  Mercenaire de Playa Girón.  Il a participé à la pose de bombes dans des bâtiments fédéraux à Miami.  Dans les années 70, il travaillait pour Posada Carriles, au Venezuela.

 

Virgilio Paz Romero.  Impliqué dans l’assassinat d’Orlando Letelier.  Suspect d’assassinat de Carlos Muñiz Varela.  Il a participé à l’attentat contre Bernardo Leighton et présumé assassin du sbire Masferrer.  Membre du groupement Escadron exterminateur de la DINA, conjointement avec le mercenaire nord-américain Michael Townley.  Il a réalisé des actions au Mexique, en Italie et aux États-Unis contre les mouvements révolutionnaires.

 

Il serait impossible de les énumérer tous.  De toutes façons, l’acabit et la trajectoire de tous ces éléments met en évidence la participation des terroristes d’origine cubaine à ces actions criminelles, appuyées depuis les années 60 jusqu’à nos jours par les États-Unis.

 

Randy Alonso.- Les États-Unis se sont servis des mercenaires qu’ils avaient formés pour appuyer les dictatures militaires en Amérique latine.  La maffia, pour sa part, a utilisé ces services pour mieux réaliser ses activités contre notre pays. Nul n’ignore que la DINA chilienne et d’autres organes de renseignements de ces dictatures militaires ont participé directement à des actions organisées contre notre pays.

 

Mais cette maffia terroriste, entraînée et financée par les États-Unis, n’avait pas seulement pour but d’appuyer les organes de renseignements qui réprimaient les peuples latino‑américains, mais aussi d’entreprendre diverses actions depuis plusieurs coins du monde contre les pays de notre sous‑continent.

 

Je passe la parole au compañero José Luis.

 

José L. Méndez.- Je vais tout d’abord faire allusion aux activités réalisées par ces terroristes d’origine cubaine contre des installations des pays latino-américains à l’intérieur des États-Unis.  Les actions criminelles menées à bien par les terroristes cubains ont touché dix pays latino‑américains, notamment le Venezuela et le Mexique.  Divers actes ont eu lieu aussi à l’intérieur des pays latino‑américains.  Pendant cette période de vingt ans sous examen, 209 nouvelles actions ont été exécutées dans certains pays de la région, dont Porto Rico (35), le Mexique (34), les Bahamas (26), le Panama (18), le Pérou (17), le Venezuela (14). Les zones géographiques les plus touchées ont été les Caraïbes (78 actions, soit 37%), l’Amérique du Sud (64, soit 32%) et le Mexique (34, soit 17%).

 

Pendant cette période, 256 actes terroristes ont été réalisés contre des installations cubaines basées en Amérique latine, ainsi que contre 21 pays de la région.

 

Voyons le comportement par année.  De 1959 à 1979, les terroristes ont réalisé de façon permanente des actions dans les pays latino-américains.  De 1972 à 1979, 127 actions ont été exécutées, notamment entre 1973 et 1979.

 

En 1960, des mercenaires cubains entraînés au Guatemala ont étouffé le soulèvement militaire de Puerto Barrios.  Lors de l’invasion de la République dominicaine, des terroristes, dont Luis Posada Carriles, ont préparé une voiture piégée dans le bâtiment de la CIA Venus.  On a fait exploser cette voiture au moment où le nationaliste Francisco Caamaño Deñó prononçait un discours.  La bombe a été préparée par le terroriste d’origine cubaine Adolis Cobo Ricardo.

 

En 1961, l’ambassade de Cuba au Panama a été la cible de 13 actions terroristes.

 

Le 19 octobre 1961, un lot d’armes remis aux terroristes cubains par le colonel Rex Applegate, chef des services de contre-insurrection des États-Unis au Mexique à cette époque‑là, y a été saisi.

 

Le 19 novembre 1961, des terroristes cubains ont lancé cinq bombes contre l’ambassade de Cuba au Mexique.  Pendant la période sous examen, des installations cubaines et mexicaines ont fait l’objet de 58 actions au Mexique.

 

Le 21 mars 1963, l’explosion, à proximité du flanc de Tocora, (Pérou) d’un avion en plein vol cause la mort de deux diplomates cubains.

