ALLOCUTION PRONONCÉE PAR SON EXCELLENCE M. FELIPE PÉREZ ROQUE, MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA, AU SEGMENT DE HAUT NIVEAU DE LA 59º SESSION DE LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME

S.E. Mme la Présidente,

Tout d’abord, permets-te moi de vous exprimer mes sincères félicitations au nom du Gouvernement de la République de Cuba pour votre élection comme Présidente de la cinquante-neuvième Session de la Commission de droits de l’homme. Cela constitue non seulement une importante reconnaissance de la communauté internationale à votre riche trajectoire et à votre compétence professionnelle confirmée, mais —et particulièrement— une preuve de que l’arrogance et les intérêts de domination hégémonique peuvent échouer dans cette Commission lorsque prévalent l’unité et l’esprit de coopération entre l’immense majorité de leurs membres. Nous espérons que notre décision de vous élire, contre l’opposition entêtée et les pressions exercées par la délégation nord-américaine, ne transformera pas la Commission des droits de l’homme dans un autre « recoins obscure du monde . »

De même, nous tenons à féliciter S.E. M. Sergio Vieira de Mello de sa nomination en tant que Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, qui devra faire face à une ardue tâche au moment le plus dangereux et complexe dans l’histoire de cette Commission. Soyez certaine que dès à présent, vous pouvez compter sur Cuba et sur sa volonté de coopérer pleinement au succès de votre tâche..

Madame la Présidente,

Pendant la dernière année, le monde a changé dramatiquement. Plus d’un demi-siècle des expériences et des apports indiscutables des Nations Unies et du

système multilatéral, fondé à la fin de la deuxième guerre mondiale, sont soumis à une injuste et inutile humiliation et sont voués à leur destruction.

Force est de le reconnaître avec franchise : la Déclaration universelle des droits de l’homme risque de devenir lettre morte justement lorsqu’on va commémorer cinquante-cinq ans de sa proclamation. Rappelons que les visionnaires auteurs du texte qui a marqué un point de départ dans l’aspiration collective d’édifier un monde de liberté, de justice et de paix, ont établit à l’Artícle 28 que «  toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés puissent y trouver plein effet. » Disons-le avec clarté : à l’heure actuelle, cet ordre n’existe plus et chaque jour, il semblerait plus éloigné.

Nous n’insisterons pas cette fois sur des thèmes que traditionnellement ont été l’objet de nos inquiétudes. Nous ne parlerons pas aujourd’hui de la hypocrisie ni de deux- poids-deux-mesures qui ont pesé sur nos travaux des années durant. Nous ne réclameront pas aujourd’hui la profonde réforme et démocratisation du fonctionnement de cette Commission. Nous ne défendrons même pas aujourd’hui le droit de chaque peuple à choisir librement son propre modèle d’organisation civile et politique, et sa propre voie vers le développement économique et social. Nous ne réitérerons non plus la nécessité d’accorder la même importance à la défense des droits civils et politiques qu’ à la promotion des droits économiques, sociaux et culturels toujours relégués. À cette occasion, nous ne vont pas porter un jugement sur le comportement du respecte des droits proclamés dans la Déclaration, envers l’immense majorité des habitants de la planète. Ces droits sont, à savoir : «  Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », ou «  Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays », ou « Toute personne a droit au travail », ou « Toute personne a droit à l’éducation », ou « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être, et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».

Nous n’allons non plus, bien que cela puisse surprendre, employer ces minutes à dénoncer la tentative arbitraire et discréditée de fabriquer et d’imposer par la force une condamnation contre Cuba dans cette Commission, pour continuer à justifier le blocus génocide imposé il y a plus de quatre décennies par des différents gouvernements nord-américains contre notre peuple.

Aujourd’hui, notre priorité doit être une autre : sauver de la paralysie l’Organisation des Nations Unies, et ses mécanismes de sécurité collective, en affrontant l’irrespect délibéré des principes consacrés dans sa Charte.

Madame la Présidente,

L’agression illégale, injuste et inutile contre l’Irak, un pays du tiers monde – déjà déclenchée avec toute brutalité malgré le refus unanime de l’opinion publique mondiale – fait du droit à l’autodétermination et à la souveraineté des peuples un simple mirage. À l’issue de telle guerre, un nouvel ordre mondial aura né, où notre ancienne aspiration de voir la planète régie par l’empire de la loi aura été écrasée par l’imposition d’un ordre contrôlé par la loi de l’empire. Même pas les anciens alliés à l’OTAN, que des décennies durant ont accompagné les Etats-Unis pendant la guerre froide, échappent à l’heure actuelle à la menace d’une agression militaire. Pouvions-nous imaginer qu’un jour les Etats-Unis proclameraient dans une loi leur droit à envahir même la ville de La Hague, en plein cœur de l’Europe, si n’importe quel soldat nord-américain serait traîné devant le Tribunal pénal international ? Pouvions-nous anticiper que même pas l’Union européenne, sage et patient exercice d’intégration, de toute évidence, brisée à l’heure actuelle, pourrait mettre un frein aux appétits bellicistes et hégémoniques du gouvernement des Etats-Unis ?

Les conséquences des agressions perpétuelles au droit international, des déclarations insolites et des doctrines ainsi que le constant recours à l’emploi de la menace et du chantage militaire que nos avons vu cette dernière année, sont encore à être comprises dans toute sa portée et importance. Toute la planète est devenue en otage des décisions capricieuses d’un pouvoir illimité qui ignore tout engagement international et ne décide que selon leurs propres intérêts et leur conception particulière de la sécurité nationale. Nous nous acheminons vers un nouvel ordre mondial dans lequel la concertation est remplacée par la menace, la persuasion par la peur. Voilà, Madame la Présidente, notre dilemme et notre défi : faire face unis à un danger qui nous menace à nous tous.