 

Le 15 septembre 1964, un commando terroriste attaque le bateau marchand Sierra Aranzazu, aux Bahamas.

 

Le 12 octobre 1965, l’organisation terroriste d’Orlando Bosch Ávila dynamite un navire anglais et un autre espagnol à Porto Rico.

 

Le 21 juin 1968, l’organisation Pouvoir cubain, dirigée par Orlando Bosch, profère, depuis les États-Unis, des menaces de mort contre le président du Mexique.

 

Pendant la dénommée « Guerre à travers le monde », 127 actes ont touché, de 1972 à 1979, 14 pays latino‑américains, dont la Jamaïque, le Mexique, le Chili, l’Argentine, les Bahamas, le Pérou, Porto Rico, l’Équateur et le Venezuela, entre autres.

 

En août 1976, le CORU d’Orlando Bosch a envoyé deux lettres piégées à Caracas, l’une adressée à l’ambassade de Cuba et l’autre à une agence de voyages.  Orlando Bosch et Luis Posada Carriles ont, avec le soutien de certains fonctionnaires d’origine cubaine de la DISIP, dont José Pepe Vázquez Blanco, Ricardo Morales Navarrete, et de terroristes basés au Venezuela, Héctor Carbonel Arenas, Francisco Pimentel, Nelly Rojas et Salvador Romaní Orúe, celui qui a incité la foule à se lancer contre l’ambassade de Cuba à Caracas en avril dernier, lors de la tentative de putsch contre le président Chávez, participé à l’opération.

 

Parmi les actions criminelles les plus notoires, citons : l’enlèvement et l’assassinat de deux fonctionnaires cubains, en Argentine, avec la participation directe de Gaspar Jiménez Escobedo, celui qui est emprisonné aujourd’hui au Panama ; l’attentat contre l’ambassadeur cubain en Argentine, en 1974 ; l’assassinat d’un fonctionnaire cubain du ministère de l’Industrie halieutique, à Mérida (Mexique) ; la pose d’une bombe dans la soute à bagages d’un avion civil de Cubana de Aviación, en Jamaïque ; la pose d’une bombe dans un restaurant de Mayagüez (Porto Rico) où deux personnes sont mortes ; la pose de deux bombes au bureau de Prensa Latina au Panama et, l’action la plus criminelle d’Orlando Bosch, à savoir l’explosion d’un avion civil en plein vol à la Barbade, au bord duquel voyageaient 73 personnes.

 

Les actions terroristes ont visé non seulement les représentations diplomatiques de Cuba, mais aussi celles de l’Union soviétique, du Panama, du Brésil, de la Colombie, du Mexique et de la Bolivie.

 

Analysons maintenant l’accusation lancée contre Cuba selon laquelle notre pays encourage le terrorisme.

 

Le 15 février 1973, Cuba et les États-Unis ont paraphé un accord portant sur la piraterie aérienne et maritime.  La violation flagrante dudit accord par les États-Unis et l’explosion en plein vol de l’avion de Cubana de Aviación ont entraîné sa révocation le 17 avril 1977.

 

Bien avant la décision des États-Unis de lutter contre le terrorisme, Cuba appliquait déjà des mesures strictes dans ce sens, à preuve la signature, en 1973 et 1974, d’accords de ce genre avec le Mexique, le Venezuela, la Colombie et le Canada.

 

En avril 1976, la CIA et le gouvernement nord-américain ont réalisé une étude portant sur la période janvier 1968‑décembre 1975.  Les commentaires ci-après figuraient à la page 26 de l’étude intitulée Prévisions sur le terrorisme international et transnational P.R.76 10030 :

 

« Exception faite de certains accords, dont le mémorandum d’entente relatif aux détournements d’avions et de navires, envisageant l’extradition rapide de catégories spécifiques de terroristes, souscrit par les États-Unis et Cuba en 1973, la réponse internationale au terrorisme a été relativement faible et inefficace. »  Autrement dit, cette agence du gouvernement nord-américain reconnaissait déjà à cette époque que la mesure la plus énergique et efficace adoptée pendant une période de huit ans était l’accord souscrit entre Cuba et les États-Unis.

 

Voyez sur l’écran le document dont je viens de vous parler.  À sa page 3, on peut lire : « L’accord bilatéral le plus utile et important a été celui souscrit par Cuba et les États-Unis en 1973. »  La même étude analysait la présence des organisations terroristes en Amérique latine et aux États-Unis.  Des cinq organisations les plus actives, quatre étaient d’origine cubaine.  L’étude ne fait état que de 44 actions terroristes, alors que nous en avons enregistrées 127.

 

Or, quelles sont ces organisations ?  Hé bien, Action cubaine et Pouvoir cubain, toutes les deux dirigées par Orlando Bosch Ávila et le Front de libération nationale cubain avec lequel Orlando Bosch a entretenu des relations étroites.  Comme on l’a déjà dit, ce même personnage se promène librement dans les rues de Miami.

 

Je le répète encore une fois, essayer d’inclure Cuba dans la liste des pays qui encouragent le terrorisme fait partie de cette campagne mensongère.

 

Randy Alonso.- Bien sûr.  Les États-Unis, les dictatures militaires et la maffia terroriste cubano-américaine ont toujours entretenu des liens étroits.  Des rapports déclassés du FBI datant des années 80, précisément du 29 avril 1986, font état d’une rencontre entre les exilés cubains - tel est le nom qu’on leur donne - et Pinochet, le 17 mars 1975.  Lors de cette rencontre, le dictateur chilien leur a offert une aide économique à condition que les dirigeants des différents groupes anticastristes s’unissent.  Pinochet leur a d’ailleurs promis ses bons offices auprès des chefs d’État du Paraguay et de l’Uruguay, des pays soumis à de cruelles dictatures.

 

Selon un autre document du FBI en date du 17 décembre 1974, le Chili, qui avait offert un entraînement paramilitaire aux contre‑révolutionnaires cubains, était prêt à délivrer un passeport et à accorder toutes les facilités nécessaires au mercenaire Orlando Bosch, afin que celui-ci puisse réaliser des actes terroristes en dehors du Chili et y rentrer pour bénéficier de la protection de la dictature de Pinochet.  Qui, selon ces documents déclassés, a fait office d’intermédiaire auprès du dictateur chilien ?  Ni rien ni plus que Jorge Mas Canosa et Ramiro Fe, un autre chef de file des organisations contre-révolutionnaires qui ont commis des actes terroristes contre Cuba et contre d’autres pays latino‑américains.

 

Je remercie les exposants et les invités de leur participation.

 

Compatriotes,

 

Les actions terroristes exécutées par le gouvernement nord‑américain ont non seulement visé la Révolution cubaine, mais aussi d’autres pays latino-américains pour les assujettir.

 

Devant l’euphorie déclenchée par le triomphe de la Révolution cubaine dans notre sous-continent, la politique de domination des États-Unis pendant les années 60 et 70 a entraîné l’invasion éhontée de plusieurs pays de la région, les putschs, l’instauration de dictatures militaires, l’application du plan Condor et la mort et l’enlèvement de milliers de personnes.

 

Un grand nombre d’assassins qui ont semé la terreur et la mort en Amérique latine a été formé à l’école des Amériques, institution officielle nord-américaine.  Le gouvernement des États-Unis les a entraînés pour le génocide au nom de sa sécurité nationale.

 

Les États-Unis ont confié la tâche de plonger les peuples de la région dans la douleur et le deuil à leurs protégés de la maffia terroriste anticubaine.  Les noms de ces mercenaires, spécialistes du crime, ont été encore une fois associés aux causes les plus ignobles de l’empire.

 

On a assisté, pendant les années 80 et 90, à des invasions, putschs, génocides et entraînements militaires à l’école des Amériques.  Ces sujets seront abordés à notre prochaine table ronde.

 

La « leçon démocratique » donnée par Bush le 20 mai dernier a passé sous silence ces réalités éhontées qui constituent une offense à l’intelligence humaine et à la mémoire historique des peuples de notre sous-continent.

 

La lutte continue !

 

Bonsoir.