Or, il faudrait se demander : Y a-t-il des raisons pour l’optimisme ? Cuba croit fermement dans le fait qu’il y a une puissante raison pour se sentir optimiste : dans l’histoire de l’humanité les grandes crises ont toujours ouvert la voie aux grandes solutions. Aucune tyrannie, aucun empire à des visées hégémoniques, a réussi à s’imposer tout le temps aux aspirations de justice et de liberté des peuples. Il est certain que dans plusieurs reprises la craindre à affronter le puissant, le découragement et l’apathie, ou le manque d’unité, ont augmenté le prix de la victoire. C’est pourquoi, aujourd’hui, lorsqu’il n’est pas encore trop tard, je renouvelle avec tout respect les mots qu’au nom de Cuba j’ai exprimé devant la Commission l’année dernière :

«  Cuba estime que, indépendamment des différences de conceptions, d’idéologies et de positions politiques, un danger nous menace tous tant que nous sommes : la tentative d’imposer une dictature mondiale au service de la grande superpuissance qui a déclarée, sans ambages, que l’on est avec elle ou contre elle. »

À ce moment-là, les dangereuses politiques et les actions du gouvernement en place des Etats-Unis ne se manifestaient pas d’une manière si grossière, et mes mots ont pu être perçus par certains comme un exercice de rhétorique enflammé. Et, hélas, cependant les événements les plus récents sont venus les ratifier. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui je réitère avec plus de force et de conviction notre appel de l’année dernière :

"Les pays occidentaux, alliés hier encore des Etats-Unis, dans un monde bipolaire, mais victimes aujourd’hui tant autant que nous de cet ordre dangereux et insoutenable qu’on tente de nous imposer, ne croient-ils pas qu’il est temps de défendre ensemble pour nos droits à tous? Pourquoi ne pas tenter de mettre en place une nouvelle alliance pour un avenir de paix, de sécurité et de justice pour tous ? Pourquoi ne pas tenter de mettre en place une coalition qu’inscrirait de nouveau sur ses drapeaux l’aspiration à la liberté, à l’égalité et à la fraternité de tous les peuples ? [...] Pourquoi ne pas croire qu’un monde meilleur est possible ? »

Cuba estime que dans le travaux de cette Commission il faut passer de la confrontation stérile entre le Nord et le Sud à la lutte conjointe pour un monde de paix, de justice et d’équité dont l’existence est menacée tant pour les pays du Sud comme pour ceux du Nord.

Nous ne sommes pas seuls, et en outre, nous sommes la majorité. Par ailleurs, nous comptons sur l’appui décisif des secteurs croissants du peuple nord-américain . Le peuple cubain a des preuves sur les sentiments idéalistes et justes du peuple nord-américain, lorsqu’il connaît la vérité. Les énormes mobilisations qui se tiennent partout dans le monde contre une guerre inutile et injustifiable vis-à-vis l’Irak tout en s’opposant à l’imposition du modèle néo-libéral dans un monde globalisé qui appauvrit nos pays en les empêchant de rêver au développement, ne sont-elles réellement encourageantes ? La courageuse position soutenue par la France, et d’autres pays, ne permet-elle pas de considérer avec optimisme l’éventualité d’un monde régi par le droit et non par la guerre ?

Bref, messieurs les délégués, aujourd’hui Cuba invite à la réflexion collective, à ne pas nous laisser vaincre par la confusion et le pessimisme. Cuba invite à tous les membres de la Commission à appuyer l’initiative qui encourage un ordre international démocratique et équitable; à appuyer l’initiative qui proclame le droit de tous les peuples à la paix. Cuba les invite à appuyer la proclamation dans ce forum du droit à la solidarité, à donner une solution globale et durable du problème de la dette extérieure; à appuyer la mise en œuvre et la mise en place à niveau international de la Déclaration sur le Droit au Développement. Cuba les invite à appuyer le projet de résolution qui stimule la participation populaire, l’équité, la justice sociale et la non discrimination, comme bases essentielles de la démocratie. Enfin, Cuba lance un appel à édifier une nouvelle voie dans les travaux de cette Commission, à rectifier la pratique d’un petit nombre de pays, de promouvoir des résolutions condamnatoires contre des pays en développement à partir de critères sélectifs et des positions basées sur des idéologies qui n’ont rien à voir avec la cause des droits de l’homme.

Madame la Présidente,

Le monde a besoin urgent de paix pour pouvoir axer toute son intelligence et ses ressources sur le combat contre les véritables ennemis de notre espèce. À savoir : la faim, la pauvreté, le sous-développement, la destruction de l’environnement, l’analphabétisme, les maladies, la marginalisation croissante à laquelle est soumis la plupart de la population de la planète.

Nous lutterons de concert pour sauver l’Organisation des Nations Unies, pour sauver les principes du multilatéralisme, pour créer des conditions pleines de sens aux travaux de cette Commission.

Édifions une coalition pour la justice et la paix. Harmonisons nos efforts, au-delà des différences aujourd’hui dépassés par un danger encore plus grand qui nous menace tous, pour qu’un monde meilleur soit possible, un monde dont l’on ne nous vas pas faire cadeaux.. Mais notre devoir est de lutter, et nous lutterons pour ce monde.

Merci beaucoup.